TRAICTE DE L'EPILEPSIE,
Maladie vulgairement appellée au pays de Prouence, la gouttete aux petits enfans.

Compofé par M. Iean Taxil, Docteur en Medecine, natif des Sainctes Maries, Medecin d'Arles.

A Lyon, M. DCII.


LIVRE I, Chapitre 1

Des diuers noms de l'Epilepsie, & de fa definition.


GALEN tref-claire lumiere des Medecins, fuyuant en cela le Philofophe, nous a laiffé par efcript qu'en deux façons on peut arriuer à la cognoiffance de chafque chofe, fçauoir par la definitiõ d'icelle, & par le nom, lequel (ne deuant eftre impofé que par les doctes & fages efprits) fouuent monftre au doigt & depeint prefque au vif le naturel & l'interieur de chafque chofe. L'epilepfie eftant vne maladie qui de tout temps & en diuerfes regiõs & clymats à faict fentir fes cuifantes rigueurs au grand intereft des affligez, chafcun à raifon de fes effects, ou par autre bonne confideration luy à attribué diuers noms. Les Hebrieux premiers hiftoriographes appellent en leur langage celuy qui en eft attaint, ירחינאי, Yarchinai, qui vaut autãt à dire que lunaire, ou lunatique, parce que cefte maladie à vrayement grande affinité auec la Lune, car on remarque que ceux qui en font affligez, & fpecialement les petis enfans en font plus tourmentez en certaines quadres des Lunes, & mefmes que ceux qui naiffent au defaut de la Lune y font plus fubiects (comme nous monftrerons cy apres.) Les Grecs (defquels eft puifé le plus beau des fciences pour la fertilité de leur fçauoir & langage) n'ont pas failly à luy impofer plufieurs noms fort fignificatifs, & le plus retenu et vfité en medecine eft επιληπσια, Latiné, Comprehenfio, uel Sufceptio. Lequel nom eft tiré de ce verbe επιλαμβανω qui fignifie proprement prendre, ou attraper d'en haut, duquel verbe auffi eft deriué ce nom επιληπτικος, qui fignifie celuy qui eft tourmenté de ce mal. Platon au onziefme dialogue de legibus, & Hippocrate au fecond liure des predictiõs, & au liure de flatibus, texte trentehuictiefme l'appellent ιερον νοσημα, maladie facrée à raifon que la partie offenfée, fçauoir le cerueau eft comme la partie la plus noble, & plus preftigieufe, ou d'autant qu'on penfe que la guerifon de ce mal foit referuée à Dieu feul, ou pource que ces Payens eftimoyent Saincts & grands perfonnages, & poffedez de l'efprit diuin, ceux qui eftoient attaints de ce mal, comme dict Ariftote en la trentiefme fection de fes problemes, probleme premier, ou il nomme plufieurs grands perfonnages qui en eftoient trauaillez, & faict auffi mention des Sibylles lefquelles nous fçauons au recit de la plufpart des Poëtes anciens en auoir efté merueilleufement agitées par l'aftuce du Diable, & ce lors principalement qu'elles vouloient vomir leur predictions Enigmatiques, Virgile depaint la Sibylle Cumee par les vers fuyuants dans fon fixiefme de l'Æneide.
Ventum erat ad limen cum virgo pofcere fata Tempus, ait, &c.

Et vn peu apres.
Non vultus, non color vnus,
Non comptæ mansêre comæ, fed pectus anhelû
Et rabie fera corda tument, &c.
Hippocrate au liure qu'il à efcrit de aëre aquis & locis, chapitre fecõd, l'appelle παιδιων νοσημα, maladie des enfans à caufe que les enfans en font plus fouuẽt attains que les autres, d'autres l'ont appellée ηρακλειον νοσημα, maladie Herculiene pour autant (à mon aduis) que comme Hercule eftoit des plus forts hommes de fon temps, & qui ne trouuoit homme qui le terraffaft, auffi eftimoient-ils cefte maladie fi furieuse qu'elle ne trouuoit aucun remede (au moins l'inueteree) qui la peut guerir & abattre, ou pource que Hercule mefme en eftoit faifi, comme temoigne Ariftote au probleme cy deffus allegué. Le mefme Hippocrate au fixiefme des maladies populaires, texte cinquiefme, l'appelle εκλαμψις, Latinè, εffulgefcentia, qu'on peut interpreter en [A2] François, felon la valeur du mot eftincelante, ou reluifante, parce que felon Galen fur ce lieu d'Hippocrate, tout ainfi que feu ayant ayant confumé l'humidité du bois changé iceluy en fa nature, de mefme quand par l'aâge la chaleur venant plus forte ayant confumé la caufe morbifique, la maladie prend fin : mais Hippocrate luy auroit-il point dõné ce nom, parce que les malades au commencement de leur paroxysme voyent fi leur femble quelque chofe de reluifant, & eftincelant, à caufe des efprits qui font agitez & troublez par la furie de ce mal ? Hollier homme tref-docte & trefcurieux dict que quelques anciens l'ont appellée ελεφαντιασιν, parce que comme la lepre mefme eft incurable. Les Romains l'appelloient morbum comitialem, pour autant qu'elle attrapoit fouuent les patients aux affemblées qu'ils apelloient Comitia. Les Arabes par l'induftrie defquels (pour auoir efté ornez d'vne fi grande doctrine durant plufieurs fiecles, noftre art a efté fi enrichy de tant de beaux volumes) l'ont appellée mere des maladies pueriles, au recit d'Auicenne, au chapitre premier de l'Epilepfie, eftimans que les maladies des petits enfans qui font la plufpart fluxions & catharres prinffent fource de cefte cy. Aule Gelle au liure dixneufiefme de fes nuits attiques, chapitre fecond l'appelle morbum teterrimum, maladie tref-cruelle, & Cornelius Celfius liure troifiefme, chapitre vingtroifiefme l'appelle maladie maieure, eftimant que ce soit la plus grande maladie qui fçauroit affliger l'homme, & ie croy qu'il l'appelle ainfi à l'imitation d'Hippocrate qui au fixiefme liure des maladies populaires fection fixiefme, texte feptieme la appellée de mefme façon, quelques autres l'ont appellée, morbum fonticum, maladie nuifante. Le vulgaire l'appelle en ce pays de Prouence, la gouttete aux petits enfans, ce que Rondelet auoit tref-bien remarqué, pour autant que lors que le paroxyfme de ce mal tourmente ces tendrelets, on les entend aualer force phlegme aqueux, qu'on peut dire leur diftiller goutte à goutte du palais, & couler dans l'eftomach ; & pource qu'elle rend les affligez debiles, abattus, & comme enueillis, on l'appelle mal caduc à ceux qui font plus aagez, ou peut eftre elle eft ainfi appellée à cadendo, pource que les malades tõbent par la violãce de ce mal : en outre voyãt que par les remedes humains & naturels, on ne pouuoit venir à la vraye cure d'iceluy mal, on à eu recours à l'interceffion des Saincts, & l'appelle-on par toute la France, mal S. Iean, & quelquefois haut-mal, pource qu'elle offenfe plus furieufement la plus haute partie du corps, ou pource que c'eft vn des plus hauts & grands maux de tous.
Par l'interpretation & etymologie de tant de diuers noms que nous auons dict eftre impofez à cefte maladie, on à ia attaint vne premiere & rude cognoifsãce d'icelle, de laquelle [A3] les fubtils efprits feroient aucunement fatisfaicts, toutesfois ce feroit peu fi nous ne monftrions de plus pres fon effence & fa nature, ce que fe fera en fa definition, laquelle fera tirée des accidens & fignes qui l'accompagnent, que les Grecs appellent Pathognomoniques. Galen au troifiefme de locis affectis, chapitre cinquiefme, l'a fi biẽ definie que prefque tous les autheurs l'ont fuiuy de mot à autre, fa definition eft telle.
Epilepfie eft vne convulfion generale de toutes les parties du corps, non pas perpetuelle, mais qui fe faict par interualle auec læfion de l'entendement & du fens.
Telle definition me femble tellement bõne qu'elle merite pluftoft d'eftre exagerée & rendue familière que contrariée ou refutée. Premierement elle eft dicte conuulfion vniuerfelle, à la difference des conuulfions qui fe font aux membres particuliers, comme il fe void aux playes de tefte, où la conuulfion fe fera fur la moitié du corps, & paralyfie fur l'autre, comme dict Hyppocrate au feptiefme des maladies populaires, & au liure des playes de la tefte : car comme tout le cerueau eft offenfé eftant l'origine de tous les nerfs : auffi tous les nerfs conuulfent & fe retirent, d'où eft faicte cefte conuulfion generale. La feconde partie de cefte definition dict (non pas perpetuelle) laquelle chofe eft de grande cõfideration, qu'en cefte maladie icy, tant que le paroxyfme & vigueur de ce mal dure, la conuulfion n'eft pas toufiours, mais recommence de coup à autre iufques à la fin du mal ou du malade. La raifon & caufe de tel fymptome eft referée à certaines vapeurs malignes qui s'efleuent de fois à autre, & venant à irriter le cerueau & fes meninges, les efprits animaux efpars par toutes les parties nerueufes accourent à coup au fecours de leur mere & fource, tirent à eux les nerfs inuolontairement, & comme cela fe faict par interualle, auffi eft-ce par interualle, & non pas perpetuellement que fe faict cefte conuulfion, à la difference de Tetanos, & de fes femblables efpeces qui font bien des conuulfions vniuerfelles, mais non poinct en telle façon palpitantes. En fin ce doctriffime Galen termine fa definition par ces mots (auec læfion de l'entendemẽt & du fens) ce qui eft mis pour defpaindre plus au vif le naturel de cefte maladie, & la faire differer de toutes autres affections cephaliques : car bien qu'il y aye d'autres maladies qui ayent conuulfion generale & intermittente, comme l'apoplexie, fi eft-ce que la læfion du fens ny eft pas en tel degré, fçauoir imminué feulement, mais abolie totalement. Quelqu'vn dira que cefte definition de Galen que i'exagere tant, ne merite fi haute louange pour eftre fort manque & imparfaicte, veu que le genre qui eft conuulfion ne peut comprendre l'Epilepfie qui eft logée à vn autre ordre, car elle eft maladie, & conuulfion, dont eft faict le genre de cefte definition [A4] eft fymptome feulement : à quoy ie refpons qu'il ne faut prendre les efcris des doctes à pied-leué ny les cenfurer legerement, s'affeurant que les premiers ont bien trauaillé, & que les plus braues medecins ont fouuentes-fois definy les grãdes & graues maladies par les fymptomes, & accidens plus forts, & plus cogneus qui les accompagnent : fe contentẽt de bien reprefenter en peu de mots qu'elle eft l'affection dequoy ils pretendent de parler, prefuppofant qu'on entend le genre, & fe contentent de dire les accidens propres & infeparables qui les accompagnent, comme faict Galen au fixiefme de morbis & fymptomatibus, chapitre fecond, definiffant la lepre par fon fymptome, difant qu'elle eft tref-grãde erreur de la vertu affimilatrice, & Hippocrate, la goutte vne douleur arthetique, taifant aux doctes ce qui leur eft manifefte & cogneu ; & ainfi lors que Galen dit que l'Epilepfie eft conuulfion, il vouloit qu'on entendift fecrettement la caufe d'icelle conuulfion qui eft le genre de la definition. Ie fçay bien que Capiuaccius en fa methode, & propre chapitre de l'Epilepfie, va contrecarrant cefte definition, difant que l'Epilepfie n'eft point conuulfion legitime, & en faict vn grand difcours : mais à quoy fert cela, mais qu'elle foit conuulfion ? legitime ou non, la definition demeure elle moins bõne ? on peut tirer vn plus fort argument d'Hollier au liure premier de internis affectionibus, chapitre fexfiefme, in fchloijs, lequel dict auoir obferué plufieurs Epilepfies fans conulfion, ce font chofes rares defquelles il n'y point de reigle à l'art, & paraduenture que fi la cõuulfion n'eftoit point apparente elle eftoit occulte, ou que tels Epileptiques fouffroient Syncope, comme remarque Auicenne, & le plus grand mal faict perdre les accidens de l'autre, bref qu'on obferue toufiours l'Epilepfie auec conuulfion : mais d'autant i'eftime que toutes Epilepfies font faictes de malignes, & veneneufe qualité (comme ie monftreray cy apres) pour contenter les plus chatouilleux. Ie mettray icy vne definition qui aura fon genre de noftre creu, & ces differences de la definition de Galen, difant, que l'Epilepfie eft vne intemperature indicible du cerueau, caufee de maligne qualité, excitant conuulfion generale, & non perpetuelle aux parties du corps auec læfion de l'entendement, & du fens.