GALEN tref-claire lumiere des Medecins, fuyuant en cela le Philofophe, nous a laiffé par efcript qu'en deux façons
on peut arriuer à la cognoiffance de chafque chofe, fçauoir par la definitiõ d'icelle, & par le
nom, lequel (ne deuant eftre impofé que par les doctes & fages efprits) fouuent monftre au doigt & depeint
prefque au vif le naturel & l'interieur de chafque chofe. L'epilepfie eftant vne maladie qui de tout temps & en
diuerfes regiõs & clymats à faict fentir fes cuifantes rigueurs au grand intereft des affligez, chafcun
à raifon de fes effects, ou par autre bonne confideration luy à attribué diuers noms. Les Hebrieux
premiers hiftoriographes appellent en leur langage celuy qui en eft attaint,
ירחינאי,
Yarchinai, qui vaut autãt à dire que lunaire, ou lunatique, parce que cefte maladie à vrayement
grande affinité auec la Lune, car on remarque que ceux qui en font affligez, & fpecialement les petis enfans
en font plus tourmentez en certaines quadres des Lunes, & mefmes que ceux qui naiffent au defaut de la Lune y font plus
fubiects (comme nous monftrerons cy apres.) Les Grecs (defquels eft puifé le plus beau des fciences pour la fertilité
de leur fçauoir & langage) n'ont pas failly à luy impofer plufieurs noms fort fignificatifs
, &
le plus retenu et vfité en medecine eft
επιληπσια,
Latiné,
Comprehenfio, uel Sufceptio. Lequel nom eft tiré de ce verbe
επιλαμβανω
qui fignifie proprement prendre, ou attraper d'en haut, duquel verbe auffi eft deriué ce nom
επιληπτικος,
qui fignifie celuy qui eft tourmenté de ce mal. Platon au onziefme dialogue
de legibus, & Hippocrate au
fecond liure des predictiõs, & au liure
de flatibus, texte trentehuictiefme l'appellent
ιερον
νοσημα, maladie facrée à raifon que la partie offenfée, fçauoir
le cerueau eft comme la partie la plus noble, & plus preftigieufe, ou d'autant qu'on penfe que la guerifon de ce mal
foit referuée à Dieu feul, ou pource que ces Payens eftimoyent Saincts & grands perfonnages, & poffedez
de l'efprit diuin, ceux qui eftoient attaints de ce mal, comme dict Ariftote en la trentiefme fection de fes problemes,
probleme premier, ou il nomme plufieurs grands perfonnages qui en eftoient trauaillez, & faict auffi mention des Sibylles
lefquelles nous fçauons au recit de la plufpart des Poëtes anciens en auoir efté merueilleufement agitées
par l'aftuce du Diable, & ce lors principalement qu'elles vouloient vomir leur predictions Enigmatiques, Virgile depaint
la Sibylle Cumee par les vers fuyuants dans fon fixiefme de l'Æneide.
Ventum erat ad limen cum virgo pofcere fata Tempus, ait, &c.
|
Et vn peu apres.
Non vultus, non color vnus,
Non comptæ mansêre comæ, fed pectus anhelû
Et rabie fera corda tument, &c. |
Hippocrate au liure qu'il à efcrit de
aëre aquis & locis, chapitre fecõd, l'appelle
παιδιων
νοσημα, maladie des enfans à caufe que les enfans en font plus fouuẽt
attains que les autres, d'autres l'ont appellée
ηρακλειον
νοσημα, maladie Herculiene pour autant (à mon aduis) que comme Hercule eftoit
des plus forts hommes de fon temps, & qui ne trouuoit homme qui le terraffaft, auffi eftimoient-ils cefte maladie fi
furieuse qu'elle ne trouuoit aucun remede (au moins l'inueteree) qui la peut guerir & abattre, ou pource que Hercule
mefme en eftoit faifi, comme temoigne Ariftote au probleme cy deffus allegué. Le mefme Hippocrate au fixiefme des
maladies populaires, texte cinquiefme, l'appelle
εκλαμψις,
Latinè,
εffulgefcentia, qu'on
peut interpreter en [A2] François, felon la valeur du mot eftincelante, ou reluifante, parce que felon Galen
fur ce lieu d'Hippocrate, tout ainfi que feu ayant ayant confumé l'humidité du bois changé iceluy en
fa nature, de mefme quand par l'aâge la chaleur venant plus forte ayant confumé la caufe morbifique, la maladie
prend fin : mais Hippocrate luy auroit-il point dõné ce nom, parce que les malades au commencement de leur
paroxysme voyent fi leur femble quelque chofe de reluifant, & eftincelant, à caufe des efprits qui font agitez
& troublez par la furie de ce mal ? Hollier homme tref-docte & trefcurieux dict que quelques anciens l'ont appellée
ελεφαντιασιν, parce que comme
la lepre mefme eft incurable. Les Romains l'appelloient
morbum comitialem, pour autant qu'elle attrapoit fouuent
les patients aux affemblées qu'ils apelloient
Comitia. Les Arabes par l'induftrie defquels (pour auoir efté
ornez d'vne fi grande doctrine durant plufieurs fiecles, noftre art a efté fi enrichy de tant de beaux volumes) l'ont
appellée mere des maladies pueriles, au recit d'Auicenne, au chapitre premier de l'Epilepfie, eftimans que les maladies
des petits enfans qui font la plufpart fluxions & catharres prinffent fource de cefte cy. Aule Gelle au liure dixneufiefme
de fes nuits attiques, chapitre fecond l'appelle
morbum teterrimum, maladie tref-cruelle, & Cornelius Celfius
liure troifiefme, chapitre vingtroifiefme l'appelle maladie maieure, eftimant que ce soit la plus grande maladie qui fçauroit
affliger l'homme, & ie croy qu'il l'appelle ainfi à l'imitation d'Hippocrate qui au fixiefme liure des maladies
populaires fection fixiefme, texte feptieme la appellée de mefme façon, quelques autres l'ont appellée,
morbum fonticum, maladie nuifante. Le vulgaire l'appelle en ce pays de Prouence, la gouttete aux petits enfans, ce
que Rondelet auoit tref-bien remarqué, pour autant que lors que le paroxyfme de ce mal tourmente ces tendrelets,
on les entend aualer force phlegme aqueux, qu'on peut dire leur diftiller goutte à goutte du palais, & couler
dans l'eftomach ; & pource qu'elle rend les affligez debiles, abattus, & comme enueillis, on l'appelle mal caduc
à ceux qui font plus aagez, ou peut eftre elle eft ainfi appellée
à cadendo, pource que les
malades tõbent par la violãce de ce mal : en outre voyãt que par les remedes humains & naturels,
on ne pouuoit venir à la vraye cure d'iceluy mal, on à eu recours à l'interceffion des Saincts, &
l'appelle-on par toute la France, mal S. Iean, & quelquefois haut-mal, pource qu'elle offenfe plus furieufement la plus
haute partie du corps, ou pource que c'eft vn des plus hauts & grands maux de tous.
Par l'interpretation & etymologie de tant de diuers noms que nous auons dict eftre impofez à cefte maladie, on
à ia attaint vne premiere & rude cognoifsãce d'icelle, de laquelle [A3] les fubtils efprits feroient
aucunement fatisfaicts, toutesfois ce feroit peu fi nous ne monftrions de plus pres fon effence & fa nature, ce que
fe fera en fa definition, laquelle fera tirée des accidens & fignes qui l'accompagnent, que les Grecs appellent
Pathognomoniques. Galen au troifiefme
de locis affectis, chapitre cinquiefme, l'a fi biẽ definie que prefque
tous les autheurs l'ont fuiuy de mot à autre, fa definition eft telle.
Epilepfie eft vne convulfion generale de toutes les parties du corps, non pas perpetuelle, mais qui fe faict par interualle
auec læfion de l'entendement & du fens.
Telle definition me femble tellement bõne qu'elle merite pluftoft d'eftre exagerée & rendue familière
que contrariée ou refutée. Premierement elle eft dicte conuulfion vniuerfelle, à la difference des
conuulfions qui fe font aux membres particuliers, comme il fe void aux playes de tefte, où la conuulfion fe fera
fur la moitié du corps, & paralyfie fur l'autre, comme dict Hyppocrate au feptiefme des maladies populaires,
& au liure des playes de la tefte : car comme tout le cerueau eft offenfé eftant l'origine de tous les nerfs
: auffi tous les nerfs conuulfent & fe retirent, d'où eft faicte cefte conuulfion generale. La feconde partie
de cefte definition dict (non pas perpetuelle) laquelle chofe eft de grande cõfideration, qu'en cefte maladie icy,
tant que le paroxyfme & vigueur de ce mal dure, la conuulfion n'eft pas toufiours, mais recommence de coup à
autre iufques à la fin du mal ou du malade. La raifon & caufe de tel fymptome eft referée à certaines
vapeurs malignes qui s'efleuent de fois à autre, & venant à irriter le cerueau & fes meninges, les
efprits animaux efpars par toutes les parties nerueufes accourent à coup au fecours de leur mere & fource, tirent
à eux les nerfs inuolontairement, & comme cela fe faict par interualle, auffi eft-ce par interualle, & non
pas perpetuellement que fe faict cefte conuulfion, à la difference de
Tetanos, & de fes femblables efpeces
qui font bien des conuulfions vniuerfelles, mais non poinct en telle façon palpitantes. En fin ce doctriffime Galen
termine fa definition par ces mots (auec læfion de l'entendemẽt & du fens) ce qui eft mis pour defpaindre
plus au vif le naturel de cefte maladie, & la faire differer de toutes autres affections cephaliques : car bien qu'il
y aye d'autres maladies qui ayent conuulfion generale & intermittente, comme l'apoplexie, fi eft-ce que la læfion
du fens ny eft pas en tel degré, fçauoir imminué feulement, mais abolie totalement. Quelqu'vn dira
que cefte definition de Galen que i'exagere tant, ne merite fi haute louange pour eftre fort manque & imparfaicte, veu
que le genre qui eft conuulfion ne peut comprendre l'Epilepfie qui eft logée à vn autre ordre, car elle eft
maladie, & conuulfion, dont eft faict le genre de cefte definition [A4] eft fymptome feulement : à quoy ie
refpons qu'il ne faut prendre les efcris des doctes à pied-leué ny les cenfurer legerement, s'affeurant que
les premiers ont bien trauaillé, & que les plus braues medecins ont fouuentes-fois definy les grãdes &
graues maladies par les fymptomes, & accidens plus forts, & plus cogneus qui les accompagnent : fe contentẽt
de bien reprefenter en peu de mots qu'elle eft l'affection dequoy ils pretendent de parler, prefuppofant qu'on entend le
genre, & fe contentent de dire les accidens propres & infeparables qui les accompagnent, comme faict Galen au fixiefme
de morbis & fymptomatibus, chapitre fecond, definiffant la lepre par fon fymptome, difant qu'elle eft tref-grãde
erreur de la vertu affimilatrice, & Hippocrate, la goutte vne douleur arthetique, taifant aux doctes ce qui leur eft
manifefte & cogneu ; & ainfi lors que Galen dit que l'Epilepfie eft conuulfion, il vouloit qu'on entendift fecrettement
la caufe d'icelle conuulfion qui eft le genre de la definition. Ie fçay bien que Capiuaccius en fa methode, &
propre chapitre de l'Epilepfie, va contrecarrant cefte definition, difant que l'Epilepfie n'eft point conuulfion legitime,
& en faict vn grand difcours : mais à quoy fert cela, mais qu'elle foit conuulfion ? legitime ou non, la definition
demeure elle moins bõne ? on peut tirer vn plus fort argument d'Hollier au liure premier
de internis affectionibus,
chapitre fexfiefme,
in fchloijs, lequel dict auoir obferué plufieurs
Epilepfies fans
conulfion, ce font chofes rares defquelles il n'y point de reigle à l'art, & paraduenture que fi la cõuulfion
n'eftoit point apparente elle eftoit occulte, ou que tels Epileptiques fouffroient Syncope, comme remarque Auicenne, &
le plus grand mal faict perdre les accidens de l'autre, bref qu'on obferue toufiours l'Epilepfie auec conuulfion : mais
d'autant i'eftime que toutes Epilepfies font faictes de malignes, & veneneufe qualité (comme ie monftreray cy
apres) pour contenter les plus chatouilleux. Ie mettray icy vne definition qui aura fon genre de noftre creu, & ces
differences de la definition de Galen, difant, que l'Epilepfie eft vne intemperature indicible du cerueau, caufee de maligne
qualité, excitant conuulfion generale, & non perpetuelle aux parties du corps auec læfion de l'entendement,
& du fens.