POUVOIR des APPARENCES
~ Beauté et idéal corporel ~

 

Ce document est issu d'une recherche effectuée au cours de mes études en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), dans lequel je développe l'importance du corps et tout ce qui lui a trait dans notre société. Il est intéressant de voir comment nous sommes catégorisés au travers de notre apparence physique, de manière consciente ou inconsciente par les individus qui nous entourent.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
SCIENCES ET BEAUTE
I . CORPS ET SOCIETE
1°) - CLASSES SOCIALES ET RAPPORT AU CORPS
2°) - IMPORTANCE DU CORPS DANS LA SOCIETE
3°) - LA MEDIATISATION
II . BEAUTE ET IDEAL CORPOREL
1°) - DEFINITION DE LA BEAUTE
2°) - GOUTS MASCULINS ET FEMININS
3°) - STEREOTYPES PHYSIONOMIQUES
III . INFLUENCE ET PERCEPTION DE L'INDIVIDU
1°) - LE JUGEMENT DES AUTRES
2°) - LA PERCEPTION DE SOI
3°) - INFLUENCE DE LA BEAUTE
CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

INTRODUCTION

Avant de développer la présentation du sujet, je crois qu'il est intéressant de savoir ce qui m'a amené à choisir ce thème. Le parcours a été difficile et ressemble un peu à celui du combattant. Je voulais traiter de quelque chose qui m'est proche, qui nous concerne tous, qui puisse m'apprendre quelque chose, éclairer mes idées et m'ouvrir l'esprit sur des problèmes de société. Comme beaucoup d'individus, j'accorde une certaine importance, toute relative, à mon apparence physique. Conscient de la puissance et de l'impact médiatique et social à ce sujet, je me considérais peut-être comme une victime désirante d'en savoir plus. J'étais tiraillé entre l'engouement actuel pour le body-building, les salles de remises en formes et le thème de la chirurgie esthétique qui m'a paru intéressant suite à la lecture de quelques livres sur ce propos. Le point commun est l'apparence physique, le désir de se conformer à un modèle, une référence qu'est celle de l'idéal corporel. J'ai alors débuté mes recherches surtout par la lecture de livres historiques, sociologiques, psychologiques traitant de la beauté, de l'apparence physique, de la chirurgie esthétique etc. J'ai fini par recueillir un certain nombre d'idées qui se sont organisées toutes seules, juste guidé par ma curiosité, mon désir de savoir pourquoi, comment, à cause de quoi l'on accorde une telle importance à l'apparence physique et quelles sont donc ces raisons qui nous poussent à vouloir modifier notre corps ainsi pour ressembler à un idéal corporel défini je ne sais comment. Voilà ce quelle a été ma démarche initiale.

Nous vivons aujourd'hui dans une société où le corps occupe une place de plus en plus grande. C'est un pôle pluridimensionnel, représentatif de multiples valeurs, qui, exploité de diverses manières, amène les individus non seulement à s'y intéresser, mais aussi à tout centrer sur lui. Le corps est sur-médiatisé et l'image que l'on nous en propose est unique : c'est celui d 'un corps harmonieux aux mensurations préétablies qui correspond à celui d'un homme et d'une femme au statut idéal. Ces derniers sont les référents d'une population grandissante qui s'efforce d'y ressembler par de multiples moyens tous plus durs et coûteux les uns que les autres (régimes, body-building, chirurgie esthétique…). Pour quelles raisons ?

Depuis des siècles, on sait que le corps est le support de valeurs qui évoluent au fil du temps et que la beauté qu'il incarne est elle aussi soumise à ce facteur. Au moyen âge, il était bon d'avoir le teint pâle et d'être bien portant, voire obèse (traits caractéristiques de la noblesse de courre). Cependant, aujourd'hui, le phénomène a pris une dimension telle que l'aspect physique et notamment la ressemblance à l'être idéal est devenue une caractéristique d'intégration sociale primordiale. L'origine de ces raisons est diverse et a des explications à la fois d'ordre psychologique et sociologique. Pour notre étude nous ciblerons le phénomène sur notre période contemporaine au sein de notre société (l'occident).

Le premier chapitre sera donc consacré au corps dans la société, nous verrons la place qu'il y tient, qu'on lui accorde et qu'elles sont en fait les interactions entre ces deux derniers. Dans notre approche nous nous intéresserons aux classes sociales dans leur rapport au corps, aux valeurs qu'il supporte, à la sur-médiatisation dont il fait l'objet à travers l'image de l'être idéal qui tend vers une uniformisation de l'individu.

Puis dans la seconde partie (chapitre II) nous définirons cet idéal corporel actuel. Nous verrons quels sont les goûts masculins et féminins dans leurs préférences esthétiques. Nous essayerons aussi de définir la beauté qui est le principal vecteur associé au phénomène étudié. A cela nous ferons l'inventaire des valeurs et des représentations que revêt le corps idéal.

Enfin dans le dernier chapitre (III), nous axerons la réflexion sur l'individu, sur la perception qu'il a de lui, mais aussi sur le jugement extérieur dont il est la cible constante. Nous aborderons aussi l'identification aux stéréotypes, puis, pour terminer, nous nous interrogerons sur la relation qui existe entre beauté et personnalité, ainsi que sur les effets de la beauté sur autrui.

 

Sciences et beauté :

Je désire, un peu en guise de seconde introduction, accorder un paragraphe sur le reportage télévisuel E=M6 du mardi 30 Mars 1999, intitulé : " Les secrets de la beauté ". Ce magazine montre d'une part l'engagement scientifique dans la relation du corps à la beauté et soulève d'autre part quelques propos intéressants relatifs à ce vaste sujet que nous ne n'aborderons pas tous par la suite, mais qui permettent d'apprécier l'étendue du phénomène.

Ce document avait essentiellement pour objectif de montrer les différentes techniques d'entretien du corps. Les thèmes abordés sont les suivants : soins de la peau, bronzage, calvitie, teinture de cheveux, épilation, chirurgie esthétique et compléments alimentaires de beauté.

Il faut savoir que les Français sont les premiers consommateurs au monde de cosmétiques. La recherche dans ce domaine a pour but de développer de nouveaux produits de plus en plus performants afin de lutter contre le vieillissement (formation des rides) et rester belle en gardant ainsi une " éternelle " jeunesse. L'enjeu est bien évidemment purement économique. Un chercheur déclarait d'après ses études (basées sur le procédé d'imagerie à résonance magnétique qui permet de mettre en évidence l'activité de certaines régions cérébrales ) qu'entretenir son corps, se faire beau, procurait des sensations de bien-être, de plaisir et jouait de ce fait sur le moral et sur l'état général de l'individu.

Le sujet sur le bronzage montrait bien évidemment les progrès technologiques effectués permettant d'avoir le teint hâlé toute l'année, mais insistait sur l'antinomie des dérives et des excès amenant l'individu à finir par se détruire (cancers de la peau).

Que ce soient les problèmes de calvitie, les teintures de cheveux, l'achat de cosmétiques, l'épilation ou la chirurgie esthétique, le point commun de toutes ces interventions corporelles est le coût financier élevé qu'elles suscitent pour les personnes concernées, ainsi que pour les laboratoires scientifiques qui investissent des sommes colossales dans la recherche. A titre d'exemple, la société Gilette a investi 4,5 milliards de francs pour la réalisation d'un rasoir à main masculin à trois lames. On assiste de ce fait à l'ouverture d'un nouveau marché fondé sur le corps propre. L'entretien du corps et son remodelage se banalisent. Par exemple, en 1998, plus de 20.000 prothèses mammaires ont été implantées ; on achète des seins comme l'on va chez le coiffeur.

Voilà qui montre l'importance et l'influence de cet organe qu'est le corps. Ce symbolisme génère des perceptions et des comportements individuels et collectifs pour lesquels naît un attrait croissant de la beauté corporelle. On se demande alors quelles en sont les raisons profondes.

 

I . LE CORPS DANS LA SOCIETE

1°) Classes sociales et rapport au corps

Le corps est une machine vivante qui, soumise à différents facteurs, se métamorphose. L'activité physique, la sédentarité ou l'alimentation influent sur le corps (musculature, obésité…). Notre morphologie initiale est donc amenée à évoluer et à changer sous l'effet de facteurs extérieurs. Ces facteurs peuvent être en corrélation avec la profession exercée, à savoir si le métier que l'on exerce est plutôt physique et d'extérieur ou statique de type bureaucratique. On déduit alors facilement que certains profils d'individus (aspect physique) correspondent à une catégorie socioprofessionnelle particulière.

Si on remonte le temps jusqu'à l'époque du moyen âge, on constate que le tiers-état constitué de paysans ou d'artisans offrait un profil particulier (peau marquée, bronzé et musclé) dû à l'activité physique d'extérieur qui était loin d'être celle de la noblesse. La sédentarité, l'abondance de nourriture et les activités d'intérieur ont forgé aux nobles une corpulence plutôt imposante souvent proche de l'obésité. C'était par conséquent le corps idéal de l'époque et outre l'aspect vestimentaire le signe distinctif le plus révélateur du statut social. Si l'on divise ainsi la société, c'est-à-dire les classes populaires d'un côté, les classes privilégiées de l'autre, il apparaît une considération et une structure du corps totalement différentes, voire opposées. Dans le premier cas, le corps est avant tout un outil de travail sur lequel il faut pouvoir compter. Cet instrument doit être robuste et fonctionnel. C'est une machine qui doit fournir un certain rendement ; l'apparence de celle-ci n'est guère une priorité ni même un souci.

A l'inverse pour des catégories sociales plus élevées, le corps est loin d'être l'outil principal au travail. Les domaines professionnels sont basés sur l'intellect et non sur l'aspect manuel, ce qui implique donc un tout autre rapport au corps. Un besoin de stimulation, de relation avec ce dernier s'impose presque naturellement. Dans un premier temps il est question d'entraînement physique dû au manque quantitatif d'activité, mais aussi qualitatif (besoin de perceptions organiques, expression des sensations), puis dans un second temps, il s'agit de valoriser le corps par la grâce, la beauté, la forme physique, caractéristiques fondamentales du corps idéal.

Selon Emile Durkheim, pour distinguer un individu d'un autre, il faut un facteur d'individuation, c'est le corps qui joue ce rôle. Le temps et l'évolution socioculturelle modifient la silhouette de l'idéal corporel. Ainsi dans la deuxième moitié du XXème siècle, le sport est devenu une distraction pour la bourgeoisie. Le sport lui-même transforme le corps en instrument et place le sportif dans le cadre des rapports de production et de consommation. On lui attribue aussi des fonctions idéologiques comme le renforcement de l'ordre établi par son caractère intégrateur et optimiste, de même que par l'identification aux champions modèles d'idéal, d'effort et de maîtrise physique. La pratique sportive devient par ce biais très prisée socialement, elle donne une certaine vision du corps : minceur, élégance, musculature visible…

Bourdieu parle à ce propos d'habitus de classe. Selon son idéologie (1977-1979), " le corps perçu est essentiellement un produit socioculturel et le rapport au corps propre ne tiendrait pas directement à l'image que nous en renvoie autrui, mais à certains modèles du corps légitime qui régissent l'évaluation de cette image en fonction de la position du sujet dans la structure sociale. L'expérience du corps (et corrélativement de sa beauté) serait foncièrement liée à de telles catégorisations et à l'inculcation d'un certain habitus. Le modèle esthétique du corps concerne tout un ensemble de sentiments et de jugements de la beauté. "*. C'est une des évolutions socioculturelles qui donne une nouvelle identité à l'idéal corporel attaché aux classes sociales. A ce stade précis débute une quête d'identité et de socialité dans un projet spécifiquement esthétique. Remarquons tout de même qu'il y a une relation au corps plus attentive pour les classes sociales privilégiées qui valorisent la grâce, la beauté et la forme physique. Le corps par les valeurs qu'il incarne est promu au titre de signifiant de statut social. L'intérêt fébrile que nous portons au corps n'est nullement spontané et libre, il répond à des impératifs sociaux.

* Le Breton David, La sociologie du corps, Paris, P.U.F, 1992.

 

2°) Importance du corps dans la société

Au cours de l'évolution, il y a eu différentes conceptions, différents courants, différents styles en occident avec des formes diverses, tantôt selon le modèle de la Grèce antique (idéalisation, maîtrise du corps), tantôt dévaluation, interdits, corps méprisé au nom d'une religion ou d'une éthique (puritanisme du XIXème siècle). Aujourd'hui existe une nouvelle tendance masculine qui prête un intérêt profond au corps ; les appréhensions qui étaient auparavant strictement féminines (vision du corps propre), ne le sont plus désormais. Le rapport corps / société devient une préoccupation majeure. Le poids des interdits moraux fait du corps un objet social matraqué par la publicité autour d'images qui le façonne en un objet de consommation. Le corps est oppressé : la femme est objet, l'homme machine.

Représentation matérielle de l'être, le corps omniprésent interprète les moments de la vie en fonction des situations : au travail, faisant la fête, malade, sur la plage il est parallèlement à sa fonctionnalité l'instrument majeur d'accès au symbolisme. Suivant les circonstances, il doit adopter un comportement, une attitude, avoir un " look " ! La tendance, actuelle est au stage de " relookage ". Ces stages offrent pour les plus complets tout un catalogue de rectifications corporelles envisageables ; cela passe bien évidemment par le coiffeur, le styliste, mais aussi par des cours où l'on apprend à marcher, à se tenir debout, assis… C'est en quelque sorte une métamorphose individuelle dans l'art d'être et de paraître. Cette demande graduelle de mutation physiologique souligne l'étendue incommensurable et la prégnance de l'aspect physique dans la société.

Le XIXème siècle correspond donc à une manipulation considérable de l'apparence. Ce qui distingue notre époque des précédentes n'est pas tellement la diversité des intervenants sur le corps, mais leur finalité presque essentiellement esthétique : une représentation de soi attrayante et flatteuse est si récompensée aujourd'hui, une disgracieuse si pénalisée que les métamorphoses corporelles sont actuellement presque uniquement consacrées à l'embellissement. La beauté devient un devoir à travers la publicité, les magazines, sur les plages, au travail…Les interventions corporelles qui se limitaient essentiellement auparavant à l'alloplastie (masques, vêtements, maquillage…) se tournent aujourd'hui de plus en plus vers l'autoplastie (régimes, chirurgie esthétique, body-building, crèmes amincissantes, électrostimulation…). Ce changement est notamment dû à la sur-médiatisation de l'idéal corporel diffusé au travers de la publicité, surtout de la télévision (cinéma -films et séries-, publicité, présentateurs d'émissions…) et impose un modèle pour ne pas laisser de place à tout autre type d'individu.

 

3°) Médiatisation

Pour qu'il y ait une telle frénésie populaire à propos de l'intérêt porté au schéma corporel, il faut bien que cette idéologie soit véhiculée par un vecteur, en l'occurrence ici médiatique. Télévision, publicité, magazines imposent au travers d'images et de mots un modèle non seulement de beauté, mais de statut social qui lui est associé. Nous avons vu que le corps apparaît comme une image, mais aussi comme le support de valeurs. La médiatisation que l'on en fait est sélective, restrictive et se limite au seul modèle culturel. Si l'on prend l'exemple de n'importe quelle publicité ventant les qualités d'un produit féminin (déodorant, savon, maquillage, vêtement…), il est évident que celui-ci sera présenté par une femme correspondant aux normes de l'idéal et non par une " grosse ". Ce ne serait pas commercial pour des raisons purement et strictement économiques (notions de quotas de vente, de rentabilité, de chiffre d'affaires). Cela n'est pas vendeur, le produit faisant l'objet d'une association à l'image de l'utilisatrice ; si celle-ci ne suscite pas l'envie, le désir, l'attirance, aucun impact ne sera produit sur le consommateur et il n'y aura donc pas d'influence sur sa conduite d'achat. L'idéal corporel est un support commercial à valeur économique, il devient peu à peu un objet de consommation. L'imposition permanente de cet outil publicitaire aux valeurs idylliques et envoûtantes entre dans un système à boucle fermée : les attentes et finalement les demandes augmentent graduellement de façon proportionnelle à l'offre. Ainsi, plus on nous assaille de modèles de perfection, plus on devient exigeant et plus on en réclame. Une conséquence visible au niveau télévisuel sont les acteurs et les figurants au cinéma : on entrevoit que très rarement des gros et des laiderons (surtout sur les plages américaines, alors que l'on a connaissance des problèmes d'obésité que connaît cette population). Les séries télévisées sont plutôt un repère à canons de l'esthétique qu'un reflet proportionné de la réalité. Dans le cas contraire, il est évident que le personnage jouera le rôle d'un individu vil, peu intelligent souvent dans la peau du " méchant ", alors que le héros, le " gentil ", accumulera toutes les qualités : beauté, intelligence, imagination, humour…

Le corps publicitaire fait aussi l'objet d'un morcellement qui donne une vision totalement différente de l'être et souligne son statut d'objet social. En effet, l'individu n'apparaît plus à l'écran dans son intégralité mais de manière fragmentée : il se dévoile sous la figure d'une fesse, d'une jambe ou d'un bras. Cette façon de le percevoir à une incidence prépondérante sur la perception et le jugement du corps que nous aborderons dans le dernier chapitre.

Ainsi, le corps et en particulier l'attraction qu'il revêt est amplifiée par les instances médiatiques, de plus, les valeurs qu'il véhicule sont elles déformées par une accentuation cyclique due au système infernal de boucle fermée, dont le principe est basé sur l'influence directe de la conséquence sur sa cause.

 

II . BEAUTE ET IDEAL CORPOREL

1°) Définition de la beauté

Nous avons vu précédemment que l'image du corps idéal était le symbole de beauté suprême. C'est pour cette raison évidente qu'il attire la convoitise et que tout individu qui désire être beau doit se référer et se rapprocher le pus possible à ce schéma établi.

Au cours de l'histoire humaine, en grande partie grâce à l'art, et notamment au travers de ses représentations picturales (tableaux de DEGAS qui nous dévoilent par exemple la beauté féminine telle qu'elle était perçue à la fin du XIXème siècle), nous avons pris connaissance des représentations du corps et corrélativement de sa beauté. Cela nous a permis d'observer des contrastes au fil du temps sur sa conception et son entendement.

La beauté devient de ce fait une notion abstraite difficile à définir, même pour le dictionnaire qui la décrit ainsi : " caractère de ce qui est beau ". Regardons alors à beau / belle : " qui éveille un sentiment d'admiration, de grandeur, de noblesse, de plaisir, de perfection, d'intensité ". Cette définition reste ambiguë ; une des raisons est que les critères relatifs à celle-ci varient d'une époque à l'autre, d'une culture à une autre et que l'on ignore les généralités et les spécificités. Cependant un des traits communs est la tendance à la généralisation et à l'uniformisation des goûts en matière d'esthétique. En l'absence de critères formels, la beauté est donc estimée à partir de sujets dont le corps, le visage, les proportions auront été jugés beaux par les autres (et inversement pour la laideur). Cette explication n'est donc pas fondée sur des traits physiques précis et déterminés. Cette imprécision laisse donc une libre interprétation quant aux valeurs auxquelles elle se réfère. Il n'y a donc pas une beauté, mais des beautés suivant les sentiments éprouvés par chacun d'entre nous à ce sujet. Toutefois, nous allons voir maintenant quels sont les goûts masculins et féminins (pour une majorité) en matière de beauté.

 

2°) Goûts masculins et féminins

Avant de décrire les penchants majoritaires en matière de fascination esthétique, comme ceux-ci subissent l'influence du temps, je tiens à préciser de nouveau que la réflexion est fondée sur notre époque contemporaine.

Plusieurs études ont été réalisées pour déterminer les goûts masculins et féminins et il en est une qui détermine d'après trois types de silhouettes les préférences esthétiques : il s'agit de la typologie de Sheldon. Elle se base sur trois caricatures d'individus qui sont : l'ectomorphe, le mésomorphe et l'endomorphe que l'on peut définir par le maigre, le " normal ", en chair, musclé et le gros. En ce qui concerne le corps féminin, le plus beau est l'ectomorphe modéré (mince mais non maigre avec des formes), le plus laid étant celui de l'endomorphe extrême (plus que grosse). Le corps masculin idéal est celui du mésomorphe (musclé, athlétique). Toutefois, il existe certaines divergences entre les idéaux masculins et féminins. Par rapport aux hommes, les femmes surestiment la contribution du bassin à la beauté féminine. Par rapport aux femmes, les hommes surestiment la musculature du thorax et des bras à la beauté masculine. Alors à quoi ressemblent exactement les corps idéaux ?

Le corps féminin le plus beau est fin et élancé (comme celui de l'ectomorphe), son volume est cependant plus généreux au niveau de la poitrine et des hanches. Parmi les exemples connus représentatifs de ce modèle, on note des femmes comme : Marilyn Monroe, Claudia Schiffer ou Laetitia Casta, (sex-symbols d'une époque). Le corps masculin idéal est celui du mésomorphe (musclé, athlétique). Contrairement aux femmes, peu d'hommes évoquent ce symbolisme de référence, l'unique, tout de même très représentatif, est Apollon (que l'on retrouve souvent en terme de comparaison dans l'expression " quel bel Apollon !). Il est à noté toutefois qu'actuellement on assiste à un curieux paradoxe en matière de représentation du corps : pour la majorité des gens et des médias subsistent des normes idéales, des stéréotypes, mais il existe certains courants qui initient des changements et parfois contestent ces normes comme la mode actuelle (sur le plan féminin uniquement, la tendance est aux filles filiformes, de type anorexiques).

 

3°) Valeurs, stéréotypes et idées préconçues

Si l'on reprend la typologie de Sheldon, à chacun des trois profils fondamentaux correspondent des caricatures comportementales, psychologiques autrement appelées somatotypes qui sont souvent plus proches du préjugé que de la réalité (voir tableau). Concernant l'individu masculin, par exemple on considère l'endomorphe comme quelqu'un de jovial, gai, sociable, mou, peu intelligent, inactif, indiscret…Quant au mésomorphe qui correspond à l'être idéal, il est perçu comme actif, dynamique, sain, équilibré, narcissique, matérialiste, dragueur…Il obtient 63% de traits désirables contre seulement 23% pour l'ectomorphe. En ce qui concerne la femme, l'être idéal se situant entre l'ectomorphe et le mésomorphe, on peut lui attribuer comme traits désirables : dynamisme, équilibre, intelligence, chaleur humaine, à la mode…

En résumé, l'être idéal, symbole suprême de beauté (qu'il soit masculin ou féminin), est supposé être plus aimable, plus sensible, plus flexible, plus confiant en lui-même, on le croît plus maître de son destin, moins influençable. On lui accorde une compagnie intéressante, force, équilibre, modestie, sociabilité, métier prestigieux, vie réussie, mariage heureux…Nos perceptions de l'individu induisent une foule d'idées et d'attentes basées sur le stéréotype " ce qui est beau est bon ". Inversement on en déduit que ce qui est laid est mauvais, dénué de toutes qualités…

Il faut constater que ces stéréotypes psychologiques et comportementaux (fonction de la physionomie) associés volontiers à chaque individu de façon désormais systématique, est une attitude générale. Celle-ci est pour sa part autant soumise à la conscience qu'à l'inconscience individuelle. S'établissent alors des actes et des jugements de l'être dont les conséquences sont en grande partie sous évaluées, voire ignorées. Tout cela conduit à une domination de la beauté où son incidence n'est que faiblement mesurée.

 

III . INFLUENCE ET PERCEPTION DE L'INDIVIDU

1°) Jugement des autres

Lorsqu'on rencontre une personne pour la toute première fois (hors lien par communication téléphonique), la première information que l'on perçoit d'elle est son apparence physique. Avant même que le contact ait pu s'établir, de près ou de loin, d'un bref coup d'œil on évalue le type d'individu auquel on va avoir à faire. Sous la forme d'un flash, on devine, on soupçonne son milieu social, sa personnalité, son tempérament, ses qualités, ses défauts…

La présentation physique de soi semble valoir socialement pour une présentation morale. Un système implicite de classement fonde une sorte de code moral des apparences. La mise en scène des apparences livre l'acteur au regard évaluatif de l'autre qui le fixe d'emblée dans une catégorie sociale et / ou morale au vu de sa mine ou de sa morphologie ou d'un autre détail encore. Une machine en pleine croissance sous les auspices de la séduction ou de la communication vise à l'entretien du corps. Forme, jeunesse, silhouette sont des traits de l'apparence que l'on s'efforce de maintenir (fréquentation des salles de gymnastique, fitness, musculation, body-building, diététique…) et font du corps l'objet d'un souci constant. Peur de ne pas être conforme, peur de ne pas satisfaire au jugement des autres et de devoir en subir les conséquences qui peuvent être importantes surtout dans le monde des affaires et du travail en général. On se doit de satisfaire à une socialité fondée sur la séduction, c'est-à-dire le regard des autres. Le corps est le faire-valoir de l'individu qui sait que c'est à partir de lui, dans certains milieux, que s'établit le jugement des autres. Ce jugement des autres implique aussi celui du nôtre, qui peut-être est encore pire.

 

2°) La perception de soi

Quelle image avons-nous de nous-mêmes ? Comment nous percevons-nous face aux modèles que nous impose la société ? Notre force de caractère, la considération que l'on accorde à l'attrait physique, à l'esthétisme interviennent pour moduler dans un sens ou dans l'autre notre perception individuelle. Notre auto évaluation n'est rendue possible que par comparaison à un référent. Le corps de l'autre est donc pris comme terme de comparaison pour estimer sa propre apparence et ses propres compétences physiques. L'autre n'étant que le modèle de perfection social imposé par la société, le duel s'annonce dès le départ inéquitable et quoi qu'il en soit perdu d'avance. Jean-Claude Hagège, dans son livre Séduire - Chimères et réalités de la chirurgie esthétique- dans lequel il développe les problèmes des gens qui ont recours à la chirurgie, dit ceci : " Le corps constitue un ensemble de morceaux et il suffit que l'un soit atteint pour que cet ensemble s'effondre ". Face au modèle de perfection, il y aura toujours un élément de notre corps qui ne sera pas conforme et ce petit rien peut devenir à lui seul un problème majeur.

En effet, associé à une crise conflictuelle, il arrive que l'on déplace les problèmes vers l'image corporelle et l'imperfection constatée prend une ampleur considérable. Sans s'attaquer à ce qui fait réellement problème, on s'inflige un régime sévère ou on se tourne vers d'autres méthodes plus radicales comme la chirurgie esthétique. On passe ainsi de la notion de normalité à une certaine idée de marginalité. De là, beaucoup de personnes se trouvent privées de la dimension de soi. On va jusqu'à tirer un trait sur certaines sensations de plaisir naturelles. Il faut s'adapter coûte que coûte à la banalisation générale, aux codifications uniformisantes et sécurisantes, au schéma corporel de minceur standardisé. Tout le monde est soucieux de chercher dans la conformité à la norme un sens à la vie.

Plusieurs études déjà anciennes ont montré que la satisfaction vis-à-vis de son propre corps est significativement liée à la satisfaction de soi (cela encore plus pour les femmes que pour les hommes). Les plus satisfaits de leur corps se considèrent aussi comme plus sûrs d'eux, plus heureux, plus intelligents, plus aimables, plus satisfaits sexuellement. Des expériences ont donné les résultats suivants, à savoir que la beauté féminine est fortement récompensée et la laideur une tare extrêmement pénalisée qui engendre la frustration. A force d'être pénalisés, les sujets non attrayants finissent sans doute par intérioriser l'image négative que les autres leur renvoient et donc par se conformer aux attentes de l'entourage. Baudrillard dit ceci : " La société met au monde des victimes ! Des victimes inconscientes, évidemment d'une idéologie où a beauté s'impose comme une religion, où le corps est sacralisé. " La manière de percevoir son corps correspond à la manière de se voir soi ; il faut donc apprendre à poser un regard juste sur son corps et développer la prise de conscience du corps dans nos rapports sociaux afin de fournir la force mentale nécessaire à l'équilibre physique et psychique.

 

3°) Influence de la beauté

La beauté a un impact considérable sur la perception de l'individu et par conséquent joue un rôle primordial, même si l'on en est inconscient dans notre relation avec celui-ci. Des expériences démontrent que beauté et laideur influencent inconsciemment nos attitudes, nos pensées et nos agissements envers l'intéressé. Par exemple, des étudiants et étudiantes différents en attrait physique ont reçu pour une dissertation identique quant au contenu, des notes différentes. Une autre expérience réalisée avec un jury simulé a révélé que pour divers accusés, à délits équivalents, le verdict différait aussi suivant l'attrait physique de ces derniers. Les sujets les plus beaux sont jugés avec plus d'indulgence que les moins beaux. Pourtant 93% des membres du jury prétendent que leur décision est fondée sur les informations objectives dont ils disposent quant au délit et au caractère de l'accusé. Ainsi, beauté et laideur influencent notablement les évaluations dont le sujet fait l'objet. On croit que l'aspect physique est superficiel et que l'appréciation d'autrui est basée sur des qualités objectives plus essentielles, mais il n'en est rien. L'impact de la beauté est considérable puisqu'elle nous manipule inconsciemment. Quelles que soient les circonstances, il y a une surévaluation de l'individu plus celui-ci est beau. On lui accorde des qualités de travailleur, de personne intelligente, doué, plus sincère comparé à quelqu'un de plus laid.

On a démontré aussi que la beauté d'une source accentue son pouvoir persuasif face à un auditoire. Un émetteur beau peut convaincre le public plus facilement s'il émet son opinion sans justification complémentaire (ce qui est largement utilisé dans la publicité, c'est même l'un des principes de base). Malgré cela il est tout de même moins efficient qu'une source experte développant des arguments. Cependant, si l'on associe les deux (beauté plus opinion et argumentation), je vous laisse deviner la puissance et la qualité de l'impact que l'on peut exercer. Il faut noter que ceci est surtout valable pour les sujets féminins qui se trouvent alors dotés d'une certaine influence sociale. Constatons les implications professionnelles que l'on peut soustraire à ces résultats, notamment dans le domaine de la vente, du commerce, des affaires en général, là où il faut obtenir l'accord, l'avis favorable du client ; une femme munie de compétences et de qualités argumentatives, en plus très belle, laisse présumer des résultats éblouissants. De là résultent des inégalités d'ordre esthétique et sexuels (avantage pour une femme par rapport à un homme).

La beauté constitue dans notre société un atout personnel (beaucoup plus important pour la femme que pour l'homme). Cependant, la beauté du partenaire dans un couple, est probablement plus gratifiant pour l'homme que pour la femme. On a montré que l'évaluation d'un homme dépend de la beauté de son épouse (plus que de sa propre beauté).

L'attrait physique semble bel et bien être récompensé socialement sous diverses formes. Au quotidien sont récompensés les attrayants et punis ceux pourtant déjà " désavantagés par la nature ". La beauté est une valeur sociale, un atout important. Cependant, le problème ne vient-il pas d'ailleurs ? Ne faut-il pas s'interroger sur notre comportement et nos méthodes d'analyse de l'autre et se forcer d'annihiler ces jugements subjectifs, promoteurs d'actions inégalitaires, au profit de la réflexion. Quand l'on connaît l'ampleur des pouvoirs de l'inconscience peut-être faudrait-il penser à une remise en question personnelle ?

 

CONCLUSION

Nous nous demandions au cours de cette étude qu'elles étaient en fait les motivations, les raisons qui poussent une quantité croissante d'individus à se conformer au schéma de l'idéal corporel. Cet idéal est le symbole représentant le paroxysme de la beauté. Nous avons vu que le corps était le support de valeurs, de représentations sociales et qu'au travers de la beauté celles-ci prenaient des formes positives, de vertus, de mérites dans des proportions gigantesques provoquant l'admiration et la convoitise à tout prix. Le facteur propulseur, directeur de ce mouvement est principalement le jugement et la perception que l'on fait de l'être de manière individuelle et collective impliquant sous cette évaluation une puissante volonté de conformité face à ces attentes.

Selon P.Schilder (1968), le plaisir de métamorphoser le corps serait d'ordre narcissique et correspondrait peut-être à un acte masturbatoire transformé. Pour M.Argyle (1975), la modification de l'apparence est à considérer comme une forme de communication non verbale. Elle servirait à véhiculer diverses informations à propos de soi et constitue un ensemble de signaux à propos du groupe d'appartenance, de l'âge, du sexe, du statut social et de la personnalité de l'émetteur. Ces théories ont bien entendu leur part de réalité mais n'expliquent pas tout face à l'ampleur du phénomène dans le contexte actuel.

Chaque individu est quotidiennement confronté à un corps de référence imaginaire, idéalisé, inaccessible (mince, jeune, musclé…). Toute différence par rapport à ce modèle peut être ressentie comme une tare d'où un certain malaise profond vis à vis de notre propre corps (ceci touche actuellement encore plus les femmes que les hommes). Le corps est public et destiné au regard d'autrui, il devient un indicateur. Les implications relationnelles et surtout personnelles de ces changements corporels peuvent provenir de difficultés d'intégration sociale, d'anxiété, de dévalorisation de soi. Naît alors un désir de changer d'identité pour adhérer au travers des métamorphoses corporelles aux valeurs culturelles désirables qui leur sont associées. C'est une forme de vision dualiste de l'homme qui le sépare en un esprit et un corps et propose d'agir sur le corps pour modifier l'esprit. Le corps détaché de l'homme, devenu objet à façonner, à modifier, vaut pour l'homme en ce sens que modifier ses apparences revient à modifier l'homme lui-même.

V. Packard dans son livre : " L'homme remodelé " écrit ceci : " A force de se regarder dans le miroir intransigeant que tend la société, on voit son nez grossir, ses mollets gonfler et l'on prend peur, oui, tout simplement peur de n'être pas conforme. ". Apparaît finalement un désir individuel et collectif de se conformer aux modèles sociaux dans l'objectif d'acquisition d'une forme socialement approuvée. On veut changer d'identité, acquérir un soi conforme aux attentes de l'entourage. A travers une forme désirable, on vise un certain pouvoir social, l'accès à des valeurs culturelles propres au groupe de référence dominant. L 'apparence, selon sa difformité, sa conformité et son niveau esthétique suscite des réactions de rejet ou d'attrait, de coopération ou d'évitement, d'amitié ou d'hostilité, d'intégration ou de discrimination sociale…On comprend donc la tendance généralisée des individus à normaliser et embellir leur corps conformément aux idéaux.

Toutefois ne faut-il pas s'inquiéter sur cette expansion de la tendance à la normalisation qui ne s'applique pas uniquement à l'apparence corporelle, mais s'étend à de multiples domaines comme le langage, la pratique sportive, et même aux idéologies. Notre société n'est-elle pas en train de tendre vers une uniformisation universelle de l'être sous toutes ses formes pour finir par ressembler un jour à une civilisation clonée ?

 

BIBLIOGRAPHIE

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· PACKARD.V, L'homme remodelé, Calmann Lévy, 1978.

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· PERROT.Ph, Le travail des apparences, Seuil, Paris, 1984.

· SCHILDER.P, L'image du corps, Paris, Gallimard, NRF, 1968.