Vendredi 18 mai
MAY 1968 GRAFFITI, un livre sorti en Angleterre. Rien de bien nouveau me direz vous, on connaît ces slogans, un peu trop même. Oui mais là ils sont en anglais, c'est ça la différence, et du coup, on les redécouvre un peu dans leur impact originel.
Extraits :
In the decor of the spectacle, the eye meets only things and their prices.
Meanwhile everyone wants to breathe and nobody can and many say, "We will breathe later." And most of them don't die because they are already dead.
Masochism today takes the form of reformism.
Un dernier qui reste d'actualité :
Warning: ambitious careerists may now be disguised as "progressives."
Samedi 19 mai
Vu Pierre Bourdieu en live dans un amphi bondé. Bonne prestation, cohérence fond/forme. Comme souvent dans ce genre de réunion, ceux qui prenaient la parole ne le faisaient pas vraiment pour faire avancer la réflexion mais pour se faire mousser. Bourdieu ne réagissait pas, mais vers la fin, à une question sur le rôle des intellectuels, il a répondu que ceux-ci pouvaient essayer de faire en sorte que la parole ne soit pas systématiquement monopolisée par ceux qui veulent assurer la victoire de leur parti aux prochaines élections, ceux qui vous racontent leur vie, ou qui veulent prouver qu'ils sont des gens biens, ou consolider leur ego - c'est-à-dire exactement la description de ceux que nous venions de supporter.
Dimanche 20 mai
Nothing at all.
Lundi 21 mai
Je continue à me régaler avec les textes de François Bon sur les Rolling Stones (vivement la sortie du livre !). C'est de la très bonne littérature. Allez-y voir. Surtout si, comme moi, vous avez découvert le rock à l'époque où sortaient ces disques fabuleux avec des titres inépuisables : Get Yer Ya Ya's Out !, Sticky Fingers, Exile On Main Street. Comme avec tout bonne littérature, de vieux souvenirs se réveillent, des amis du collège ou du lycée resurgissent. Spy qui ramenait les Rock et Folk qu'on dévorait pendant les heures de permanence, Porey et sa coupe de cheveux à la Mick Taylor, Nadine et ses copains motards, Verchin le fan d'Hendrix. Comme dit François Bon : que sont-ils devenus ?
Mardi 22 mai
Comme l'a fait remarquer Bourdieu lors de cette rencontre publique, ceux qui prennent le devant de la scène sont toujours les plus cons. Par exemple, dans une institution, les postes de décision et de pouvoir sont occupés par des malades, des types qui, dans la typologie psychanalytique, correspondent à ce que Freud appelle des névrosés obsessionnels. Ces types furieusement ordinaires, terriblement anodins, sont également des conformistes enragés qui font partir les trains à l'heure quel qu'en soit le contenu et sans états d'âme. La structure hiérarchique pyramidale et la pathologie spécifique du pouvoir entretiennent et favorisent ce phénomène. Ces individus représentant à la fois la norme et la majorité, les autres formes de pensée et d'action sont condamnées à être considérées comme déviantes.
Mercredi 23 mai
Je conçois bien qu'il y a une certaine sagesse, une forme d'acceptation du monde tel qu'il est, dans les pensées modérées, pragmatiques ou cyniques. Il y manque toutefois un élément qui, à mes yeux, rend les pensées radicales infiniment plus séduisantes : le goût de l'impossible.
Jeudi 24 mai
Bob Dylan, 60 ans aujourd'hui, aurait déclaré à sa maison de disques (cf Libération) : «Vous sortez un truc, vous faites un truc, même une connerie de Best Of, et je vous plante, je casse le contrat.»
Pour marquer le coup quand même, le GFIV vous offre
le texte de THINGS HAVE CHANGED (2000) et sa traduction (trouvée sur LE site français consacré à Dylan).Things Have Changed
A worried man with a worried mind
No one in front of me and nothing behind
There's a woman on my lap and she's drinking champagne
Got white skin, got assassin’s eyes
I'm looking up into the sapphire tinted skies
I'm well dressed, waiting on the last train
Standin' on the gallows with my head in a noose
Any minute now I'm expecting all hell to break loose
People are crazy and times are strange
I'm locked in tight, I'm out of range
I used to care, but things have changed.
This place ain't doin' me any good
I'm in the wrong town, I should be in Hollywood
Just for a second I thought I saw something move
Gonna take dancing lessons, do the jitterbug rag
Ain't no shortcuts, gonna dress in drag
Only a fool in here would think he got anything to prove
Lot of water under the bridge, lot of other stuff too
Don't get up gentlemen I'm only passing through
People are crazy and times are strange
I'm locked in tight, I'm out of range
I used to care, but things have changed.
I've been walkin forty miles of bad road
If the Bible is right the world will explode
I'm trying to get as far away from myself as I can
Some things are too hot to touch
The human mind can only stand so much
You can't win with a losing hand
Feel like falling in love with the first woman I meet
Putting her in a wheelbarrow and wheeling her down the street
People are crazy and times are strange
I'm locked in tight, I'm out of range
I used to care, but things have changed.
I hurt easy, I just don't show it
You can hurt someone and not even know it
The next sixty seconds could be like an eternity
Gonna get low down, gonna fly high
All the truth in the world adds up to one big lie
I'm in love with a woman that dont even appeal to me
Mr. Jinx and miss Lucy they jumped in the lake
I'm not that eager to make a mistake
People are crazy and times are strange
I'm locked in tight, I'm out of range
I used to care, but things have changed.
Vendredi 25 mai
What a beautiful day !
Samedi 26 mai
Les singles de Jane
Je viens de retrouver des vieux 45 tours dans un carton...
Ce n'est pas le meilleur, loin de là; mais c'est le premier. Je me souviens de la transaction avec un grand, un interne : lui qui mimait un intérêt pour une musique qu'il était déjà en train de renier, moi en train de dépenser mon argent de poche de la semaine, et pour acheter autre chose que des pains au chocolat.
La pochette : grimace de guitar hero d'Alvin Lee, la photo a probablement été prise à Wight - j'ai tenu un moment un cahier où je collais des photos du groupe (j'ai fait de même pour les Who et les Stones, les cahiers ont disparu). Le logo Deram qui ressemble beaucoup à celui de Decca. Et le marque ronde d'usure au milieu de la pochette qui est la trace tangible du temps.
La musique : je n'ai pas réécouté ce disque depuis longtemps mais j'ai un assez bon souvenir de la face B, morceau lent, sans les interminables démonstrations de guitare solo. Alvin Lee pouvait même s'avérer un bon chanteur de Blues lorsqu'il ralentissait le rythme, chose qu'il fit hélas de moins en moins.
Dimanche 27 mai
Interruption du journal suite à un incident technique indépendant de notre volonté...
Mercredi 28 mai
En fait, c'est peut-être celui-là le tout premier. Offert par une chaîne de pompes à esence qui mettait, par cette occasion, un peu d'excitation dans les trajets parentaux, répétitifs et ennuyeux. Il fallait négocier ("Arrête-toi chez Antar!"), collectionner des points : c'était long. Mais lorsqu'on redémarrait avec le 45 tours (un vrai!), on ressentait une grande satisfaction.
J'aime le son caverneux de cet enregistrement et je le réécoute souvent. Il figure parmis les habitués de mes cassettes voiture. Sur la version longue, Jagger se lache, un peu comme dans I'm goin' home sur Aftermath.
Jeudi 31 mai
J'ai pensé à une solution de rechange pour les jours où je n'ai rien à dire ou pas envie d'écrire. On pourrait appeller ça "Laissez parler les livres". Voici le mode d'emploi.
1 : Placez-vous devant votre bibliothèque, si possible dans le secteur des livres qui vous attirent le plus à ce moment précis - Selon les moments, vous pouvez être plutôt poésie, ou littérature chinoise, ou philosophie, etc...
2 : Fermez les yeux et déplacez-vous légèrement, suffisamment pour perdre vos repères dans l'espace.
3 : Prenez un livre et ouvrez le au hasard.
4 : Ouvrez les yeux et méditez le texte qui vous tombe sous les yeux comme il est d'usage de le faire avec les livres sacrés (Bible, Coran, Yi King).
Exercice :
Je tombe sur Vineland de Thomas Pynchon (ce livre m'a presque sauvé la vie alors que je déprimais au fin fond d'une province arriérée et pluvieuse). J'ouvre et je lis. "Souvent, à travers un éclair dense qui se propageait dans la nuit, elle était sur le point de distinguer Son visage quand sa raison claire l'expédiait brutalement hors du rêve dans ce qui aurait dû être le monde nouvellement défini, innocent même, mais d'où, comme cela devait apparaître, la créature n'avait pas été après tout bannie, simplement devenue, pour un temps, moins visible."
Vendredi 1 juin
Pierre Bourdieu, L'amour de l'art : " L'opposition scolaire entre culture canonique, stéréotypée et, comme dirait Max Weber, "routinisée", et la culture authentique, affranchie des discours d'école, n'a de sens que pour une infîme minorité d'hommes cultivés, parce que la pleine possession de la culture scolaire est la condition du dépassement de la culture d'Ecole vers cette culture libre, c'est-à-dire libérée de ses origines scolaires, que la classe bourgeoise et son Ecole tiennent pour la valeur des valeurs."
Samedi 2 juin
Le roman de Lonesome Pat, Goin' home, est désormais en ligne. Ca commence un peu comme un polar mais ne vous laissez pas abuser par les apparences. Lonesome Pat parvient à évoquer des souvenirs personnels et sa vision du monde sans être ennuyeux une seconde. J'aime beaucoup ce texte et je vous en conseille la lecture.
Dimanche 3 juin
Je commence enfin à me détendre. Toute la semaine, j'ai supporté la pression d'une bande de connards, des petits chefs minables comme il y en a tant. Le problème est que ce genre de personne ne comprend pas qu'il puisse exister d'autres façon de fonctionner que la leur, entièrement modelée par la hiérarchie, le respect et l'attrait du pouvoir. Il ne comprennent rien mais ils perçoivent vaguement que cette différence est dangereuse pour l'équilibre de l'ordre établi qu'ils ont en charge de maintenir. Décidément, " Pourquoi tolère-t-on l'intolérable ".
