Au commencement, dès les premiers matins du monde, il y a eu la magie, l'enchantement et l'émerveillement devant la beauté sacrée: la poésie et les arts étaient nés d'un regard au feu mystérieux enfin maîtrisé comme seuls savaient le faire les esprits. Puis, le soleil couchant qui rougeoyait à l'horizon rappelait aux "fils des âges farouches" que plus loin, dans l'immensité cosmique brillait un feu qui donnait la vie.

Mais ce serait bientôt le crépuscule des dieux, dans trente cinq mille ans...

 

L'essence de la poésie

Mon Ami,

 

Je sens bien que l'admiration que je porte à votre talent de Poète, vous qui préférez le mot de « brouillonneur » vous agace et vous met en contradiction avec vos intimes convictions.

 

Vous nous dites, si je vous ai bien compris, que l'humanité a perdu cette aptitude qui était la sienne à déchiffrer ou créer en toute chose de l'ordinaire un poème. Ce que la nature continue de faire et sans se servir d'un porte voix pour en vanter le sublime.

 

Qui nous assure que l'humanité dans sa totalité fut un jour capable de le faire ?

( Et croyez que de cette idée là, j'ai regret... tant je me sens primitive dans ce monde) .

 

Et même si je vous rejoins totalement dans l'idée que la vie est poème, surprenant poème - ma vie n'est que succession de merveilleuses catastrophes qui souvent me font rire et parfois pleurer -

 

Que chaque rayon de soleil qui traversant ma vitre à l'instant

même où je vous écris vient cajoler le mur pourtant

banal de ma cuisine, s'attardant

au passage sur la fine pellicule de beurre flottant

encore dans mon bol de thé, en faisant

exploser les bulles minuscules et lumineuses comme autant

de pierres précieuses ou de petites iles sur lesquelles je vais imaginant

le désarroi d'habitants

d'une autre taille, assurément

 

Que chaque rayon de soleil ou de pluie est poème,

 

Je ne peux m'empêcher de me dire :

 

Admettons que l'humanité ait - à un moment de sa relativement courte présence sur Terre - été apte à penser le monde et la vie comme un seul et long poème, pourquoi y a - t- elle renoncé ? On pourrait invoquer le besoin de sécurité qui pousse vers la science et éloigne des féeries. Ne serait - ce pas parce qu'elle a besoin, quasi physiologique, de s'endormir cycliquement à la poésie du monde puis de s'y réveiller parfois au forceps, afin de se préserver dans la douce et merveilleuse intelligence des choses s'ouvrant à elle subitement? Comme un enfant retarde son envie de déchirer le papier d'un paquet le soir de Noël, comme des amants savourent l'instant sans cesse différé où leurs bouches vont s'épouser?

 

Puis-je une fois encore faire offense à votre modestie et vous dire que votre combat me rappelle celui de Nietzsche, lequel disait dans le Gai savoir :

« Quelle volupté que la science procure des choses qui résistent ! »

 

Là encore, nous revenons à notre quête à tous deux de ce qui était "Un" avant le langage, sans doute est-ce son inimaginable désir de comprendre qui a fait perdre non seulement son sens poétique primitif à l'humanité, mais également son sens de la fête. Toujours dans le même ouvrage, Nietzsche - qui ne m'en voudra pas de le convoquer ainsi, tant il m'est presque aussi cher que Vous- Nietzsche stigmatise l'Ïuvre d'art en des termes qui devraient vous conforter dans vos combats :

« Autrefois toutes les grandes Ïuvres d'art se trouvaient dressées sur la grande avenue des fêtes de l'humanité( ..) Désormais on ne veut se servir des Ïuvres d'art que pour attirer loin de la grande avenue de la douleur humaine les pauvres êtres épuisés et malades afin de leur procurer un bref instant de plus grande concupiscence où on leur offre de l'ivresse et de la folie ».

 

Je suis toujours abasourdie du talent visionnaire de ce penseur, car nous en sommes effectivement à ce point aujourd'hui. L'art utilisé à canaliser les envies de joie des foules. L'art hygiénique.

Mais pour en revenir à vos propos, ne craindriez- vous pas qu'il y ait saturation des sens si tout se donnait à lire comme poème et que de faveur accordée comme par surprise, la beauté essentielle des choses ne s'aplatisse dans la banalité du connu, compris, rapté, étiquetté ?

Qu'à être trop immédiatement visible, la poésie du monde n'en devienne inaperçue ? Je sais qu'il y a là outre de l'orgueil un certain égoîsme à considérer que certains privilégiés auraient seuls accès à la poésie des choses, laissant leurs frères humains dans les trivialités de l'ordinaire.

N'y a-t-il pas une certaine forme de fierté à brandir le flambeau de l'humilité?

 

Si nos écrits apportent des instants de joie ou de lumière à ceux qui nous lisent, disent avec nos mots le chemin que les leurs n'ont pas encore trouvé , comme une voix rentre en résonnance avec les corps qui l'écoutent et se l'approprient, n'y a- t- il pas lieu d'en être légitimement fiers?

Au Poète de savoir garder ouvert un espace où les autres, à chaque fois plus nombreux, pourront enfin oser à leur tour poser leurs mots, leurs couleurs, leur histoire, comme vous le fites en d'autre temps m'invitant à reprendre la plume.

D'ailleurs, nous retrouvons là l'utilité des ateliers d'écriture et leur raison d'être: favoriser par la lecture des écrits des autres la remontée à la conscience de ce langage archaïque, cette pate enfouie en nous qui ne demande qu'à vivre et questionner à son tour le langage , mais aussi notre corps dans son ensemble.

 

Lorsque Nietzsche écrit « Et quant à nous, soyons les Poètes de notre propre vie , et tout d'abord dans le menu détail, et dans le plus banal », il ne précise que dans une note qui sera publiée à titre posthume que l'on doit étendre le secret de l'art afin d'en faire un art de vivre. Qui dit secret dit initiéÉ

 

Nietzsche, dont nul ne peut contester le très grand amour pour l'humain et le projet d'une humanité enfin joyeuse, ne se tenait pas à l'écart des artistes, il savait faire partie de leur cercle. Et je ne peux croire que dans son ironie et son esprit autocritique constamment éveillés, il ne se reconnaissait pas , légitimement, quelque fierté de ce qu'il donnait à lire et à cheminer en pensée.

 

Et si le poète était sans se savoir poète, un initié qui ne le sait pas non plus ? Je vous tiens pour un Poète, je me tiens pour une brouillonneuse, car comme vous me l'avez dit si joliment un jour, on ne voit pas la lumière qui s'échappe de soi.

 

Oui, je vous rejoins sur l'orgueil, un coucher de soleil ou une pierre dressée dans la nuit comme celle que je vous offre ici, me paraîssent valoir tous les poèmes du monde, car elle palpite encore les soupirs de la vie, des ahans, des mains humbles et insouciantes de faire du beau qui l'ont arrachée aux entrailles du sol.

Pourtant, ce sont vos mots, ou ceux d'un poète qui parviendront à les faire revivre sous mes yeux, tant la nature comme l'art sont musique de l'oubliÉ et de la renaissance.

 

Alors comment concilier ce besoin que nous portons tous deux , comme tant d'autres, de faire du monde un poème, et le triste constat que parfois on s'acharne à en faire des charniers, des poubelles, des ruines ? En tenant pour beaux les charniers, les poubelles, les décombres ? SoitÉ cela me va. Mais nous aurons besoin de tous nos maux et de tous nos verts pour en partager l'idée.

 

Car il faut des médiateurs à cela, et si la perfection de leur art est bien de passer inaperçue, comme le langage lorsqu'il nous jette à une idée et ne nous en laisse que le sens, emportant avec lui les signes offerts, le relatif achèvement formel de leur art doit être avant que de s'offrir. Et puis, pour reprendre de mémoire une de vos citations, l'Ïuvre d'art est aussi par ce qu'elle tait, le peintre fait Ïuvre des traits qu'il trace, des taches de couleurs qu'il pose, mais aussi des blancs qu'il oublie. Le poème comme le tableau quittent la chair où ils ne parvenaient pas à s'assembler pour s'offrir au monde en s'appuyant sur leurs moyens que sont le mot , la couleur... ou le silence.

 

Le peintre comme le poète voient les fissures là où leurs amis ne voient que de l'uni et quand il n'y a pas fissure, ils la dessinent ou la disent. Vous me répondrez que la racine de l'arbre en fait autant, mais qui d'autre que le Poète saura dire ce que dit la racine de l'arbre, qui deviendra une évidence pour ceux qui ne l'avaient auparavant remarqué ? Et qui d'autre que le Poète saura rappeler à ses amis que la racine de l'arbre continue envers et contre tout de créer des fissures, dans un monde de partis pris et d'Ïillères ?

 

Mais le Poète comme le peintre se voient hommes au travail, uniquement soucieux de contact étroit avec le monde dont ils oublient en permanence les origines pour encore mieux les retrouver. Dans le fond, le Poète que vous êtes nous offre à chaque fois la matrice du monde, à nous d'emprunter ou pas ce chemin offert, et d'en découvrir d'autres par nos propres moyens si tant est que nous voulions renaître dans chaque petit geste ou mot prononcé, saisir sans les emprisonner les choses simples et belles de ce monde.

 

Eclaireur vous êtes, qui sautez par dessus les haies déjà connues, nous offrant d'entrer en des clairières où même le ressassé empli de pissenlits retrouve sa fraîcheur et sa sensualité gustative native. Où le tracé que l'on croyait déchiffré nous dira les dessous si mobiles de son enveloppe.

 

Oui, je vous rejoins, l'art est en futur, toujours.

Il ne se satisfait pas des poussières du livre ou du musée.

Mais la nature humaine a tant besoin de la sécurité du déjà connu qu'il lui faut quelqu'un qui tienne les clefs qui ouvrent le monde et en lisent la prose à la fois évidente et cachée, déplace les objets pour en donner un autre éclairage, en gomme les contours trop crus et dévoile ainsi la merveilleuse présence de l'ombre.

 

C'est vrai depuis... l'antiquité. Donc ce monde dont vous nous parlez, ce monde oublié ou l'art n'en était point parce qu'il se confondait aux gestes simples et aux respirations de la nature est bien antérieur à l'antique ?

Un monde ou le langage n'était pas encore...

Un monde que le langage a

 

Fossoyé

 

Fossilisé

 

Faux silicés

 

Faux, s'il y sait.

 

Ne m'en veuillez pas trop d'avoir tant bien que mal tenté de réconcilier votre goût des pierres entières et de celles qui se laissent concasserÉ Il se trouve qu'au bout du chemin, comme souvent, au prétexte de vous donner la contradiction, j'apporte de l'eau à votre moulin, c'est ainsi et c'est bonheur.

 

Je joins à ce courrier un de vos poèmes que j'ai préféré...

Sang séché

 

(Lettre de Viviane Lamarlère à un Bateleur poète, philosophe et humaniste.)

 

Chamane Cheyenne appelant les esprits de la poésie cosmique

L'immense transformation qui s'est opérée à la faveur du "désenchantement du monde"...

"L'expression est de Weber et elle a une acception strictement définie

- l'élimination de la magie en tant que "technique de salut".

En la reprenant dans un sens beaucoup plus large - l'épuisement du règne de l'invisible - nous ne pensons pas la dénaturer. Car, essaiera-t-on de montrer, la désertion des enchanteurs, la disparition du peuple des influences e des ombres sont le signe d'une révolution autrement plus profonde dans les rapports entre le ciel et la terre, révolution au travers de laquelle il y va décisivement de la reconstruction du séjour des hommes à part de la dépendance divine. C'est à l'intérieur de ce mouvement que le lien entre protestantisme et capitalisme prend sa véritable signification;[........]

Que les choses soient bien claires : on n'annonce pas une fois de plus et pour rien la mort en quelque sorte physique des dieux et la disparition de leurs fidèles. On met en évidence le fait que la Cité vit d'ores et déjà sans eux, y compris ceux de ses membres qui continuent de croire en eux. Ils survivent ; c'est leur puissance qui meurt. Prospéreraient-ils insolemment que son vrai ressort n'en serait pas moins irrémédiablement aboli. Ce qui a disparu, englouti dans les rouages mêmes de la civilisation, c'est la fonction dont les nécessités ont défini dès le départ le contenu des religions, déterminé leurs formes, précipité leurs évolutions. L'opération comporte un reste, peut-être inéliminable et nullement intelligible dans le registre personnel, relayé par l'héritage et le crédit d'une tradition féconde. Il est un ancrage subjectif à l'esprit de religion, nous ne songeons pas à le nier et nous entendons en rendre compte. Au nom de ce reste, on pourra nous contester le droit de parler du terme d'un phénomène qui continue de recueillir l'adhésion. À quoi nous répondrons qu'il n'est pas d'autre mot, s'agissant de désigner la déconnexion du religieux d'aujourd'hui d'avec ce qui fut sa raison d'être primordiale et son principe de vie, de mouvement, d'invention sur des millénaires. Ce qui survit présentement de la foi chrétienne n'a plus rien à voir avec la situation qui a décidé de sa naissance, avec les conditions à la faveur desquelles elle s'est imposée et développée, avec le rôle en fonction duquel se sont joués ses grandes inflexions et ses déchirements. Cela ne signifie pas, encore une fois ,que sa survie soit forcément compromise. Cela veut dire, en revanche, qu'il n'est d'intelligence possible du phénomène religieux qu'à condition de commencer par prendre acte de la scission sans appel qui sépare le passé du présent."

(in Le désenchantement du monde)

Marcel Gauchet


En effet, après le matin des magiciens, il y a eu le crépuscule des dieux. Mais la découverte du sacré a nécessité la création d'un langage et d'autres modes d'expression susceptibles de plaire aux dieux en ces époques lointaines.

Les louanges, les cantiques, les hymnes, psaumes ou autres chants comme les magnificats n'étaient rien d'autre que de la poésie destinée à plaire aux esprits subtils et raffinés des dieux que l'on invoquait. La poésie est née de ce désir sacré de plaire.

Religion et poésie vont de pair c'est indéniable ; elles s'opposent parfois et se complètent ou s'entraident à d'autres moments.

"Si la foi peut-être une source poétique de libération subjective et d'espérance personnelle, les religions mythologiques qui prétendent, sans preuves, à une vérité universelle sont toujours des machines à dominer et à orienter les consciences. Si la poésie opère une libération de l'imaginaire et du vécu des individus par rapport aux codes et stéréotypes sociaux, fonctionnels et utilitaires  de la subjectivité (y compris et surtout religieux) mis en place dans le but de favoriser la normalisation de la vie collective et l'intégration dominatrice des individus au groupe, les mythes et les rituels religieux qu'ils génèrent tentent de bloquer la dérive symbolique de l'imaginaire individuel dans le sens de la norme. Dès qu'une expression de la subjectivité s'organise en mythe et en vérité collective elle est liberticide. Mais une telle libération nécessaire de l'imaginaire qu'opère la poésie est-elle suffisante à penser le vécu dans le sens d'une pratique cohérente et d'une maîtrise (relative) des contradictions de la vie ?"

Sylvain Reboul http://sylvainreboul.free.fr/Ver.htm

"La poésie et la littérature en général expriment et provoquent métaphoriquement par le côté émotionnel et non conceptuel du langage, le vécu dans sa complexité, sa singularité, ses ambiguïtés et contradictions, mais elles n'explicitent pas ces contradictions; à charge pour le lecteur de le faire : elle stimule la pensée du vécu mais ne la produit pas. La philosophie, comme les sciences humaines tentent de clarifier, voire d'expliquer les différentes stratégies de vie possibles en ce qu'elles ont de cohérent au regard des motivations universelles et/ou en tout partageables, des humains. Cet effort est nécessaire pour que chacun se fasse critique de sa vie et donne à ses désirs des formes lucides, cohérentes et efficaces afin d'accroître sa puissance d'agir en connaissance des tenants et des aboutissants de ses stratégies de désir et de valeurs ordonnatrices diversifiées et parfois contradictoires de ses désirs, spontanément en conflit: une stratégie du désir de bien-vivre aveugle et contradictoire a toutes les chances d'échouer en l'absence de conditionnements religieux clairs, préétablis et indiscutables. Ainsi la rationalisation philosophique des conceptions de la vie humaine, du monde et de l'histoire est la condition pour produire des vérités « subjectives » maîtrisables par des individus devenus de ce fait plus autonomes. Donner forme rationnelle et raisonnable, d'une manière réfléchie et donc autonome, à sa vie pour en faire un succès personnel dans la mise en Ïuvre de son désir d'être et de reconnaissance positive de soi (bonheur) est l'ambition de la philosophie et des sciences humaines (qui n'en sont que des applications concrètes aux différents domaines de la vie (personnels, collectifs etc..). Comprendre ce qu'il y a d'universel dans les différentes formes d'expression du désir humain pour en voir les contradictions et les possibilités de réduction ou de traitement de ces contradictions est le travail philosophique dans sa permanente tentative de rationaliser (problématiser, expliquer, comprendre et mettre en cohérence). Il n'y a pas de vérité rationnelle unique de la vie humaine qui reste subjective dans ses motivations plurielles et contradictoires, mais il y a des propositions de rationalisation possibles des différents styles de vie entre lesquels chacun, éclairé par cette mise en forme philosophique, peut consciemment jouer afin de traiter sa vie comme un jeu stratégique en vue du bonheur, c'est à dire du bien-vivre pour soi, avec soi et les autres."

 

 

"La nature, le créé, le donné, espace et temps; soit, ce qui renvoie aux catégories kantiennes de la perception, sont ce à partir de quoi la poésie et la religion, en tant que « création humaine », prennent forme. Religion et poésie se confondent désormais, selon Schleiermacher, pour qui l'artiste fait office de médiateur entre l'infini et le fini. En ce sens, c'est bien la doctrine de l'infini telle que la développe déjà Schleiermacher, dans les Discours de 1799, qui doit retenir notre attention. Le fini y est présenté comme une représentation de l'infini comme, analogiquement, dans l'herméneutique, la partie signifie le tout, et vice-versa;

Prendre chaque chose particulière comme une partie du tout, chaque chose limitée comme une représentation de l'infini, c'est là la religion."

DOGMA http://dogma.free.fr/txt/MG-Mallarme.htm

 

L'artiste peut écouter cent fois la IXe Symphonie, à la centième il sera aussi ému, peut-être plus, qu'à la première. Il saura découvrir des beautés indiscernées dans un poème appris à l'école, ressassé dans toutes les « récitations ». Tout aussi bien il s'indignera, avec la même passion, devant une vilenie banale, une injustice sociale, une misère quotidienne. Cette sensibilité sans repos, jamais lassée ni émoussée, toujours prête à s'émouvoir, donne au poète sa capacité d'écrire, de peindre, de sculpter des Ïuvres jeunes au sujet de pensers, de faits, d'objets anciens, antiques, sans cesse présents ; et cela contrairement à la devise d'André Chénier.

 

Le poète, l'artiste, voit tout, ressent tout pour la première fois. Il y a en lui une faculté d'oubli qui efface l'émotion passée et permet au même motif de le bouleverser ou de le caresser à chaque rencontre avec autant de force ou de charme. Une sorte de «tape-recorder » qui supprime et enregistre sur la bande « virginisée ».

 

Il est donc superficiel... diront quelques-uns. Peut-être... heureusement. Car le poète ne pourrait continuer à vivre s'il conservait toujours l'émoi poignant de ses paroxysmes, s'il en gardait la douleur fulgurante. Mais c'est l'oubli de cette douleur qui la rend toujours aussi cruelle quand elle se présente à lui de nouveau.

 

C'est ainsi que le poète, l'artiste, tel un adolescent éternel, soutient avec flamme toutes les grandes causes, s'insurge contre les injustices, les abus et les crimes, prêche avec fougue la vertu et l'insurrection. Il ne peut supporter l'agression constante de sa souffrance toujours renouvelée et qui l'étonne par sa violence. II la rejette en la disant, en la criant, en la hurlant. Mais aussi un clair de lune mille fois contemplé, une fleur des champs, le goût du lait, le parfum d'une rose lui donneront une vibration de joie, une révélation de plaisir harmonieux qu'il traduira dans ce propre rythme unique éveillé par ce bonheur surprenant.

 

Et cela, c'est du positif, de l'être, de la vie apportée au monde. Même lorsqu'il attaque et combat, quand il semble vouloir détruire, le poète obéit à sa jeunesse, à sa destinée de créateur, de constructeur. Tous les révolutionnaires veulent rebâtir le monde à leur idée, pour le rendre meilleur. Ils sont ordinairement jeunes. Ils démolissent plus qu'ils n'édifient. Car jeunesse et révolution passent vite et n'ont pas le temps de réaliser leurs généreuses utopies. Et la vieillesse doit s'éteindre dans les ruines qu'elles ont laissées.

 

Au contraire de la jeunesse temporelle, celle du poète demeure et crée, parce qu'elle est essentielle. Faite de connaissance et d'amour, elle l'exalte jusqu'à sa mort. Et sa vibration posthume pérennise son oeuvre, cette quintessence de lui-même.

 

Cette jeunesse de l'artiste est celle-là même qu'évoque le prêtre au bas de l'autel, avant le divin Sacrifice :

 

« Je m'approcherai de l'autel de Dieu, de Dieu qui réjouit ma jeunesse... »

 

Paraphrasant ce verset, un poète a écrit :

 

« Jeunesse, frais soleil dominant les glaciers &emdash; et leur jetant le charme rose de sa flamme, &emdash; mirage fluctuant qui monte et qui recouvre, &emdash; en s'élevant, la sombre terre... &emdash; 0 l'humaine jeunesse, aurore qui s'efface, &emdash; reflet, fuyant reflet d'intangible douceur, &emdash; condamné à passer comme une flamme passe -- et vouée à la nuit... &emdash; Mais... &emdash;L'Eternel est mon héritage, &emdash; l'Eternel vivant hors du temps...

 

RELIGION ET POÉSIE

http://www.oratepronobis.com/article.php?sid=91

 

L'ORIGINE DE LA POÉSIE : LE PREMIER MATIN DU MONDE

 

 

Appel à la lune du chamane