Le patriotisme économique
Philippe Brindet
15/12/2008

On entend parfois invoquée une "valeur civilisationnelle" particulière sous le vocable de "patriotisme économique". Le mot étant prononcé généralement avec vigueur et le menton levé, il est très rare que le concept qu'il désigne soit analysé et débattu en soi. On se contente souvent de critiquer ou de soutenir l'idée que tel acte ressort du patriotisme économique.

Il est fréquent aussi que les idéologues du libéralisme s'insurgent avec virulence contre l'idée même de "patriotisme économique". Mais après avoir entendu leurs diatribes, on ne peut s'empêcher de penser qu'ils confondent leur désir d'un environnement libéral non gêné avec la réalité.

Leurs adversaires sont en général des politiciens ou des fonctionnaires d'un Etat politique, même si ce dernier prétend adhérer au libéralisme le plus conforme. Ils invoquent ce "patriotisme économique" dans deux circonstances. On invoque le patriotisme économique pour orienter le comportement des consommateurs vers les produits et services produits localement. On se souvient du "Achetez français" du PCF dans les années 80. Mais on invoque aussi le patriotisme économique pour défendre les agents économiques, souvent nationaux, des actions libérales d'agents économiques d'autres horizons. Ce fut le cas de la défense de l'entreprise agro-alimentaire DANONE contre les visées de ses concurrents.

En examinant de Sirius la nébuleuse de l'économie politique, on ne peut se retenir de penser que la question du patriotisme est essentiellement de nature fiscale. En effet, devant la loi étatique, on peut distinguer deux types de personnes : les personnes physiques astreintes à l'impôt sur les personnes physiques et les personnes morales astreintes à l'impôt sur les entreprises. De ce fait, le lien le plus durable qui existe entre l'Etat et les personnes se trouve dans l'obligation de l'impôt. Appelons "patriotisme" l'affect qui rend supportable le fait de payer l'impôt et on dira ainsi que les personnes physiques doivent éprouver leur patriotisme citoyen par le paiement de l'impôt sur les personnes physiques et que les personnes morales doivent éprouver leur patriotisme économique par le paiement de l'impôt sur les entreprises. On aura, nous semble t'il, à peu près tout dit de la chose.

On ne peut oublier que la raison centrale de l'impôt n'a rien d'un quelconque libéralisme. L'impôt trouve uniquement sa source dans la contrainte policière. En effet, se dérober à l'impôt, c'est s'exposer à l'action de la police, par les peines d'emprisonnement et d'amendes à recouvrement forcé.

De ce fait, on comprend mieux le patriotisme économique comme le sentiment positif des agents de l'Etat qui cherchent à étendre l'assiette du recouvrement de l'impôt et le sentiment négatif de ceux qui y sont ou y seront soumis.

On ne peut ignorer qu'il existe bien entendu une conception naïve - en réalité aussi naïve qu'une ingénue perverse - selon laquelle le libéralisme ne s'entend pas de rapports de contraintes. Ainsi l'impôt "libéral" est-il librement consenti en échange d'un service rendu par l'Etat. La formule est belle et pleine de promesses ...

Or, nous savons tous que l'Etat rend en effet un certain nombre de services aux citoyens et aux entreprises. Mais, le plus drôle dans l'affaire est que la plupart de ces services ne sont pas financés par l'impôt, mais par des redevances payées par les usagers des services publiques. On  doit aussi compter le financement de l'Etat par l'exécution de ses missions régaliennes. Par exemple, la Justice se finance largement par l'expropriation forcée lorsqu'elle prononce des amendes. La plupart des audiences de justice commencent en France par la demande du Président au prévenu d'indiquer le montant de ses ressources. Une telle demande permet au juge de déterminer le montant qu'il va pouvoir mettre en recouvrement. On voit même la Police utiliser les véhicules de course saisis sur les délinquants et autres criminels pour accomplir ses missions routières.

A l'inverse, lorsque l'on demande de nouveaux papiers administratifs, comme un passeport, il faut payer un droit. Pour se déplacer sur le réseau de transport de l'Etat, il faut payer son billet. Pour assister à un spectacle dans un théâtre de l'Etat, il faut payer son fauteuil.

Le patriotisme est donc une invocation nécessaire pour assurer une soumission pacifique des individus, personnes physiques ou morales. Mais, il est du domaine de l'auto-suggestion, un peu comme Candide. L'invocation du patriotisme citoyen ou économique ressemble fort au meilleur des mondes de Voltaire.

Il ne faut pas ignorer à ce propos la protestation vigoureuse des poètes et autres anciens combattants qui "ressentent" avec ferveur le puissant sentiment du patriotisme, le confondant avec les belles descriptions des romanciers des XVIII° et XIX° siècles. Ce sentiment très noble a aussi été illustré par les hommes de la Renaissance et par les Antiques qu'ils citaient d'ailleurs. Ce sentiment conduit l'homme moderne directement à "Août 14" et de Victor Hugo à ... Paul Déroulède. Il nous semble préférable de ne plus en parler.

Mais en réalité contemporaine, l'invocation du patriotisme pour opérer dans la bonne humeur la contrainte étatique de l'impôt a déjà été utilisé pour justifier les boucheries étatiques du XX° siècle au nom de l'impôt du sang que l'Etat serait en droit d'exiger de ses citoyens. Le patriotisme économique  n'est donc jamais que la transcription économique de cet affect de l'impôt du sang.

Il n'est donc pas possible de nier l'exigence d'un patriotisme économique en ce sens qu'il traduit pour les uns la contrainte de l'impôt et pour les autres ... sa perception. Et comme disait Mademoiselle Cunégonde ....