Sur un commentaire de Jn 0, 1-14
Philippe Brindet

26/02/2008



Un commentaire d'Evangile du Dimanche est publié dans Le Pélerin. Il s'agit de l'épisode de la guérison de la Piscine de Siloé. Malheureusement, l'analyse présentée dans cette excellente revue, analyse nécessairement brève, est inutilement fausse.


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Commentaire du Pélerin : "La guérison de l'aveugle de naissance est proclamée, pendant le Carême, d'abord à l'attention des catéchumènes qui se préparent au baptême."

Une mode s'est imposée depuis quelques années de considérer que le temps pascal était celui de la préparation au baptême des adultes dans la Nuit Pascale. Le "mérite" de cette mode réside semble-t'il, dans l'occultation du grand mystère de la Rédemption qui réunit l'institution de l'Eucharistie, la contemplation de la Passion sacrificielle et la mémoire de la Résurrection.

Or, l'Evangile de la messe dominicale n'est jamais proclamée pour les catéchumènes qui ne devraient pas participer à la messe, mais pour l'ensemble des baptisés. D'ailleurs, si les catéchumènes assistent à la Liturgie de la Parole, il serait bon qu'ils quittent au moins le choeur pour la Liturgie eucharistique.

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Commentaire du Pélerin : "Les gestes de Jésus y sont perçus comme une nouvelle création. La boue qu'il met sur les yeux de l'aveugle évoque le Créateur façonnant Adam ; ..."


L'idée que la salive de Jésus mêlée à la boue ramassée représente l'action créatrice est une idée fausse. L'homme est créé une fois pour toutes. Il doit s'assumer tel qu'il est en tant que créature.

L'aveugle de la piscine de Siloé ne renaît pas à cause d'une "simulation" de création par Jésus avec la boue et la salive. Si Jésus avait voulu recréé l'aveugle, il l'aurait détruit et recomposé avec la poussière. Jésus a simplement fait les gestes d'un thérapeute qui applique un baume pour guérir. Le péché n'est pas la cause d'une recréation. Il est en soi comme une maladie qui n'a qu'un médecin, Jésus Lui-même Dieu.

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Commentaire du Pélerin : "... l'envoi à la piscine de Siloé annonce le bain du baptême ; ..."



Le message de l'évangile peut être obscurci par tout espèce d'ésotérisme. Mais il est alors un message obscur et irrationnel. Il faut lire l'Evangile, non pas pour ce que nous voulons nous-mêmes y trouver comme "message pour aujourd'hui", mais pour ce que l'Esprit-Saint veut bien nous inspirer. Et la seule manière de l'inspiration est de laisser s'établir le silence des mots de l'Evangile au lieu de les assourdir du bruit de l'interprétation.

Plus simplement, si vous formez de la boue avec de la poussière et de la salive et que vous vous en recouvriez le visage, vous deviendrez tout simplement "sale". Vous devrez alors vous laver. Ou vous voulez. A la piscine de Siloé, par exemple.

L'aveugle va à la piscine de Siloé, non pas pour simuler un baptême catholique bien-pensant d'une certaine, région tempérée bien connue pour sa gastronomie du jour de Pâques, et pour d'autres choses moins recommandables, mais tout simplement parce qu'il est sali par Jésus et que la boue, c'est désagréable sur le visage et même sur les yeux d'un aveugle de naissance. Et quand il se lave dans la piscine de Siloé, l'aveugle est toujours aveugle. Il ne s'est rien passé ! Il n'a toujours pas vu Dieu.

A l'encontre de l'interprétation du Pélerin, qui peine à réserver l'épisode de Siloé à l'usage exclusif des catéchumènes du baptême pascal, le bain du baptême est institué par Jésus descendant dans le flot du Jourdain devant Jean-Baptiste. La piscine de Siloé n'a pas grand chose à voir avec le sacrement du baptême.

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Si on veut interpréter l'épisode du miracle de Siloé, il faut d'abord y considérer l'occasion de deux actes essentiels de la prédication de Jésus. Ces deux actes sont révélés par deus aspects de l'acteur principal : l'aveugle de naissance.

L'aveugle est d'abord une personne, qui cherche un contact personnel avec Jésus. Jésus se sert de cette personne en difficulté pour le bénéfice des personnes qui se pensent parfaites pour leur signaler discrètement que Lui, Jésus, est Dieu. Ce signe est le miracle de la guérison de l'aveugle parce que par l'Ancien Testament, les juifs et les chrétiens apprennent que Seul Dieu a le pouvoir du miracle.

L'aveugle de naissance est ensuite un personnage. Il représente bien entendu l'être humain du péché originel, privé de la vision de Dieu. Et aucun homme ne peut voir Dieu. Pourtant, l'aveugle recouvre la vue et voit Jésus. Mais, ce miracle exigeait deux actions de l'aveugle : rencontrer Jésus, accepter la direction de Jésus.

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Une chose est étonnante dans cet épisode de Siloé : le miracle opère lorsque l'aveugle lavé rentre de la piscine de Siloé. Plus encore, il semble ne même pas se rendre compte qu'il a recouvré la vue. Ce sont presque ses voisins qui nous apprennent que l'aveugle de naissance, qui était un mendiant, vient de retrouver la vue.

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Dans une certaine mesure, l'aveugle de naissance n'a strictement aucune espèce d'importance. Je sais que ce n'est pas gentil de dire une chose pareille. Mais, l'aveugle de naissance sert une intention de Jésus  : contraindre les pharisiens à refuser la preuve de sa divinité.

Une autre chose étrange de cet Evangile vient de ce que, lorsque l'aveugle guéri est présenté aux pharisiens, Jésus n'est cité que de manière indirecte :

"On amène aux pharisiens cet homme qui avait été aveugle. Or, c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. A leur tour, les pharisiens lui demandèrent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répondit : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et maintenant je vois. »"

Les pharisiens sont donc avertis qu'il s'agit d'un miracle de Jésus. Et l'impossibilité de la guérison de l'aveugle de naissance les confronte à leur refus de croire en la divinité de Jésus. En effet, Seul Dieu peut guérir un aveugle de naissance. Opérer une telle guérison est équivalent à démontrer sa divinité. Et malgré cette preuve, les pharisiens rejettent Jésus parce qu'Il ne respecte pas le sabbat.

Cette accusation va poursuivre Jésus jusque chez Caïphe. De ce fait, l'épisode de Siloé est essentiel pour comprendre le motif de condamnation de Jésus. Jésus a démontré sa divinité, les Juifs ne l'ont pas cru, et les chrétiens l'ont trahi.

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Commentaire du Pélerin :  "La fin de l'Evangile s'adresse, en revanche, plus largement à tous ceux qui se réclament de Dieu sans le connaître vraiment."


Les Pharisiens se moquaient abolument de connaître Dieu. Pour les Pharisiens, seul Moïse connaît Dieu. Et la loi de Moïse supplée justement à l'absence de connaissance de Dieu. Il existe ainsi un athéisme juif, comme il existe un athéisme chrétien qui réside dans la croyance que Dieu est tout entier dans l'amour du prochain, c'est-à-dire dans une vie vertueuse riche des "bonnes oeuvres" du fidèle.

Dieu nul ne le connaît que Celui qui vien en son Nom. Et nous, nous le connaissons seulement, lorsque nous reconnaissons Jésus :
"Il dit : « Je crois, Seigneur », et il se prosterna devant lui.  "
Et c'est à ce moment que l'aveugle guéri reprend la première place. Il est dans le Seigneur.