Max Planck et les rapports entre science et religion
Philippe Brindet
10 novembre 2008




Introduction

Max Planck, Prix Nobel de Physique en 1918, est le créateur de la théorie des quanta en 1900. Cette théorie précède les découvertes des théories de la relativité de Einstein et de la physique ondulatoire de Niels Bohr.

Max Planck tenait des conférences comme beaucoup de grands physiciens de ce temps-là dès le début des années 30. Par ces Conférences, ces physiciens tenaient un rôle essentiel dans la propagation de l'idéologie positiviste. Aucune place pour la religion et la métaphysique au sens traditionnel. Mais, même s'ils étaient tous des acteurs du matérialisme, on note qu'ils admettaient en général une certaine forme de doute ou d'amodiation du matérialisme, si on compare leurs écrits avec ceux de leurs collègues biologistes ou sociologues. Max Planck eut, de ce point de vue, une grande importance parce qu'il sut se placer en continuité de la vieille physique, alors que d'autres, plus novateurs - on peut penser à Schrödinger - ressentaient et exprimaient plus fortement une rupture avec le positivisme du XIX° siècle.

En 1949, Planck écrivait un opuscule intitulé "Vorträge und Errinnerungen", qui fut traduit et publié par les Editions Gonthier, sous le titre "L'image du monde dans la Physique Moderne". Plus précisément, le chapitre de son livre qui nous occupe ici est le chapitre 7, qui correspond à une conférence prononcée par Planck dans un pays balte en mars 1937. Planck était alors âgé de 79 ans.

Dans ce chapitre, intitulé "Science et religion", Max Planck examine trois questions :
1°) quelles croyances forment l'objet obligatoire de la religion ?
2°) quelles vérités indubitables sont-elles données par la science ?
3°) ces deux sortes d'exigence peuvent-elles s'harmoniser ?


Avant d'examiner ces trois questions auxquelles Planck répond de manière extrêmement profonde, on va parcourir certains de ses points de vue exprimés ailleurs dans son ouvrage, de manière à situer plus précisément sa pensée.

Planck avait un réel talent pour expliquer de manière claire les choses les plus compliquées de la Physique. Son esprit analytique se concentre sur l'essentiel. Mais, sur les questions les plus épineuses, même quand il reste simple, la structure de la question est conservée et Planck ne se lit pas autrement que la plume à la main, surtout sur les choses simples. On rencontre alors la chance sans être un physicien professionnel de saisir le paysage de choses très difficiles.

La pensée de Planck sur le Monde Physique

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La position de départ de Planck au point de vue philosophique est celle du déterminisme de type expérimental. La chose a son importance pour ce qui retiendra notre analyse plus loin. Pour Planck, plus que l'expérience, ce sont les sensations et la mesure numérique qui sont les réels instruments de la Science.

Pourtant, Planck remarque que si la vieille Physique exploitait des expériences du monde sensible, la nouvelle Physique, atomique, n'est plus à la portée de l'expérience commune parce que l'honnête homme n'a pas les moyens d'employer les instruments de mesure ni les compétences pour mener les expériences de la Physique atomique. Il lui faut donc faire crédit à des physiciens professionnels, reconnus et revêtus de l'autorité de certitude.

On note que Planck défend une conception large de cette autorité de certitude, par exemple en regrettant l'ostracisme jeté sur Bondlot qui prétendait avoir mis en évidence des rayons N que personne n'était parvenu à reproduire.

A partir de ce fond expérimental, que son établissement rigoureux rend incontestable, Planck constate la limitation de la validité du principe essentiel de causalité, sur lequel se fonde le déterminisme positiviste de la fin du XIX° siècle. Cette limitation est imposée par la nature statistique des phénomènes de la physique atomique et, de ce fait, par l'orientation probabiliste que prend la théorie physique.

Mais Planck déplace alors le domaine de sa réflexion vers celui de la liberté humaine en se demandant si, par nature, la volonté humaine est libre ou au contraire déterminée. Planck soutient, sans aller plus loin, l'idée qu'une volonté libre se réduit à la considération que deux actes sont également possibles. Après cette considération, la sélection réelle de l'action visée par la volonté est opérée par le déterminisme parce que l'homme qui se pense lui-même n'a aucun moyen de démontrer que l'action exécutée ne l'a pas été par une quelconque nécessité [1].

Très bizarrement, Planck choisit alors de soutenir la validité du déterminisme alors même que le jugement qui permettrait de trancher au sujet de la volonté entre un mécanisme libre et un mécanisme déterministe serait lui-même indécidable si on suivait le début du raisonnement de Planck, et dans le même temps de rejeter toute exonération de responsabilité dans le cadre d'une volonté déterminée [2].

De ce débat, Planck semble tirer l'argument selon lequel la Science est positivement déterministe, mais que cette même science met en évidence une métaphysique d'un monde réel [3].

A la même époque, partant à peu près des mêmes considérations que Planck, Karl Popper établit une théorie du discernement scientifique sur la base de la reconnaissance de la faillibilité de la science l'opposant à l'infaillibilité du dogme religieux. De ce point de vue, Planck n'approuve pas le pont de vue de Popper. Pour lui, la Science est infaillible parce qu'elle ne fait que lire le déterminisme en établissant la loi de la nature. Planck est encore un héritier des scientistes des XVIII° et XIX°siècle.

Mais, sa connaissance de la mécanique quantique avec son interprétation probabiliste, le conduit à admettre une métaphysique de la réalité. Par ce prologue, on peut concevoir comment Planck passe naturellement à un débat concernant les rapports de la science et de la religion.

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Planck introduit son débat par l'interrogation originale de Marguerite à Faust, le savant : "Dis-moi, que penses-tu de la religion ?".

La réponse embarrassée de Faust est en fait celle de Planck : "Je ne veux détourner personne de sa foi et de son Eglise.".

La réponse de Faust, qui répond à Marguerite alors qu'il vient de vendre son âme au Diable, est une fourberie en ce qu'elle laisse ouverte la question de savoir si, en son for intérieur, Faust n'imagine pas que la foi est vide et l'Eglise une forgerie [4].

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Cherchant à esquisser ce que seraient les objets de la religion, Planck identifie religion et miracles.

On voit combien Planck ne parvient pas à se dégager du dogme scientiste hérité du XIX° siècle parce que dans son idéologie, la science démontre la contradiction du miracle avec les lois naturelles. La religion est donc fausse et incompatible avec la Science.

Il est étrange de limiter l'esprit religieux à la soumission. L'esprit religieux est avant tout l'esprit, la capacité mentale, d'une personne avec ses connaissances rationnelles essentiellement. Il existe très peu de sujets qui se prévalent d'une véritable expérience spirituelle et rarement en amont de l'expérience religieuse.

De ce fait, il est très rare qu'un individu donné puisse croire à cause d'un ou de plusieurs miracles. Il est beaucoup plus fréquent que le croyant croit malgré l'impossibilité naturelle du miracle. Le croyant est souvent gêné par l'étrangeté du miracle. Et alors, il ne "croit" pas à l'impossibilité du miracle en tant que phénomène de la nature, comme Planck lui-même, mais il découvre rationnellement ce que le miracle, phénomène étrange dans la nature, révèle d'un monde qui justement n'est pas dans la nature.

Pour critiquer l'analyse de Planck du phénomène religieux, on pourrait dire qu'il n'en tient aucune analyse pertinente, se bornant à identifier la religion avec le miracle, sans voir que la religion est d'abord l'accès à un mode de connaissances.

Ainsi, la religion ne peut pas s'identifier aux miracles, en tant qu'ils sont des impossibilités de la loi de la Nature. La religion ne peut pas être "ce en quoi il est absurde de croire" [5].

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Planck, malgré toute l'admiration qu'on peut lui porter, malgré son érudition, principalement en Physique, soutient une position erronée concernant les caractères de la science et la religion.

Cherchant les harmonies possibles entre science et religion, dans la troisième partie de sa Conférence, il débute sa réflexion par l'identification des objets des deux termes qu'il tente de rapprocher ou de relier. Sa démarche doit être approuvée, et même, à l'occasion imitée.

Mais, dans cette recherche, Planck réduit la religion à "l'essentiel de ce que la religion réclame des croyants." (page 124). On verra plus loin, qu'il commet l'erreur symétrique dans la spécification de la science.

La religion est alors perçue par Planck comme une institution légiférante, ce qu'elle n'est pas en soi et d'abord. Elle ne peut le devenir qu'après que les objets de la religion aient été posés devant la conscience de l'individu, prise comme capacité rationnelle de juger.

Il y est malheureusement conduit par sa théologie, dans laquelle Dieu est seulement un individu tout-puissant et éternel (page 124), ce qu'Il est est en effet, mais pas seulement.

Planck méconnait la grande différence entre le christianisme et les autres religions. Cette différence est marquée par deux affirmations : le Christ affirme que son règne est celui de la fin de la Loi et Saint Paul interprète cette affirmation du Christ comme le lien entre la Loi et le péché contre le judaïsme. Si on considère le cas de l'Islam, les objets de la croyance sont incroyablement réduits. En pratique, ils se limitent à la soumission de la volonté à Dieu et la soumission de l'intelligence au Prophète. Et il n'y a aucun miracle dans l'Islam. Seulement du merveilleux oriental.

Dans le christianisme, en écartant le protestantisme plus problématique de ce point de vue, il y a du miracle, mais il n'existe pas d'obligation de croire comme fait premier de la conscience religieuse. Au contraire, le christianisme ne fait qu'une obligation d'enseigner. Lorsque le prosélyte a été enseigné, Dieu lui donne la capacité de croire. La foi est un donné. Ce n'est pas une Loi.

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Le miracle peut être au coeur de la science religieuse. Mais il en est aussi une manifestation préalable et donc marginale.

Tout d'abord, la religion dont il est question aussi bien dans l'esprit du critique que de Planck lui-même, n'est jamais que le christianisme. Dans sa confession protestante, très prégnante en Allemagne dans sa nuance luthérienne, le miracle a perdu pratiquement toute importance pratique pour se cantonner à un événement symbolique d'une époque, passée depuis deux millénaires. Il en résulte que, comme d'habitude, la seule religion attaquée ici est encore le catholicisme. Il faut reconnaître que, sur ces questions, l'orthodoxie, ou les orthodoxies faudrait-il dire, ont une position au moins aussi avancée que le catholicisme.

Enfin, pour terminer ce préambule, il faut souligner que le protestantisme ne se sépare pas nettement des "déclinaisons locales" du catholicisme, et particulièrement de ses tendances "progressistes" [6] qui souvent n'ont aucune différence significative avec les protestantismes les plus échevelés, notamment sur l'anti-papisme.

Il faut donc souligner que la pleine signification religieuse des miracles n'a d'expression que dans le catholicisme et l'orthodoxie.

Or, si on se donne la peine d'examiner de manière matérielle le rôle du miracle dans le christianisme, on doit constater qu'il a trois récepteurs :
- le bénéficiaire du miracle ;
- le professeur de religion qui exploite la figure du mystère ; et
- le fidèle qui considère à la fois ce que l'on dit du miracle et de son bénéficiaire et ce qui est dit par les maîtres de religion.

Le miracle n'a que très peu de bénéficiaires directs. Si donc le miracle était au coeur de la religion, il aurait été souhaitable qu'il fut profitable au moins pour chaque fidèle sinon pour l'ensemble de l'humanité. Or ce n'est jamais le cas.

Le miracle, comme expérience rapportée dans un écrit, et servant à fonder un enseignement, a été vivement dénoncé par les anti-cléricaux comme Voltaire ou Diderot. On a ainsi souvent accusé les "prêtres" d'inventer des "contes à faire dormir les enfants" à ce sujet. Mais on remarque que les écrivains anti-cléricaux se sont alors ingéniés à donner les exemples les plus ridicules de manifestations risibles dont le lien avec le christianisme était des plus détestables.

Par contre, il existe une classe de miracles dénoncés par ces écrivains pour mettre en cause le christianisme. Trois de ces miracles sont la Conception Virginale de la Vierge Marie, la Résurrection de Jésus et la Transsubstantiation eucharistique. On notera que la contestation de ces miracles est un cercle vicieux. Le miracle serait possible si Dieu existait. Or, le miracle est impossible dans la loi naturelle. Alors Dieu n'existe pas.

Il se trouve que cet argument est dérivé de la négation du principe de la révélation judéo-chrétienne. Dieu se révèle directement à l'homme qu'Il se choisit et cette révélation est toujours une violation de la loi naturelle. Plus encore, dans la Révélation chrétienne, le Christ utilise le miracle pour démontrer sa divinité dans le cadre de la révélation abrahamique. La Révélation abrahamique établit que Seul-Dieu réalise le miracle comme violation de la loi naturelle. Si Jésus accomplit des miracles, alors c'est qu'Il est Seul-Dieu.

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Malheureusement, l'argument tiré de la violation de la loi naturelle ne tient plus depuis très longtemps dans la mesure où la plupart des découvertes scientifiques se dirigent vers une remise en cause du caractère intangible d'un principe de causalité. Il existe indubitablement des phénomènes déterministes ou dont l'explication rationnelle implique un principe de causalité. C'est notamment le cas des phénomènes composés de la réunion d'une multitude de petits phénomènes dont la majorité présente une value mesurable caractéristique statistiquement "centrée". En éliminant, au motif de non-conformité, les mesures non centrées, il est alors possible de décider que le phénomène global est soumis au déterminisme.

Mais, cette détermination ne présente aucun caractère ontologique, en ce sens que le déterminisme n'est qu'une convention qui provient à la fois de l'agglomération des phénomènes tenus pour "membres" d'un phénomène global, parfois purement idéologique et ne présentant aucune réalité physique.

Plus encore, il existe maintenant de ces phénomènes physiques complètement expérimentés et qui commencent à passer dans le monde industriel. Il s'agit de la violation du principe de localisation. Ainsi, dans des conditions particulières, identifiées par des paramètres de configuration, des systèmes quantiques présentent des effets liés concurrents. On parle d'"intrication quantique" dans lequel deux systèmes quantiques présentent à deux endroits différents et sans aucune interaction entre eux des modifications concurrentes d'un paramètre quantique parfaitement mesurable. Ainsi un photon qui subit une capture sur une première voie de communications, comme une fibre optique, voit sa modification introduite dans l'état quantique "intriqué" d'un autre proton, qui devient alors un témoin de la lecture de la voie de communication protégée par le système quantique.

Il est ainsi possible d'imaginer, encore par la pensée, une expérience dans laquelle un objet lumineux localisé en un premier lieu pourrait évoluer identiquement dans une réplique localisée en un autre lieu. Cette bilocation des représentations est l'une des violations habituellement dénoncées par les scientistes dans les miracles affirmés par le christianisme.

La religion selon Planck

Planck raisonne en termes d'exigence interne : qu'est-ce que la religion nous impose de croire ?

La puissance de Dieu exige en effet la soumission collective de l'homme et cette soumission conduit au bonheur individuel. La diversité des hommes explique la diversité des religions, chaque divinité étant établie sur un système de "symboles susceptibles d'agir sur l'imagination populaire" (page 121).

Planck distingue dans le système symbolique ce qui tient de l'art de ce qui tient spécialement de la religion. "L'oeuvre d'art contient sa signification". A la différence, "le symbole religieux désigne quelque chose qui le dépasse" (page 121). De ce fait, la surestimation du symbole en matière de religion conduit à l'oubli d'une vérité essentielle : "... le symbole le plus sacré a une origine humaine" (page 123). L'oubli de cette vérité conduit aux guerres de religion.

Enfin, selon Planck, la question de savoir si la puissance que représente le symbole religieux est une réalité ou une invention de l'homme est scientifiquement indécidable. "Cette question, la pensée scientifique, c'est-à-dire le raisonnement logique qui se fonde sur des faits, sera toujours incapable de la trancher. La réponse n'appartient qu'à la foi, à la foi religieuse." (page 124).

La science selon Planck

Les vérités de la science de Planck nous sont donnés comme indubitables, durables, établies sur des mesures de sorte que "la totalité des événements physiques sont réductibles, sans exception, à des processus mécaniques ou électriques produits par des particules élémentaires ..." (page 125).

Il est gênant de réduire la science à la Physique au prétexte qu'elle serait "la plus exacte des sciences naturelles" (page 124). Parce que la réduction des objets de science à des processus mécaniques ou électriques ne s'applique qu'aux objets de la Physique. Comment le scientifique accepte t’il une telle extrapolation ?

D'autant plus qu'il tire de cette réduction une véritable mystique de constantes universelles infiniment petites qui jouent pour la science littéralement le rôle de la divinité infiniment puissante pointée par les symboles religieux.

En effet, Planck s'interroge : "Que signifie donc ces constantes ? Sont-elles des inventions de l'esprit humain, de simples conventions scientifiques, ou possèdent-elles un sens réel, indépendant de l'esprit humain ?" (page 125).

Sa question sur la science est formellement identique de sa question sur la religion.

Pour le cas de la réalité des constantes universelles, Planck distingue la doctrine des positivistes qui rejette tout rôle métaphysique aux constantes pour se concentrer sur les mesures et un relativisme lié à l'observateur.

Planck critique le caractère rigide du positivisme provenant du 19° siècle et son refus des idées neuves. Les constantes universelles constituent selon Planck "un témoignage manifeste de l'existence dans la nature d'une réalité indépendante de toute mesure humaine." (page 127)

Cependant, Planck ne donne aucune indication sur la manière dont il établit que ces constantes universelles se constituent indépendamment de la mesure, sauf en ce qu'elles sont qualifiées d'"universelles". Mais, il y a alors un cercle vicieux ou un "nominalisme" curieux.

Toujours est-il que l'on constate que, si l'existence de Dieu reste "improuvable" pour les scientifiques, l'existence "symétrique" du monde physique resterait contestée par les positivistes.

Comme pour éviter une guerre des sciences, comparable aux guerres des religions dont Planck parlait, Planck semble admettre que l'appréhension du monde réel se fera "seulement grâce à nos perceptions sensorielles et aux mesures que nos sens nous communiquent" (page 127).

Allant un pas plus loin, Planck établit que "tous les phénomènes de la nature obéissent à des lois qui nous sont intelligibles jusqu'à un certain point" (page 127). Il prend exemple sur le "principe de la conservation de l'énergie".

La démonstration par des exemples est faible. En effet, comment admettre que ce principe qui vise le système mécanique isolé, et qui n'a pas d'application pour le système mécanique ouvert, puisse avoir la moindre application dans d'autres phénomènes naturels ?

Planck pose ensuite la question de relier le concept de loi de la nature comme moyen de parvenir par le moyen de la mesure de constantes universelles avec la conception juridique de Kant. Combattant une interprétation de positivistes, Planck souligne que Kant n'a jamais envisagé que la loi soit prescrite par l'homme à la nature. Au contraire, l'homme, en formulant les lois de la nature "y ajoute quelque chose de propre." (page 128).

Planck étend alors sa réflexion à une seconde loi qu'il dénomme "principe d'action minimum" que l'on conaît en France comme "principe de moindre action", ou "principe de Mauperthuis". C'est par ce principe que Lagrange établissait par la mécanique toute description des lois de la nature [7]. On sait aujourd'hui que le domaine de validité de ce principe est extrêmement étroit. Il apparaît vraiment comme une "vue de l'esprit", non pas comme une fantaisie (Phantasie en allemand) mais comme une expression à laquelle la nature n'est pas réductible.

Quoiqu'il en soit, Planck conclut son discours sur la science en affirmant : "... l'ensemble du règne de la nature est soumis à des lois indépendantes de la présence sur terre d'une humanité pensante ... Elles constituent un ordre rationnel du monde, auquel la nature et l'humanité sont soumises, bien que son essence nous soit et doive nous rester inconnaissables, ... Cependant, ... espoir de pénétrer toujours plus avant dans l'ordre de la Raison toute-puissante qui régit la nature."

Planck semble très proche d'une conception d'un Dieu, créateur de la Nature, qui révèle sa Raison toute-puissante. La séparation entre science et religion n'est donc chez Planck qu'une sorte de classification arbitraire. Mais cette démarche reflète une forme d'humilité devant l'inconnaissabilité de l'objet du symbole religieux et l'inconnaissabilité des lois de la Nature, révélatrice de l'ordre d'une Raison toute-puissante, qui en réalité est identique à ce que Planck appelle pudiquement "l'horizon du symbole religieux".

La compatibilité de la science et de la religion selon Planck

Très étonnant, Planck considère que "les questions d'éthique restent étrangères aux sciences naturelles, tandis que la grandeur des constantes universelles ne joue aucun rôle en religion." (page 131).

Assez naturellement, Planck tire de son analyse de la religion et de la science qu'"il y a rencontre sur la question de l'existence et de la nature d'une puissance supérieure régissant l'univers." Il affirme même que "rien ne nous empêche donc d'identifier les deux puissances qui nous demeurent mystérieuses."

Cependant, Planck parvient d'une manière assez insatisfaisante à cette conclusion qui, au demeurant, est en elle-même admissible pour un scientifique chrétien.

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En effet, si on a dit plus haut quelques critiques sur son analyse de la science et de ses moyens, on a aussi souligné combien son idée que la religion serait essentiellement invention humaine d'un symbolisme auquel on a toujours tort d'attribuer une valeur transcendante, est erronnée. En effet, la symétrie du raisonnement que Planck fait dans les deux champs religieux et scientifique, au moins sur leurs horizons, Dieu dans un cas et la Raison toute-puissante dans l'autre, aurait dû le conduire à présenter le fait religieux comme le pendant du fait scientifique, et l'expérience scientifique dotée d'une symétrique expérience religieuse, ce qu'il ne fait pas.

Or, cette impossibilité ne provient pas selon nous d'une quelconque incapacité de Planck, esprit profond et brillant. La chose absolument remaquable c'est que Planck qui n'est jamais sorti de l'Allemagne, y a toujours vécu, est en fait un chrétien qui refuse de référer au christianisme. Selon certaines sources :
"Max Planck né le 23 avril 1858 à Kiel, est issu d’une famille nombreuse et bourgeoise. Ses arrière-grand-père et grand-père paternels sont professeurs de théologie, son père professeur de droit (il participa à la rédaction du code civil allemand), tandis que sa mère est issue d'une famille de pasteurs."
et aussi :
"... le savant étant obligé de discourir en l'honneur du Führer et de faire le salut Nazi. Planck finit par abandonner toute fonction officielle en 1938. Il continue cependant de donner des conférences sur des thèmes sensibles comme "Science et religion" où il avoue croire en Dieu mais pas en celui des chrétiens." [8]

Si Planck refuse de se situer dans le cadre du christianisme, alors il se condamne à ne pas comprendre le fait religieux. Pour une raison interne. La science que Planck développe fait l'application des mêmes principes et méthodes que la théologie rationnelle, celle qu'illustre Saint Thomas d'Aquin et les Papes du XIX° et du XX° siècles. Voulant absolument séparer science et religion, alors qu'il sait parfaitement comment la science fonctionne, il se condamne à ne pas expliquer le domaine religieux.

Deux choses auraient pu assurer la réflexion de Planck, et il est étonnant qu'il n'en ait pas fait son profit, parce qu'elles l'auraient mené exactement au point où il est arrivé "par chance".

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La première chose c'est que, si la science exige un fait scientifique, la religion exige un fait religieux. Le fait scientifique est directement produit par l'analyse de la nature, ou du phénomène naturel, comme le fait religieux est produit par l'analyse de la divinité ou du phénomène divin.

Comme Dieu, la Nature se révèle et comme la Nature, Dieu se donne aux hommes dont la raison est aussi capable de connaître le fait physique que le fait religieux. Mais de même qu'on connaît des esprits qui refusent, rétifs comme des ânes qui ne veulent pas boire à la fontaine, de s'intéresser à la Physique, il en est d'autres qui refusent de considérer les faits religieux, leur préférant considérer des lubies qui leurs permettent de tenir la religion pour "ridicule".

Il faut d'ailleurs reconnaître que, particulièrement au XX° siècle, un nombre trop considérable de religieux se sont évertués à "fabriquer" une théologie d'une parfaite stupidité. On ne peut pas croire en Dieu tel que le dit le christianisme de certaines régions. Lire ou relire des auteurs comme Congar, Rahner, Varillon et tant d'autres, conduit au rejet du christianisme, naturel aux scientifiques, qui eux sont entraînés à un esprit critique appréciable. Depuis le triomphe de la théologie décadente des Congar et consort, mieux vaut que science et religion soient étrangères l'une à l'autre. Pour faire bref, l'auteur de ces lignes qui se tient pour chrétien, fait sienne la parole de Saint Paul concernant les âneries proférées par les théologiens précités : "De ce Dieu là, je suis l'athée".

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La seconde chose qui aurait pu guider Planck sur le chemin qu'il a emprunté, c'est que si le christianisme contient et porte des symboles, et des symboles religieux, ces symboles se raccordent à des faits religieux qui échappent complètement à la fantaisie humaine, même si cette dernière n'est pas avare de trouvailles diverses. Il en résulte que le symbole chrétien est toujours icône d'une réalité religieuse [9] qui n'est pas à la fantaisie artistique de l'homme, mais qui est un donné de Dieu [10]. Comme donné, la réalité religieuse se constitue comme un fait religieux qui se présente à l'intelligence humaine absolument de la même façon que le fait scientifique.

Mais, restant à une "généralité" de la "religion" en refusant de considérer en face la réalité du christianisme, Plack devait en rester à une phraséologie de symboles déduite du discours habituel de la sociologie et de l'anthropologie religieuse, un peu comme Freud à la même époque, dont d'ailleurs Planck est un exact contemporain.

La sphère des faits religieux ne se réduit pas à la collection de symboles de "la" religion, elle-même probablement considérée par Planck comme la coagulation des religions de tous les temps et de tous les lieux. Si la science a besoin de la mesure pour l'analyse du fait scientifique, la religion a besoin de la méditation pour l'analyse du fait religieux.

Armé de ces deux moyens, Planck pouvait alors parvenir à ce parallélisme, à cette similitude, presque géométrique pourrait on dire, entre la science et la religion, chacune avec son horizon inatteignable et pourtant toujours exigeant qu'il soit cherché, et par la même et seule qualité de l'homme, par son intelligence.

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Poursuivant sa comparaison entre science et religion et recherchant leurs affinités, Planck continue, ce qui nous semble être un malentendu, sur la religion : "La science nous est nécessaire pour connaître, la religion pour agir." (page 132).

Cette répartition des rôles peut peut paraître dangereuse autant pour le scientisme de Planck que pour la religion. En effet, condamner la science à la non-action, c'est ne rien comprendre à la société technique et industrielle dans laquelle nous vivons et dont l'histoire est essentiellement histoire de l'action scientifique. De même, et symétriquement, refuser la connaissance à la religion, ce qui est le propre de la théologie catholique moderne erronnée, c'est réduire la religion à une infâme morale vaguement politique, alors que justement la politique réelle s'épuise à évincer la religion de son champ de manoeuvres.

Mais, il faut tenir aussi une autre interprétation, peut être présente à l'esprit de Planck. La politique serait elle-même une religion, peut-être même, LA religion dont il parle dans ce chapitre. Or, une telle voie a déjà été parcourue. C'est la voie de la chrétienté dans une société non-chrétienne. C'est la voie de l'Eglise constitutionnelle de 1792, et de l'anglicanisme de Henri VIII. C'est la ridicule théophilanthropie de Larevéllière, et le terrible compagnonage des cadres de l'Eglise catholique avec les Lumières, le marxisme et le maoïsme.

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Planck poursuit son analyse des rapports entre science et religion pour indiquer que de nombreux hommes de science, et des meilleurs, ont été des croyants. C'est bien faible comme argument. Ainsi la compatibilité que voit Planck entre science et religion est une forme de parallélisme. La compatibilité de deux chemins que l'on ne peut pas emprunter en même temps.

C'est peu et pauvre.

On notera que les exemples de savants pris par Planck et qui auraient été des croyants, sont tous plus anciens que le début du XVIII° siècle. Planck ne nomme aucun savant contemporain qui aurait été à la fois un physicien et un croyant. Or, il en existe. On pourra citer le physicien Pierre Duhem que les penseurs chrétiens d'aujourd'hui redécouvrent. On pourra citer l'abbé Georges Lemaître, cosmologiste, dont les premières découvertes remontent à 1927.

On note que Lemaître contesta l'accord entre science et religion que le Pape Pie XII crût trouver [11] dans la théorie de Lemaître. Selon des auteurs récents [12], Pie XII ne prétendit plus jamais à une telle concordance. Cette censure paradoxale démontre combien un renouveau de la religion était attendu.

Conclusion

Le renouveau du catholicisme, inaguré par le Pape Jean-Paul II, avec le concours du Cardinal Ratzinger qui poursuit ce renouveau comme Pape Benoît XVI, inaugure une nouvelle conception des rapports entre science et religion. Une nouvelle conception de ces rapports entre science et religion est notablement indiquée dans l'Encyclique 'Fides et Ratio'. L'Eglise enseigne que si la science et la religion sont en effet autonomes, elles ne sont pourtant pas, et d'une manière certaine et particulière, séparables [13].

Notes

[1] "L'objet et le sujet de la connaissance ne peuvent jamais s'identifier parce qu'on ne peut parler de connaissances que si l'objet à connaître reste hors d'influence de ce qui se passe dans le sujet connaissant." (Planck, op. cité, p. 115 in fine) retour au texte

[2] "C'est pourquoi il est absurde de nous interroger sur la validité du déterminisme ... C'est pourquoi le déterminisme ne nous fournit aucune ligne de conduite et ne peut nous décharger de notre responsabilité." (Planck, op. cité, p.116) retour au texte

[3] "... (le) monde réel métaphysique qui, par suite de notre incapacité à le connaître directement, nous apparaît comme quelque chose de mystérieux et transcendant, ..." (Planck, op. cité, p. 117) retour au texte

[4] Cette foi naïve, ne nous le dissimulons pas, n'existe plus de nos jours, même dans les couches populaires, elle ne sera pas ranimée par une idéologie passéiste." (Planck, op. cité, p. 118). retour au texte

[5] "Credo quia absurdum". Cet "adage" latin qui fait les délices des anti-religieux, est porté au crédit de Saint Augustin, sans que personne ne soit capable de citer l'ouvrage de cet auteur qui contiendrait un tel contre-sens. Il faut reconnaître que Saint Augustin est le maître des formules en contraposition. Il est possible qu'en inversant une de ses citations, on puisse trouver une source chez ce grand polémiste. Après vérification, certains auraient trouvé un passage de Tertullien, qui ne porte pas cet adage, mais un autre qui lui serait source : "certum est, quia impossibile." (voir Wikipedia). retour au texte

[6] Les théologiens qui ont guidé les errements de l'exécution du Concile Vatican II, comme Rahner ou Schillebeekx, sont systématiquement en phase avec le protestantisme le plus antique. C'est d'ailleurs leur principale contribution à l'oecuménisme le plus dévoyé. retour au texte

[7] Recevant Laplace qui lui expliquait les bases de sa mécanique, Laplace prétendant pouvoir expliquer l'Univers en appliquant ses principes, Napoléon lui demanda ce qu'il faisait de Dieu. Et Laplace lui répondit superbement : "Dieu, Sire, est une hypothèse dont je n'ai pas besoin." retour au texte

[8] Source Wikipédia . retour au texte

[9] L'icône n'est en rien une représentation symbolique, encore moins une représentation artistique. Elle est faite de bois et de vernis, de laques et de peintures. Elle n'est pourtant pas réductible à sa matière. Elle exige une formalisation intellectuelle de la connaissance d'un fait religieux. Les ennemis de la religion peuvent penser qu'il s'agit de bois, que c'est joli ou laid, que c'est un symbole interprétable dans une analyse sociologique. Ils ne pénètrent pas dans le fait religieux que l'icône matérialise. retour au texte

[10] On renvoie sur cette philosophie du don à Jean-Luc Marion, ÉTANT DONNÉ. Essai d'une phénoménologie de la donation. Paris, PUF, 1997, 453 pp., "Épiméthée". retour au texte

[11] Discours de Pie XI, Un' Ora de 1951, à l'académie pontificale des sciences. retour au texte

[12] "Charles Darwin et Georges Lemaître, une improbable mais passionnante rencontre", par Dominique Lambert et Jacques Reisse, Académie royale de Belgique, 290 pp. retour au texte

[13] "Le Concile Vatican I, faisant la synthèse et réaffirmant solennellement les enseignements que, de manière ordinaire et constante, le Magistère pontifical avait proposés aux fidèles, fit ressortir qu'étaient inséparables et en même temps irréductibles la connaissance naturelle de Dieu et la Révélation, ainsi que la raison et la foi.", Encycl. 'Fides et ratio', numéro 53. retour au texte

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