La lettre de remerciements des quatre évêques réintégrés
Philippe Brindet
1er mars 2009


En lisant un article du quotidien de l'athéisme laïc "Le Monde" paru le 01/03/2009, je découvre la publication par la revue Fideliter appartenant à la Fraternité sacerdotale Saint Pie X [1], de la lettre de remerciements des quatre évêques de cette organisation. Ainsi qu'on le sait, par un décret du 21 janvier 2009, le Saint-Siège avait levé les effets à leur égard de l'excommunication de fait constatée en 1988 sur le fait de leur sacre sans autorisation pontificale par Mgr Lefebvre.

On note que cette lettre fait abstraction de l'épouvantable scandale provoqué par la diffusion télévisée en Suède d'un interview de l'un des quatre évêques dans lequel était niée la Shoah. Cette diffusion, dont la concommittance avec la publication du Décret du Saint-Siège pose toujours autant de questions, a pour effet que le bénéfice éventuel qu'aurait du avoir le Décret est annulé par les protestations de la grande majorité des catholiques conciliaires et l'opprobre injustement jetée par eux tant sur la volonté du Saint-Père que sur la foi des membres de la Tradition.

Il paraît donc étrange, d'un certain point de vue, que les évêques que l'on dit, par abus de langage, "ré intégrés", parmi lesquels se trouve le fauteur de troubles et de divisions, ne fassent aucune repentance en préalable à leur remerciement du Saint-Père.

Cependant, on sait que tant l'évêque fautif que son Supérieur dans l'ordre de la Fraternité Saint-Pie-X, Mgr Fellay, ont produit des lettres et des déclarations publiques qui peuvent, d'une certaine façon, paraître pour une forme de repentance. Par ailleurs, le caractère fortuit de la diffusion télévisée, dont tout peut porter à croire à une manipulation de l'opinion, ne devrait pas conduire à réduire la supériorité d'ordre dans l'Eglise du décret sur un simple tollé de commande.

Malheureusement, le tollé ne porte pas sur une question mineure, même dans l'ordre de l'Eglise. Il porte sur un scandale public et de plus sur un scandale dont l'ampleur a été mondiale et bien supérieure à la portée du Décret du Saint-Siège, même si, concédons-le, un Décret de levée d'excommunication possède une gravité particulièrement exceptionnelle.

Il en résulte qu'il est parfaitement regrettable que les évêques bénéficiaires de la levée des effets de l'excommunication de fait subie n'aient pas fait précéder ce remerciement d'un aveu public de repentance profonde et sincère sur l'objet du scandale.

Dans cet ordre d'idées, et pour en terminer ici sur cette très pénible affaire, on peut souhaiter que se mette en place ce qui semble inéluctable, à savoir, la sanction de Mgr Williamson, dont on ne devrait pas lui souhaiter une nouvelle excommunication, d'ordre judiciaire ecclésiastique cette fois, mais qui devrait à tout le moins lui interdire la moindre autorité en matière ecclésiastique et toute intervention publique.

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Mais la lettre de remerciements des évêques de la Fraternité Saint-Pie-X appelle des réflexions critiques particulièrement sombres.

En effet, sous un langage fleuri, qui paraît bien inutile dans la rigueur du temps, les évêques intégristes avec un aplomb confondant, semblent louer le Pape pour sa démarche comme s'il s'était déplacé à Ecône et avait humblement frappé à leur porte, inversant singulièrement la réalité ecclésiastique pour autant qu'elle soit encore en question ici. En effet, c'est sur une requête personnelle des quatre évêques, selon la teneur du Décret de levée d'excommunication, que le Décret a été pris. Et cette lettre n'a été possible que parce que les évêques intégristes ont décidée une démarche de rapprochement avec le Saint-Siège. Il y a là une inversion des fonctions dans l'Eglise qui nous rapproche dangereusement du terrible précédent de 1789, dans lequel, à l'occasion de la Constitution Civile du Clergé imposée par l'athéisme militant de l'Assemblée Nationale, les évêques français cherchaient à ce que le Pape entra dans leurs vues en approuvant cette dernière.

Ainsi, quand les évêques intégristes terminent leur lettre de "remerciements" en prétendant :
"La Vierge Marie Immaculée a visiblement guidé les pas de Votre Sainteté à notre rencontre, elle Lui maintiendra sa gracieuse intercession."
ils insinuent perfidement qu'ils sont "immuables comme la Vérité" et que le Pape est allé à récispiscence en revenant de son erreur prétendue concernant le Concile.

Cette scandaleuse conception de la réalité était clairement exprimée par Mgr Fellay lui-même [2] :
"Le journaliste italien Messori raconte une petite histoire : « Un jour, dit-il, j’ai essayé de faire avouer à Jean- Paul II que, quand même, il y avait des choses qui n’allaient pas dans l’Eglise. Et le Pape a tapé du poing sur la table comme pour dire que tout allait bien. » Alors qu’un cardinal Ratzinger, de son côté, reconnaissait que tout n’allait pas bien. Je pense vraiment qu’il y a une volonté chez Benoît XVI de freiner certaines avancées du Concile."
Il semble que, dans une certaine mesure, Mgr Fellay et ses confrères imaginent que Benoît XVI serait convaincu de la justesse de leurs vues sur le Concile et qu'il leur suffit de tenir ferme pour triompher. Or, Benoît XVI et de nombreuses autres autorités dans l'Eglise, dont la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du Cardinal Levada, se sont maintes fois prononcés, tant sur la fidélité du Concile à la Tradition, Tradition tronquée à l'aube du Concile par les intégristes, que sur les scandaleuses déviations pratiquées de manière généralisée à la suite de la clôture du Concile Vatican II. Et Jean-Paul II, dans son encyclique "Ecclesia de Eucharistia vivit" ne dit pas autre chose.

Or, le Pape est le seul maître de cette adhérence à la Tradition. Il serait possible en théorie de le mettre en accusation dans l'Eglise. Mais les faits sont têtus. Le Pape Benoît XVI, comme chacun de ses Prédecesseurs, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul I et Jean-Paul II, est incontestable comme Successeur de Pierre par chacun de ses actes.

Cette intercession de la Vierge Marie est donc formulée d'une manière qui nous semble bien criticable.

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Dans leur Lettre de remerciement, les quatre évêques intégristes déclarent :
"« n’épargner aucun effort pour approfondir dans de nécessaires entretiens avec l’Autorité du Saint-Siège les questions encore ouvertes ». Nous désirons en effet commencer dès que possible avec les représentants de Votre Sainteté des échanges concernant des doctrines en opposition avec le Magistère de toujours."
Il est à craindre qu'ils n'aient pas compris que la déclaration de Mgr Williamson ainsi que son attitude à la suite du scandale provoqué par lui, rendaient impossible une véritable discussion. Mais, il y a plus grave.

Que des personnes en désaccord avec une quelconque autorité puissent engager un dialogue pour lever ces désaccords, rien de plus juste. On se demande seulement s'il pourrait exister une autre institution que l'Eglise pour permettre un tel débat. Dans toute autre institution, les minoritaires sont impitoyablement éliminés. Mais, le problème que pose le désaccord est beaucoup plus grave que les désaccords qu'une discussion entre le Pape et quatre évêques fraîchement relevés de leur excommunication de vingt ans peut résoudre. Il y a deux mille cinq cent évêques à peu près enragés contre eux et plus de quatre cent milles prêtres dans le même état d'esprit.

Imaginons un instant que le Pape, après une solide discussion avec les quatre évêques intégristes, se rende à leurs raisons. Que peut-il en ressortir ? Que le Pape devienne un évêque de la Fraternité Saint Pie X, et c'est tout.

Imaginons maintenant la situation inverse, que les évêques intégristes se rendent aux raisons de Benoît XVI, et déclarent adhérer pleinement au Concile. Que peut-il en ressortir ? Que la Fraternité Saint-Pie X continuera à exercer son apostolat avec la bénédiction du Saint-Siège et rien de plus.

Autrement dit, si les évêques n'ont rien de plus intelligent que de proférer des inepties abominables sur la Shoah, que peuvent-ils apporter à l'Eglise ? C'est un peu la question que leur posait l'Académicien Jean-Luc Marion [3] :
" ... la communion de l’Église vient de ce que chacun y apporte. On a le droit de demander à cette tradition traditionaliste quelle est et fut sa contribution sérieuse à l’Église catholique (universelle) lors des épreuves récentes ? Qu’ont-ils de si précieux à partager avec l’Église universelle ? Qu’ont-ils donné, en dehors des injures et de la revendication donatiste d’être les purs et durs ?"
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Or, il est vital que la Tradition apporte une réponse à l'angoisse qui saisit l'Eglise dans ce début du Troisième Millénaire. Et cette angoisse ne provient pas de la persécution, sauf en certains lieux [4].

Cette angoisse du Peuple chrétien ne provient pas des dons du Seigneur toujours dispensés.

Non, cette angoisse vient des enseignements contrefaits, des opinions erronnées largement et généreusement diffusés par les médias athées, comme s'ils étaient issus d'une source incontestable qu'on appelle "le-Concile".

Cette angoisse du Peuple chrétien vient de la Liturgie bafouée par des clercs irresponsables et ignorants, qui prétendent mettre en oeuvre "le-Concile".

Sa Sainteté Benoît XVI comme chacun de ses Prédecesseurs, Paul VI, Jean-Paul I et Jean-Paul II, est parfaitement conscient de cette terreur exercée par l'irresponsabilité des clercs dans l'Eglise. De nombreux évêques et la plupart des Dicastères de Rome sont conscients du problème posé par ces prêtres perdus qui portent de ronflants titres ecclésiastiques et qui occupent par co-optation les places de pouvoir et d'honneur. Qu'ils les gardent pour leur plus grande perte !

Quel est l'apport de la Fraternité Saint-Pie X à la restauration de la joie dans le Peuple de Dieu ? Cette restauration exige que soit offert le vrai visage de la Tradition et non pas celui de la reconstitution d'improbables cérémonies fastueuses et le rebachage d'idéologies décadentes ou abominables. La Tradition est dans l'Eglise et l'Eglise ne reçoit rien des erreurs du Monde.

Passée cette pétition de principes, on se rend compte qu'il faut que, l'époque des rebuffades et des agressions qu'elle a subie sans nombre dans l'Eglise se terminant, la Fraternité Saint-Pie-X accompagne les efforts du Pape et des évêques en communion avec lui, pour apporter une connaissance et une sensibilité du Passé qui ont été écartées jusqu'à présent. Qui célèbrera selon le rite extraordinaire institué par Sa Sainteté Benoît XVI sinon ceux qui ont toujours célébré selon le rite de Saint Pie V ! Qui enseignera l'authenticité de la Tradition, sinon ceux qui se sont pénétrés de l'enseignement de Saint Pie X et du Bienheureux Pie IX, de Saint Pie VI et de Pie XI, mais à condition qu'ils comprennent l'inspiration de l'Esprit-Saint dans le Concile Vatican II ! Avec le motu proprio Summorum Pontificum, Benoît XVI a offert à la Fraternité Saint Pie X un champ d'apostolat formidable. Qu'elle l'occupe à sa manière, mais de manière filiale. Parce que nul ne peut atteindre l'authenticité sans recevoir filialement l'enseignement de Jean XXIII et de Paul VI, de Jean-Paul II et de Benoît XVI ! Et ils ne pourront avoir une action sainte dans l'Eglise, action que Dieu agréera, s'ils ne mènent pas cette action sous l'autorité souriante et paternelle de Sa Sainteté Benoît XVI et en coopération avec son action restauratrice de l'Eglise !

S'ils ne peuvent atteindre à cette sagesse, alors leur action sera le jouet des influences du Monde et de Satan qui visent à la division de l'Eglise. Leur marge de manoeuvre est donc étroite et ils sont au pied du mur.

Maintenant, quand les quatre évêques traditionalistes écrivent :
"Nous désirons en effet commencer dès que possible avec les représentants de Votre Sainteté des échanges concernant des doctrines en opposition avec le Magistère de toujours."
on peut penser qu'il est bon que des évêques puissent discuter avec le Saint-Siège des doctrines en opposition avec le Magistère de toujours, c'est-à-dire d'abord celui du Pontife régnant. Il serait bon aussi que les chrétiens fidèles au Saint-Père puissent exprimer leurs critiques modérées des applications fautives des enseignements du Concile Vatican II. Et il n'est pas exclu que ce travail d'approfondissement des apports incontournables du Concile Vatican II passe par le remise en cause des doctrines erronnées de plusieurs experts qui ont manoeuvrés, tant pour certaines expressions utilisées dans les textes conciliaires que dans la mise en oeuvre largement catastrophique qui a suivi le Concile.

Chrétiens, la grande contestation des adversaires intérieurs de l'Eglise est peut être commencée. Et nous ne sommes plus à une époque où seuls les clercs péroraient sans conteste. Le développement des sciences profanes a largement armés les fidèles à la critique rationnelle de spéculations infondées ou d'idéologies erronnées, fussent-elles revêtues indignement de la pourpre de certains pontifes de l'Eglise.

Notes

[1] Accessible à l'adresse Internet.

[2] Dans une interview publiée dans le quotidien "Présent", n° 5954 en date du samedi 5 novembre 2005, tel qu'on peut le trouver à l'adresse Internet.

[3] Il s'agit d'un article dans la revue catholique conciliaire La Vie du 2 février 2009.

On doit cependant critiquer la critique de Marion qui va trop loin premièrement en appliquant à toute la Tradition anticonciliaire sa critique et secondement en élargissant sa critique au delà du débat des idées pour la faire porter sur les oeuvres. Seul Dieu jugera et Marion, fut-il ancien élève de la très athée Ecole Normale Supérieure et professeur en Sorbonne, n'est pas le Juge.

D'ailleurs, les apports de la Tradition anté-conciliaire sont innombrables. Ne serait-ce que dans le maintien du trésor liturgique comme celui du rite de Sait Pie V, institué rite extraordinaire par Sa Sainteté Benoît XVI le 7 juillet 2007.

Enfin, Jean-Luc Marion n'est peut être pas un habitué des polémiques, mais il sait très bien que ses adversaires lui demanderont quelles sont ses oeuvres à lui, "indéfectible soutien du Concile" : des milliers de prêtres délinquants sexuels, des églises vides et des séminaires douteux. On se reportera par exemple au pamphlet récent de Jean Aboulker, rescapé de ces dernières institutions.

[4] Parmi ces lieux, on peut citer les pays socialistes comme la Chine, le Viet-Nam et la Corée du Nord, mais aussi les pays musulmans comme l'Egypte, le Soudan ou l'Algérie.


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