AZF - Le réquisitoire
Philippe Brindet
27 juin 2009


Cette semaine, le Parquet a prononcé son réquisitoire contre les deux prévenus, les directeurs opérationnels de AZF et de sa société mère Grande Paroisse.

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Si l'on pouvait résumer cette affaire qui dure depuis près de dix ans, il faudrait rappeller que le 21 Septembre 2001, vers 7h15 du matin, l'usine AZF qui produisait alors notamment des engrais, explosait faisant plus de trente morst et des milliers de blessés. Cette catastrophe survenait dix jours après l'attentat du World Trade Center de New York. Les autorités françaises ont immédiatement, alors que personne n'indiquait de fait matériel en faveur de cette hypothèse, même si les Toulousains y ont immédiatement pensé, dénié tout caractère d'attentat aux faits. Dans le même temps, presque immédiatement, la responsabilité du groupe industriel Total, propriétaire du site, était mise en cause d'abord par l'Etat, puis par des associations de victimes, dont les conditions de formation sont difficilement interrogeables.

Après une enquête ou une instruction dont les failles ont été évidentes dès le début, il a été décidé d'un procès "énorme" avec des centaines de participants, des centaines d'experts qui se sont querellés en public. Dans ce procès qui, avec ce réquisitoire, aborde sa dernière phase, tout et son contraire a été dit, imprudemment par les uns et prudemment par les autres.

L'exhaustivité du procès a été poussé aussi loin que possible, et souvent au-delà. On note cependant qu'un mathématicien respecté, qui avait produit un travail rigoureux sur la catastrophe, a été écarté des audiences et sa recherche écartée d'un revers de main d'experts dont la notoriété est loin d'atteindre celle du mathématicien.

A cet écart près, on peut dire qu'il est impossible aujourd'hui de remettre en cause l'instruction malgré ses défauts, puisqu'elle a quasiment été refaite en public lors de ce procès. C'est à se demander si le procès ne servira qu'à protéger une instruction ... bizarre.

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Or, le montage éclate avec le réquisitoire. Selon les informations de presse parues notamment dans La Dépêche, le réquisitoire rejette toutes les hypothèses hors celle de l'accident industriel de la responsabilité de AZF et de son directeur. Implicitement, le Parquet déclare que les 8 ans d'enquête sont strictement sans autre intérêt que de démontrer que l'opinion de Jacques Chirac, Président de la République française, opinion émise l'après-midi même de la catastrophe, était la seule vérité. Les dirigeants de la justice-police en étaient persuadés dès le début de l'enqu^te et leur conviction a été dénoncée dès le début à la fois par des victimes et par des journalistes qui vont payer très cher leur manque de naïveté.

Que va-t'il sortir de la décision du Tribunal correctionnel ? Que Monsieur le Président de la République a, par fonction, toujours raison. Et çà, c'est irritant.

Mais tout dans ce procès est irritant. Edf est irritant avec ses cours d'Electrotechnique pour dire qu'il est évident qu'il n'est pas en cause, SNPE est irritant pour dire "il ne s'est rien passé le 21 à la SNPE parce que c'est secret", AZF est irritant pour dire "c'est pas moi" sans donner la moindre once de soupçon. La justice-police est irritante pour penser "pourvu que ce soit la faute à AZF, pour que ce ne soit pas un attentat" et en même temps déclarer "ce n'est pas un attentat, puisque c'est la faute à AZF". Les associations de victimes sont irritantes en troublant la sérénité de la justice avec de l'émotion quand le débat n'est pas favorable à leur avis, et de la vindicte dès que quelqu'un émet une hypothèse autre que leur avis. Les experts sont irritants de répondre à des questions dont ils savent pertinemment qu'elles n'ont rien à voir avec l'affaire. D'ailleurs, quand on ne les leur pose pas ces questions hors sujet, les experts se les posent eux-mêmes.

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On remarque qu'il n'existe pas de revendication publique d'un éventuel attentat, à la hauteur de la catastophe. Bien sûr, il a existé plusieurs petites revendications, pas relayées par les organes pro-islamistes. Mais rien de proportionné à la hauteur de la catastrophe et à la proximité de l'attentat du World Trade Center. Même cette absence est questionnante.

Pourquoi, si ce n'est pas un attentat, des revendications terroristes ne se sont pas immédiatement donné libre cours dans la presse occidentale ? Et la même question se pose si c'est réellement un attentat. Pourquoi les terroristes ou leurs commanditaires n'ont pas tentée une manipulation d'opinion à la hauteur de l'événement ?

Une première possibilité de réponse, qui vaut pour les deux hypothèses, attentat ou non-attentat, serait que les organisations terroristes étaient stupéfaites à la fois du succès de l'attentat de New-York et de la virulence de la réaction américaine. Si la catastrophe de Toulouse est le produit d'un attentat, il se pourrait qu'il avait été programmé et que les terroristes n'ont pas pu annuler son exécution. Et si ce n'est pas un attentat, les terroristes n'avaient pas envie d'augmenter le "passif" avec l'Occident. On rétorquera que les attentats ultérieurs de Madrid, Londres et Bombay n'indiquent pas une telle "retenue" et qu'au contraire, pendant le développement de la guerre d'Irak, les appels aux menées terroristes se sont fait plus pressants.

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Pour en revenir au procès d'AZF, rien dans les débats "contradictoires" ne tourne autour de ce silence étrange de la mouvance terroriste.

Ayant évacuée la question de l'attentat, le procès s'est concentré sur la mise en cause de la direction opérationnelle d'AZF. De nombreux acteurs semblent avoir décidé que la responsabilité du directeur de l'usine permettait de résoudre les inconnues de la catastrophe. Et cette décision date du 22 septembre 2001. Il faut saluer la dignité de cet homme impavide sous l'orage qui gronde autour de lui depuis le 21 septembre 2001.

La chimie exposée au procès de Toulouse ne permet pas d'expliquer les faits reprochés à la direction d'AZF. Mais cette direction n'est pas non plus parvenue à démontrer au Tribunal que la chimie prouvait son innocence. La seule action positive de la défense semble être la requête d'un supplément d'enquête après une enquête de 8 ans. C'est un peu faible.

Le drame des salariés d'AZF c'est que leur direction doit savoir la vérité et qu'elle est dans l'impossibilité de la révéler elle-même. Cette direction, aujourd'hui aux abois sous le réquisitoire du Parquet, n'a probablement qu'un rêve.

Que quelqu'un révèle la vérité qui libère.

En attendant, seul s'appliquera le vieil adage romain : "Vae victis".

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