Note sur le cardinal Feltin
Philippe Brindet
11 juillet 2009


Le mouvement des prêtres-ouvriers révèle (Source) un détail intéressant de l'histoire du IIeme Concile du Vatican :
Maurice FELTIN, cardinal 1883-1975

Il a joué un rôle important dans le développement en France de la Jeunesse ouvrière chrétienne (J.O.C.), ainsi que dans la défense des prêtres-ouvriers. En 1954, il se rend à Rome avec les cardinaux Liénart et Gerlier, pour plaider cette cause auprès de Pie XII, qui allait interrompre l’expérience. Mgr Feltin continue d’ailleurs d’apporter son soutien à la formule apostolique des prêtres-ouvriers, jusqu’à la décision romaine du 21 octobre 1963 qui confie à Mgr Veuillot le soin de lancer une nouvelle expérience. (C’est dans le diocèse de Paris que, sous la direction de ce dernier, avait été fondé le premier secteur de la Mission ouvrière, annonçant le secrétariat national de la Mission, créé en 1957 par l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France.)

Scrutateur lors de l’élection de Jean XXIII, le cardinal Feltin prend une part active au IIe concile du Vatican. C’est lui qui demande que, dans la liturgie, l’on substitue les langues vivantes au latin, et que la fête de Pâques soit placée à un jour fixe. Il est convaincu que l’Église doit, sans ruptures inutiles, s’adapter à un monde nouveau.


Selon cette révélation du mouvement des PO, le Cardinal Feltin a été un soutien et un propagateur du mouvement des prêtres ouvriers. On le savait déjà notamment d'une préface de Congar d'un ouvrage posthume du prêtre Jean Steinman (voir notre article "Jean Steinmann ou Congar et le renouveau expliqués" ).

Deux déclarations des PO sur Feltin sont particulièrement intéressantes : la suppression du latin aurait été inspirée par Feltin, et Feltin a promu l'adaptation de l'Eglise "à un monde nouveau".

Or, on le sait le latin n'a jamais été supprimé par le Concile. Au contraire. On peut citer la Constitution Sacrosanctum Concilium :
"36. Langue liturgique

§ 1. L'usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins.

§ 2. Toutefois, soit dans la Messe, soit dans l'administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l'emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple: on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants, conformément aux nommes qui sont établies sur cette matière dans les chapitres suivants, pour chaque cas.
"
Mais, le mouvement auquel se rattache tant Feltin que les PO, a manoeuvré, au moins en France, pour que en pratique le latin soit éliminé totalement de la liturgie catholique. De même, "l'aggiornamento" voulu par Jean XIII n'a été retranscrit dans aucun document concilaire. Il n'a jamais signifié que l'Eglise devait s'adapter à "un monde nouveau". On peut citer une déclaration de 2007 du Vatican :
"Première question : Le Concile Oecuménique Vatican II a-t-il changé la doctrine antérieure sur l’Église ?

Réponse. Le Concile n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changé la doctrine en question, mais a bien plutôt entendu la développer, la formuler de manière plus adéquate et en approfondir l’intelligence."
(Source)
Il fallait que l'Eglise renouvelle son attitude, non pas à l'égard d'"un monde nouveau", mais à l'égard du monde réel. L'Eglise n'avait pas à se changer ou à s'adapter pour obéir au monde réel, mais au sens que sa pastorale doit tenir compte de la modification profonde que le monde avait subi depuis le début du XX° siècle, de façon à toujours mieux porter l'Evangile, de façon à faire de tout homme un Fils de Dieu.

On remarque que Monseigneur Feltin a produit de très nombreux textes qui rendent sa position beaucoup plus complexe que sa déclaration au Concile lors de la discussion de la Constitution Sacrosanctum Concilium, au moins telle que les PO la rapportent. Par exemple, en 1962, il produit une Ordonnance instituant un nouveau Cérémonial pour les mariages et obsèques dans son Diocèse. Répliquant à des critiques de laïcs, il déclare :
"Vous savez qu'au cours de la première session du Concile, lors de la discussion du schéma sur la liturgie, je suis intervenu en faveur d'un certain emploi des langues profanes. Mais, en même temps, j'ai demandé que les messes chantées le soient toujours en latin. Pour deux raisons : la première, pour susciter une participation active par l'usage d'une langue unique ; songez aux Credo de Rome ou de Lourdes !... La deuxième, parce que la musique religieuse est surtout bâtie sur l'ordinaire de la messe.

Allons ! Je suis bien d'accord pour l'emploi des maîtrises et de l'orgue. Loin de moi l'idée de supprimer toute musique à l'église. Saint Pie X avait déjà réagi contre une musique d'église trop théâtrale ; ...
" (Source)
On note dans cette déclaration, que Mgr Feltin n'a pas demandé la suppression du latin, qui d'ailleurs n'a pas été décidé au Concile. Plus encore, il souhaite et ordonne son maintien dans la messe chantée et pour l'ensemble du rituel quand il permet une meilleure participation par l'emploi d'une langue unique !...

Enfin, et ce n'est pas le moindre, il réfère à l'autorité de Saint Pie X, ce qui pour un prétendu adversaire de la Tradition est pour le moins paradoxal.

Pourquoi cette figure ambivalente du Cardinal Feltin ?

On note que Feltin a remplacé le Cardinal Suhard qui avait été écarté sur ordre du général de Gaulle, au prétexte qu'il était compromis avec l'occupant allemand. Il aurait "reçu dans sa cathédrale" le général allemand commandant la place de Paris. Pourtant, Feltin avait exactement la même réputation en tant qu'évêque de Bordeaux. Mais il avait été aumônier militaire et fut "pardonné" par le général vainqueur suivant. Avec une place d'Archevêque de Paris.

Mais, ceci ne le dédouanait pas complètement. En 1998, lors du procès Papon, des historiens républicains étudiaient les actions d'un réseau de renseignements qui avait défendu un certain nombre de personnalités à la Libération. Ainsi, l'historien Philippe Souleau déclare au quotidien Sud-Ouest :
"L'archevêque de Paris fut l'un des premiers à bénéficier de l'appui de Jade-Amicol. Tout comme le cardinal Feltin, il faisait partie de la fameuse liste des prélats jugés collaborateurs dont le gouvernement provisoire avait demandé au Vatican la mise à l'écart. ..." (Source)
Ce genre d'incrimination, vague et lâche, demanderait à être précisée. Mais on peut voir dans cet exemple que trente ans après, les "sales histoires" reviennent. On trouve un exemple de cette incrimination dans le livre "Histoire, critique et responsabilité" de François Bédarida, Gabrielle Muc, Michel Trebitsch, Henry Rousso, paru en 2003 aux Editions Complexe. Parlant des évêques suspects à la Libération, les auteurs déclarent :
"De même, dans le sillage de Philippe Henriot, il y eut des journaux catholiques pour soutenir jusqu'au bout Vichy dans sa dérive d'Etat totalitaire, satellite et policier : de Demain, Voix françaises ou Soutanes de France (ces deux dernières feuilles avec l'approbation de l'archevêque de Bordeaux, Mgr Feltin)..." (page 149)
On peut donc se demander dans quelle mesure le Cardinal Feltin n'était-il pas manoeuvré, plus ou moins "à l'insu de son plein gré" par des groupes communistes ou apparentés, comme ceux des prêtres-ouvriers, dans un sens conforme aux aspirations idéologiques de ces groupes. Comme de nombreuses personnalités - on pense à des écrivains comme Blanchot ou Mauriac -, la collusion vraie ou supposée avec les nazis ralliait contre lui des "vigilants", prêts à agiter un passé proche, passé qui s'était tout de même soldé par plus de cent mille morts d'épuration. Le Cardinal Feltin n'avait sûrement pas envie de se voir reproché ce passé par les groupes activistes dans l'Eglise. Il rendit donc ses gages lors du Concile, comme d'autres ecclésiastiques français.

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