Quelques réflexions intempestives sur l'Eucharistie
Philippe Brindet
16 août 2009


L'Eucharistie constitue à la fois le sommet de la vie religieuse et le principal moteur de la constitution de l'Eglise.

Malheureusement, malgré une première approche d'une grande simplicité, et en dehors de l'immense difficulté de la Présence Réelle, l'Eucharistie ouvre à de si nombreux débats entre chrétiens; mais aussi entre chrétiens et anti-chrétiens, que de nombreuses personnes de bonne foi renoncent à se poser la moindre question à son sujet.

Or, une foi qui renonce à observer son objet ne peut que mourir.

Un aspect que l'on qualifiera de "latéral" des problèmes de l'Eucharistie est bien rendu par la considération de l'élément central mobilier utilisé dans la liturgie catholique et qui prend selon diverses perspectives ou bien le nom d'"autel", ou bien celui de "table". Ce sur quoi est célébré la messe est-il une table ou un autel ?

Une première observation quelque peu réductrice constate le fait qu'un autel est une table. On en déduit souvent alors qu'il n'existe aucune différence à distinguer l'autel d'une table, le terme "autel" ayant une connotation plus "religieuse" - un peu "trop solennelle" - que celui de "table".

Or, l'autel est essentiellement le support du sacrifice tandis que la table est celui du repas. Il existe donc une dualité exprimée par le choix du terme de table ou d'autel pour qualifier l'action eucharistique ou bien de repas ou bien de sacrifice.

Une autre réflexion du même ordre se fonde sur les récits évangéliques ou apostoliques de la Cène. Lorsqu'on se réfère à ces récits, deux choses sont absolument incontournables. Mais, comme elles sont lues en même temps, il arrive fréquemment qu'une seule des deux soit retenue.
"Au cours d'un repas, le Seigneur prit du pain ... et il leur dit : '"Faites ceci en mémoire de moi".".
On considère que ces passages des Evangiles et des écrits apostoliques rapportent l'institution par le Seigneur de l'Eucharistie. Dans le catholicisme et les orthodoxies, ainsi que chez certains protestants, on déduit de ces textes que le Seigneur a commandé à son Eglise de célébrer le Mystère de la Rédemption. Le Christ est le seul Grand Prêtre et la Seule Victime du Sacrifice de la Rédemption. Lors de l'Eucharistie, le prêtre est configuré au Christ. Il n'est cependant ni le Grand Prêtre qui offre le Sacrifice, ni la Victime qui s'est offerte pour le Salut du monde une fois pour toutes le Vendredi qui précédait le Dimanche de Pâques 33.

La question s'est donc posée de savoir si la commémoration commandée par le Christ à ses Apôtres porte sur le repas ou sur la bénédiction du pain et du vin qui a été prononcée lors de ce repas.

Une première réponse à la question a été apportée par Saint Paul dans une épître aux Corinthiens, dans laquelle il s'élève contre la pratique d'un repas convivial où certains poussent la perversion jusqu'à y venir ivres tandis que d'autres repartent affamés.

Cependant pour compliquer le problème de savoir si l'eucharistie est un repas ou un sacrifice ou leur commémoration, certains tentent d'imposer l'idée que la Cène ne serait pas une création originale, mais qu'il s'agit d'une simple bénédiction traditionnelle juive, prononcée par le chef de famille lors des repas et qui s'appelle un "kaddish" - voir Mazza, L'action eucharistique.

A ce sujet, on remarque que les kaddish sont postérieurs à l'époque du Christ et le repas pascal, tel qu'il est institué par Moïse et réglé ensuite dans le Deutéronome ne comporte l'indication d'aucun kaddish. On peut cependant confondre certains kaddish avec des rites de purification préalable. Mais, le récit de l'action spéciale exécutée par le Christ au milieu de ses apôtres montre des particularités que ne présentent ni les repas pascals ni les repas juifs réguliers. D'abord, les participants, même s'ils sont tous juifs, ne constituent pas une communauté normale pour un repas pascal juif qui est, d'après l'institution mosaïque, un repas familial. Ensuite, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que quelques heures plus tard, le Christ emmènera ses apôtres au Mont des Oliviers, qu'il y sera arrêté et que ceci ouvre sa Passion. Enfin, le Christ a voulu d'une manière spéciale partager le repas de la Cène. Qu'il ne s'y passe qu'un simple kaddish est incompatible avec le grand désir du Christ.

Une autre remarque se fonde sur l'identification de la partie spéciale du repas de la Cène qui en fait une partie en dehors du repas et sur un scandale terrible qui, lui, se déroule pendant le repas. Le Christ annonce que l'un des Douze va le trahir et il le désigne et cette désignation est presque un envoi de la part du Christ.

On ne peut imaginer que le Christ ait commandé à ses apôtres de faire mémoire de la trahison de Judas ou du repas pascal. Aucune haine à l'égard de Judas ne peut se fonder dans le christianisme. Le repas pascal est lui commandé par Moïse et n'a pas besoin d'un commandement ou d'une institution du Christ. Mais, au contraire, si on reconnaît la formulation indiquée par les Evangélistes et les Apôtres sur le déroulement de la Cène, on peut facilement admettre l'eucharistie comme une chose qui dépasse les plus belles choses qui soient.

o o o