Note de Lecture - Alain-Gérard SLAMA - La société d'indifférence
Philippe Brindet
23 août 2009


Alain-Gérard Slama, professeur à Sciences Po', chroniqueur au Figaro, a été conseiller du Président Chirac. Sauf erreur de notre part, il est dans la mouvance de Aron et de Rémond. Mais, depuis une dizaine d'années, c'est un littéral fanatique de l'idéologie des Lumières. Cette idéologie est sa religion, sa morale, sa famille. Tout.

De ce fait, alors que Aron et Rémond, même s'ils étaient acquis aux Lumières, étaient contraints à un profil bas, parce que de leur temps les marxismes les accusaient immédiatement d'être des bourgeois à la première manifestation trop proche des Lumières, Slama peut maintenant sans aucun - ou presque aucun - risque de "dénonciation" exsuder le miel qu'il tire de cette idéologie plus que bicentenaire.

"Fanatique", Alain-Gérard Slama ? Allons donc. La parfaite courtoisie, la pondération et la culture du professeur Slama, le défendent contre tout fanatisme. Mais, tout de même, en lisant Slama, on a souvent un ... "doute".

Par exemple :
"Grâce au rappel persistant de ses mythes fondateurs (les Lumières, la révolution de 1789, la déclaration des droits de l'homme) ... la République a maintenu .... le fil ... de la refondation entreprise il y a cinquante ans". (page 31)
Les "mythes fondateurs" annoncés par Slama doivent être compris cum grano salis ! La citation de la phrase de Slama a été tronquée pour faciliter sa lecture. Mais, elle contient deux actes : le rappel persistant et ... la mémoire, autrement dit, la culture des Lumières. Et la refondation républicaine que vise Slama concerne les conséquences de la chute du régime de Vichy, que Slama caractérise essentiellement comme une réaction CONTRE les Lumières. Il a développé cette thématique dans un autre ouvrage, Le Siècle de Monsieur Pétain, 2005.

Il en résulte que toute critique de la position politique de Slama en faveur des Lumières est radicalement dénoncée comme une apologie du régime de Vichy. Ainsi, Slama parvient à récupérer au profit de la défense des Lumières la tactique de protection des marxismes qui l'auraient accusé il y a vingt ans d'"idéalisme bourgeois" !

C'est un peu court.

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Slama relève à la suite de plusieurs commentateurs la dérive de la République Française à la remorque du sarkozysme. Sarkozy est un nouveau "prince-président", plus encore un "Prince-PDG".

Slama souligne deux moteurs à la dérive. Tout d'abord, l'abandon du rôle du premier ministre défini dans la Constitution de 1958, le président s'arrogeant le droit de gouverner à sa place. Ensuite, et dans le même temps, l'abandon du respect des principes fondateurs de la République pour un clientélisme qui fait les choux gras des minorités, lobbies et autres groupes de pression.

On ne peut pas donner entièrement tort à Slama, euphémisme pour dire combien il a raison.

Mais, si les duos des cohabitations nous ont habitués à une relative indépendance du premier ministre qui pouvait, sous réserve de son Parlement, gouverner, Slama devrait se rappeler des premiers ministres de de Gaulle. Si on excepte Pompidou, et encore, ils étaient entièrement dans la main du Président qui, en plus, contrôlait le Parlement. On parlait alors de députés "godillots" pour dire qu'ils étaient les "biffins" du Général ! La position de Sarkozy n'est pas si éloignée de celà. De ce fait, Slama a un peu raison et force trop le trait. Il en arrive, peut être sans le vouloir, à critiquer les institutions de la République !

Quant au clientélisme, utilisons la tactique précitée des marxistes hier, de Slama aujourd'hui ! La critique du clientélisme est en général l'argument des adversaires de la démocratie qui pensent l'Etat, le gouvernement ou le Parlement vendus aux intérêts de leurs "commettants" !

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Slama relève une dérive de la doctrine de la laïcité à la française :
"Le choix de la modernité, en revanche, consiste à ne rien sacrifier de l'objectif d'émancipation de l'individu et du primat accordé à sa liberté ...Cet objectif, parti de la Renaissance, a pris avec les philosophes des Lumières, la dimension d'un projet à l'échelle humaine. Et parmi ces conquêtes figure au premier rang la laïcité." (page 139)
Cette position de Slama est parfaitement claire. Elle illustre le républicanisme girondin. C'est du Barère ou du Héraut des Séchelles. Mais ça n'a plus aucune actualité ! Slama poursuit :
"La laïcité ! Ce testament trahi dans l'indifférence ... Le propre de la laïcité à la française a consisté à substituer la conscience de l'individu, considéré comme auonome et responsable, au principe d'autorité, soutenu par l'Eglise catholique dans la perception du bien et du mal." (page 140)
Et maintenant, on a du Pétion, du Chaumette ou du Carrier. Plus encore, c'est du Fouché ! Ce n'est même pas de l'abbé Grégoire !

En revenant à la citation précédente, l'émancipation de l'individu n'est absolument pas un objectif des Lumières françaises. Pas plus Rousseau que Voltaire n'ont désiré l'émancipation de l'individu ! Voltaire était d'un mépris absolu à l'encontre des "petites gens", tout juste bons à cultiver ses champs et à tourner ses montres. Les seuls hommes dignes de l'autonomie étaient les gens de Cour ! Or, cet objectif d'émancipation individuelle est celui fixé par Kant, essentiellement dans un opuscule de 1794, intitulé "Qu'est-ce que les Lumières ?". Or, il s'agit d'une simple lettre écrite en réponse à un concours ouvert par une revue de Magdebourg, concours auquel répondra d'ailleurs Moses Mendelssohn, bien plus intéressant que Kant à ce propos !

Juste auparavant, on vient de rappeler l'abbé Grégoire. On voulait seulement souligner que l'abbé Grégoire est un parangon des valeurs des Lumières. Or avec la Constitution civile du clergé et les divers serments que le clergé fut successivement contraint de prêter, avant la déprétrisation sous peine de mort, n'a t'on pas la fameuse plate-forme de collaboration que vomit Slama :
"Si le président de la République déclare donc s'accomoder de la loi de 1905 qui sépare l'Eglise de l'Etat, Dieu de César, ce n'est pas comme dans les modèles laïques pour les protéger l'un de l'autre, pour les faire collaborer à l'encadement moral et spirituel du citoyen". (page 128)
Mais cette collaboration, c'est radicalement la mission que Grégoire donnait à l'Eglise constitutionnelle avec l'appui de Robespierre ! Cette collaboration, cette plate-forme commune, cet ordre moral, c'est les Lumières !

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Slama semble inquiet de la vogue de la coopération du sarkozysme avec l'islam. Pourtant, la laïcité à la française lui paraît garantir une suprématie politique de la république :
"Dans le modèle français, qui privilégie la séparation entre l'espace public et la sphère privée, la conception de la vie politique est totalement différente. L'Etat n'arbitre pas entre des groupes mais entre des individus, qu'ils croient ou qu'ils ne croient pas. Pour celà, il distiongue entre ce qui relève de la raison et qui relie les individus en société par des liens universels et, de l'autre, ce qui relève de l'irrationnel, du donné, et qui regroupe les communautés autour d'une religion, d'une race, d'une identité quelconque telle que la féminité, l'homosexualité, la surdité ..." (page 148)
L'"irrationalité" du christianisme est une caractérisation gratuite. Elle relève simplement d'une ignorance crasse de la part de Slama comme des idéologues antichrétiens. Pour les autres religions, je serais moins affirmatif. D'ailleurs, c'est leur affaire et non la mienne.

Slama peut certainement admettre que le fonctionnement d'une automobile est descriptible et compréhensible par des informations essentiellement rationnelles. Or, sans trop vouloir amoindrir le talent de Slama, il est probable qu'il n'a pas la moindre idée du modèle scientifique de la dynamique du véhicule. Comme de nombreux "littéraires" en France, il doit savoir qu'un véhicule a quatre roues, qu'il vaut mieux avoir gonflées, un moteur auquel il faut donner de l'essence et en gros, cela lui suffit. Le modèle dynamique du véhicule est pour lui un donné inconnu. Et partant la façon de piloter un véhicule est pour l'ignorant parfaitement irrationnel !

Il ne dira pas pourtant que la construction automabile est du domaine privé parce que c'est un donné irrationnel ! Alors pourquoi, quand il semble ignorer à peu près autant la dynamique du véhicule et la théologie chrétienne, pense t'il que la religion est irrationnelle et comme telle laissée à la sphère privée des individus qu'il doit penser comme Chaumette pourchassant les catholiques à la guillotine "encore soumis à la superstitution" ? Comment ne voit-il pas que son argumentation est celle des persécuteurs du catholicisme de 1791 et des années suivantes ? Comment ne voit-il pas l'ignorance crasse et l'irrationalité de ces mêmes persécuteurs abrutis, comme Carrier, Chaumette, Cloots, Fouché, ... ?

La peur de l'islam est, chez Slama, habillée du refus identitaire pour la rendre acceptable. Et comme l'islamophobie est un "délit", Slama utilise l'anticatholicisme primaire pour donner ses exemples sur les "drames" du repli identitaire.

C'est faible et Slama s'interdit ainsi de comprendre le débat historique à une étape importante duquel nous nous trouvons.

C'est dommage. Tant pis. Auteur suivant !

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Slama termine par un appel au courage des républicains modérés, de droite ou de gauche. Il veut qu'ils se mobilisent pour défendre les principes de la République contre la dérive clientéliste de satisfaction des appétits catégoriels, identitaires, communautaires, et que sais-je encore.

C'est bien. C'est très bien. Mais Slama devrait se rappeler que la défense des principes de la République passe obligatoirement par Cayenne, les barges percées sur la Loire et la plaine des Brotteaux.

Et après ?

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