Punition, réinsertion
Philippe Brindet
5 septembre 2009


"Punition - réinsertion" ? Ce slogan ne vous rappelle rien ? Mais si ! Allons : "Action - réaction" ! Le directeur du pensionnat ! Dans le film "Les Choristes" ! Bien.
"La punition carcérale est inséparable de la réinsertion".
Voilà ce qu'écrit M. Delarue, contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Haut fonctionnaire, sa mission ressort d'une loi récente qui visait à donner à l'Etat les moyens de corriger le système pénitentiaire français, accablé de critiques, y compris de la Commission Européenne.

Quels sont les problèmes des prisons françaises ? Monsieur Delarue n'aborde dans sa "Tribune" du 5 septembre 2009, parue dans le quotidien Le Monde, que deux d'entre eux :
  • la psychiatrie ;
  • la réinsertion.
On peut comprendre que dans un espace d'expression aussi bref qu'une "Tribune" de quotidien parisien, il ne puisse traiter des problèmes carcéraux qu'au prix d'une nécessaire réduction. Et l'article de Monsieur Delarue est plein de très bonnes idées. Qu'il nous permette cependant de penser que la question de la réinsertion n'a d'intérêt que si on a résolu le problème numéro 1 qui est celui de l'hygiène élémentaire dans les prisons. Qu'il nous permette aussi de nous demander si la question de la psychiatrie se pose bien ici.

En effet, pourquoi se poser la question de la psychiatrie ici quand il faut se la poser au sujet des délinquants et criminels AVANT leur jugement, ou quand on est contraint par les faits de se demander si la question de la psychiatrie ne se pose pas au sujet des prisonniers atteints de pathologies causées par le traitement inhumain appliqué par la prison en France.

En effet, à quoi peut donc servir de discutailler un prétendu problème de réinsertion sociale, sachant que la grande majorité des prisonniers appartient à une classe sociale dans laquelle le chomage s'élève peut être à plus de 50 % de la population active ? Plus encore, à quoi sert de formuler un problème de réinsertion, quand la question de la simple survie du prisonnier commence à se poser devant la vague de suicides sans précédent à laquelle les "honnêtes gens" assistent impuissants et passifs, détournant leur regard de ces bouges infects dans lesquels sont entassés 80.000 personnes privées de tout au nom de la République des droits de l'homme.

A quoi sert de se poser les questions de la psychiatrie et de la réinsertion quand on est contraint de constater avec M. Delarue que la prison, ce sont des
"souffrances non prévues, dans une institution gouvernée 24 heures sur 24 par l'administration de notre République : la promiscuité ; la difficulté de toute intimité ; l'extrême difficulté de prendre des initiatives ; la soumission constante ; les aléas des contacts avec l'extérieur (familles, amis et biens) ; l'indigence des relations entre personnes ; surtout, la violence, les trafics, l'exacerbation des hiérarchies sociales et des tensions dominatrices (les braqueurs et les "pointeurs" ; les gens du voyage et les Français d'origine arabe, les Roumains ou Moldaves et les autres, etc.).

Ces traits permanents des établissements, à l'origine de certains des suicides dont on parle tant et de bien d'autres réactions (automutilations, repli sur soi, dépressions, agressions...), ne doivent pas être acceptés. C'est une question de dignité.
"
Voilà le vrai constat. Et c'était exactement le constat de Victor Hugo quand il parlait des bagnes de la République. Et le mouvement d'opinion qui s'en est suivi a conduit à la suppression en cent ans des bagnes de Toulon, Rochefort, Brest, puis Cayenne et Nouméa.

La société s'est-elle effondrée parce que la "punition" avait été "supprimée" ? Non, pas le moins du monde.

Pourtant, Monsieur Delarue contraint la République à ne prendre aucune mesure corrective du drame de ses prisons quand il écrit froidement :
"la punition certes (il ne saurait y avoir sur ce point de faux-semblants ou de faux espoirs)".
Mettre à la charge de la société la "réinsertion" en récompense de la sanction subie par le prisonnier est une idée étrange. Pourquoi la société devrait-elle "réinséré" un prisonnier qu'elle a, par sa doctrine de la sanction carcérale, délibéremment brisé ? Pour se faire pardonner une atrocité ? Mais c'est une attitude irresponsable !

Le discours des promesses gratuites sur la "réinsertion" empêche de se poser la véritable question de la sanction pénale. Rien ne permet de dire, aujourd'hui en France, qu'elle est assurée par la prison de manière conforme à la Déclaration des droits de l'homme [1]. Alors, comme le dit Monsieur Delarue "punition certes", mais "pourquoi encore la prison ?"

o o o


[1] Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948 :
Article 4.
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
Article 5.
Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.