Note de Lecture - "La nouvelle Messe" de Louis Salleron

Philippe Brindet
10 octobre 2009


La nouvelle messe, Collection Itinéraires, Paris, Nouvelles éditions latines, 1970, 188 p.

La Réforme liturgique issue du Concile Vatican II est probablement l'événement historique qui soulève encore de nos jours les plus d'oppositions véhémentes. Non seulement des anciens qui ont ouvert la contestation sont encore actifs, même si beaucoup d'entre eux sont décédés, mais aussi de nombreux fidèles qui n'ont jamais vécu l'époque de l'ancien temps contestent véhémentement à leur tour.

Louis Salleron a été l'un des auteurs les plus avancés avec Jean Madiran lors des débats des années 60. Disparu il y a longtemps, ses ouvrages sont lus avec passion par les membres des groupes intégristes ou traditionalistes. Il semble hélas que les tenants de la réforme liturgique devenue le rite ordinaire sont si pleins de préventions instillées par la presse et les médias qui leur sont acquis ne le lisent jamais.

De ce fait, Louis Salleron prêche essentiellement des convaincus. Mais il détourne aussi les membres de l'Eglise ordinaire d'une véritable critique de fond.

De l'ouvrage de Louis Salleron, on se concentre sur la Troisième Partie :
Partie III L'imbroglio sur la Nouvelle Messe
Chapitre 1 - Le Nouveau Missel romain
Louis Salleron expose d'abord sa direction de travail. Le Missel romain édicté par Rome devrait dire clairement ce qui est aboli, ce qui est intégré et ce qui est nouveau. Il n'en est rien parce que le texte promulgué par le Cardinal Gut "laisse planer des incertitudes sur ce qui est prescrit, autorisé ou interdit en ce qui concerne l'ancienne et la nouvelle messe."

I - Louis Salleron soulève un problème de traduction du décret sur la Messe. (page 97)

Louis Salleron pense lever les incertitudes en recourant à la chronologie des textes édités concernant le Nouvel Ordo. Mais il découvre que trois versions de l'edition typica se sont succédées, qu'une date est ajoutée, donc non prévue par Paul VI et ajoutée par les éditeurs dans la seconde version de mise en application au 30 nov 1969, et une traduction déviée du décret 4° paragraphe avant la fin :
"Ad extremum, ex iis quae hactenus de novo Missali Romanum exposuiumus quiddam nunc cogere et efficere placet."
Si on le traduit de bonne foi, le texte latin dit :
"De tout ce que nous venons jusqu'ici d'exposer touchant le nouveau Missel Romain, nous croyons bon de tirer maintenant une conclusion."
La version en français est devenue :
"Pour terminer, nous voulons donner force de loi à tout ce que nous avons exposé plus haut sur le nouveau Missel Romain".
Saisi du problème par l'intermédiaire de l'abbé Cellier du CNPL, organisme chargé des études liturgiques par l'Episcopat français, l'abbé Jounel du "Consilium liturgique" réplique par un avis criticable. Quand ses interlocuteurs s'étonnent que la version française s'écarte autant du texte latin, l'abé Jounel renverse la question de l'authenticité en affirmant que c'est sur le texte français que Paul VI et les autorités compétentes ont travaillé. Il en résulterait que la question soulevée doit être inversée. En effet, ce serait la section des lettres latines qui, partant du texte authentique en français, se serait trompé. Louis Salleron cite la lettre de Jounel :
"Malheureusement les nuances de la rédaction première ne sont pas toujours rendues avec fidélité et parfois on se trouve en présence de divergences notables. Plusieurs encycliques récentes, en particulier "Mater et Magistra" de Jean XXIII, ne sont pas totalement compréhensibles en latin ; non officielles, les traductions italienne et française traduisent mieux la pensée du pape (...) . Pour en revenir au texte français publié par le CNPL, je puis vous affirmer qu'il traduit avec la plus grande fidélité la version originale du document." (p. 100).
Louis Salleron relève que Paul VI comme tous les Papes et, d'accord avec le Code de droit canonique, a toujours déclaré que la version latine des textes du Vatican était la seule version officielle, authentique, législative. Il est donc pour le moins étrange de corriger le texte authentique à l'aide d'une version linguistique sans autorité dans l'Eglise.

II - Une réforme obligatoire, mais quand ?

Louis Salleron étudie ensuite la question du caractère obligatoire de la Nouvelle Messe. Ce caractère ressort nettement de la version française étudiée par Louis Salleron. Mais il note que :
  • l'Instruction du 26 octobre 1969 de la Congrégaton pour le Culte divin est intitulée "Instruction pour l'application progressive de la Constitution apostolique Missale Romanum" qui dispose que la date du 30 novembre 1969 est une date à partir de laquelle on PEUT - et non pas on DOIT - "utiliser le texte latin de l'Ordo Missae et les conférences épiscopales fixeront la date à partir de laquelle on pourra utiliser ce même Ordo Missae avec les textes traduits en langue vivante ..." (p102) ;
  • le Secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin, A. Bugnini écrivait un article dans l'Osservatore Romano du 31 octobre 1969 : "Le 30 novembre (1969) est le premier jour où le nouvel Ordo Missae peut être utilisé en latin." Et Louis Salleron indique que c'est le texte de Bugnini lui-même qui souligne le terme "peut" et n'utilise le verbe "doit". Et Bugnini poursuit : "Le nouveau et l'ancien rites continueront à co-exister pacifiquement jusqu'au 28 novembre 1971 ...."
Mais il faut noter au-delà de Louis Salleron que Bugnini poursuit d'une manière étrange : "... : alors seulement le nouveau deviendra obligatoire : ...". Dans l'esprit de Bugnini, le nouveau rite est à terme exclusif. Il existait donc bien au plus haut niveau de la Curie, l'idée que la Réforme abolissait le rite de Saint Pie V. Par contre, Bugnini établit clairement que le rite nouveau est d'abord et avant tout en latin et non pas en langues vernaculaires.

Plus étrange, Bugnini poursuit d'après la citation de Louis Salleron : " ... ; deux années donc de transition ... ", on peut trouver la qualification bien venue et " ... et de transaction." et là, on ne comprend pas de quelles transactions il s'agit. Bugnini entendait-il que des éléments encore proposés à l'entrée de la période de transition pourraient être abandonnés ...

III - Le gallicanisme résiduel du XX° siècle

Louis Salleron vise ensuite une "ordonnance" du 12 novembre 1969 de l'épiscopat français qui déclar le nouvel ordo autorisé à partir du 30 novembre 1969 et le rend obligatoire à partir du 1er janvier 1970. Mais, Louis Salleron à la suite de Jean Madiran, note que les français décident sans aucune référence à un quelconque texte romain. Plus, l'ordonnance ne reprend que les articles de l'ordo relatifs aux nouveautés et retranche ce qui permet de retarder le régime obligatoire décidé par les français.

IV - Une protestation au sommet de l'Eglise

Les cardinaux Ottaviani et Bacci écrivent en septembre 1969 à Paul VI pour l'avertir du caractère exhorbitant de la réforme :
"... le nouvel Ordo .... s'éloigne de façon impressionnante ... de la théologie catholique de la Sainte Messe telle quelle a été formulée à la XX° session du Concile de Trente, ..."
Beaucoup d'autres suppliques parviennent au Vatican.

V - Le Pape est obligé d'expliquer deux fois ce qu'il veut

Paul VI prononça deux allocutions aux audiences générales du 19 et du 26 novembre 1969. Selon Louis Salleron le Pape soutient que l'Eglise conserve la substance de notre messe traditionnelle, mais que l'on peut parler d'une nouvelle époque de la vie de l'Eglise. Il confirme ensuite l'abandon du latin, le caractère obligatoire de la réforme et la participation active des fidèles.

VI - La publication du Nouvel ordo

Louis Salleron veut absolument démontrer la rupture avec la doctrine de Trente dans l'article 7 de l'Institution générais de l'Ordo. Cet article se lirait :
"Cena dominica sive Missa est sacra synaxis seu congregatio populi Dei in unum convenientis, saverdote preaeside, ad mémoriale Domini celebrandum. Quare de sanctae Ecclesiae locali congregatione eminenter valet promission Christ : "Ubi sunt duo vel tres ...""
Selon Louis Salleron, la doctrine catholique affirme le caractère sacrificiel de la Messe qui réalise alors la transformation des espèces en Présence Réelle, alors que l'article 7 se contente de parler d'un rassemblement générateur de la présence du Christ. Louis Salleron a raison d'affirmer cette différence essentielle, parce que c'est réellement la différence entre les nouveautés introduites par la Réforme et les choses qui ont été abolies de l'ordo ancien.

On note que le Pape, en laissant paraître cette Institutio généralis, selon Louis Salleron s'écarte notablement de son enseignement dans Mysterium Fidei.

Louis Salleron souligne que les novateurs affirment que lorsque l'on lit l'ensemble de l'Institutio, on retrouve facilement une définition orthodoxe. En s'acratant de l'analyse fort juste de Louis Salleron, on poeut dire que c'est là où se situe le paradoxe. Quand la réforme du Concile et de Paul VI est destinée à faciliter la participation du plus grand nombre, ce qui fait le coeur de la célébration est caché dans l'Institutio en y étant épars au profit de ce qui est justement le coeur de la novation : l'auto-célébration de la grandeur et de la majesté de l'assemblée elle-même autour de son prêtre-président et qui est parfaitement établi par l'article 7 visé par Louis Salleron.

Pour compliquer encore les choses, cette version de l'article 7 ne correspond qu'à la version présentée au Pape le 11 mai 1970. Ultérieurement Gut et Bugnini publièrent un article 7 modifié qui mêlait la tradition du sacrifice avec la nouveauté de l'assemblée (D. C. 2-16, 8, 70) :
"In missa seu Cena dominica populus Dei in unum convocature, sacerdote praeside personamque Christi gerente, ad memoriale Domini seu sacrificium eucharisticum celebrandum. Quare de huiusmodi sanctae Ecclesiae coadutione locale eminenter valet promission Christi : "Ubi sunt due vel tres ...". In Missae enim celebratione, in qua sacrificium crucis perpetuatur, Christus realiter prasens adest in ipso coetu in suo nomine congregato, in persona ministri, in verbo suo, et quidem substantialiter et continenter sub speciebus eucharisticis."
Par l'indication de pluseurs autres changements, Louis Salleron montre bien que la réforme telle qu'elle était voulue par les bureaux du Vatican allait vers la théologie portestante de la Cène quand les modifications ré-introduisent la conception sacrificielle Tridentine.

En commentant la position de Louis Salleron, on peut voir qu'elle était littéralement révolutionnaire en ce qu'elle s'élevait et constestait l'état de choses imposées de manière illégitime. Louis Salleron conclut son analyse par une véritable satisfaction :
"Arrêtons là ces citations. Elles suffisent à montrer que, dans son édition de 970, le nouveau Missel romain a retrouvé la véritable nature de la messe."
Pour Louis Salleron, il restait alors à examiner ce qu'était réellement cette messe "nouvelle" ou d'une "nouvelle époque".

A ce niveau de l'analyse de Louis Salleron, on peut cependant souligner avec quarante ans de distance que plusieurs éléments caractéristiques définies par l'article 7 de l'Institutio generalis dans sa version finalement publiée, posent de graves problèmes. Parmi ces éléments de la lecture même de l'article 7, on peut réciter :
  • la participation active des fidèles comme élément sacerdotal ;
  • la présidence de l'assemblée par le prêtre, même si ce dernier est le traditionnel ministre du sacrement ;
  • l'équipotence de la présidence, de la parole et des espèces eucharistiques pour réaliser la Présence réelle.
L'effet de ces mesures se voit clairement.

Les fidèles sont dix fois moins nombreux depuis que, d'assistants passifs qu'ils auraient été dans l'ancienne époque visée par Paul VI, ils seraient devenus des participants actifs.

Le prêtre président est devenu un potentat sans contre-pouvoir capable d'imposer les plus terribles dérives sans aucun recours de la part des fidèles survivants. La plupart des messes célébrées en France mais, semble-t-il dans d'autres pays comme les Etats-Unis, la Belgique ou l'Allemagne, sont des sacrilèges essentiellement parce que les prêtres-président se repaissent de la puissance théatrale et paradoxale que leur confère cette nouveauté. La Présence réelle telle qu'elle est perçue dans l'authenticité de la Foi est masquée par l'omniprésence du prêtre-président et par l'exagération du caractère rituel du prononcé de la parole.

L'ouvrage de Louis Salleron pointe bien des problèmes de la réforme liturgique. Pour dire le moins, on regrettera qu'aucun tenant de la réforme n'ait répondu à ses arguments par autre chose que le mépris et le rejet.

On note enfin deux choses.

Tout d'abord, pour des gens qui prônent l'oecuménisme, l'union, l'amour et toutes ces sortes de choses, le traitement par les ecclésiastiques conciliaires des intégristes et même des simples traditionalistes a été pour le moins énergique et n'a pas d'autre exemple que dans les démocraties populaires, avec faux procès et sans les internements. Il faut reconnaître que les noms d'"oiseau" inventés par leurs adversaires, agacent passablement les conciliaires. D'autant plus que, l'histoire réelle du Concile cédant la place à une Histoire consensuelle, de plus en plus d'entre eux ne comprennent pas un mot à ce qu'on leur reproche.

Enfin un détail peut paraître infime. Mais, avec les années, il prend une proportion dramatique. Louis Salleron remarque dès la fin du Concile un problème de traduction dans les textes normatifs du Saint-Siège. Ainsi, dans la Revue Résurrection, pourtant appartenant à une tendance indéfectiblement acquise au Concile et au Saint-Siège, publiait un article sur la traduction française de l'encyclique de Jean-Paul II "Sollicitudo reis" qui devenait l'encyclique de la solidarité. Quarante ans après le Concile et les erreurs suggestivs de traduction, la révision des textes officiels, comprenant les encycliques, conduit même à l'idée qu'il ne s'agit plus de traductions, mais de versions linguistiques, n'ayant plus de rapport qu'au second degré.

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