Une réaction à la désindustrialisation de la France

Philippe Brindet
6 mars 2010


Deux faits récents semblent montrer une certaine volonté politique de réagir à la désindustrialisation de l'économie française. Un rapport du Ministère des Finances souligne la perte des emplois industriels tandis qu'un discours du Président de la République indique la conscience que le pouvoir politique est à la fois conscient de la gravité de la siuation et animé de la volonté de changer la situation.

Mais vouloir est aussi le propre des rodomontades. Et ce n'est pas la première fois qu'on assiste ébahis à des manifestations brutales d'autorité de l'Etat sur le sujet qui se soldent ... par une accélération de la désindustrialisation. N'ayons pas la cruauté de détailler ici cette histoire datant de presque trente ans maintenant.

La volonté du Président de la République

Le Président de la République concluait à Marignane, sur le site de l'industriel Eurocopter, les Etats Généraux de l'industrie qui se sont tenus du 15 octobre 2009 au 4 mars 2010. Il a été produit un inévitable rapport de synthèse dont on indique plus loin quelques informations.

La teneur du discours du Président de la République montre que notre Président est étonné. Alors que les fermetures d'usine sont quotidiennes depuis trente ans, quand depuis trente ans on nous explique que la production est bonne pour le "tiers-monde" misérable et sans instruction, nous "français", forts de notre haut niveau d'éducation, républicainement acquis à Sciences Po' ou l'ENA, nous sommes au-dessus de ces "méprisables".

Non, les français doivent s'orienter vers ce qui "rapporte le plus", ce qui est "raffiné", vers les services !

Voilà ce que l'on nous rabache depuis trente ans, voilà ce que l'on a imposé par tous les secteurs d'orientation de la société française depuis l'éducation, la banque, l'assurance, le management et même les syndicats.

Le résultat est un outil industriel vieilli, inadapté aussi bien à la production de biens élémentaires de faible technologie, que ceux de technologies récentes. Plus d'aciéries, plus de plasturgie, mais plus de fondeurs de silicium, plus de fabricants d'ordinateurs ou de circuits électroniques.

Eh bien, le pouvoir politique découvre d'un seul coup que c'est peut être la cause de la crise, du chômage, de la baisse incroyable du niveau de vie, de l'effrayante médiocrité des perspectives d'avenir.

Est-il trop tard ?

Il est tellement "trop tard" que ce n'est même plus la peine de se demander s'il faut ne rien faire. Il faut faire ! N'importe quoi !

Et ça tombe bien. Ce que présente le président de la République, c'est justement du n'importe quoi !

Le Président dans son Discours de Marignane commence par constater que :
  • les chiffres mesurant le résultat de la politique industrielle de la France sont "implacables", c'est son mot, et il est bon ;
  • les charges salariales condamnent à la délocalisation ;
  • l'accumulation incontrôlée de régelementations ;
  • la faiblesse de l'innovation parce que l'industrie n'a pas été une priorité.
On ne peut que le féliciter de la sincérité du diagnostic.

La suite inquiète un peu. Monsieur Sarkozy, en véritable chef du gouvernement, mène la politique industrielle et se félicite de ses bonnes actions :
  • suppression de la taxe professionnelle sur les industries ;
  • crédit impôt recherche ;
  • création des pôles de compétitivité ;
  • dynamisation des Universités par l'autonomie.
En soi, il ne s'agit pas de mauvaises actions, mais elles portent en germe tout une série d'inconvénients dont la gravité apparaîtra quand on aura vu les mesures correctives qu'envisagent le Président.

Le Président constate que les allègements de charges sociales profitent moins à l'industrie qu'au reste de l'économie. Il souhaite donc trouver des mesures permettant un allègement des charges des industries. Vertueuse pensée ! Malheureusement, les allègements de charges favorisent la fixation de salaires bas, parce que l'Etat ne veut pas aider les hauts salaires ! Le résultat est connue dans les secteurs où la baisse des charges sociales est la plus effective : les vrais emplois sont payés moitié moins que ce qu'ils l'étaient avant les allègements de charge ! Si c'est l'horizon de l'industrie, ce ne sont plus seulement les industriels qui se délocaliseront, ce seront leurs salariés, comme le montrent les frontaliers qui vont travailler, en Suisse, en Belgique, en Allemagne ou au Luxembourg. Ajoutons l'Angleterre. Sarkozy sait cela, qui cite ces travailleurs frontaliers dans ce même discours !

Le Président souhaite ensuite alléger les contraintes réglementaires. Autre vertueuse pensée ! Malheureusement, depuis cinquante ans, on affirme vouloir alléger, rationaliser, les contraintes réglementaires. Et l'effet est strictement inverse. Par ailleurs, l'Union européenne qui est le véritable propriétaire de l'Etat français, par la structure même des traités de Nice et de Lisbonne, et dont nous sommes donc les serviles sujets, n'est essentiellement qu'une énorme machine à réglementer à laquelle notre Etat adhère de toutes ses forces.

Le Président veut ensuite instaurer une "instance de réflexion stratégique et d'échange pour chaque grande filière", industrielle on l'imagine. Or, cette instance pose de grosses questions "ontologiques". Si elles rassemblent tous les acteurs économiques, dont ceux en situation de concurrence industrielle, alors il n'est pas avantageux qu'ils arrivent à une solution, dont chacun est sûr qu'il l'atteindra seul sans les autres. Si on élimine le secteur concurrentiel, on aura alors le secteur des services et celui des générateurs de réglementations stériles.

C'est l'Histoire des organisations qui nous l'apprend. A trop vouloir assembler, on rassemble mal...

Mais il y a plus. Il s'agit d'une instance, donc d'une autorité administrative, ou au moins consulaire si elle rassemble des opérateurs privés. La France et l'Union européenne en sont déjà saturées. Ces autorités ne sont plus l'objet d'aucune confiance. Ensuite, elles sont orientées sur une "réflexion stratégique". Et là, on ressent les vieux relents de jacobinisme. L'Etat ou des organisations professionnelles ont montré leur incompétence grave sur les réflexions stratégiques. Le Plan calcul a été un échec total. qui en moins de vingt ans a conduit à l'éradication de l'informatique française. Ca ne plaira pas au triangle de Rocquencourt, mais l'auteur de ces lignes s'en fiche.

Sarkozy évoque une autre aventure. Celle du développement atomique civil. C'est exactement le contre-exemple qu'il ne fallait pas donner. De Gaulle n'est pour rien dans cette orientation stratégique. Il a suivi le mouvement initié par les atomistes français de l'Université et par les militaires. Plus encore, la France était alors en pleine ré-industrialisation, et on veut dire par là qu'il suffisait de réactiver ce qui n'avait pas été esquinté par la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd'hui, il n'y a plus d'outil. Pire, il n'y a probablement plus de compétence. Et la ré-industrialisation pourrait se faire avec des ingénieurs coréens, indiens ou chinois. Et là, je peux vous promettre qu'aucune "instance de réflexion stratégique et d'échange pour chaque grande filière" n'aura le temps de rendre son volumneux rapport. Ils seront là, et les "frenchies" seront "hors jeu". Ils serviront de portiers ou d'hôtesses d'accueil ... Il n'y a pas de sots métiers.

Mais, même si une instance de réflexion - comme s'il était encore le temps et le lieu de la réflexion ! - était installée, tous les économistes peuvent dire la méfiance qu'ont les acteurs privés de la réflexion de l'Etat sur leur stratégie. L'incompétence rare des services de l'Etat en matière industrielle et de la plupart des gens formés dans ses écoles en matière industrielle est patente, dure à admettre dans un pays qui cultive "l'excellence", mais patente.

Je n'ai plus très envie d'analyser le reste du discours de Monsieur le Président. J'ai un petit mal au coeur comme disent les "chochottes" ...

Quelques réactions

Laissons de coté les réactions adornatrices des courtisans et de ceux qui veulent le devenir. Les réactions ne sont pas franchement mauvaises.

Le journal Le Monde, ce phare de la pensée des "élites françaises", publie un article dont le titre "L'industrie française reste entravée par le poids des charges sociales" laisse à penser que son journaliste a bien lu le discours de Marignane. C'est déjà ça. Mais manifestement il n'a pas voulu comprendre. Sa première phrase qui suit le titre est : "La France peut-elle rester une puissance industrielle ?", question inutile, puisque même le Président sait parfaitement que la France n'est plus une "puissance industrielle". Le journal a prudemment demandé leur avis à deux "experts", qui ne sont en rien des industriels, mais à nouveau et toujours des économistes, Jean-Paul Gaffard, de Sciences Po' et Elie Cohen, du CNRS. Ce dernier note comme moi :
"Il est illusoire de croire que l'Etat peut désigner les secteurs, les entreprises ou les technologies stratégiques."
Et Le Monde achève de "casser la baraque" en donnant avec l'AFP, agence appartenant au ministère de l'Intérieur, la parole que le Grand Conseiller, Son Eminence majestueuse, Henri Guaino qui
"relativise, vendredi 5 mars, l'objectif d'une hausse de 25 % de la production industrielle en volume d'ici à 2015 fixé jeudi par le chef de l'Etat. C'était "une façon d'indiquer qu'on voulait aller le plus loin possible, vous avez ce genre de chiffres...", ... "
Il faut dire que Laurent Fabius, Président de la Région Basse-Normandie, et ancien Premier Ministre, n'a pas été tendre avec les illusions sarkozystes. L'économie française n'est plus capable de produire de biens industriels. C'est là le seul constat possible. Elle n'est même plus capable de produire de lait et des légumes !...

C'est pourtant là le SEUL VRAI PROBLEME !...

Et alors ?

Les sarkozystes sont généralement excédés par ce genre de propos. Leur raison leur semble imparable.
- " Qu'ont donc fait les "autres" quand ils étaient au pouvoir ? Rien ... Alors depuis 2007 avec Sarkozy, tout change et tout s'améliore ...".
Sous-entendu : "Comme les "autres n'ont rien fait, il a bien fallu que Sarkozy fasse quelque chose. Et comme il a fait quelque chose et que c'est notre élu, alors C'EST BIEN ..".

Le problème réside en ce que, les "autres", c'étaient les mêmes, Chirac et Sarkozy, Alliot-Marie et Villepin, et combien d'autres toujours au pouvoir ... ou "sur un croc de boucher", comme l'a dit si élégamment Nicolas Sarkozy, l'avocat qui veut y voir pendu ses adversaires.

Et ces mêmes reprenaient exactement les mêmes recettes que celles de Jospin, ou de Chirac, de Balladur ou de Mitterrand, ou encore celles de Fabius qui critique si justement la politique industrielle de Sarkozy. Le problème de l'industrie en France, c'est essentiellement :
  1. la surestimation du commerce ;
  2. la dictature du financialisme politique ; et
  3. la perversion de la mondialisation.
  1. Le commercialisme :
    Dans les années 80, on s'est aperçu que le tout industriel ne marchait plus. On a cru alors à deux diktats :
    le client est roi ou encore l'offre est asservie à la demande.
    La direction des entreprises est ainsi passée des ingénieurs techniciens aux HEC et autres qui ont amené l'analyse économique récente avec son cortège d'idéologies, liées à la consommation, à la publicité, à la "culture" de masse et autres fantaisies. Ils ont ainsi imposé une suicidaire baisse des prix, qui a entraîné et provoqué la pauvreté et le chômage.

    Bien entendu, le résultat ne s'est pas fait attendre. Les maigres bénéfices se sont transformés en moins de dix ans en véritables pertes, durables, avec nécessité de deux actions immédiates :
    • les restructurations selon le diktat du "recentrage sur les métiers de base", ce funeste précepte appliqué partout dans les grands groupes français, aujourd'hui défunts ; et
    • le recours à un endettement massif.
    Il n'y a d'ailleurs plus rien à "restructurer" ...


  2. le financialisme :
    On a donc été obligé de recourir aux financiers. Ce sont eux qui tenaient le crédit - c'est leur métier, dit-on - et ils ont exécuté les restructurations sur la base d'idéologies importées de Berkeley et de Harvard. Nulles et favorables aux concurrents des industries de la France.

    Le résultat a été immédiat :
    • arrivée des prédateurs coréens (Daewoo pour la Lorraine en reconversion dan sles produits grand-public), chinois, japonais (Toshiba), allemands (par exemple dans la vallée de Cluses, pour le décolettage) et indiens (Mittal dans la siérurgie), accompagnés de quelques américains ;
    • pillage du butin industriel avec délocalisation dans les pays à bas coûts de main d'oeuvre.
    L'idéologie financialiste a épuisé la trésorerie défaillante des industriels qui n'ont plus de fonds propres réels, au bénéfice de la spéculation, boursière notamment, avec les effets catastrophiques où celà a conduit en 2008.

  3. la perversion de la mondialisation :
    La mondialisation a été rendue inéluctable, non pas dans les années 70 ou 80, mais dès l'époque coloniale. Ceci date donc des années 1870, la France s'y lançant avec vingt ans de retard au courant des années 1890. Puis, l'épouvantable défaite de 1918 a entraînée la domination obligée des Etats-Unis, qui ont dominé tout le XX° siècle et participé à cette mondialisation.

    Qu'on se souvienne que les grandes firmes américaines - IBM, General Electric, Dupont de Nemours (fondée par un français en 1802 ... ), ATT - étaient en 1930 à Berlin et .... à Moscou.

    Les années 1980 au cours desquelles on s'est mis à discourir sur la "mondialisation" comme d'une chose nouvelle, alors qu'elle avait largement un siècle d'existence, ont vues aussi la montée de la dictature "européaste", ce bizarre mélange d'idéologies plus ou moins "démocratiques" et de "réglementations" sur le diamètre des fèves de cacao ou le nombre de cuvettes de WC à disposer dans les entreprises en fonction du nombre de salariés.

    Il est clair que les mesures "Sarkozy" n'ont aucune chance de trouver un appui "européaste", parce que le redressement de l'industrie française va à l'encontre des intérêts des autres gangsters de l'"Europe" bruxellienne, mais aussi des Etats-Unis, profondément impliqués par l'Allemagne et la Grande-Bretagne, mais aussi par les Pays-Bas et les pays scandinaves, à la "gestion" de l'"Europe".


Le récent rapprochement de Sarkozy avec la Russie de Medvedev et Poutine, serait'il le signe que, de cette situation, notre Président est aussi au courant ?

Si tel était le cas, alors la France, en tant que puissance politique, pourrait voir se redresser son industrie. Et peut-être pas seulement son industrie ...

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