Maurice Lévy et le devenir éthique du capitalisme

Philippe Brindet
28 mai 2010


Dans un Point de vue paru dans Le Monde, intitulé Le capitalisme d'après la crise sera éthique ou ne sera pas, Maurice Lévy se lance dans une vision prophétique du capitalisme après la crise. Sa conclusion est presque bonne, presque :
"Nous devons apprendre à renouer avec ce qui a fait la force du capitalisme : la réussite individuelle pour le bien collectif."
Mais un doute affreux devrait saisir le lecteur : la réussite individuelle peut elle être le produit d'un capitalisme éthique ?

Maurice Lévy donne l'impression de croire que la crise serait extérieure au capitalisme et qu'il devrait seulement se rajouter une conduite éthique pour sauver le monde. Pourtant, l'histoire de la crise que raconte Maurice Lévy est bien celle du capitalisme. Ne nous parle t'il pas de subprimes, de SEC et de l'affaire Madoff, les escroqueries à la Enron qui toutes sont intrinsèques au capitalisme.

Plus encore, la crise n'est elle pas une nécessité du capitalisme, ou pour parler autrement, la crise n'est-elle pas provoquée de manière volontaire par le capitalisme ?

Comme beaucoup, Maurice Lévy nous parle de globalisation, de village planétaire ... N'est-ce pas là le mouvement essentiel du capitalisme depuis ses origines les plus lointaines, même si nous nous limitons à l'Occident. Cette globalisation n'est pas un mouvement de sortie de crise, c'est le mouvement de crise lui-même ! Et cette crise n'affecte pas le capitalisme, qui se porte "mieux" que ne nous le dit Maurice Lévy, mais essentiellement l'humanité dans sa manifestation la plus majoritaire des peuples qui n'a rien à voir avec le capitalisme.

Esquissant les valeurs éthiques qui seraient nécessaires à la restauration du capitalisme, Maurice Lévy nous les montre "dictées" par la jeunesse auprès de laquelle les vieux devraient les apprendre. Mais, rien n'est plus juste. Les vieux sont destinés à mourir et, s'il existe un changement éthique, seuls les jeunes peuvent l'opérer. Le "jeunisme" de Maurice Lévy est cependant pathétique parce qu'il réside dans la croyance à sa propre permanence. Mais peut être se voit il immortalisé dans la statue du capitalisme qui ne meurt pas ...

Ainsi, examinant les jeunes, Maurice Lévy nous dit :
"Quand on a 20 ans en 2010, on est habité par l'idée que le monde est un petit village et que les ressources de la planète sont limitées .."
Mais, c'est du slogan publicitaire, ce n'est pas ce que croit un jeune. Le village planétaire est un concept qui n'effleure que celui qui vit une vie humaine. Et le jeune peut vivre dans uns sphère virtuelle par les moyens de communication. Il ne se trouve avec personne de la planète. Son avatar informatique est juste en contact avec d'autres avatars fantasmés qui s'évanouissent au premier contact avec une forte réalité profondément locale. Quant à la croyance de la "limitation des ressources de la planète", elle fait partie des croyances qui ont pris la place de la foi religieuse, vidée de son contenu par ceux-là même qui étaient en charge de la proclamer.

Pire crise financière depuis 1929, nous dit Maurice Lévy. Mais pour l'ensemble de l'humanité la crise de 39-45 a été combien plus terrible. Et elle s'est prolongée dans tellement d'endroits bien au-delà de cette date de 1945. Or, 39-45 a été aussi une énorme crise financière, économique en plus d'une énorme crise d'immoralité absolue.

Et quelle est cette "éthique" qui sauvera le capitalisme de Maurice Lévy ?
"Une éthique plus respectueuse des autres, de l'environnement, des consommateurs. Grâce à nos jeunes, ou à cause d'eux, de leur vigilance, nous savons que les entreprises au XXIe siècle seront éthiques ou ne seront pas. Et qu'ils seront, eux, les gardiens attentifs d'une nouvelle forme d'orthodoxie. A cet égard, la démocratie digitale vaut bien des autorités de régulation."
Mais cette éthique est celle imposée par le capitalisme dans la crise. Elle n'est en rien celle des "jeunes". Elle n'est que le fantasme de l'idéologie du capitalisme depuis cent ans, précisé en 39 et définitivement adopté au tournant du millénaire. Et les jeunes n'ont aucune vigilance citoyenne. Ce sont des lobbies, parties prenantes du capitalisme qui jouent le cruel jeu de cette "vigilance".

Il n'y a rien de bon à attendre du capitalisme. Non qu'il soit mauvais.Il n'est ni bon, ni mauvais. Mais il est extrêmement faible au point de vue idéologique, de sorte que le moindre groupe de pression est capable de l'influencer. Et, bien plus que d'influencer les réflexes d'achat des "jeunes", la publicité de Maurice Lévy est avant tout une entreprise d'influence du capitalisme. Quand Maurice Lévy nous dit :
"... nous, publicitaires, devons repenser et réinventer le rêve que nous offrons aux consommateurs."
il sait parfaitement que c'est exactement l'inverse qui se passe. C'est la publicité qui aujourd'hui façonne - ou à tout le moins contribue à façonner - le capitalisme sur des croyances erronnées sur ce qu'est le consommateur.

Sauver le capitalisme exige donc, non pas qu'il se dote d'une apparence éthique - qu'il a toujours eu les moyens de se fabriquer à bon compte - mais que les gens qui l'animent, qui l'influencent, l'entraînent dans une impasse morale telle que les lobbies qu'ils forment épuiseront leur crédibilité. Alors, une nouvelle génération reprendra les rênes et conduira le capitalisme, s'il survit, à une activité sous le contrôle d'une véritable éthique, et celle-là non pas du capitalisme mais de l'homme.

La réussite individuelle est elle le moteur d'une éthique véritable ?

On a bien sûr envie de répondre "non" en considérant les empires de Bill Gates ou de Murdoch, quoique ces deux exemples ne soient pas les plus étrangers à de véritables considérations éthiques. Et nous sommes sûrs que Maurice Lévy ne limite pas la "réussite individuelle" à la création d'empires capitalistiques, même s'il ne l'exclut pas.

Bien sûr, la réussite individuelle qui peut réellement contribuer au bien commun, ce n'est pas celle du magnat qui pense attirer les bénédictions du dieu de l'argent en finançant des campagnes de vaccination dans les pays pauvres en profitant de vider les stocks en péremption de ses laboratoires pharmaceutiques. Non, c'est bien évidemment la réussite individuelle du plus grand nombre qui seule peut contribuer au bien commun. Et l'éthique ne peut pas avoir d'autre but que de permettre cette réussite individuelle universelle.

Mais pour cela, le capitalisme doit renoncer à ses idéologies les plus funestes et la première d'entre elles est celle du darwinisme social.

Et pourquoi au lieu de s'inspirer d'idéologies frelatées comme celle du darwinisme de la lutte du fort pour écraser le faible, le capitalisme ne reviendrait-il pas à l'éthique du christianisme dont lui-même vient ?

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Ils ont aussi parlé de l'opinion de Maurice Lévy :