Quelques réflexions sur
l'Eucharistie et le sacerdoce dans l'Eglise romaine

Philippe Brindet
9 juin 2010


Le Dimanche 4 juin 2010, l'Eglise romaine célébrait le Corpus Christi. Le Saint-Père a prononcé une Homélie d'une importance certaine. Notre lecteur devrait lire d'abord ce texte de Benoît XVI avant de lire notre texte et probablement, il fera bien de le relire après nous avoir lu. Le Pape insite sur deux aspects de l'Eucharistie :
  1. l'Eucharistie est indissolublement liée au Sacrifice du Christ ;
  2. l'Eucharistie provoque le Sacerdoce du Christ Lui-même.

1 - L'Eucharistie est indissolublement liée au Sacrifice du Christ

Le Pape remonte à la Dernière Cène et la rapproche de la Passion de Notre Seigneur. Il dit :
Dans celle-ci (l'Eucharistie), Jésus a anticipé son Sacrifice, ... l'Esprit Saint, l'Esprit du Père et du Fils, qui consacre le pain et le vin et transforme leur substance en Corps et en Sang du Seigneur, rendant présent dans le sacrement le même Sacrifice qui s'accomplit ensuite de manière sanglante sur la Croix.
Pour bien saisir cette vérité qui a toujours été au centre de la Doctrine authentique, il faut absolument comprendre que le Sacrifice a pour cause le Péché des hommes et qu'Il est la Réponse gratuite de Dieu à sa création. Le Pape, dans la ligne de la théologie de Vatican II, insiste sur la raison de cet acte terrible de Dieu :
Jésus transforme le pain et le vin. C'est l'amour divin qui transforme: l'amour avec lequel Jésus accepte à l'avance de se donner entièrement pour nous. Cet amour n'est autre que l'Esprit Saint ...

Trop souvent, à la suite des déviations généralisées par de perverses compréhensions du Concile Vatican II, l'Eucharistie n'est dite qu'en réduisant sa ritualité à une expression de la convivialité. C'est une erreur funeste qui met en avant un amour réducteur. Et si le Pape désigne l'Amour comme la cause du Sacrifice, c'est parce qu'il identifie l'Amour divin avec l'Esprit-Saint, Troisième Personne de la Sainte Trinité, Envoyé par le Fils sur l'Eglise qui est dans le Monde :
Cet amour n'est autre que l'Esprit Saint ...
Dans la célébration contemporaine de l'Eucharistie, il ne s'agit donc jamais de l'amour fraternel qui se célèbrerait entre frères, mais bien de l'amour divin, Esprit-Saint qui transforme le Pain et le Vin en Réalité du Fils de Dieu, mangé en préfiguration du seul Sacrifice sanglant qui a eu lieu une fois pour toute à la veille de la Pâque de l'An 33 de notre ère :
... l'Esprit Saint, l'Esprit du Père et du Fils, qui consacre le pain et le vin et transforme leur substance en Corps et en Sang du Seigneur, rendant présent dans le sacrement le même Sacrifice qui s'accomplit ensuite de manière sanglante sur la Croix.
nous enseigne Benoît XVI. Or, cette articulation entre l'Eucharistie et la Passion de Notre Seigneur est exactement le lieu où se glisse la cause de la grande débâcle de l'Après-Concile, probablement parce que cette cause agissait déjà dans l'Avant-Concile et, nous en sommes convaincus, à l'insu de Jean XXIII qui a provoqué ce Concile et de Paul VI qui l'a animé. On peut en lire la preuve dans l'Encyclique Mysterium Fidei :
... les Pères du Concile ont confirmé l'enseignement constamment maintenu et dispensé par l'Eglise et solennellement défini au Concile de Trente; ils ont tenu à introduire l'exposé sur le mystère sacré de l'Eucharistie par cette synthèse de vérité: "Notre Sauveur, à la dernière Cène, la nuit où il fut livré, a institué le Sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang, afin de perpétuer ainsi le Sacrifice de la Croix à travers les siècles jusqu'à sa venue,
dans laquelle se trouve une autre expression de la Doctrine enseignée par Benoît XVI. Et cette Doctrine est inchangée depuis le Concile de Trente qui lui-même, accentuait et réaffirmait la Tradition Authentique constante depuis les premiers âges et l'Institution Elle-même de l'Eucharistie.

Or, Paul VI dès le temps du Concile était à la fois conscient et terriblement alarmé de ces erreurs. On peut citer de son Encyclique :
Le Concile a suscité l'espérance d'un nouveau rayonnement de piété eucharistique qui gagne toute l'Eglise; il ne faut pas que cet espoir soit frustré et que le bon grain soit étouffé par les opinions erronées déjà semées çà et là.
Et Paul VI reprenait l'enseignement de la Doctrine :
... dans le mystère eucharistique est représenté de façon merveilleuse le Sacrifice de la Croix consommé une fois pour toutes sur le Calvaire; ce Sacrifice y est sans cesse rendu présent à notre souvenir et sa vertu salutaire y est appliquée à la rémission des péchés qui se commettent chaque jour.
Et Jean-Paul II dans son Encyclique Ecclesia de Eucharistia vivit était tout aussi insistant :
Il n'y a pas de doute que la réforme liturgique du Concile a produit de grands bénéfices de participation plus consciente, plus active et plus fructueuse ...

Malheureusement, à côté de ces lumières, les ombres ne manquent pas. Il y a en effet des lieux où l'on note un abandon presque complet du culte de l'adoration eucharistique. À cela s'ajoutent, dans tel ou tel contexte ecclésial, des abus qui contribuent à obscurcir la foi droite et la doctrine catholique concernant cet admirable Sacrement. Parfois se fait jour une compréhension très réductrice du Mystère eucharistique. Privé de sa valeur sacrificielle, il est vécu comme s'il n'allait pas au-delà du sens et de la valeur d'une rencontre conviviale et fraternelle.
Tout porte à croire que la clé de cette décadence se trouve dans l'abandon de la considération du péché de l'homme et de la pénitence. Et cette considération nous conduit à la question de sacerdoce.

2 - L'Eucharistie provoque le Sacerdoce du Christ Lui-même

Benoît XVI insiste sur un aspect très important :
Jésus n'était pas un prêtre selon la tradition hébraïque. ...Ce n'est pas un sacerdoce selon ce que prescrit la loi mosaïque (cf. Lv 8-9), mais selon l'ordre de Melchisédech, selon un ordre prophétique, qui dépend seulement de sa relation particulière avec Dieu.
En cette Année Sacerdotale, la question de savoir quelle est la nature de la prêtrise est bien entendu essentielle. Et c'est chez Saint Paul que le Pape trouve la source de la Doctrine.

Un aspect non directement abordé par le Pape mais qui découle de son enseignement se trouve dans le fait qu'après le Sacrifice du Christ, le Peuple d'Israël a perdu la tradition du sacerdoce mosaïque. L'Eglise a acquis un autre sacerdoce selon l'ordre de Melchisedech que le Pape définit :
Jésus n'est donc pas reconnu comme un Messie sacerdotal, mais prophétique et royal.
Ainsi, des auteurs contemporains comme Mazza dans l'Action eucharistique, ou Metzger, se trompent quand ils identifient la source de la consécration dans le rite de bénédiction, institué par Moïse. Le rite de la Consécration n'a de ressenlance avec la bénédiction mosaïque que formelle. C'est sur un rite propre, entièrement nouveau parce qu'il réfère à un Sacrifice qui n'a jamais été offert que par le Christ Lui-même que l'Eucharistie est célébrée.

Benoît XVI insiste sur une dimension essentielle du sacerdoce : le prêtre est aussi la victime et cette fusion permet de s'approcher du mystère de la Transsubstantitation :
... la passion du Christ est présentée comme un prière et comme une offrande. Jésus affronte son « heure », qui le conduit à la mort sur la croix, plongé dans une profonde prière, qui consiste en l'union de sa propre volonté avec celle du Père. Cette double et unique volonté est une volonté d'amour. Vécue dans cette prière, l'épreuve tragique que Jésus affronte est transformée en offrande, en sacrifice vivant.
Il y a ainsi une complète correspondance entre les espèces du Pain et du Vin du Prêtre et la Réalité du Corps et de Sang de la Victime. On ne peut donc pas considérer lEucharistie comme une célébration de la convivialité, mais bien comme l'actualisation de la Dernière Cène totalement adaptée à la Passion de Notre Seigneur dont elle est la représentation par l'ordre sacerdotal.

Ainsi se trouve fondé ce caractère central de l'Eucharistie qui fait le prêtre :
Jésus ... est devenu « cause de salut » pour tous ceux qui Lui obéissent. C'est-à-dire qu'il est devenu grand Prêtre pour avoir lui-même pris sur lui tout le péché du monde, comme « Agneau de Dieu ». C'est le Père qui lui confère ce sacerdoce au moment même où Jésus traverse le passage de sa mort et résurrection.
On remarque aussi que le prêtre ne se forme par l'ordre humain, mais seulement par une acceptation d'une mission divine. Sans une vocation spéciale de vouloir traverser le monde du péché pour rejoindre le monde divin, il n'y a nulle place pour la prêtrise. Et la pratique de cette prêtrise contraint le prêtre à la perfection du Christ.

Enfin, si le prêtre et le fidèle sont clairement distingués dans la doctrine du sacerdoce, ils se retrouvent à égalité de condition dans les fruits de l'Eucharistie :
C'est cette force divine, la même qui réalisa l'Incarnation du Verbe, qui transforme la violence extrême et l'injustice extrême en acte suprême d'amour et de justice. Telle est l'oeuvre du sacerdoce du Christ, que l'Eglise a hérité et prolongé dans l'histoire, sous la double forme du sacerdoce commun des baptisés et de celui ordonné des ministres ...
dans les fruits de l'Eucharistie :
Tous, prêtres et fidèles, nous nous nourrissons de la même Eucharistie, nous nous prosternons tous pour l'adorer, car dans celle-ci est présent notre Maître et Seigneur, est présent le véritable Corps de Jésus, Victime et Prêtre, salut du monde.
Eucharistie : union sacerdotale et adoration christique.

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