André Chénier, condamné avec des prêtres

Philippe Brindet
29 juillet 2010
André Chénier, le poète, a été condamné avec des prêtres. Inclu dans la seconde fournée de la conspiration des prisons fabriquée pour Robespierre, Chénier est le numéro 2 de la liste des 26 accusés qui seront tous guillotinés. Or, dans cette liste, on relève 9 ecclésiastiques, 5 ex-prêtres et 4 ex-curés. Le tiers des guillotinés de cette fournée du Tribunal révolutionnaire sont donc des gens qui sont confondus avec des chrétiens pour une raison ou pour une autre.

On note que le fait d'avoir rendu ses lettres de prêtrise ne protège pas un ecclésiastique. Noté ex-prêtre, l'ecclésiastique n'est pas mieux protégé par le fait d'avoir participé à une séance de déprêtrisation ou celui d'avoir prononcé quelque serment que ce soit, même sans réticence.

Mais le rôle effrayé des déprêtrisés aura été essentiel au succès de la Révolution française. Persuadés d'acheter leur sécurité individuelle par la trahison, trahison dont ils étaient souvent inconscients, les ex-prêtres auront avant celà propagé les pires errements de l'idéologie révolutionnaire. Les outrances républicaines du temps de leur prêtrise, ont simplement gagné les citoyens indécis ou peureux qui, enthousiasmés de voir que même leurs prêtres s'ouvraient aux idées nouvelles, se sont à leur tour ralliés à la révolution.

L'autre catégorie d'ecclésiastiques est celle des ex-curés. Leur vaillance chrétienne n'est pas plus évidente que celle des ex-prêtres. En effet, on devient ancien curé ou ex-curé ou bien parce qu'on a renoncé à sa cure, ce qui est compatible avec sa propre déprêtrisation ou bien parce qu'on a été éliminé par le club ecclésiastique de la Constitution civile du clergé, un curé constitutionel ayant pris la place de celui qui devient de ce seul fait l'ex-curé, remplacé par le curé constitutionnel.

Une recherche est donc nécessaire pour distinguer chez les condamnés désignés comme "ex-curé", ceux qui ont abandonné leur cure constitutionnelle et ceux qui ont été éliminés par le jeu de la Constitution civile du clergé.

Le rapprochement de la conduite révolutionnaire des ecclésiastiques avec celle de André Chénier est plein d'enseignements.

Le poète André Chénier était un véritable propagandiste de l'idéologie révolutionnaire autant que la grande majorité du clergé de 1789. Il meurt second d'une liste de ondamnes dont le numéro 1 est occupé par un autre poète, Roucher, qui comme lui, était acquis à l'idéologie révolutionnaire.

Henri Wallon qui dresse l'histoire des jugements du Tribunal révolutionnaire de Paris qui s'accorda l'honneur de massacrer ses plus forts soutiens, note que Roucher et Chénier étaient ennemis des excès de la Révolution.

Roucher et Chénier appartenaient au même club, écrivaient dans le même journal et renoncent en même temps à la lutte révolutionnaire devenue sanglante. En réalité, ils étaient tous deux Girondins honteux, perdus entre les Jacobins et les Enragés, effrayés de leur audace passée et de l'audace nouvelle qui lui avait pris la place. Les massacres du 10 août ont marqué la retraite définitive de la bourgeoisie progressiste de la marche de la révolution. Roucher et Chénier sont les poètes vélléitaires et tartuffes d'une Révolution adolescente qui débouche naturellement sur un bain de sang et d'ignominies. Quand enfin, ils comprennent l'Histoire tragique, Roucher et Chénier veulent se faire oublier des cruels maîtres de la Révolution qu'ils ont contribué à installer. Et cette volonté de se faire oublier les désigne comme contre-révolutionnaires.

Tout comme le caractère d'"ex-prêtre", quand il a été voulu par l'ecclésiastique, est une volonté délibérée de se faire oublier alors que la déprêtrisation est au contraire une auto-dénonciation à la rigueur républicaine.

Mais comme Chénier, Roucher est un fonctionnaire bourgeois. Protégé par Turgot, il bénéficiait, même depuis la disgrâce du ministre, d'un poste de receveur des Gabelles à Montfort-l'Amaury. Partisan des idées de la Révolution, il était devenu silencieux critique des actes de la Révolution. Comme Chénier, il voulait garder les mains propres, mais il n'avait pas de main. Il est donc, avec Chénier et les ex-prêtres, entièrement responsable des bains de sang révolutionnaires commis par les mains interposées des brutes de la Révolution.

Roucher, comme Chénier et les "ex-prêtres", a adopté par nature même de la Révolution, une attitude d'homme soumis. Ecrivant de la sa prison à sa fille, révolutionnaire aussi enragée que lui, Roucher écrit :
Depuis le 26 prairial, il nous est défendu d'avoir de la lumière dans nos chambres. Il faut souper et se coucher dans les ténèbres. Tous les détenus il est vrai ne se conforment pas à cet ordre. Mais mon wiseman (le "sage" Chabroud) et moi, nous courbons la tête sous l'autorité persuadé qu'il faut lui obéir partout, en liberté ou en prison, en prison surtout. On ne nous a pas mis ici pour nos aises.
Il existe ici un point de vue démocrate parfaitement ignoble, qui identifie la citoyenneté à la soumission servile à l'Etat par la Loi, absolument comme le musulman est soumis à Dieu par le Coran.

Par cet aveu même, Roucher devient pour la Révolution, le chef de la conspiration de Saint-Lazare qui est réprimée par 26 exécutions, attendues par les 26 condamnés dans la soumission républicaine, en liberté comme en prison.

André Chénier, qu'on se représente les cheveux longs et le ton tendrement adolescent, était tout simplement un fonctionnaire des Affaires étrangères, protégé du ministre La Luzerne. Et quand il se plaint en vers, c'est pour louer l'Islam :
Byzance, mon berceau, jamais tes janissaires
Du musulman paisible ont-ils forcé le seuil ?
Vont-ils jusqu'à son lit, nocturnes émissaires,
Porter l'épouvant et la peur ?
Le musulman paisible du poème de Chénier est le citoyen soumis de la lettre de Roucher, et le janissaire que le "grand" classique français désigne n'est que le modèle du policier révolutionnaire tel que Chénier le voudrait "parfait".

Une autre chose dérisoire éclate. Chénier et Roucher n'ont pas été condamné, pas plus que les 9 ecclésiastiques qui les accompagnent, pour des menées contre-révolutionnaires positives dans leurs vies politiques. Ils ont été glané par les délateurs jacobins chargés par Robespierre de vider les prisons surpeuplées de Paris. Sans cet ordre de Robespierre de vider les prisons, sans la terrible dénonciation par son père, Chénier aurait pu survivre à Saint-Lazare comme suspect au lieu d'y finir comme condamné.

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Notes

Source : Henri Wallon, Histoire du Tribunal Révolutionnaire de Paris, Tome 5, pages 112-132.