La France est un pays honteux

Philippe Brindet
30 octobre 2010


La France est un pays honteux à plus d'un titre. Et l'un de ces titres de honte, mis en lumière par l'arrêt récent de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, afin que nul n'en ignore dans le monde, sauf manifestement en France, est celui de la garde à vue.

La garde à vue en France

Le Code pénal français a été institué en 1810 par Napoléon. Il est dérivé de la pratique terroriste établie par le Comité de Sûreté générale illustré par les abus de pouvoir (déjà) de Héron [1] en 1793, qui s'appuyait sur un premier code pénal révolutionnaire de 1791. Le Code pénal actuel permet à n'importe quel membre de la Police ou du Parquet de priver de liberté pendant vingt quatre heures n'importe quel suspect aux yeux de l'Etat ou de sa Police.

Il existe des conditions de sauvegarde comme celle selon laquelle l'infraction ou le crime dont du suspect doit être punissable d'une peine de prison. Mais comme en France il existe plus de deux millions d'actes ou de non-actes qui sont susceptibles de peines de prison, cette sauvegarde n'en est jamais une.

Cette garde à vue peut être prolongée une fois, la portant à une durée totale de 48 heures consécutives.

Les statistiques de la garde à vue sont littéralement effarants.
Annéegardes à vue
2001336 718
2006530 994
2007562 083
2008577 816
2009900 000
La population française est estimée à 28.146.000 individus des deux sexes par l'INSEE en novembre 2009. Si donc on continue à placer en garde à vue 900.000 individus en garde à vue chaque année, dans 30 ans, tous les français actifs auront été placés en garde à vue au moins une fois.

L'arrêt de la CEDH

Malheureusement, dans son arrêt, la Cour européenne ne condamne pas le principe de la garde à vue. Elle se limite à exiger la présence d'un avocat pour conseiller le suspect. Ce serait en effet un progrès immense quand on sait le nombre incroyable d'erreurs judiciaires [2] fondées sur des aveux arrachés in extremis au cours de la garde à vue.

Comme il existe seulement 50.000 avocats dont probablement moins de 20.000 susceptibles de connaissances suffisantes en jurisprudence pénale. Chacun d'eux devrait assurer 45 gardes à vue en moyenne par an, soit quatre par mois. C'est probablement impossible dans les condtions difficiles de la garde à vue en France (arrestation à 6 heures du matin, auditions nocturnes sous contrainte, ...) Il est donc clair que le système pénal français est à refonder entièrement.

La réponse de la Justice française à l'arrêt de la CEDH

L'arrêt de la CEDH est du 14 octobre 2010. Le 26 octobre 2010, moins de douze jours après le prononcé de l'arrêt, un individu est placé en garde à vue de 24 heures et prolongée à la demande du Parquet, pour avoir envoyé un courriel à une amie du Président de la République. Ce courriel contenait une mauvaise blague concernant un lapsus linguae qu'avait commis le personnage important lors d'une émission de radio au début du moins d'octobre.

C'est tout. Et le suspect, sorti de garde à vue, est maintenant sous contrôle judiciaire.

On se souvient que, même sous l'Ancien Régime, il n'était pas si facile de priver quelqu'un de sa liberté.

Le fait ainsi commis douze jours après l'arrêt de la CEDH résonne comme une déclaration de guerre de l'Etat français. Le signal envoyé nettement par les fonctionnaires de l'Etat, en direction de la CEDH est :
Nous sommes maîtres chez nous et ne nous laisserons dicter de règles par personne, et surtout pas par une Cour de fantaisie."
C'est maintenant à la CEDH d'imaginer une contrainte ou une pédagogie pour faire comprendre à ces individus qu'elle ne tolèrera pas de telles insultes à la majesté de la Justice.

De Montesquieu à Maître Eolas

Dans son blog, un avocat qui se présente sous le nom de plume de EOLAS, trouve les mots pour dire l'indignation qui emporte toute personne un peu au fait de la loi et des droits de la liberté.

Dans ce billet, intitulé Pourquoi je veux un habeas corpus en France, Eolas montre que, même dans le droit pénal français, une telle décision est contraire à la loi. Il démontre aussi que les magistrats dont le rôle est de sauvegarder les libertés, considèrent au-dessous de leur charge de contrarier les désirs de privation de liberté quand ces désirs sont exprimés par la moindre autorité. Leur position en l'affaire semble avoir été d'obliger une puissante personnalité désireuse de plaire à la fameuse dame.

C'était bien la peine de faire la Révolution si c'était pour se battre les flancs en se gaussant des droits de l'homme.

Eolas cite Montesquieu sur l'abus de pouvoir. Selon Montesquieu, l'abus de pouvoir appelle un contre-pouvoir. Mais Eolas ne voit pas que Montesquieu souhaitait un contre-pouvoir qui soit seulement un autre pouvoir capable d'éviter à l'autorité de devenir abusive en commettant cet abus à sa place ou avec elle !

Ainsi, la garde à vue est décidée par l'officier de police judiciaire. Et dans le système pénal français, c'est le procureur de la République qui est le contre-pouvoir de l'officier de police judiciaire. La procédure pénale française a parfaitement entendue Montesquieu. Il suffit que le Parquet commette lui aussi le même abus de pouvoir, ce qui ne peut manquer de se produire dans la logique étatique installée en France.

L'avocat serait-il un contre-pouvoir ?

Eolas semble le supposer :
"... Si ceux qui sont les gardiens de la liberté individuelle trahissent à ce point leur ministère, c’est les gardiens des intérêts individuels, les avocats, qui y suppléeront. Attaquons sans relâche les gardes à vue ..."
Mais, l'avocat n'est pas un pouvoir. Il est un simple représentant. Il est l'auxiliaire du suspect. Il ne peut donc pas être un contre-pouvoir.

L'avocat peut-il être un contre-pouvoir en "corps", je veux dire, la corporation des avocats peut-elle dans son ensemble être un contre-pouvoir ? Cela semble quand on voit les ennuis du pouvoir politique à poursuivre une réforme renforçant le rôle de la garde à vue dans la procédure pénale. Ces ennuis viennent essentiellement du mouvement extrêmement fort des avocats.

Mais, il s'agit ici d'un contre-pouvoir politique et absolument pas judiciaire. Imaginons un instant que l'avocat soit admis à la garde à vue. Imaginons que la Comtesse de ... se sente insultée par un maraud et qu'un de ses intimes, par amour pour elle, le fisse envoyer en geôle de garde à vue. Un brave avocat se saisit des intérêts du suspect. Et alors ?

Un simple coup de téléphone de son bâtonnier l'encourage à voir les "vrais intérêts d'une saine justice". Que croyez vous qu'il fera ? Et même s'il tempête, introduit un recours, et je ne sais quelle autre opération que lui connaît. Le suspect passera non seulement ses quarante-huit heures, insulté et déshonoré, mais il devra encore payer les honoraires de son avocat.

Non. Ce n'est pas la pratique du contre-pouvoir qui évite l'abus de pouvoir. C'est la suppression du pouvoir quand il est illégitime, attentatoire aux libertés. C'est la responsabilité personnelle engagée dans l'exercice du pouvoir légitime. Voilà les seules vraies garanties des citoyens contre l'abus de pouvoir.

Dans l'affaire de la garde à vue de convenance, l'officier de police judiciaire ne pouvait pas ne pas savoir que la cause de la garde à vue qui lui était demandée était fausse. Il a commis le premier abus de pouvoir. Or, ce fonctionnaire recevra probablement une prime de rendement selon les procédures en vigueur. Il devrait pourtant être traduit devant une autorité disciplinaire et frappé d'une des sanctions les plus lourdes pour trafic d'influence et abus de pouvoir conduisant à une privation de liberté et traitement infâmant.

Sa hiérarchie ne pouvait pas ne pas savoir au moins au bout de 4 à 6 heures. Elle n'a rien fait. Elle s'est donc rendue coupable d'une complicité d'un abus de pouvoir et d'un probable délit de trafic d'influence au bénéfice de la personnalité bénéficiaire de la garde à vue. Dans un régime de responsabilité des autorités, cette hiérarchie devrait entièrement être sanctionnée.

Le Parquet avait le pouvoir et le devoir de réviser les conditions de la mise en garde à vue. Il ne l'a pas fait. Plus, selon les informations diffusées, il aurait décidé d'une prolongation de la garde à vue et un placement sous contrôle judiciaire. Il se rend donc coupable de renforcement de l'abus d'autorité et de deux autres abus d'autorité supplémentaire. Une sanction extrême devrait être appliquée aux personnalités du parquet responsables de ces actes inqualifiables aujourd'hui.

Mais, l'Etat français ne reconnaît aucune responsabilité personnelle de ses fonctionnaires. Encore moins la sienne propre. Par contre, il connaît très bien Montesquieu et sait habilement jouer des contre-pouvoirs. En parfait Tartuffe de la démocratie.

Or, l'Etat ne peut exister dans une démocratie, et une démocratie ne peut subsiter dans un Etat, que si cet Etat est absolument privé de moyens pour commettre des atteintes aux droits de l'homme de la démocratie. C'est la raison pour laquelle les démocrates vivent en France dans un état honteux.

o o o


Notes

[1] Comme de nombreux articles de Wikipédia, la courte biographie de François Hénon qui y est exposé est d'une effrayante banalité. Le lecteur inculte issu de l'enseignement français ne peut savoir les faits avérés des exactions de Héron. Quand il a lu le texte de Wikipedia, il retient seulement que Héron a été lavé de tout soupçon par Robespierre, l'"incorruptible" corrupteur. Or, Héron est le prototype de l'agent de la tyrannie d'Etat.

Mais, ce n'est pas là notre sujet.
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[2] On peut penser à l'affaire Patrick Dils, à celle d'Outreau, à l'affaire Gregory et à tant d'autres, connues ou ignorées.
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