Se souvenir. L'Affaire Mis et Thiennot

Philippe Brindet
12 novembre 2010


L'Affaire Mis et Thiennot est l'une des nombreuses affaires criminelles dans lesquelles les professionnels de la Police et de la Justice ont joué des rôles particulièrement contestables.

Une émission sur FR3, chaîne publique de télévision, y sera consacré le 19 novembre 2010 à 9 heures 30.

Deux sources pour s'informer de cette affaire :
  1. un article de la journaliste judiciaire Sylvie Véran, daté de Septembre 2009 et intitulé : Mort de Raymond Mis. Mis et Thiennot seront-ils un jour innocentés ?;
  2. le site officiel du Comité de Soutien à Mis et Thiennot.
Pour rappeler l'affaire, datant de 1946, qu'il suffise de dire que, à la suite du meurtre d'un garde-chasse, les personnes inculpés par la Police avec la complicité de la magistrature, ont tous été torturés au vu et au su de la population locale.

L'un des cas les plus révoltants a été celui de Bernard Chauvet, qui est pendu, nu, à la fenêtre du premier étage de la mairie de Mézières. Et qui avouera le crime lui aussi. Parmi les suspects qui avouent, deux coupables ont été désignés par la Police, Mis et Thiennot.

Condamnés trois fois, malgré une absence totale de preuve et plus encore, malgré des preuves de l'impossibilité qu'ils aient pu commettre le meurtre, malgré la défense de plusieurs grands avocats, comme M° Le Trocquer, Mis et Thiennot furent emprisonnés. Ils furent graciés par le Président Coty après quelques années.

Le coupable n'a jamais été recherché. Aucune révision, malgré les demandes, n'a jamais été accordé.

Quel enseignement tirer de cette affaire ?

La garde à vue, qui s'est beaucoup adoucie depuis le temps de l'Affaire Mis et Thiénnot, est la source de bien des grandes erreurs judiciaires. La raison en est conduite par deux circonstances :
  1. la "religion" des aveux, qui est un héritage terrible des conceptions catholiques médiévales, héritage recueilli avec avidité par la France jacobine ;
  2. le mépris absolu que la Société représentée par la Police et la Justice exprime à l'encontre des criminels, ce mépris qui aveugle instinctivement les facultés de jugement.
Si donc vous laissez un suspect - ou plusieurs, le nombre ne faisant rien à l'affaire - entre les mains du personnel salarié par l'Etat pour châtier les coupables, avec une procédure criminelle destinée à obtenir les aveux d'un individu qui sera méprisable dès qu'il aura donné son aveu, il est évident que le suspect sera, par anticipation, traité avec le plus grand mépris.

Conscients de ce problème - ce qui aggrave à notre avis leur responsabilité à la fois dans l'état historique de la question des enquêtes criminelles et dans la situation actuelle de l'administration de la Justice et de la Police - les pouvoirs exécutif et législatif ont fait de nombreux efforts pour réformer le cadre légal et réglementaire des enquêtes criminelles.

Ainsi, la durée de la garde à vue a été réduite. Les occasions de torture ont été réduites par la présence de médecins. Mais les pressions psychologiques directes et indirectes, les manipulations d'opinion sont encore fortement pratiquées. La participation parcimonieuse d'un avocat a été consentie. La demande des ordres d'avocat à une présence constante ne paraît pas praticable, même si elle apporterait une certaine possibilité de défense.

La présomption d'innocence a été renforcée. Mais le concept instauré en 1993 de "mis en examen" au lieu de "inculpé", est sans rapport avec la garde à vue et réservé aux relations avec un juge d'instruction. Il n'est jamais, dans la pratique réelle de la Police et du Parquet, qu'une façon de déguiser le mépris constant à l'égard de celui qui sera châtié sous une forme "policée". Ce n'est pas nécessairement d'une présomption d'innocence que l'administration de la Justice a besoin. Ce devrait être une règle impérative que la démonstration de la culpabilité soit apportée par l'accusation sans aucune intervention de l'accusé ou du suspect et que cette démonstration prenne la forme d'une preuve scientifique établissant un fait punissable et la preuve étant discutable par la défense d'un avocat. On est loin, très loin de cette situation.

Et après le procès, ne parlons même pas ici du mépris du système pénitentiaire.
o o o