Il est obligatoire de publier des choses conformes

Philippe Brindet
17 novembre 2010


L'auteur de ces lignes n'est pas du tout un défenseur du régime de Vichy. Mais, contrairement aux partisans des régimes dictatoriaux, qu'ils soient fascistes ou bolcheviques, c'est-à-dire, faut-il le rappeler, tous socialistes, il ne se sent aucune obligation d'insulter la mémoire du régime de Vichy.

Or, cette position semble de plus en plus dangereuse dans un paysage intellectuel - et c'est lui faire beaucoup d'honneur de le qualifier tel - dans lequel un hebdomadaire qui ne se revendique de façon ouverte ni fasciste, ni bolchevique, se croit obligé de rendre obligatoire l'invective contre le régime de Vichy.

Publiant un article sur le sujet d'un parti politique, dit d'extrême-droite, au prétexte qu'il continue à peu de choses près à répéter ce qui se disait à l'UNR des années 60, article sur lequel je n'ai rien à écrire, l'hebdomadaire qui ouvre ses colonnes aux commentaires bénévoles et souvent frénétiques de ses lecteurs se croit obligé de publier cet avertissement :
Le sujet de cet article étant particulièrement sensible, nous serons très attentifs à la tenue du débat. Merci notamment de ne pas faire l'apologie du régime de Vichy. Tout commentaire en ce sens sera modéré.
Source L'Express.
Dans les deux dernières phrases de l'avertissement, tout fait sens, et un sens lourd de suspicion, de bienséance, de conformisme, de censure et d'inquisition.

"Merci notamment ... " demande l'"hebdomadaire". La formule a dû passer pour conviviale. Elle est simplement lourde de sous-entendus. Lesquels ? Lisez la suite ...

"... de ne pas faire l'apologie du régime de Vichy." Voilà, nous disent ces parangons de vertus démocrates :" Sous notre dictature, vous avez tous les droits, sauf ceux que nous vous interdisons de prendre." Ainsi, quand ils vous disent qu'ils sont pour la liberté, vous n'avez pas entendus le second mot. Ce qu'ils vous ont dit, ce n'est pas qu'ils sont "pour la liberté", ils sont pour la "liberté partisane", c'est-à-dire celle qui leur permet d'appeler "liberté" ce que l'on devrait appeler "tyrannie".

"apologie du ...". Mais qu'est-ce qu'une apologie ? C'est à tout le moins "une attitude favorable à ...". Eh bien, c'est interdit ! Pas le droit d'être "favorable à ...". Mais comment contenter ces défenseurs résolus de la liberté d'expression ? Mais en prenant la contraposée de la proposition interdite !

"Vous n'avez pas le droit de faire l'apologie de ..." disent-ils ? Eh bien, il faut lire : "Vous êtes obligés d'insulter le ...". Voilà, dans un pays de liberté partisane, ce qui arrive quand on laisse le pouvoir à des tyrans. Vous perdez le droit de vous exprimer librement et vous gagnez l'obligation d'insulter les "ennemis du peuple". Sinon, c'est que vous êtes vous mêmes un "ennemi du peuple". Remplacez "peuple" par n'importe quelle folie "globalisante" : "révolution", "démocratie", "roi", "empereur", ..., tout ce que vous voulez, ce sera toujours pareil. Et c'est toujours pareil depuis 1789.

On reconnaît la tyrannie à ce double mouvement. Il n'est plus rien de "permis", il n'y a plus que des choses obligées. Il n'est plus possible d'admirer, il est obligatoire de haïr.

"Tout commentaire en ce sens sera modéré", termine l'avertissement.

Pour les lecteurs peu au fait d'Internet, il existe des outils informatiques simples qui permettent à des lecteurs de pages Internet de formuler des commentaires qui sont alors publiés, souvent au bas de la page Internet. En général, ce genre d'outil est contrôlé par un personnage qui s'appelle un "modérateur" et sa fonction est de "modérer" les propos qui sans "modération" seraient publiés tel quels.

Mais en réalité, il n'y a qu'une seule action de modération. Le modérateur bloque ou ne bloque la publication du commentaire. S'il bloque le commentaire, ce dernier a subi ce que l'on appelle exactement une "censure".

Or, une sensible petite âme "démocrate" et "libérale" ne peut supporter depuis Voltaire (pas avant ... depuis) le mot même de "censure" et la "belle âme" défaille comme une Précieuse Ridicule (c'était avant Voltaire, et on pouvait se moquer d'elles ...). Alors, quand la Précieuse Ridicule fait de la censure, elle ne dit pas "censure". Elle dit "modération".

C'est tout.

o o o