Réflexions sur les relations entre le judaïsme et le catholicismePhilippe Brindet02 mars 2011 |
Le cadre de mes réflexionsAttiré par un article de presse concernant une semaine de travaux sur les relations entre catholiques et juifs, je découvre un texte du grand rabbin Gilles Bernheim. Dans ce texte, Gilles Bernheim ... «Qu'est-ce qui a conduit l'Église à faire à ce point du christianisme une religion sinon antijuive, en tout cas non juive? Cette question reste la plus importante pour le dialogue judéo-chrétien de demain.» Aux juifs: «Permettez-moi d'insister sur la nécessité de réexaminer l'image du christianisme dans la pédagogie et la culture populaire juives qui tend toujours à être défensive et hostile.» J'ai eu l'occasion de lire plusieurs textes du grand rabbin Bernheim. La vigueur de sa pensée est absolument éblouissante. Il manque un penseur de cette force dans le catholicisme contemporain. En fait depuis assez longtemps. Aussi, on comprendra que le catholique que je suis a pesé son expression de louange du grand rabbin. 1 - Le catholicisme, "non juif" ?Monsieur Bernheim retire "antijuive" pour qualifier la religion catholique et la transforme en "non juive". Tout d'abord, le christianisme original dont se réclame le catholicisme n'est pas une religion autonome. Il est le judaïsme du temps de Pilate. Jésus n'a jamais annoncé une religion particulière. Il n'est donc pas possible d'admettre que le christinanisme ou sa confession catholique soit tenu pour "non-juif". Est-il devenu "non juif" ? La question se pose sur un certain point de vue. Il me semble que la clé de la pédagogie catholique se trouve dans la doctrine de la figure. Le Christ est tout entier en figure dans l'Ancien Testament qui contient l'actuelle Torah juive, que l'Eglise catholique a maintenue pendant le temps où le peuple juif était trop dispersé pour la maintenir. Et si cette pédagogie a été probablement moins forte à certaines époques qu'à d'autres, elle est cependant une constante interne au christianisme. "Pas un mot de la loi ne sera oublié". Il y a même un probable excès. Il me semble qu'au Troisième Millénaire, considérer l'Eglise catholique romaine comme le Peuple de Dieu est un regrettable acte anti-juif. Le Peuple de Dieu est celui qui est constitué par l'Alliance de Moïse et ce Peuple existe indépendammment de l'Eglise catholique ou de tout autre secteur du christianisme. Catholique de coeur et d'esprit, je regrette profondément les abus de la doctrine de l'Eglise comme Peuple de Dieu, fut-il celui de la "Nouvelle" Alliance. Le Concile Vatican II a forcé cette note [1] qui après tout pouvait servir uniquement de figure de l'Eglise. L'idée d'une "nouvelle" Alliance est par ailleurs profondément négative pour l'"ancienne" Alliance maintenue contre l'Histoire par le seul Peuple de Dieu, le Peuple juif. Ainsi certains milieux pro-juifs évitent de désigner les deux "parties" de la Bible par Ancien Testament et Nouveau Testament. Leurs vues ne sont pas toujours sans arrière-pensée, mais on ne peut les désapprouver. [2] Particulièrement, l'existence de l'Etat d'Israel, comme semble l'indiquer le grand rabbin Bernheim, participe aussi à affirmer la propriété juive. Et cette propriété juive sur le Peuple de Dieu notamment, Alors, faut-il revenir à la caractérisation du catholicisme d'être "antijuif" ? Nous ne pouvons pas oublier deux données historiques :
Le caractère anti-juif du catholicisme est donc infondé et le grand rabbin Bernheim ne le retient pas d'ailleurs. 2 - L'appréciation négative de la culture juive au sujet du christianismeOn peut penser que, en tant que grand rabbin, Gilles Bernheim est allé aussi loin qu'il était possible dans sa fonction de mettre en cause la "culture juive". J'utilise ici des guillements, pour rappeler que c'est Bernheim qui l'évoque et qu'il ajoute qu'elle est "populaire", ce qui tend à la disjoindre peut être d'une culture juive "savante" ou "élitiste" et qui elle n'aura pas "d'appréciation négative du catholicisme". Toujours est-il, qu'en effet, on peut trouver des mises en cause permanente du catholicisme, mais jamais du judaïsme. Il est parfait et victime, une fois pour toutes. C'est l'une des premières fois qu'un haut responsable juif, penseur de première force par ailleurs, souligne qu'au moins partiellement la "culture juive" devait changer d'appréciation du catholicisme. On se demande pourquoi le même filtre ne serait-il pas appliquée au catholicisme. J'entends que plutôt que à la suite de Isaac, pourquoi metre en cause la doctrine catholique et ne pas plutôt interroger les pratiques de la "culture catholique populaire", peut être en l'étendant en effet aux autorités politiques qui ont "su" avec l'à propos qu'on leur connaît en tous temps et en tous lieux de saisir les passions populaires mauvaises pour augmenter leur pouvoir et leur richesse. J'entends aussi que l'anti-judaïsme me semble beaucoup plus interne aux peuples qu'au catholicisme. On peut se livrer à de savantes exégèses sur les déclarations des théologiens ou des ecclésiastiques responsables à diverses époques et lieux. Leur anti-judaïsme n'est peut être pas aussi caractérisé que celui de la culture populaire. La réflexion de Gilles Bernheim me fait aussi penser que parmi les judaïsants, beaucoup sentent l'avantage qu'ils ont dans un quelconque débat avec le catholicisme. S'accusant de la Shoah, le catholicisme est en position de tout accepter. Y compris d'avoir lui-même et lui seul tué Jésus. Et après tout le reniement de Pierre n'en est-il pas loin ? Mais, Gilles Bernheim, pas plus qu'aucun membre pourtant de l'élite juive, ne paraît disposé à entendre l'affirmation catholique de la divinité de Jésus, du fait qu'il est Ressuscité. La shekinah est depuis la Résurrection du Christ la Présence réelle de Dieu dans l'Eucharistie. Pourtant, nous autres catholiques, de quoi pouvons nous parler d'autre avec les Juifs sinon de celà. A défaut, nous reproduisons deux mille ans plus tard le reniement de Saint Pierre : "Je ne connais pas cet homme". 3 - Le véritable dialogue entre le catholicisme et le judaïsmeMais, un véritable dialogue avec le judaïsme est-il envisageable ? Peut-on enfin sortir des accusations unilatérales ? Non ? Alors, la doctrine du catholicisme est de baisser la tête et de subir l'outrage et les insultes. Cette doctrine n'est pas visiblement dans la position des évêques français à Drancy en 1997 de donner des pierres aux juifs pour lapider les catholiques. Sort-on des accusations forcées ? Discutons avec les Juifs pour comprendre en quoi Jésus, fils de Marie, est réellement le Messie attendu par l'Alliance mosaïque et pourquoi les juifs ne peuvent accepter les témoignages de la Résurrection et des miracles. Discutons avec les juifs pourquoi Jésus s'incarne dans le Peuple de Dieu et meurt dans le tremblement de terre du Golgotha. Oui, pourquoi ? Nous aurions tout avantage à affirmer une religion en devenir qui se construit peu à peu depuis la mort de Jésus pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Indépendante du judaïsme. Pourtant, ce n'est pas la vérité. Le catholicisme n'est pas indépendant du judaïsme et comme tel, le débat du catholicisme et du judaïsme est d'abord un débat interne au judaïsme. Au contraire, le judaïsme n'est en rien un catholicisme et il ne peut débattre de l'intérieur du catholicisme. Mais pour celà, il faudrait vraiment que les catholiques confessent qu'Il est Dieu, Fils du Dieu Vivant, Roi des Cieux qui nous sont promis si nous lui sommes fidèles. Notes [1] On citera :
On peut multiplier ces citations. Toutes concourent à l'évidence du fait que le Concile Vatican II pensait vraiment que l'Eglise rend caduque le judaïsme. retour au texte[2] On doit reconnaître que le sujet est inépuisable. Mais il est facile de comprendre que quand le christianisme établit une politique dans l'Autre Monde, se constituant selon Marx à cause de celà, en "opium du peuple", le judaïsme dès qu'il établit le Peuple de Dieu dans l'Alliance Mosaïque, établit un pouvoir politique sur Terre et ici-bas. L'une des raisons pour lesquelles l'expression de "Peuple de Dieu" s'applique assez mal à l'Eglise en fin de compte est que, justement, il n' y a pas encore de Peuple et le Règne est déjà constitué autour de son Roi, le Christ. Il ne reste plus qu'aux membres de l'Eglise de mourir et de rejoindre ainsi son Règne. Il est aussi facile de comprendre pourquoi le Concile a tenté de constituer les fidèles catholiques en Peuple de Dieu. D'abord, ils étaient guidés par les textes canoniques même. On citera dans le traduction Second : Pierre, apôtre de Jésus Christ, à ceux qui sont étrangers et dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie, et qui sont élus selon la prescience de Dieu le Père ... vous qui autrefois n'étiez pas un peuple, et qui maintenant êtes le peuple de Dieu, vous qui n'aviez pas .... 1 Pi1Et Pierre vise là les Gentils qui s'agglutinent aux Juifs convertis au Christ. Il leur applique donc le qualificatif louangeur de membres du Peuple de Dieu, parce qu'il pense le christianisme comme interne au judaïsme et sûrement pas comme un "remplaçant" à celui-ci. La raison de la dérive du Concile Vatican II de constituer l'Eglise en Peuple de Dieu à la place du peuple juif est transparente. Il s'agissait pour un certain nombre de rédacteurs et autres intervenants sur les textes d'introduire dans le monarchisme ecclésiastique un peu de démocratie par ré-écriture des Ecritures. On n'allait pas ré-éditer la Bible avec les corrections - et après tout, demain, pourquoi pas ? Mais, il était plus efficace d'imposer une nouvelle compréhension de la Bible à l'aune de l'interprétation concilaire, le fameux "esprit du Concile". On doit remarquer qu'un Christ qui conduit ses fidèles comme un berger ses moutons, ce n'est pas très "esprit des Lumières". Dans les textes du Concile, on limite donc l'usage de la "métaphore pastorale" quand il s'agit d'exiger des fidèles une soumission aveugle. Pour le reste, on leur joue la comédie de l'égalité démocratique - notamment dans la liturgie participative sous la menace d'un insupportable Président. Certains mauvais esprits liront dans ce qui précède comme un regret de la "royauté" en général. Que l'on ne se méprenne pas. La royauté du Christ n'est pas de ce monde et elle n'a jamais été représentée par le pouvoir de quelque autorité civile, se para t'elle des plumes d'autruche de la "légitimité", de la "royauté" ou de que sais-je d'autre. Le christianisme est essentiellement une anarchie sacrée qui observe toute autorité appelée à s'effondrer dans le pourrissement de la mort. Et cette anarchie sacrée se résoud dans l'Au-delà dans la seule Royauté absolue du Fils de Dieu. retour au texte |