Intervention de Pie VII sur le projet de Charte française d'avril 1814

Intervention de Pie VII sur le projet de Charte française d'avril 1814

Philippe Brindet - 25 août 2011

1 - Situation historique de la Lettre Apostolique

Le Pape Pie VII, successeur du Pape Pie VI, mort en déportation à Valence pendant la Révolution française, avait été élu pendant les grands troubles révolutionnaires. Napoléon, cherchant à restaurer un catholicisme à son profit, tenta de se rapprocher de Pie VII. Ce dernier avait une attitude relativement convergente, en ce sens qu'il trouvait insupportable que les français puissent en majorité rester éloignés de la religion.

Par ailleurs, Pie VII avait été évêque d'Imola pendant l'occupation jacobine de l'Italie et il avait pris une position politique pondérée. Certains l'ont même taxé de favoriser le républicanisme. En tous cas, il avait collaboré avec l'occupant jacobin en vue de restaurer la paix dans son diocèse. Il n'était pas à l'origine particulièrement sévère à l'encontre du républicanisme démocratique. Ainsi, on cite (Wikipedia) de son sermon de Noel 1796 :

Oui ! mes chers frères, soyez de bon chrétiens, et vous serez d'excellents démocrates. La forme du gouvernement démocratique adoptée chez nous n'est point en opposition avec les maximes que je viens de vous exposer. Elle ne répugne pas à l'Évangile. Elle exige, au contraire, ces vertus sublimes qui ne s'acquièrent qu'à l'école de Jésus-Christ.
que l'abbé Grégoire n'aurait sûrement pas critiqué.

Napoléon considérait le Pape comme un pouvoir secondaire, dont il avait besoin en vue de restaurer une société française en équilibre autour de son trône. La Papauté devait, comme tous les autres pouvoirs secondaires, comme la Police, le Trésor ou l'Université, être soumis à ses volontés. Suite à diverses oppositions du Pape, il fit arrêter Pie VII qui fut assigné à résidence au Chateau de Fontainebleau. Il était le second Pape successif à être déporté par la France. Pie VII perdit sa liberté pendant 5 ans.

Napoléon se lança dans une conquête de l'Europe, parvenant à occuper les Etats allemands, la Pologne, à réaliser une alliance fructueuse avec l'Autriche, Empire protecteur de la Papauté d'aileurs, puis à envahir la Russie avec laquelle Napoléon avait engagé une Alliance. Son aventure militaire s'effondra ainsi qu'il est bien connu et Napoléon se replia sur la France qui fut envahit en 1813, lors de ce qui fut nommé la Première Campagne de France. Vaincu, Napoléon put cependant obtenir de se retirer dans un domaine privé, extra-territorial au large de la Corse, l'île d'Elbe.

Lorsque la Révolution élimina les Bourbons, Louis XVI avait deux frères qui l'abandonnèrent dès 1789. Le comte de Provence devint alors roi Louis XVIII en exil dans divers lieux. Louis XVIII était une personnalité bizarre, entouré d'une Cour fantôche et travaillé par des agents de diverses tendances. Fouché et Talleyrand n'étaient pas si éloignés de lui. Or Fouché, célèbre ministre de la Police de Napoléon, était un conventionnel régicide, athée et anti-chrétien, et Talleyrand, célèbre ministre des Affaires Etrangères de Napoléon, était largement aussi anti-clérical que Fouché avec lequel il était en duel permanent. Louis XVIII avait promis à tous ces agents d'influence divers de concéder une Charte constitutionnelle qui permettrait de revenir sensiblement à l'état de 1789, oubliant autant qu'il était possible 1791 et 1793. De l'Empire, il n'était même plus question, à un point tel que ses institutions subsistèrent largement jusqu'à notre époque.

Si le comte d'Artois, second frère de Louis XVI, qui régna après Louis XVII, sous le titre de Charles X, était relativement croyant, Louis XVIII était largement agnostique. Son traditionalisme le poussait cependant à restaurer la religion protectrice de la monarchie et dans ce mouvement, il s'attirait bien sûr la sympathie de Pie VII. Mais, la monarchie traditionnelle était largement autant "protectrice" de l'Eglise, protectrice dans le sens où elle dirigeait localement l'Eglise, suscitant une religion d'Etat de fait dont l'intérêt convergeait souvent avec le point de vue politique de l'Eglise universelle.

Lorsque la Première Campagne de France fut clairement perdue aux yeux de Fouché et de Talleyrand, ils s'allièrent pour obtenir des institutions de l'Empire moribond un projet de Charte Constitutionnelle à dicter à Louis XVIII. Ce projet de Charte visait à protéger les acquis des Napoléonides auprès des Bourbons revenant. C'est ce texte que Pie VII étudia et qu'il critiqua dans sa Lettre Apostolique, adressée à Mgr de Boulogne, évêque de Troyes.

Pie VII, l'auteur de la Lettre Apostolique

Pie VII naquit en 1742 et mourut en 1823. Il était à l'origine un moine bénédictin, il enseigne la théologie pendant 9 ans.. Ami et confesseur de Saint Pie VI, alors Pape déjà, il fut nommé d'abord évêque de Monza et plus tard cardinal archevêque d'Imola. Dès le début de ses pontificats, il fut un homme de progrès, abonné à l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, traducteur de Locke et de Condillac. Lettré et savant il pratiquait sept langues.

Saint Pie VI mourut en déportation à Valence en 1799. Mais Pie VII, alors archevêque d'Imola, se caractérisait par une attitude modérée et même coopérative avec les envahisseurs républicains français. Elu Pape à son corps défendant, le 14 mars 1800, il fera un remarquable travail de défense de l'Eglise et de restauration après les coups successifs continus de la Révolution et de l'Empire. Il sera enlevé et détenu d'une manière ou d'une autre plus de cinq ans par Bonaparte.

Les chronologistes notent que Pie VII fut le dernier Pape à "visiter" la France avant Jean-Paul II. Pie VII est le Pape qui assista au couronnement impérial de Napoléon, qui fut son prisonnier et qui ne céda jamais devant ses ordres. Il fut entièrement acquis à l'idée d'une pacification de la société européenne. Il fut aussi le Pape qui fonda réellement l'Eglise aux Etats-Unis et il fut aussi un Pape qui ordonna de nombreuses recherches historiques. Il lutta contre l'esclavage bien avant les républicains français.

Mgr de Boulogne, évêque de Troyes

Le destinataire de la Lettre Pastorale de Pie VII est Etienne-Antoine de Boulogne. Prêtre réfractaire pendant la Révolution, il a échappé au massacre des Carmes où il était emprisonné. Il est fait évêque de Troyes par Napoléon en 1808.

Mais, un Concile national est convoqué par Napoléon le 26 avril 1811. Le Concile national ne s'oriente pas facilement vers la reconnaissance des actes de Napoléon contre Pie VII. Le 12 juillet 1811 est exécutée l'arrestation des trois évêques les plus opposés à l'Empereur : Mgr de Boulogne, évêque de Troyes, Mgr de Broglie, évêque de Gand, Mgr Hirn, évêque de Tournai. Mgr de Boulogne perd alors son siège de Troyes. Il y sera réabli par Louis XVII dès on retour aux Tuileries. en 1814. (Sur un écrit anti-rouseauiste de Boulogne, lire 24 E. A. de Boulogne, Instruction pastorale de Monseigneur l’Évêque de Troyes, pair de France. Paris, Leclère, 1821).

On a trouvé une brève biographie de Mgr de Boulogne :

DE BOULOGNE (Etienne-Antoine). Sa naissance a Avignon est donnée au 36 décembre 1747, ou 31 décembre 1753, ou 31 décembre 1757. Préconisé le 11 juillet 1808, il fut sacré le 8 février 1809 et rendit son âme à Dieu, le 13 mai 1825 à Paris. Il avait d'abord été nommé évêque d'Acqui, mais n'avait pas été préconisé. Quand, par ordre de Napoléon, il était en prison, en 1813, l'abbé F,-A. de Cussy fut nommé évêque de Troyes, mais naturellement ne reçut pas ses bulles. Mgr de Boulogne fut préconisé archevêque de Vienne le 13 octobre 1817, mais le nouveau concordat n'ayant pas été établi le Pape lui accorda le titre d'archevéque-évèque de Troyes et le décora du sacré pallium. Il fut baron de l'Empire.
Source : http://www.archive.org/stream/armorialdesprla00saudgoog/armorialdesprla00saudgoog_djvu.txt dans Armorial des Prélats Français du XIX° siècle, par le Comte de Saint-Saud, Darragon, Paris (date non précisée).

Wikipédia fournit plus de renseignements (ien). Il est né d'une famille pauvre le 26 décembre 1747 en Avignon et meurt le 13 mai 1825 à Paris. Il se "nobilise" et abbé, il fut persécuté par Mgr de Beaumont, archevêque de Paris avant la Révolution. On le retrouve alors en 1788, protégé par l'évêque d'Autun, le fameux Talleyrand qui lui accorde l'abbaye de Tanlay-Charentes. Il est député du clergé aux baillages en 1789. Il est donc probable que l'abbé Boulogne était plutôt dans le camp libéral.

Mais la Constitution civile du clergé l'oblige à choisir son camp et il refuse de rejoindre le clergé républicain. Même chose au Concordat. Il se range éperdument dans les rangs des Napoléonides, il est nommé chapelain de Napoléon en 1806. Il est fait baron d'Empire, nommé évêque de Troyes et confirmé par le Saint-Siège en 1808. Ce sont les menées de Napoléon contre Pie VII qui le déclare opposant à l'Empereur.

2 - Les sources textuelles

La première source citée est celle du texte de la Lettre Apostolique trouvé dans :

"Lettres apostoliques de Pie IX, Grégoire XVI, Pie VII, encycliques, brefs, etc. : texte latin avec la traduction française en regard précédées d'une notice bibliographique avec portrait de chacun de ces papes, suivies d'une table alphabétique" , Paris : A. Roger et F. Chernovit, pp 278-295. Repris et corrigé du site http://www.archive.org/stream/lettresapostoliq00cath/lettresapostoliq00cath_djvu.txt
Il a été réédité sous forme Internet ici.

Le texte examiné par le Pape Pie VII n'a pas été retrouvé. On en parle dans les Mémoires de Fouché et dans ceux de Talleyrand. On en parlme aussi dans les Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand. Cependant, suite à sa Lettre Apostolique datée d'Avril 1814 à l'évêque de Troyes, Monseigneur de Boulogne, la Charte a été promulgué en juin 1814 http://fr.wikisource.org/wiki/Charte_constitutionnelle_du_4_juin_1814. Cependant, on note de ce texte constitutionnel les articles concernant la religion :

Article 5 - Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection.

Article 6 - Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État.

Article 7 - Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des traitements du Trésor royal.

Article 8 - Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté.
On notera plus loin que les articles du projet critiqué par Pie VII en Avril 1814 ne semblent pas du tout correspondre à ceux du texte promulgué de Juin 1814. Cependant, on verra que les critiques de Pie VII s'appliquent sensiblement au texte promulgué.

Sur une biographie de Pie VII, on pourra lire l'étonnante notice de Wikipedia sur ce Pape.

3 - La position politique de Pie VII en avril 1814

La Lettre Apostolique a été écrite lorsque Pie VII a été libéré du Château de Fontainebleau. Il redescendait vers Rome dans laquelle Ville il ne possédait plus rien puisque les Etats du Pape avaient été détruits par Bonaparte et le Directoire. Il y rentre le 24 mai 1814 quand la Lettre Pastorale est datée du 29 avril.

L'esprit publique était partagé en France en trois fractions. Il y avait d'abord la majorité qui voyait s'effondrer l'Empire qui avait mis fin au cauchemar de la Révolution. Ensute, il y avait les royalistes ultra qui comprenaient à la fois des nobles émigrés et de vieux serviteurs ayant passé l'époque de la révolution. Enfin, il y avait les républicains convaincus, robespierristes jamais rénégats et babouvistes qui ne pardonnaient pas plus aux impérialistes qu'aux royalistes.

Le retour du Roi était une chose impensable. Il devenait la seule solution acceptable par les trois fractions françaises et, plus grave sur l'instant, par les Puissances européennes, alliées contre l'Empereur et qui occupaient la France.

Pie VII se trouvait dans une situation aussi inattendue. La puissance de l'Empereur était évidente. Son opposition à l'Eglise de tous les temps était constante. Napoléon ne cherchait qu'une chose : utiliser la puissance spirituelle de l'Eglise pour accroître sa force de police sur la société européenne. L'effondrement de la Grande Armée, et l'Invasion furent d'une promptitude incroyable.

Pie VII savait que l'immense majorité des protagonistes du champ politique voulait la chute de l'Empire. Le retour de la monarchie des Bourbon était à la fois légitime puisque la dynastie était sacrée et utile, parce qu'elle avait l'aval d'une partie importante de la population française et des Puissances européennes.

Quant au fond politique de Pie VII, il se révèle au début de la Lettre Apostolique à Mgr de Boulogne. Pie VII qui faisait montre de républicanisme sous l'occupant jacobin, accueille avec ferveur le retour des Bourbons sur le trône millénaire de France :

... nous nous réjouissions d'avoir été rendus à nous-même, ou plutôt à l'Eglise, et nous rendions au Père des miséricordes nos humbles actions de grâce pour un si grand bienfait, lorsqu'un nouveau sujet de grande consolation est venu accroître notre joie : nous avons appris que le roi désigné pour gouverner la nation française était un descendant de cette glorieuse race qui a produit autrefois saint Louis, et qui s'est illustrée par tant de mémorables services rendus à l'Eglise et à ce Siège Apostolique.

4 - Les griefs de Pie VII sur la Charte d'avril 1814

Quels sont les griefs de Pie VII sur le projet de Charte :

  1. La Charte ne fait pas référence à la religion catholique
    Nous avions espéré qu'à la faveur de l'heureuse révolution qui venait de s'accomplir, non seulement la religion catholique serait délivrée sans aucun retard de toutes les entraves qu'on lui avait imposées en France, malgré nos cons tantes réclamations, mais qu'on profiterait des circonstances si favorables pour la rétablir dans tout son lustre et pourvoir à sa dignité. Or, nous avons remarqué en premier lieu que, dans la constitution mentionnée, la religion catholique est entièrement passée sous silence, et qu'il n'y est pas même fait mention du Dieu tout-puissant par qui régnent les rois, par qui les princes commandent.

  2. La Charte promeut la liberté des cultes et des opinions :
    ... c'est le 22° article de la constitution. Non seulement on y permet la liberté des cultes et de conscience, pour nous servir des termes mêmes de l'article, mais on promet appui et protection à celte liberté, et en outre aux ministres de ce qu'on nomme les cultes.

  3. La Charte instaure la liberté de la presse :
    Notre étonnement et notre douleur n'ont pas été moindres quand nous avons lu le 23° article de la constitution, qui maintient et permet la liberté de la presse, liberté qui menace la foi et les mœurs des plus grands périls et d'une ruine cerlaine.

Pie VII fulmine encore contre les articles 6, 25 et 26 dont nous ne disposons pas et que le Pape ne commente pas à Boulogne lui laissant le soin d'y trouver ce qui lui semble mauvais. Et il charge Boulogne de s'entourer des évêques français qui lui paraissent adaptés à la mission d'aller tourver le roi pur obtenir son veto.

5 - L'effet de la Lettre de Pie VII

Nous n'avons pas retrouvé (rechercher dans les Mémoires de Villèle et ceux de Chateaubriand) trace de démarche spéciale de Mgr de Boulogne. Mais, nous pouvons vérifier que le texte promulgué par Louis XVIII comporte un article 6 qui cite la religion catholique comme religion de l'Etat. Louis XVIII a donc entendu raison de Pie VII sur ce point. Mais; il est une exception au principe de l'article 5 qui lui est supérieur et qui consacre la liberté de culte et d'opinions. Pie VII a donc bien été évincé par Louis XVIII.

On note aussi que le fait que les ministre du culte des sectes protestantes sont pris en charge par l'Etat à égalité avec les ministres catholiques, qui paraissait mo,strueux à Pie VII, est conservé par la Charte promulguée par Louis XVIII.

6 - Evaluation du catholicisme de la Restauration

Les historiens républicains ont souvent protesté contre la Restauration, alliance du Trône et de l'autel, du sabre et du goupillon. On voit que la chose est plus nuancée. Louis XVIII st loin d'avoir donné satisafaction au Pape. Au contraire, il a conservé des mesures fortement républicaines comme le principe de la liberté des cultes ou celui de la liberté des opinions. Quand il fait une concession aux catholiques, c'est sur le mode d'une exception à un principe libéral.

Une autre position que celle de Louis XVIII était-elle défendable ? De nombreuses personalités affirmaient quon ne reviendrait jamais plus à l'état d'avant la Révolution. Et c'est bien à une Restauration de cet état d'avant la Révolution que le Pape encourageait Boulogne. On peut donc dire que la Restairation, terme consacré pour désigner le régime instauré par le retour de Lous XVIII est en fait un fantasme du Pape et qu'elle n'a pas eu lieu.

Trompés par leur verbiage revanchard, les royalistes et les catholiques se sont joués une comédie à leur gloire pendant ques les républicains et les anti-cléricaux préparaient leur retour depuis les Cabinets ministériels et les Chambres instaurés par Louis XVIII.


Revue THOMAS (c) (2011)