Abus sexuels dans l'Eglise catholique romaine - Affaire du Diocèse de Cloyne

Abus sexuels dans l'Eglise catholique romaine - Affaire du Diocèse de Cloyne

Philippe Brindet - 4 Septembre 2011

1 - Position de l'affaire

Ainsi qu'on le sait, les diocèses irlandais de l'Eglise catholique romaine sont agités depuis quelques années par les plaintes en justice, puis les jugements de condamnation et enfin par les rapports d'enquête qui établissent de monstrueuses affaires d'abus sexuels et d'autres maltraitances. Réputée extrêmement catholique, la République d'Irlande Eire s'est caractérisée par un acharnement inébranlable à poursuivre les institutions ecclésiastiques en cette affaire.

Le drame est que malheureusement, anticléricalisme à part, cette République a eu raison.

Tout récemment, le diocèse de Cloyne est revenu dans la surveillance d'un Rapport de l'Etat sur le traitement des affaires criminelles dans ce diocèse. Et selon le rapport, non seulement la situation aurait peu changé, non seulement les sanctions n'auraient pas été assurées au niveau ecclésiastique, mais le Vatican lui-même aurait fait montre d'une arrogance extrême, méprisant ses propres règles conduisant à dénoncer aux autorités civiles les crimes perpétrés par les ecclésiastiques.

On parle de dix-neuf prêtres criminels dans le seul diocèse de Cloynes. Or, une rapide interrogation permet de trouver le site Internet du diocèse de Cloyne sans erreur possible. Et d'accéder à un annuaire des prêtres du diocèse. Cet annuaire relève 126 prêtres. Nous supposons que les noms des 19 criminels ont été éliminés de l'annuaire et qu'ils n'y ont pas été numériquement remplacés. On parvient alors à un indice de criminalité du clergé de Cloyne de 19 / (126+19) = 13,1%.

Premièrement, nous n'en tirerons pas une généralisation pour l'ensemble des diocèses de l'Eglise d'Irlande, et encore moins pour le reste de l'Eglise catholique romaine. Secondement, on ne peut considérer le problème des abus sexuels dans l'Eglise catholique romaine comme un fait marginal, comme il en existerait dans "toutes" les institutions sociales.

2 - La défense du Diocèse de Cloyne

Le diocèse de Cloyne publie sur son site Internet un état des 19 prêtres cités par le rapport d'Etat. Contrairement à l'usage, on citera ici l'ensemble du contenu de la page pour que son information reste :

Present status of clerics mentioned in the Cloyne report

The report as published refers to allegations, concerns or suspicions concerning 19 different clerics which were brought to the attention of the diocese between 1996 and 2009.

 The terms of reference of the Commission extended to all complaints received by Church or civil authorities since 1996. These complaints received in that time frame referred to cases from the 1930s, 1950s, 1960s, 1970s, 1980s 1990s and 2000s.

Of the 19 clerics mentioned in the report, 2 are not priests of Cloyne diocese – 1 is a member of a religious order and 1 retired from Brisbane diocese – and 1 is unidentifiable. Of the complaints received against the remaining 16 clerics of the diocese, in 11 cases the complaints/concerns received met the criteria for credible allegations of sexual abuse.  One of these priests was subsequently prosecuted and convicted of an offence in this regard.

In relation to the 11 priests whose cases met the criteria for credible allegations of sexual abuse,

  • 7 are now deceased  
  • 1 has left the priesthood.
  • 3 are out of ministry.

In relation to the other 5 cases

  • 3 cases contained no allegation of sexual abuse or of any offence being committed.
  • 2 priests of the diocese, one of whom is now deceased, were complained by the same individual.  The report notes that the Gardaí could not find sufficient corroborating evidence for a prosecution and that the civil cases were later discontinued by the complainant.

During the period over which the events complained of in the report occurred some 415 priests served in the diocese of Cloyne.

Si on écoute les autorités du diocèse de Cloyne, il n'existerait, à l'heure de la publication du rapport d'Etat plus aucun des 19 prêtres incriminés. On note que dans le nombre, plusieurs sont décédés depuis des dizaines d'année, d'autres ne sont pas membres du diocèse, et d'autres enfin ne sont même pas incriminés dans des affaires criminelles. Le cas des deux prêtres restant aurait d'ailleurs récemment été traité par la Justice civile irlandaise qui aurait relaxé les deux ecclésiastiques.

Il en résulterait un indice "absolu" de criminalité qui serait au pire de 19/415 = 4,5%, et en le distribuant sur les 80 ans de la période contrôlée, de 0,045/8 = 5,7 pour mille. Pire, si on admet les explications du diocèse de Cloyne, les 19 prêtres incriminés se réduiraient à un seul prêtre déjà condamné ( citation plus haut : "One of these priests was subsequently prosecuted and convicted of an offence in this regard.").

Même si le Diocèse de Cloyne ne fait prudemment aucun commentaire, il semble que, de son point de vue, l'accusation publique de 19 Prêtres criminels soit parfaitement infondée et sans substance.

3 - La défense du Vatican

Le Vatican a été violemment pris à partie par l'Etat irlandais. Une rencontre a même été organisée au début Septembre entre le plus haut niveau de l'Etat irlandais (Ministre des Affaires étrangères) et la Secrétairerie d'Etat du Vatican. Cette rencontre a été annoncé le samedi 3 Septambre 2011 notamment par trois communiqués de l'Agence AFP, tous impliquant l'attitude du Vatican en rapportant certaines déclarations véhémentes des autorités irlandaises. On notera les trois dépêches suivantes :

  1. Pédophilie: le Vatican reconnaît de "graves manquements" du diocèse irlandais de Cloyne
    AFP
    03/09/2011 à 12:57
  2. Pédophilie, le Vatican s'efforce d'éteindre la mèche irlandaise
    AFP
    03/09/2011 à 17:19
  3. Irlande, la réponse du Vatican acceptée
    AFP
    Publié le 03/09/2011 à 18:52 Réagir
On note la gradation qui montre combien l'information initiale manquait de pondération. Dans l'avenir, dans les archives de AFP qui lira la troisième dépêche citée ?

Le Vatican a publié sur son site Internet, un très long document intitulé : Response to Mr Eamon Gilmore, Tánaiste and Minister for Foreign Affairs and Trade of Ireland, concerning the Cloyne Report.

Dans ses Remarques conclusives, le Vatican écrit :

In a spirit of humility, the Holy See, while rejecting unfounded accusations, welcomes all objective and helpful observations and suggestions to combat with determination the appalling crime of sexual abuse of minors.
Dans un esprit d'humilité, le Saint Siège, tout en rejetant les accusations infondées, accueille toutes les observations et suggestions utiles et objectives pour combattre avec détermination le crime effrayant d'abus sexuel sur mineurs.
Quelles sont les accusations infondées relevées par le Vatican ?

Le document du Vatican discute des points suivants :

  1. Elements concernant le Saint Siège rapportés par le Cloyne Report
  2. Un discours du Ministre des affaires étrangères d'Irlande sur l'affaire du diocèse de Cloyne
  3. Sur d'autres accusations du Ministre des affaires étrangères d'Irlande sur l'affaire du diocèse de Cloyne
  4. Sur l'Eglise et la responsabilité d'un Evêque
  5. Sur l'articulation entre loi civile et droit canon
  6. Sur la législation ecclésiastique de protection de l'enfance
  7. Sur la Ciculaire du Saint-Siège du 3 mai 2011
  8. La Lettre de Benoît XVI aux catholiques d'Irlande de 2010
Dans ces 8 points, le Vatican expose les principaux griefs contre lui. On ne note rien qui puisse venir en défense de l'attitude de l'Eglise d'Irlande ou de celle du Diocèse de Cloyne.

Les accusations ou griefs contre la Vatican exprimés par les plus hautes autorités de l'Etat irlandais consistaient essentiellement en une attitude de Rome de protéger les ecclésiastiques en entravant par tous moyens les voies de la Justice.

Le document du Saint SIège établit clairement et de manière détaillée que les griefs et autres accusations portés contre Rome sont :

  • ou bien sans fondement ;
  • ou bien erronnées.

Particulièrement, parmi les erreurs relevées par lRome, on note l'ignorance des accusateurs de la séparation entre les services de la Curie et les Conférences épiscopales et les diocèses. Sur de nombreux points, Rome n'a aucune autorité sur les ecclésiastiques nationaux/. Le Vatican donne le cas de la "recognitio" d'un document de la Conférence épiscopale d'Irlande par Rome. Rome n'avait pas le pouvoir de reconnaître un tel document. Ainsi, le document du Vatican indique "... a Bishop is always free to enact laws or adopt guidelines for his own Diocese without any need to refer to the Holy See". Ceci n'empêche pas que Rome donne son avis ni que cet avis soi recherché. Mais il n'est ni de son autorité, ni de son fait d'accorder une quelconque autorité à un document qui doit être édicté par une autorité ecclésiale locale.

Où en est on dans cette affaire des abus sexuels ecclésiastiques ?

Il est impossible de se prononcer à ce sujet. De très nombreux ecclésiastiques incriminés ne sont pas des prêtres "du rang". Ils sont le plus souvent très proches des plus hautes instances diocésaines ou conférencières. Il est donc certain que de nombreux ecclésiastiques ayant les moyens de contrôle des prêtres abuseurs ne pouvaient pas ne pas savoir. Et il semble que la responsabilité locale des ecclésiastiques qui ont tolérés et souvent protégés indirectement les abuseurs en les promouvant dans la hiérarchie locale soit immense.

Quant au Vatican, il n'a absolument aucun moyen de contrôle si les diocèses ou les Conférences lui masquent la vérité, ce qui a probablement été le cas. On lui prête alors des intentions coupables lorsqu'il s'agit simplement d'une incapacité à tous points de vue.

Le problème des abus sexuels dans l'Eglise est absolument dramatique. Mais, il y a tout lieu de penser que la police et l'action des personnes abusées, maintenant constituées en puissantes associations de défense devraient remettre de l'ordre dans ces erremens inqualifiables qui durent depuis un temps incroyable. Que les ecclésiastiques coopèrent avec la Justice laïque semble absolument inévitable et cette coopération ne peut plus qu'être totale. Le document du Vatican ne laisse aucun doute sur ce point.

Mais, il est clair que, s'il existe des abus sexuels sur mineurs, qui sont des crimes aussi bien dans le droit de l'Eglise que dans les lois civiles, il existe des crimes sur d'autres personnes qui ne sont sanctionnables que dans le droit de l'Eglise. Ce sont les crimes de comportement social qui viennent en faute de la règle centrale de la chasteté de la vie religieuse. Il existe trop d'ecclésiastiques qui vivent dans des états qui les rendent canoniquement invalides à l'Ordre.

Le problème réside en ce que nombre de ces crimes vont progressivement être protégés par les lois civiles. Ainsi, les relations sexuelles entre religieux - cas du cardinal Groer - ou entre un religieux et des laïcs - cas de l'ancien archevêque de Milwaukee - pourraient si elles ne le sont déjà, être protégées par les lois civiles contre les discriminations.

Rome, les Conférences épiscopales et les diocèses seraient alors désarmés totalement dans la défense de ce qui devait être la meilleure protection de l'enfance contre les abus sexuels : la chasteté radicale des religieux. Il ne leur restera plus que l'immédiate dénonciation du religieux criminel. Mais ce sera trop tard pour l'abusé. Plus encore, ce n'est pas après l'abus sexuel que le religieux est coupable selon le droit de l'Eglise. C'est bien avant, quand il n'a pas respecté la règle impérative de la chasteté. Et ce ne sont pas dix ou cent prêtres qui sont concernés. Ce sont des milliers, même si aucune statistique existe.

Plus prosaïquement, on voit qu'il ne faut pas se laisser entraîner par les meutes de loups hurlant autour de Rome. Beaucoup de malveillance dans ses mises en cause et aussi beaucoup d'ignorances. On peut à la veille du cionquantenaire de l'ouverture du concile de l'aggiornamento mesurer le degré d'efficacité de cette ouverture. Zéro.


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