La désindustrialisation de l'Occident

La désindustrialisation de l'Occident

Philippe Brindet - 18 janvier 2012 & 24 avril 2012

Un candidat à l'élection présidentielle en France a exhumé d'un coup le niveau ridiculement faible de l'industrie dans notre pays et en Europe. Plusieurs autres candidats et le président de la République sortant se sont à leur tour emparés du problème et ont jonglé avec les déclarations volontaristes. En réaction, les "mondialistes" qui se montrent volontiers comme des "esprits fort au-dessus de la mêlée" ont ricané sur le retour du "achetez français" qui fit tant rire lors de l'élection présidentielle de 1981, tant il paraissait à l'époque évident que l'on ne pouvait pas faire autrement .... Les temps ont bien changé ... Et les rieurs ne sont que des incompétents politiciens.

Dans le Washington Post de ce jour, paraît un article "U.S. losing high-tech manufacturing jobs to Asia" du journaliste Peter Whoriskey.

Images de la décadence industrielle des Etats-Unis

La Chine et neuf autres nations d'Asie totalisent les dépenses de recherche des Etats-Unis. Le nombre de doctorats en ingéniérie délivrés par la Chine a dépassé le nombre de ceux délivrés par les Etat-Unis. Enfin, le nombre de chercheurs employés par des firmes US hors Etats-Unis a doublé.

Dans la décennie 2001-2010, l'emploi manufacturier dans les technologies avancées a réduit de 28%. Si l'attrait des bas salaires hors des Etats-Unis explique une partie de cette disparition d'emplois, il faut savoir que dans la seconde moitié de la décade les prix manufacturiers de la Chine ont considérablement augmentés. La raison en est très simple. Les Chinois veulent consommer les produits qu'ils fabriquent pendant que l'on veut faire croire que les occidentaux ne veulent pas s'abaisser à fabriquer ce qu'ils consomment.

Ces chiffres et tendances sont étudiés dans un Rapport du National Science Board des Etats-Unis et d'une étude du Boston Consulting Group. Le mouvement est sensiblement le même en Europe. Ainsi, Philippe Camus, P-DG de Alcatel-Lucent, dans un article de janvier 2012, indique que :

L’industrie occupe encore une place centrale dans l’économie et la société européennes. Elle représente directement 20% du PIB et 18% des emplois de l’Union. ... l’industrie européenne est globalement plus puissante que l’industrie des Etats-Unis tant en production totale (environ 2600 milliards € dans le PIB), qu’en poids dans les échanges mondiaux (environ1500 milliards € d'exportations).
Mais, l'Europe a un déficit considérable en matière de technologies avancées et de recherche.

Une statistique sur le nombre de brevets publiés concernant les transistors s'établit ainsi :
Pays 2008200920102011
CN 300 390 482379
US 1085 9891003789
FR 61 463634

Sous-estimation des USA et sur-estimation de la Chine

Il est certain que les chiffres statistiques de la Chine sont extrêmement douteux. Il s'agit, d'après nos informations, de chiffres produits par des agences du gouvernement chinois, qui sont ensuite repris et corrigés par de grands instituts occidentaux qui, dans la période soviétique, ne se sont pas montrés très indépendants de la propagande soviétique. Le seront-ils de la propagande chinoise ? On peut en douter. On sait donc que la Chine pourrait voir son évaluation économique surestimée. Les images et les nouvelles en provenance de Chine sont pourtant formelles. Il se met en place une classe moyenne fortunée et il existe une classe de super riches. Les villes sont en pleine expansion et offrent l'image d'une prospérité tapageuse. On sait cependant que le sort des campagnes est encore misérable.

Dans le même temps, il est clair que les Etats-Unis ont avantage à sous-estimer leur puissance pour éviter la convoitise, des chinois notamment. Il est évident qu'en termes d'expansion, la Chine ne peut qu'acoir des visées à l'horizon des années 2050 sur les Etats-Unis. Y parviendra t'elle par les armes ou par l'achat de l'économie américaine ?

Le problème de l'extinction économique des nations

Mais, les statistiques n'ont de mérite que si le nombre d'individus, d'unités si vous préférez n'est pas trop petit. Si seules trois unités sont comptabilisées, mettons l'Europe, les Etats-Unis et la Chine, la statistique ne permet de rien voir du tout. Ainsi, nous rappelions la misère probable des campagnes chinoises. Elle rend l'évaluation de la richesse des villes suspectent. De même, si la Californie admet des chiffres élevés de production industrielle, l'Arkansas ou le Delawre pourraient ne pas être bien brillants. Il en résulte que la statistique sur de "gros" ensembles ne présente pas d'intérêt.

Le cas de l'Europe est tout à fait symptomatique. Si l'Allemagne accroît semble t'il son effort industriel, la France et la Grande-Bretagne subissent une décadence remarquable de leur industrie. L'idée de régions spécialisées est parfaitement improductive. Mais elle s'adapte très bien à l'idéologie de la mondialisation, dont elle est l'un des piliers. Et dont l'effet est celui de l'extinction des nationalités.

Or, la désindustrialisation a un effet évident. Cet effet est affirmé aux Etats-Unis, notamment par le président du Conseil des Sciences et des Technologies. Il s'applique partout et nous l'avons nous-mêmes, à la Revue Thomas, plusieurs fois affirmé :

We cannot remain the world’s engine of innovation without manufacturing activity.” Nous ne pourrons rester le moteur de l'innovation mondiale sans une activité de fabrication.
Une région de quelque taille que ce soit ne peut avoir de recherche si elle n'a pas de production. Mais, c'était autrefois une évidence que l'idéologie de la mondialisation, qui se fondait sur la "facilité" des communications de manière entièrement erronnée, a fait disparaître aux yeux de beaucoup.

La réindustrialisation de la France n'a de sens que si des idées politiques cohérentes avec cette ambition se mettent à régner. Si on continue à chanter les chansons mondialistes et à se laisser endormir par les fables récitées par des incompétents et des nuisibles, on verra l'industrie décliner un peu plus.

Mais il y a une bonne nouvelle. Selon le rapport du National Science Board des Etats-Unis, dans cinq ans, le coût de production en Chine aura rejoint celui des Etats-Unis. Il faut noter que les Etats-Unis ont fait de considérables gains de productivité notamment par l'organisation du travail et par l'automatisation. La France sera t'elle capable de faire le même gain et d'aligner son coût de production avec celui de la Chine ?

Toujours est-il qu'il est un peu paradoxal de discourir sur "la France", "la Chine", ou encore sur "l'Allemagne". Au point de vue économique, la chose n'a plus la même couleur qu'il y a trente ans. En effet, le "made inFrance" par exmple, ne signifie plus rien de réel. Et quand vous achetez des denrées périssables, elles viennent de pays lointains ! Dans le même temps, la plupart des Etats politiques prélèvent de plus en plus d'argent sur la production de biens et de services. Et ce prélèvement finira par être la dernière caractérisation nationaliste en matière économique.

Comme dans le même temps, les plus gros propriétaires de valeurs économiques sont poussés à virtualiser cette richesse pour éviter de lui donner une valeur "nationale" qui serait immédiatement spoliée, on se demande s'il ne faudra pas trouver un moyen pour dématérialiser la valeur travail ... La réindustrialisation "nationale" n'est donc pas "gagnée".

Une critique des catastrophistes de la désindustrialisation

Dans un article intitulé Les fadaises de la désindustrialisation, Publié le 9/08/2011 dans la revue Contrepoints sous la plume de Georges Kaplan, cet auteur se moque gentiment des "pleureuses" de la soi-disant "désindustrialisation".

Il est suggestif que l'invocation de la "désindustrialisation" soit pour lui un symptôme d'une maladie du libéralisme qui'il appelle le protectionisme. Bien.

Les arguments de Kaplan ne sont pas mauvais. Mais, ils manquent leur cible.

La vieille excuse du machinisme

L'argument de base de Kaplan pose que l'automatisation a permis d'abord de réduire les emplois industriels, puis d'améliorer les rendements productifs. Il cite ... :

... en 1970, le salarié moyen de l’industrie française produisait l’équivalent de 74 000 euros par ans ; 40 ans plus tard, son fils produit plus de 273 000 euros – soit 3,7 fois plus.C’est donc avant tout l’automatisation des chaînes de production qui explique le recul des emplois industriels et c’est grâce aux gains de productivité qu’elle nous a permis de réaliser que la valeur réelle des biens industriels a également baissé.
Quarante ans, ce n'est pas le fils, c'est plutôt le petit-fils ... Mais çà ne change rien à l'argument.

Kaplan cite ensuite les "externalisations", et il explique :

C’est une des grandes mutations que les entreprises – notamment industrielles – ont connu ces dernières décennies ; elles se sont recentrées sur leurs métiers de base en confiant les tâches annexes à des entreprises spécialisées – et notamment des entreprises de services. Typiquement, si la propreté des sites industriels était autrefois assurée par le personnel des usines ; elle est désormais externalisée auprès d’entreprises spécialisées avec sa valeur ajoutée et son personnel.

Le slogan furieux : le recentrage

Cà, c'est un vieux truc qui a été imposé vers 1985 essentiellement pour casser le chauvinisme économique. Nous avions en France plusieurs groupes importants intégrés comme Thomson ou la CGE. Pour des motifs purement idéologiques, ils ont été prié de se recentrer sur leurs "métiers de base" comme dit Kaplan. Mais, c'était une foutaise qui permettait simplement de comptabiliser le coût des licenciements prévus dans des entreprises sans valeur.

De plus, ce lamentable slogan du "recentrage" s'est appliqué jusque dans des PME et au-delà du ridicule. Elles n'avaient jamais qu'un "métier de base" et si elles externalisaient les tâches "annexes", elles perdaient évidemment toute compétitiivité, parce qu'elles ne maîtrisaient plus leur procès de fabrication.

Et non seulement les entreprises externes ont été conduites à la faillite en moins de dix ans par la pression sur les prix que leur imposait le client unique, mais les PME autour d'elles se sont trouvées incapables de poursuivre leur rôle économique.

Plus encore, la plupart des fameux "métiers de base" sur lesquels se sont "recentrés" les groupes industriels qui avaient crûs pendant les Trente Glorieuses, et à leur exemple jusqu'aux PME qui aujourd'hui nous manque, se sont révélés de ruineux "nanars" industriels. Et une fois emprisonnés dans la faillite des vélo-taxis à la Libération (Voir "Le Viager" ...), les entreprises étant incapables alors d'accomplir des mutations, puisqu'elles se trouvaient piégées dans leur "métier de base".

Le recentrage industriel fait furieusement penser à une autre technique très en usage en mai 40 : le repli stratégique. Ce fut le temps où on n'avait jamais aussi bien reculé (Voir "La 7ième Compagnie" du défunt Robert Lamoureux).

La statistique est le pire des mensonges

... quand elle est manipulée par un esprit pervers. Ainsi, Kaplan se borne à répéter ce que les nullités au pouvoir à HEC ou Sciences Po' anonnent avec des mines de satisfaction sur des ventres replets. Ainsi, quand Kaplan nous apprend doctement :

En 1970, ce secteur de notre économie employait environ 4,4 millions de personnes ; en 2010, ce chiffre est tombé à 2,3 millions ...
il ne note pas qu'en 1970, il y avait 300.000 chômeurs et qu'en 2010, il y en avait 2,4 millions. Or, c'est exactement la perte d'emplois industriels sur cette même période.

Les 6 millions de sans-travail que nous avons - oui 6 millions - sont bien plus nombreux que les pertes d'emplois industriels. Mais, c'est parce que quand une société perd un emploi industriel, ce sont plusieurs emplois dérivés qui sont perdus.Comme c'est exactement la même chose pour l'agriculture qui est au bord de la ruine en croulant sous les excédents, notre lecteur comprendra facilement d'où viennent les 6 millions de vrai-chômeurs dont pourtant Kaplan serait sûrement certain qu'il s'agit d'un mensonge.

Et pourtant, ils sont là les 6 millions de chômeurs. Et vous ferez peut être partie du 7° ou du 8° million du train où en vont les choses ..

Note

On pourra lire quasiment la même chose que dans l'article de Kaplan dans :

  • La désindustrialisation est un faux problème, du 16/11/2011 |par Anis Bouayad du Cercle des Economistes dans les Echos ;
  • Pourquoi la France doit continuer à se désindustrialiser par Julia Cagé, 05/03/2011 dans La Tribune ;
  • Inversement, on pourra lire sur la déinsdustrialisation :

  • Réflexions impertinentes sur la désindustrialisation de la France et le rôle des ingénieurs, par Jacques PRINTZ, professeur émérite du CNAM;

  • Philippe Brindet (c) (2012)