Juppé. La droite au service de la gauche

Juppé. La droite au service de la gauche

Philippe Brindet - 02 mars 2012

Le bout de route : Juppé avec Rocard

"Oui je suis de gauche ", dit Michel Rocard à Alain Juppé qui renchérit : " Oui je suis de droite ". Ils n’en changeront pas, mais cette fidélité ne les aveugle pas sur les faiblesses et carences de leurs familles politiques. Ce n’est pas Michel Rocard mais Alain Juppé qui fustige la tentation ultralibérale de la droite, ses égoïsmes de classe et ses ambiguïtés sur l’Europe. Ce n’est pas Alain Juppé mais Michel Rocard qui tire à boulets rouges sur la gauche, sur son incapacité à assumer l’économie de marché, le réformisme et le compromis politique auxquels elle adhère, pourtant, dans les faits. L’un est gaulliste, l’autre social-démocrate. Le premier est aussi éloigné de Nicolas Sarkozy que le second l’était de François Mitterrand. On découvre, là, une deuxième droite, pendant de la deuxième gauche. Il en souffle un vent d’air frais sur la politique, ...
Source : La politique telle qu'elle meurt de ne pas être, de Michel Rocard et Alain Juppé , Un dialogue entre Alain Juppé et Michel Rocard, mené par le journaliste et écrivain Bernard Guetta, livre des éditions J.-Cl. Lattès, publié en janvier 2011.

De qui se moquent Juppé et Rocard ?

La tentation ultralibérale de la Droite ?

Juppé prétendrait combattre la tentation ultralibérale de la "Droite" ? Mais c'est insensé ! Nous avons eu le gouvernement le plus dirigiste, le mieux socialiste depuis l'avènement de François Mitterrand. Au lieu de nationaliser 1% de l'économie du pays, Sarkozy a tout simplement nationalisé 80% des entreprises, par l'impôt.

Et j'insiste : 80% et pas 56% comme le prétendent certains individus qui n'ont toujours pas compris la formule des intérêts composés ...

L'incapacité de la Gauche à assumer l'économie de marché ?

Mais c'est absolument faux. La plupart des patrons du CAC40 sont des socialistes et François Hollande est complètement dans la main des marchés d'autant plus qu'il prétend les "combattre".

La fuite en avant du progressisme

Tout d'abord, il faut noter que, sans même connaître le travail commun de Juppé et de Rocard, les agissements de Juppé au Ministère des Affaires étrangères ont été d'entrée marqués par le souci de complaire au progressisme le plus gauchiste. Ainsi, Juppé a placé le gouvernement français à la disposition d'un agité en chemise blanche pour aller aider ses amis dans les sables libyens. Pour la "victoire" de la démocratie selon les phrases creuses de ces gens qui ont tout fait, tout discouru et rien compris.

Quand les Hongrois ont voulu ratifier leur Constitution qui invoque la protection de Dieu, Juppé a été le premier à "fustiger les réactionnaires qui mettent en danger la démocratie", dans la meilleure tradition de l'extrême-gauche marxiste, maoïste ou trotskyste. Si l'on en croit Wiipedia, en 1969, Alain Juppé était sympathisant de la LCR- Ligue Communiste Révolutionnaire de Alain Krivine. Il y a des constantes dont on ne se dégage pas en dehors des étiquettes.

La faillite du mode occidental

La société occidentale est marquée par une fuite en avant de la réalité. Chaque individu qui se croit investi d'une "mission" dans le monde, est poussé par une nécessité angoissante de ne pas être rattrapé par le "progrès". Dans cette fuite en avant, l'économie a été, devant tout autre champ social, la plus exploitée, notamment par les politiciens. Et ensemble avec les commerçants, puis avec les financiers, les politiciens ont conduit les sociétés occidentales, et pas seulement les entreprises, à la faillite.

Du coup, nous vivons dans une société de pacotille, dans un faux luxe ostentatoire. Sur une fausse richesse misérable. Dans des "palaces flottants" qui font naufrage à 80 mètres des côtes ou qui brûlent en Océanie. Dans des voitures de luxe en toc. Les riches vivent à crédit et les pauvres n'ont plus d'argent. Le travail se raréfie parce que l'on ne produit plus de richesses et qu'il n'y a, en France, rien de plus pénible et absurde que le travail.

Alors, on "fait" du service à la personne, que personne n'achète parce que personne ne peut se le payer. Avec la meilleure "Santé" du monde, que le monde "nous envie" nous dit-on, il faut attendre 6 mois pour accéder à un IRM et attendre plus de 8 semaines pour obtenir le compte-rendu d'un examen qui ne trouve rien. Il est interdit de commander pour soi-même un médicament ou un examen biologique. Dans les écoles de cette "excellence" écoeurante de suffisance, les étudiants, abrutis d'alcool et d'hallucinogènes, cochent les cases de formulaires administratifs pour faire des dissertations de culture générale ou des compositions de mathématiques.

Dans cette société française de la tromperie et de la rêverie de plaisirs miséreux, les politiciens n'ont que deux stratégies : s'exiler dans l'eldorado européiste - ah les airs ravis des députés européens - ou faire la course en avant du progressisme.

Juppé - Rocard ? La fusion de la Droite dans la Gauche ?

Rocard vient de la gauche et même de l'extrême-gauche. Le progressisme et ses idées creuses, il connaît. Il en est même écoeuré. Il ne le sait peut être pas vraiment. Mais, en plus, il ne peut pas résister à des réflexes pavloviens. Un peu comme un vieux conseiller municipal qui entend les premières notes de la Marseillaise. Mais, passées les premières secondes d'emprise, il se relâche et sourit les yeux dans le vague.

Juppé entend aussi cette "Marseillaise". Il sent qu'il serait inconvenant de ne pas se mettre au "garde-à-vous même s'il sait que c'est "stupide". Ensuite, il ne peut pas relâcher la "position", parce qu'il a subi une condamnation dont il sait qu'on n'attend qu'un écart de la ligne progressiste pour qu'on la lui jette à la figure. Comme Jean-Paul Sartre qui avait eu tellement peur lors de l'Epuration de 1944 qu'il s'était juré de ne plus jamais se laisser surprendre par sa gauche. Ou encore comme François Mauriac, ce bourgeois dégoûtant, Bordelais aussi.

Alors, pour sauver sa tête, Juppé "fait la course en tête". En tête du progressisme le plus acharné pour n'être dépassé par personne. Il pourrait passer à gauche. Mais, il perdrait la Mairie de Bordeaux qu'il ne "possède" que par concession temporaire de la Droite. Sur des alliances que l'on sent tacites, parce qu'on les ignore. Elles sont d'autant plus chères à payer quand on en bénéficie.

Et c'est comme celà que la "droite" passe au service de la gauche. Par coulage idéologique. Alors même que "la droite" n'a plus de sens, parce qu'elle n'a plus de philosophie politique. Alors, un homme intelligent comme Juppé sait qu'il n'a rien d'autre à espérer que de "faire la politique autrement", en trahissant ses origines et en faisant comme si.

Comme s'il était un progressiste. Ce sera sans Rocard. Pas fou, lui. Et au-dessus de çà.

Vers une recomposition du paysage politique ?

Il existe une réalité électorale qui est conduite entre deux réalismes. A cause de l'emprise du progressisme dans l'Instruction publique et dans les médias, la seule idéologie diffusée est celle du progressisme. La meilleure caractérisation du progressisme se trouve dans Les Possédés de Dostoïevsky, dans le Discours de Chatov (1871). Nous y renvoyons nos lecteurs. De ce fait, il semble à beaucoup de candidats qu'il soit impossible d'être élu en France sans avoir le soutien du progressisme. Le mouvement que suit Alain Juppé est déjà celui de Nicolas Sarkozy depuis son programme électoral de 2005 et sa mise en oeuvre dans son quinquennat. Mais aussi dans le recrutement du personnel tant politique qu'administratif. Le mouvement entre les deux réalismes était déjà chez De Gaulle. Se proclamer de droite, mais ne tenir de discours que de gauche, ce qui flatte le progressisme.

D'année en année, l'allégeance de la "Droite" professionnelle de la politique à l'électorat qui se reconnaît contre le progressisme pour diverses raisons devient de moins en moins forte. Avec le sarkozysme, et c'est là la base de l'ire incroyable du socialisme du PS contre Sarkozy, les liens sont rompus, probablement .

La première conséquence est que l'électorat progressiste, s'il admet tacitement le progressisme des gouvernants de la "Droite politique" professionnelle, est enragé contre le personnel politique de la "Gauche politique" professionnel qui n'a pas su cultiver la santé de l'adversaire de droite. Il en résulte l'émergence d'une gauche révolutionnaire avachie, égalitaire assoifée de privilièges, festive mais maratiste. Cette émergence a été perçue par des aparatchicks du Parti Socialiste comme Montebourg, qui s'est arrêté en chemin, et Mélanchon, qui sent un boulevard se créer devant ses pas dans la première manifestation d'une refondation de la Gauche. Le coup d'Etat réalisé par Eva Joly sur le mouvement écologiste est la seconde manifestation de cette émergence. L'écologie devient simplement un motif de mobilisation, un élément terrien, une base "religieuse" panthéiste et une culture festive du mieux-vivre. Un attrape-mouches. Ensemble, les deux mouvements pourraient peser 1/3 du public, pour environ 15% d'électeurs, au-delà donc des sondages.

La seconde conséquence est que l'électorat de "droite" se sent une fois encore "trahi". Profondément endoctriné par l'idée de la démocratie représentative, l'électorat de droite a deux motifs. La haine de tout ce qui est progressisme et la surveillance jalouse de son état présent dont, quelque médiocre qu'il soit, l'électeur de droite est toujours satisfait. Il préfère l'immobilisme plutôt que la promesse. C'est la raison pour laquelle un nombre incroyable d'électeurs de gauche, qui n'ont parfois pas tout compris du progressisme, peuvent se mettre à voter pour la Droite.

Mais, trahi, l'électorat de "droite" se soumet toujours à la République. Et celà, Marine Le Pen l'a parfaitement compris. Elle sait que la "République" assurera à la fois la satisfaction de la mouvance conservatrice et fera taire les récréminations des uns et des autres. On remarque que, alors que la "gauche" est morcelée entre les Verts - qui sont rouges - et les Rouges qui sont vraiment rouges, la Droite est elle morcelé entre les Frontistes convaincus et l'innombrable populace qui a hanté les travées des enclos UMP du sarkozysme. On parle des déçus du sarkozysme. C'est je le crois, beaucoup plus que celà. Avant, on s'était borné à faire des promesses qui n'ont jamais été tenues. Comme disait Charles Pasqua : "les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent". Et tout le monde en riait, de l'air entendu du cocu à qui on présente l'amant de sa femme. Cette fois, le groupe qui a suivi le sarkozysme se rend compte qu'il a été l'instrument du progressisme. Et la réaction va être terrible. On peut penser que plus de la moitié de l'UMP va faire défection. D'autant que les slogans frontistes résonnent très favorablement à ses oreilles. Ensemble, Frontistes et cocufiés du sarkozysme peuvent représenter 1/3 du public pour environ 15% d'électeurs, en dessous donc des sondages.

Et le choc, c'est que le 1/3 restant du public va se trouver dans le "Marais" de la social-démocratie, groupé autour de trois "leaders" successeurs de Sieyès : Sarkozy, Bayrou et Hollande.

Pour 70% d'électeurs ?


Revue THOMAS (c) 2012