Rapprochement du Vatican avc la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X

Philippe Brindet - 22 avril 2012

Une brève histoire de la situation ecclésiastique

La Fraternité Sacerdotale Saint Pie X FSSPX, fondée par Mgr Lefebvre pour accueillir les prêtres qui ne se résolvaient pas à appliquer le Concile Vatican II comme il s'imposait sous le contrôle de la frange progressiste de l'Eglise catholique, se trouvait ainsi doublement séparée du Vatican. D'abord par son opposition inébranlable au contenu même du Concile Vatican II et plus encore à son applucation pratique. Ensuite, par le fait que, atteint par l'âge, Mgr Lefebvre sachant que sans évêque, sa Fraternité ne pourrait poursuivre, avait sacré lui-même quatre successeurs. Il mourut peu de temps après et, non seulement la Fraternité ne mourut pas, mais elle se développe toujours.

Dans le même temps, la situation dans l'Eglise catholique romaine devient de jour en jour plus critique. Plusieurs faits sont patents. D'abord, le nombre de prêtres se réduit de manière exponentielle. Or, le prêtre est essentiel au catholicisme romain. Ensuite, le nombre de fidèles se réduit, et il se réduit de deux manières. D'abord, il se réduit parce que le nombre de pratiquants qui assistent à la messe dominicale et qui reçoivent les sacrements de l'Eglise se réduit à une vitesse incroyable. Surtout dans les pays occidentaux. Ensuite, parce que, si lors de grandes occasions comme les JMJ ou certains voyages du Pape, les foules chrétiennes réapparaissent, leur connaissance de la foi balance entre l'ignorance et l'hérésie.

Quant aux "fruits du Concile", les autorités de l'Eglise catholique romaine restent accrochés à un discours d'autosatisfaction démenti par les plus simples statistiques et par la réalité pastorale. Déjà le Pape Jean-Paul II, qui fut un inébranlable propagateur du Concile et de son esprit, devait reconnaître que, dans l'application du Concile, "les ombres n'ont pas manqué" au sujet de l'Eucharistie, le sacrement central, quasi fondateur de l'Eglise et ce, dans sa dernière encyclique, Ecclesia de Eucharistia vivit.

Le Pape Benoît XVI, qui était le collaborateur le plus important du Pape Jean-Paul II, puisqu'il était au Vatican le gardien du Dogme, commença son pontificat avec la claire conscience que deux choses essentielles devaient être reprises :

  • la liturgie, parce que sa pratique était dans une dérive constante depuis la fin du Concile
  • le Concile lui-même qui exigeait une herméneutique, une interprétation textuelle, non plus sur le mode de la "rupture", telle qu'elle était pratiquée depuis le lendemain du Concile par les progressistes au pouvoir, mais à la lumière de la Tradition, désespérement soutenue justement par les lefebvristes.

Un rapprochement amical voulu par le Pape Benoît XVI

Il en résulte que le Pape Benoît XVI a pris deux mesures :

  • le 7 juillet 2007, il édicte le Moti Proprio Summorum Pontificum par lequel il institue le rite tridentin dans son dernier état défini par le Pape Jean XXIII, qui avait voulu le Concile Vatican II comme forme extraordinaire de l'unique rite romain, la messe dite de Paul VI ou du Concile étant la forme ordinaire de l'unique rite romain ;
Dans le courant de l'année 2009, il institue à l'intérieur de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, une commission chargée de négocier avec les autorités de la FSSPX les conditions d'un rapprochement. Et en ouverture de ce rapprochement, le pape Benoît XVI lève les excommunications latae sententiae des quatre évêques lefebvristes et des fidèles qui les suivent.

Ces deux décisions ont éclaté comme des catastrophes pour les milieux dirigeants, particulièrement dans l'Eglise de France. Tout a été fait pour que le Motu Proprio Summorum Pontificum ne soit pas appliqué et qu'il ne soit pas applicable. Les réactions hostiles aux négociations avec les lefebvristes ont révélé, particulièrement lors de l'affaire Willamson, la haine totale vouée par les autorités catholiques tenantes de l'application progressiste du Concile à l'encontre des traditionalistes, ou intégristes.

Malgré ce que par euphémisme on appelera "les difficultés", le Pape Benoît XVI a maintenu et soutenu ses deux initiatives. Elles sont en effet vitales pour l'Eglise universelle. Et l'attitude de Benoît XVI est essentiellement amicale à l'égard des intégristes. Il faut reconnaître que c'est probablement la première fois qu'ils sont traités chrétiennement ... par les catholiques. Passons.

Dans quelle situation se trouve le rapprochement de l'Eglise avec la FSSPX ?

Cette situation n'est pas bonne.

En effet, la frange progressiste dans l'Eglise catholique attend de pied ferme les lefebvristes et, en face d'elle, il existe une frange jusqu'au-boutiste chez les intégristes qui considèrent que toute discussion avec Rome est un affaiblissement de l'intégrisme.

Anecdotiquement, on sait que depuis six mois environ, Mgr Fellay, Supérieur de la FSSPX, est soumis à un débat intense de la part de la Commission du Saint-Siège qui exécute les discussions voulues par le Saint-Père. Et dans le même temps, il est soumis aux critiques à l'intérieur de la FSSPX des jusqu'au-boutistes. Mgr Fellay doit signer un Protocole d'accord, qui n'est pas encore l'Accord pour lequel les discussions ont été engagées.

Ce protocole est un Préambule doctrinal par lequel le Vatican exige que la FSSPX marque son accord avec les points essentiels du Concile. Et il est manifeste que Mgr Fellay ne peut pas signer ce protocole en l'état.

Nous ignorons la teneur exacte de ce Préambule doctrinal. Mais il est probable qu'il est exigé de la FSSPX qu'elle reconnaisse l'autorité du Concile sur le Dogme catholique, la doctrine sur l'oecuménisme, sur les relations du christianisme avec le judaïsme, sur la liberté religieuse, toutes choses dont les intégristes sont très éloignés. Une telle reconnaissance heurte le sens ecclésiastique des lefebvristes pour lesquels, dans l'absolu, le Pape est un Souverain tandis qu'un Concile, fut-il universel, n'est qu'une instance consultative qui obéit à son Souverain. Le paradoxe est que les lefebvristes critiquent et contestent d'une certaine manièe l'autorité de leur Souverain.

Quelle possibilité d'une reconnaissance de la FSSPX ?

Il n'est pas prudent de se livrer à des pronostics dans ce genre de matière.

Il est clair que l'accord comporte un volet politique, de politique ecclésiastique s'entend. Or, dans l'Eglise romaine, le rejet politique de la FSSPX est immense. Et le Pape Benoît XVI veut cet accord pour des raisons dogmatiques et non politiques. Si l'accord a besoin de la bonne volonté de Mgr Fellay, il a encore plus besoin de la résolution de Benoît XVI d'imposer cet accord dans l'Eglise romaine.

En effet, il est en théorie toujours possible de signer un accord. Mais, la vie après cet accord ne doit pas être identique à celle avant l'accord. Et si pour les appliquants de l'Accord, il est lettre morte, il sera un accord resté lettre-morte. C'est tout.

Il est clair que la frange jusqu'au-boutiste de la FSSPX aura un rôle majeur dans l'acceptation du Préambule doctrinal par Mgr Fellay. Il est probable que Mgr Fellay ne pourra pas prendre une décision contre une position fortement motivée des jusqu'au-boutistes.

Maintenant, dans les rangs du Saint-Siège, il est évident qu'un groupe innommé - et d'autant plus puissant qu'il n'est pas nommable - n'a absolument aucun intérêt à ce que l'ouverture de Benoît XVI permette de parvenir à un accord quelconque avec la FSSPX. Ainsi, il est clair que la frange progressiste de l'Eglise de France, qui a des correspondants largement aussi puissants dans les autres Eglises nationales, ne veut à aucun prix d'un accord quelconque avec les lefebvristes qui représentent ce que la frange progressiste du Concile Vatican II avait cherché à éliminer dans l'Eglise lors du Concile. Ils sont les aristocrates d'un Ancien Régime que les démocrates de l'Eglise moderne ont définitivement éliminé lors du Concile, placé - et celà a déjà été dit - dans l'Histoire de l'Eglise comme la Révolution de 1789 dans l'Histoire de France.

L'un dans l'autre, les deux parties n'ont pas forcément intérêt à s'entendre. En pratique pour les progressistes, les lefebvristes ne sont pas si nuisibles que celà hors de l'Eglise. Réciproquement, même si leur animosité est intacte, les lefebvristes sont parvenus à un état séparé des progressistes qui n'est pas si désespérant que celà. Il semble que seul le Pape ait exprimé un avis, et même plus, différent.

Quelques réflexions sur la situation

Dans l'absolu, il faut déplorer la situation. L'Eglise tend à la communion de ses membres. Et cette communion doit s'exprimer par le partage d'une foi commune. Or, il n'est pas évident que les adversaires raisonnés des lefebvristes ni que les doctrinaires de la FSSPX aient beaucoup d'éléments de foi communs.

Les deux partis partagent deux choses, qui paraîtront secondaires aux religieux, mais qui conditionnent la religiosité des deux partis opposés :

  1. le catholicisme romain est politique;
  2. le catholicisme romain est une anthropologie.
Bien entendu, c'est après avoir dit celà qu'ils se divisent.

Le catholicisme politique

Les traditionalistes pensent que le politique est au moin soumis à l'autorité morale de l'Eglise, l'Eglise étant principalement une structure de contrôle des esprits et des actions. C'est à la morale de l'Evangile que les peuples sont soumis et l'Eglise qui ne dispose d'aucune possession particulière dans le monde sauf ce qui est nécessaire à son indépendance, doit pouvoir compter sur un pouvoir politique pour étendre le Règne du Christ.

Il est clair que les traditionalistes se sentent particulièrement mal à l'aise dans le monde moderne qui, comme chacun sait et peut l'expérimenter, se moque à peu près complètement d'un prétendu contrôle moral de l'Eglise qui ne s'exerce que dans quelques milieux intégristes, que le monde tient pour particulièrement rétrogrades et sans importance.

A rebours, les progressistes pensent que l'Eglise doit tout faire pour garder le contact avec le monde en général, et avec le monde politique en particulier parce que cette liaison provient de la mission de l'Eglise reçue de son Fondateur. Il n'est bien entendu plus envisageable d'influer directement par la direction de conscience. Au contraire, l'Eglise doit affronter la compétition des influences qui se font jour dans un monde ouvert et considéré comme fraternel. Si fraternel même que pour beaucoup de progressistes, il suffit que l'Eglise épouse LA cause juste du monde et se contente d'être comme l'on dit "compagnon d'humanité".

Et ainsi les progressistes se sentent particulièrement intégrés dans le monde avec lequel ils se confondent le plus qu'ils peuvent.

N'y aurait-il que la question politique, les deux partis sont donc parfaitement inconciliables. A un point tel, que le Pape et les catholiques loyaux ne peuvent partager aucune des deux positions politiques rappelées. La position catholique loyale se situe ailleurs et elle n'est pas exposable en opposition avec les deux parties précitées.

Le catholicisme anthroloplogique

Les deux parties progressiste et intégriste sont fortement opposées sur un autre aspect essentiel. Celui du statut quasi juridique de l'homme.

Pour les progressistes, l'homme est radicalement le frère de Jésus, le fondateur de l'Eglise. Il en résulte une sorte d'optimisme qui pousse les progressistes catholiques à une fraternité le plus souvent d'une bénignité ridicule. Mais certains, proches des milieux révolutionnaires, en déduisent une sorte de messianisme très peu catholique et très miscible avec n'importe quelle folie révolutionnaire.

Avec les progressistes, on finit toujours par leur faire admettre que l'homme ait été sauvé par le Christ. Mais, le Salut transforme l'homme en "ami de Dieu" . Et entre égaux, il n'y a aucune ombre, et une grande convivialité.

Pour les intégristes, Dieu est le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs et l'homme, sa créature, est un misérable qui a attenté à la majesté divine par le péché originel. Le Salut par le Christ est une proposition qui doit être reçue par chacun dans ce monde par la conversion et une soumission à la Volonté divine qui impose un effort de tous les instants et qui ne peut se vivre que dans une Eglise enseignante et maîtresse.

Avec les traditionalistes, on est très loin de la convivialité et de l'optimisme des progressistes.

Pour paraphraser un fameux auteur du XIX° siècle, trop longuement égaré dans le XX°, on pourrait dire que si les intégristes envisagent l'opium du peuple dans l'autre monde, les progressistes le pensent pour ce soir. Plus sérieusement, pour les intégristes, l'homme est pécheur quand il est sauvé pour les progressistes. Il y a là plus qu'une nuance, plus que des mots.

Bien entendu, la vérité ne se situe pas là et encore moins en une moyenne entre les deux extrêmes. Mais, il est clair que la liturgie pratiquée depuis Vatican II est plutôt conforme à l'anthropologie progressiste, quand celle des intégristes se rapproche plus de leur dolorisme.

L'irréconciabilité des deux positions est illustrée par le fait que les assemblées qui pratiquent l'une des formes du rite romain ne pratiquent pratiquement jamais que contraints par la nécessité l'autre forme. On peut penser qu'il n'y aura aucun rapprochement efficace entre le lefebvrisme et le Vatican tant que les prêtres ne célébreront pas les deux formes du rite romain. Sinon habituellement, du moins sans difficulté particulière.


Auteur (c) 2012