Les douloureuses tractations avec les lefebvristes*

Les douloureuses tractations avec les lefebvristes

Philippe Brindet - 13 mai 2012

La volonté inébranlable de Benoît XVI

C'est la volonté inébranlable de Benoît XVI qui motive l'acharnement avec lequel le Vatican maintient un dialogue avec la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Comme précédemment indiqué, il y a bien trois fractions dans la Fraternité des lefebvristes. Les adversaires résolus à toutes discussions avec le Saint-Siège, les aventureux qui veulent aller aussi loin que possible avec le Pape et les attentistes qui attendent quand tout celà "cassera".

Le public est informé des affres qui agitent chacune de ces fractions lefebvristes. On l'est beaucoup moins des agitations au sein même de l'appareil de la Curie romaine. On sait seulement deux choses. D'abord, la bienveillance du Pape est sûrement partagée par un certain nombre d'opérateurs de la négociation, ou discussion ou tractation avec la Fraternité. On espère que c'est le cas des négociateurs de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Mais, il existe certainement une fraction beaucoup moins bienveillante qui fait tout pour que le dialogue échoue parce que la bienveillance du Pape à l'égard de la Tradition n'est pas seulement issue de sa bienveillance naturelle.

Le Pape a, avant même de donner un nouvel élan au rapprochement avec les lefebvristes, affirmé longuement que le Concile exigeait, non pas une application sur le mode de la rupture avec la Tradition, mais au contraire une interprétation selon la Tradition. Il est donc clair qu'il n'était pas possible de ne pas tenter de se rapprocher avec ceux qui se réclament avec le plus de force de la Tradition et qui la connaissent du plus intime. Par exemple en pratiquant tous les jours son rite suprême qui fait l'Eglise : la Messe du sacrifice eucharistique.

Il n'est pas impossible que l'intégration structurelle de la FSSPX dans l'Eglise soit à la base d'un outil essentiel de ce changement radical voulu par Benoît XVI. Non que le Pape ait l'intention de charger la FSSPX de codifier l'interprétation traditionnelle du Concile que la Fraternité lefebvriste rejette. Mais, il sait pertinemment que la présence amicale de la FSSPX apportera à l'Eglise, littéralement épuisée par cinquante ans de Concile, une vigueur pour se tourner vers la simple connaissance de la Tradition qui lui fait à peu près complètement défaut aujourd'hui.

Mais, tout celà est du domaine de l'hypothèse, de la conjecture, de la supputation. Tant de forces contraires sont à l'oeuvre.

L'échange de lettres entre les évêques lefebvristes

Dans la journée du 10 avril 2012, la presse (essentiellement Le Figaro) s'est fait l'écho de bruits propagés par les blogs catholiques. Les trois évêques intégristes auraient écrit à leur Supérieur, Mgr Fellay, une lettre en date du 7 avril 2012. Le document fait deux pages. Mgr Fellay et ses deux assesseurs ont répondu le 14 avril 2012 par une lettre de quatre pages.

Ces deux lettres ont été diffusées. La FSSPX a protesté contre cette violation du secret des correspondance, mais n'a pas contesté l'authenticité de ces lettres.

La position des trois évêques intégristes

Clairement, il s'agit d'une lettre terminale avant rupture totale avec Mgr Fellay.

Les trois évêques accusent la direction de la FSSPX de rechercher avec la Rome moderniste un accord purement pratique destiné à lui faciliter l'existence en sacrifiant complètement le principe même de la Fraternité.

La lettre est intellectuellement médiocre bien que l'importance de la décision implicite qu'elle recouvre soit énorme. On n'y trouve pas de raisonnement correct pour valider la position intransigeante exprimée par les trois évêques à Mgr Fellay.

Les trois évêques se bornent à énoncer que Mgr Lefebvre, avant de mourir, avait définitivement condamné la Rome moderniste issue de la Révolution française. Constatant que la Rome moderniste n'avait changé en rien depuis cette condamnation par Mgr Lefebvre, les trois évêques intransigeants considèrent que la direction de Mgr Fellay trahit complètement la décision définitive de Mgr Lefebvre.

Pour soutenir leur appréciation du fait que Rome serait restée "moderniste", les trois évêques intransigeants ne citent que trois exemples :

  • les discussions romaines ;
  • le préambule doctrinal ; et
  • Assise III.
C'est rapide.

Sur les discussions romaines et le préambule doctrinal, les trois intransigeants sont muets et nous en sommes réduits aux conjectures. Selon un site intégriste :

Ce préambule contiendrait substantiellement une professio fidei, la profession de foi requise de ceux qui occupent une charge ecclésiastique, engageant une soumission religieuse de volonté et d’intellect à l’enseignement magistériel du Pape et du collège des évêques. Toutefois, le Saint Siège a mentionné à plusieurs reprises que la signature du préambule doctrinal ne signifierait en rien la fin de discussions légitimes ou d’études sur les expressions et formulations présentes dans les documents du Concile Vatican II.
Source : Rorate cœli
Le problème, c'est que cette profession de foi existe depuis plusieurs années et qu'elle est prononcée par tout futur responsable de l'Eglise romaine. Elle n'est en rien un "préambule doctrinal", même si elle suppose un fonds "élémentaire" doctrinal d'une part et s'il est clair que la réintégration dans une structure canonique de l'Eglise romaine obligera probablement les évêques lefebvristes à la prononcer, d'autre part. Par ailleurs, ce que nous savons des déclarations de Mgr Fellay lui-même, c'est que les discussions avec Rome furent difficiles et que le Préambule Doctrinal n'était pas approuvable en janvier 2012. Et nous savons que Rome avait accepté que Mgr Fellay dans sa réponse fasse les amodiations nécessaires à son approbation, amodiations qui avaient déjà entraînées un refus de Rome courant février.

Sur Assise III, nous resterons muets. D'abord, parce que quelques informations seulement ont filtrées sur les choses qui s'y sont passées. Et leur vanité totale ne permet pas d'en voir la dangerosité que disent les trois évêques intransigeants. Mais, on voit ce qu'ils veulent dire. Une condamnation d'un "oecuménisme" concilaire débouchant sur LA religion syncrétiste universelle, dont aucun des pires adversaires des traditionalistes ne soutiendra jamais l'existence, même si elle est présente dans l'esprit de chacun.

Tout le monde en est d'accord.

La réponse de Mgr Fellay

La lettre des trois intransigeants n'apporte rien d'autre que la preuve de leur entêtement, peut être fondé. Elle se borne à un argument vieux de trente ans. Par contre, la réponse de Mgr Fellay et de ses deux assesseurs est proprement stupéfiante.

Jusqu'au communiqué de la Fraternité condamnant la publication de ces deux lettres, j'ai cru qu'il s'agissait d'une provocation de la part d'intransigeants de la Fraternité ou même d'ennemis de la Fraternité dans la Curie. Il faut peut être comprendre que cette lettre est bien de la plume de Mgr Fellay. Elle est totalement nouvelle.

On fera deux notations d'entrée.

  1. La réponse de Mgr Fellay est signée de ses deux assesseurs. Ces deux prêtres ne sont pas évêques, mais ils sont chargés de responsabilités pastorales dans le cadre de la FSSPX. On note que Mgr Fellay a probablement voulu répliquer numériquement aux trois intransigeants par une lettre signée de trois responsables. Mgr Fellay par là montre qu'il est accessible au concept même de collégialité, avec ses assesseurs. De cette collégialité dont les intégristes ne veulent que très peu et qu'ils accusent le Concile d'avoir imposé au Pape. Cependant, on note aussi que la lettre initiale était adressée aussi aux deux assesseurs. On ne doit donc pas surestimer la notation.
  2. Mgr Fellay, et donc ses deux assesseurs, répond, dit-il, à ses interlocuteurs "avec le même souci de charité et de justice". Le terme même de charité est peu fréquent sous la plume des intégristes. Quant à la justice, elle fait plutôt partie des cadences imposées du clergé conciliaire. Plus suggestif encore. La lettre des trois évêques intransigeants ne porte aucune mention ni de la charité ni de la justice. Maintenant, Mgr Fellay est libre d'invoquer justice et charité. Mais pourquoi le fait-il en réponse à quelque chose qui ne se trouve pas directement dans la lettre des trois intransigeants ?

Mgr Fellay regrette ouvertement que les trois évêques de la Fraternité ne lui ont apporté aucune aide dans la négociation avec Rome. Et celà est une information capitale. Il est clair que, sans le concours des trois autres évêques, une scission est inévitable. Et Rome savait la chose dès le début quand la Curie s'est aperçue certainement que les trois collègues de Mgr Fellay ne réagissaient pas. Il y a donc de la manoeuvre dans l'air qu'on respire au Vatican.

Mgr Fellay ensuite rejette les accusations des trois intransigeants.

Dès les premières lignes, Mgr Fellay prend vigoureusement à partie les trois intransigeants leur reprochant leur absence complète de sens spirituel de l'Eglise et de l'approche de Benoît XVI. Ces lignes de Mgr Fellay le consacrent comme l'un des meilleurs soutiens du Pape actuel. C'est proprement étonnant.

Poursuivant, Mgr Fellay brise le statisme de ses opposants qui campent sur la position de Mgr Lefebvre de 1988. Dans les récentes évolutions de l'Eglise, Mgr Fellay, avec un sens traditionnel de l'Eglise, voit l'action de l'Esprit-Saint notamment dans la volonté d'interpréter le Concile à la lumière de la Tradition.

Il accuse les trois confrères de jusqu'au boutisme stérile et d'ériger en hérésies capitales des affirmations du Concile qui sont seulement mal interprétées et par là même de donner substance à une sorte de dogmatisation d'un Concile interprété par les libéraux honnis. Mgr Fellay en déduit une défense des autorités présentes de l'Eglise qu'il reconnaît indemnes des erreurs d'interpétation qu'elles cherchent à écarter.

La lettre poursuit dans cette veine. Elle est proprement stupéfiante pour ce qu'elle révèle chez Mgr Fellay et la direction de la Fraternité de sens élevé de l'Eglise et de son Histoire, de compréhension de la politique de Benoît XVI et pour finir d'adhésion à cette politique.

Que se passe-t'il à la Fraternité et à Rome ?

A la FSSPX, il semble que les indécis ont presque disparus. Deux camps s'affrontent maintenant. Le camp de Mgr Fellay, sans pour autant mettre de côté les convictions propres aux intégristes et traditionalistes, perçoit et l'occasion unique offerte aux deux tendances de l'Eglise de se réconcilier et la chance que constitue la bienveillance de Benoît XVI. Ce camp plein de bonne volonté semble t'il, tente d'avancer dans un dialogue constructif avec la tendance majoritaire dans l'Eglise. Il a profondément ressenti que l'Eglise issue du Concile est en train de se renouveller profondément.

Mgr Fellay, dans sa Lettre, note clairement :

... on peut constater un changement d'attitude dans l'Eglise, ... Il touche bon nombre (encore une minorité) de jeunes prêtres, de séminaristes et même déjà un petit nombre de jeunes évêques qui se distinguent nettement de leurs prédecesseurs, qui nous disent leur sympathie et leur soutien ...
Il lui semble impossible de les taxer d'hérésie à la suite de ses trois confrères de la FSSPX. Il considère qu'ils sont au contraire une sorte de terreau propice à la culture de la Tradition dans le sens indiqué par Benoît XVI, et auprès desquels, Mgr Fellay semble vouloir engager une ccopération.

On note que Mr Fellay ne se fait pas d'illusion sur la tendance qui détient le pouvoir à Rome quand il dit que les jeunes prêtres, séminaristes et évêques sympathiques "sont encore passablement étouffés par la ligne dominante dans la hiérarchie en faveur de Vatican II." Son expression même indique d'ailleurs qu'il voit dans Vatican II plus qu'un simple problème d'"herméneutique de la rupture". Mais, c'est plus parce qu'il fait référence à une hiérarchie en place qui elle, a non pas une simple interprétation de Vatican II mais une sorte de texte qui en est bien différent.

On sait que c'est une chose d'interpréter un texte. C'en est une autre de lire un texte crypté, dans lequel chaque mot ou expression doit être, non pas interprété, mais bien plutôt décodé en utilisant une sorte de livre de codes. Et ce livre de codes, on le trouve dans les publications de Küng, Rahner, Schillebeeckx, Congar et Chenu, tous unis dans la Revue Concilium de 1965.

On voit donc que la FSSPX est profondément divisée en deux camps. Le camp de Mgr Fellay semble absolument favorable à l'ouverture de Benoît XVI et de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Mais, celà ne signifie pas que Mgr Fellay et ses amis aient abandonné le système de pensée intégriste. Il faut seulement leur faire crédit qu'ils reconnaissent à la fois la primauté de l'Eglise qui est à Rome et sa volonté de revenir à la Tradition sur la base du Concile.

Le camp des protagonistes de Mgr Fellay semble uni autour d'un état figé par la mort de Mgr Lefebvre. Un sorte de traditionalisme du traditionalisme. Sauront-ils appliquer la vertu d'obéissance à l'égard de leur Supérieur, Mgr Fellay ?

Mais face à la FSSPX, l'Eglise vaticane semble elle-même scindée en deux, de l'analyse même de Mgr Fellay. D'un côté, une hiérarchie vieillissante, de laquelle nous ne retenons pas Benoît XVI qui est la jeunesse même de l'Eglise, et de l'autre côté, les jeunes évêques, prêtres et séminaristes, fatigués de la rapide décadence de la Foi, bradée, étouffée, déviée par cette même hiérarchie vieillissante.

Comment va réagir la Commission vaticane chargée de la négociation avec les intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X ?


Auteur (c) 2012