Giscard et l'individualisme des français

Giscard et l'individualisme des français

Philippe Brindet - 24 décembre 2012
Invité de l'émission BFMTV/Le Point/RMC, dimanche 23 décembre, l'ancien président de la république Valéry Giscard d'Estaing a estimé que le peuple français était "individualiste et extrêmement tourné vers l'intérêt personnel". Selon lui, les "Français ne peuvent pas se gouverner", mais "quand ils sont bien gouvernés, ils suivent".

Le Président Giscard d'Estaing qui dirigea la France au millénaire précédent est un vieil homme. En pleine possession de ses moyens intellectuels, il a un jugement particulièrement acéré sur la politique telle qu'elle se pratique. On peut même dire qu'il est l'une des très rares expressions politiques qui soient dégagées des opinions mésérables. Il atteint une hauteur de vue qui le rend particulièrement incompréhensible pour certains protozoaires de la politique.

Malheureusement, Monsieur Giscard d'Estaing est depuis les années 60 un Européen convaincu. Il est même l'un des moteurs les plus toxiques de cet européisme qui nous a acculé à la crise économique dont tout laisse présager qu'elle sera terminale. Sa déclaration citée en exergue doit se comprendre dans cet environnement.

La première chose qu'il faut admettre quand on examine une déclaration du Président Giscard d'Estaing est son dépit amoureux du pouvoir. Lorsque en mai 1981, il fut battu par le très médiocre Mitterrand, il en conçu une tristesse que rien ne consola et qui fut perceptible lors de l'émission de télévision qu'il occupa de son départ du pouvoir. Beaucoup de son européisme activiste s'explique par ce dépit. Il le conduisit à appuyer toute mesure qui conduisait à abandonner à l'Europe une prérogative de gouvernement, même la plus minime.

La seconde chose à considérer est l'extraordinaire médiocrité du personnel politique qui succéda à l'époque giscardienne. Dans ce personnel politique, il faut adjoindre la très haute fonction publique qui prit un pouvoir politique qu'elle n'aurait jamais dûe avoir. Mais ce fut inévitable, d'abord parce qu'elle était très puissante et ensuite parce que le pouvoir politique était à prendre. De sorte que non seulement le pouvoir politique est en réalité entièrement au mais des technocrates de la haute fonction publique, mais en plus, ces même technocrates ont largement investis les rangs du personnel politique. Or, cette compétence de la fonction publique l'écarte singulièrement, en France c'est certain, des idées politiques qu'elle regarde comme une cynique manière d'agiter le peuple à l'aide de médias aux ordres.

Cette capacité de la classe politique consanguine des politiciens médiocres et des hauts fonctionnaires brillantissimes à tenir le peuple dans un brouhaha idéologique insensé la protège largement et lui permet d'éviter toute réforme, toute évolution. Et la déclaration de Giscard d'Estaing sur l'individualisme du peuple français, l'incapacité des français à se gouverner et de leur "suivisme" quand "ils sont bien gouvernés" doit être comprise dans cette stratégie.

L'individualisme

Tout d'abord, l'accusation d'individualisme fait partie de ces clichés négatifs que l'on peut apposer sur un adversaire sans crainte. Un peu comme autrefois quand vous étiez "communiste" ou "fasciste". Eh bien aujourd'hui, vous êtes "individualiste". Ou alors "vous avez peur" ... C'est un cliché ...

Très souvent, on entend dire que "le français est individualiste". On se demande si la phrase n'est pas inscrite au Dictionnaire des idées reçues. Giscard complique la chose en déclarant contre "le peuple français". Rappelez-vous alors l'historique dépit amoureux qu'il ressentit à la défaite de 1981 que lui infligea ce même peuple français. En fait, Giscard aurait très bien pu déclarer que "le peuple français a peur de l'avenir". L'"insulte" était quasiment la même. Très souvent, on entend dire que "le français" ne sait pas "jouer collectif", que nous serions de brillantes individualités incapables de nous réunir dans une collectivité victorieuse. L'image des sports collectifs est alors extrêmement prégnante. Elle est bien entendu stupide.

En réalité, Giscard se moque à peu près complètement "des français" collectivement ou comme il dit du "peuple français" qui n'existe que parce que la guillottine est périodiquement. remise en marche dans sa version "couteau" ou dans sa version "tranchées de Verdun". L'impôt du sang si vous préférez. Ce qu'il vise est évidemment la politique européenne, pour autant qu'elle existe, du gouvernement lamentable Hollande-Ayrault. Jouant - sans les moyens du rôle - le président, le menton levé, Hollande tente d'imposer des vues politiques qu'on ne peut qualifier que de "hollandistes", parce qu'elles ne sont pas plus "françaises" que "socialistes". Et ces vues sont tellement nulles, que les partenaires européens les repoussent discrètement du pied sous la table des négociations européennes.

C'est cette incapacité hollandiste à s'insérer dans un concert européiste pour atteindre une dimension européiste qui fait taxer le "peuple français" d'"individualisme par un Giscard d'Estaing dépité. Mais, son jugement révèle surtout son désir de vengeance de priver de puissance ceux qui exercent le pouvoir actuellement en France au bénéfice de structures européistes. Vu l'incompétence crasse de la classe politique en France depuis trente ans, on se demande si Giscard n'a pas tristement raison.

l'intérêt personnel

L'accusation d'intérêt personnel est bien entendu équivalent à celui de l'individualisme. C'est donc à d'autres intérêts que le sien propre qu'est incité le "peuple français". Et quels autres intérêts que ceux de l'Europe Giscard veut-il que le "peuple français" se consacre sinon ceux de l'européisme, qui est justement responsable de la crise mondiale. C'est le libéralisme socialiste des organes bruxellois qui a tenté de convertir en aire de consommation l'Europe, vidant celle-ci de sa production au profit de la Chine et de l'Inde. Si donc le "peuple français" est incité à ne pas servir son "intérêt personnel" au profit de la Chine, je pense que Giscard ne peut exercer de meilleure vengeance qu'on le croit.

On n'a pas l'impression que les pays européens comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, mais aussi l'Italie et l'Espagne ne déservent plus leur "intérêt personnel" dans les affaires européennes.

se gouverner

Autant "individualisme" et "intérêt personnel" sont des clichés éculés, dont nous sommes journellement accablés depuis que justement l'individualisme et l'intérêt personnel ne sont possibles que dans la médiocrité de la pauvreté, autant la recontre du peuple et du gouvernement est une rencontre risquée dans la déclaration de Giscard.

Dans la fiction démocratique, le "peuple" se gouverne lui-même par le biais d'un gouvernement et d'institutions issues de la démocratie. Affirmer que "le peuple français ne sait pas se gouverner" est donc une accusation d'incompétence démocratique. C'est très incorrect politiquement. Mais, là aussi, Giscard est, nous semble t'il, victime de son dépit amoureux.

Il faut se souvenir que l'"Europe" s'est développée dans un mouvement paradoxal de démocratie. Avec un tel déficit de démocratie, qu'il fallu "inventer" in extremis un parlement européen qui encombre maintenant des structures européistes qui s'en passeraient volontiers. D'ailleurs les règles de fonctionnement du dit Parlement sont construites avec sagesse de manière à le rendre aussi innoffensif que possible. Or, la vérité des institutions européistes est d'être une démocratie entre gouvernements. Démocratie à laquelle les peuples - parce qu'il n'existe pas de "peuple européens" - comme le peuple français, n'ont aucune part directe. Imaginez une SCOP qui deviendrait filiale à 49% d'une SA capitaliste de banquiers ! Voilà à peu près la France dans l'Europe !

être gouvernés

Et voilà où Giscard depuis trente ans veut en venir. Celui que voulait devenir le premier Président de l'Union Européenne, et qui doit maintenant accepter de ne jamais le devenir, ne veut pas que qui que ce soit prenne un pouvoir en France. Il veut le donner à l'Europe. De là sa remarque que le peuple français est heureux quand il est gouverné. Il y a mépris, condescendance, mais aussi vengeance.

Mais Giscard n'est pas le seul à penser celà. La "démocratie" oligarchique européiste est entièrement dominée par le souci de ne pas être l'expression d'une volonté populaire, mais d'être celle d'un club de dirigeants aussi légitimes que possible mais qui servent à écarter les peupels de leur propre gouvernement. Quand on examine froidement la réalité du gouvernement moderne, on est effaré de voir l'accroissement quotidien de la distance entre le régime théorique de la démocratie et le régime pratiqué aujourd'hui à l'aide de la classe technocratique de la haute fonction publique.

A la réflexion, il n'est pas possible d'admettre cette fiction démocratique quand elle est quotidiennement niée par ceux-là même qui exercent son gouvernement. Il n'y a qu'à étudier la déviation de la nuque qui s'opère de jour en jour sur ceux qui atteignent ces fonctions pour comprendre qu'ils ne représentent plus le moindre citoyen. Et la "première dame de France" n'a rien de plus pressée que de reprendre sur ses talons trop hauts le rôle de la dernière reine de France. Entourée des courtisans de la haute fonction publique. Dans une France harassée d'impôts, déchirée par la misère, elle recommande aux SDF de rester au chaud chez eux ...

On sait trop comment tout celà finit.


Revue THOMAS (c) 2012