La démission de Sa Sainteté Benoît XVI - Quelques réflexions

La démission de Sa Sainteté Benoît XVI - Quelques réflexions

Philippe Brindet - 13.02.2013

L'annonce de la démission de Sa Sainteté est en effet, les commentateurs ont été unanimes à ce propos, inattendue. Mais, clairement, cette démission n'est en rien une décision arbitraire. Il n'est donc pas oiseux de rechercher ses causes.

La vieillesse du Pape

C'est la cause avancée par le Pape lui-même. Seul, il pouvait examiner sa conscience et la loi organique de l'Eglise lui permettait une telle démission pour une telle cause.

De nombreux commentateurs, tant ecclésiastiques - comprenant certains cardinaux français - que laïcs - incluant des politiciens français - ont souligné la grandeur d'âme du Pape de se reconnaître incapable à la tâche. Poussant un pas plus loin l'erreur, ces commentateurs ont souvent dérivé en comparant sa démission à celle de tout chef d'Etat ou patron de grande entreprise, plutôt que de s'entêter à rester aux honneurs.

Il semble y avoir là deux erreurs. La première c'est que ces commentateurs semblent souvent jubiler. Devant la contestation de la personne même du Pape, contestation qui a atteint sous le règne de Benoît XVI des sommets d'hypocrisie, on a parfois l'impression que ceux qui le loue de sa décision sont les mêmes qui lui reprochaient de n'être qu'un vieillard sans ressort, passéiste, pire encore s'il est possible, conservateur.

D'une certaine manière, le Pape en démissionnant leur donne raison. Il admet qu'il a été un Pape rétrograde, incapable d'imposer ses vues. Un homme faible. Et ces mêmes commentateurs triomphent.

Ils ne savent pas que, dans le christianisme, celui qui succombe aux attaques du monde, c'est celui qui triomphe avec le Christ. Parce que, s'il en est Un qui a succombé dans la jubilation des méchants, ce fut bien Notre Seigneur.

Et il y a bien évidemment une seconde erreur, pour arrêter là notre compte dépressif. Cette erreur réside en ce que l'Eglise n'est en rien un Etat, le Pape n'est en rien un chef d'entreprise. Bien sûr, ses 2.500 évêques, ses 400.000 prêtres, son million de moines et de moniales, son milliard et au delà de fidèles, représentent une puissance colossale. Même les Etats-Unis n'a cependant pas le point de vue global que le Pape doit avoir, et Benoît XVI, avec sa science d'intellectuel, en est plus pleinement conscient que n'importe qui.

Et c'est sûrement là la seconde erreur qui se révèle dans les louanges sur la démission du Pape pour "raison" de faiblesse.

Si le Pape est en effet choisi par élection d'un Conclave de cardinaux électeurs, c'est Dieu Lui-même qui interrompt sa mission de Successeur de Saint Pierre. De ce fait, le spectacle du Pape Jean-Paul II atteint par la plus cruelle vieillesse et toujours Pape était le spectacle de la puissance de Dieu qui reprend ce qui Lui est bon.

La critique habituelle de cette doctrine est celle du dolorisme qu'elle véhicule. Ce serait d'un catholicisme du passé que de croire que la souffrance aurait une quelconque valeur. Cette souffrance serait même inconvenante, indigne. Et l'euthanasie est la solution qui permet de conserver jusqu'au bout cette dignité.

Il faudra se rendre à l'évidence. Il ne s'agit en rien d'un catholicisme du passé, puisque çà a été la décision courageuse de Jean-Paul II, Pape du Concile, de soutenir la mort jusqu'au bout. Toute la question est alors seulement de savoir pourquoi Benoît XVI ne l'a pas voulu ainsi.

Les laudateurs de la démission rétorquent aussi que le monde moderne exige des chefs en pleine possession de leurs moyens et pas des petits vieux rabougris et débiles.

Tout d'abord, nous devons à la vérité de dire que, si Benoît XVI est un vieil homme, il n'a rien d'un petit vieux rabougri et débile. Plusieurs personnalités qui l'ont rencontré dans la semaine qui a précédé sa décision ont au contraire remarquées sa fermeté et son activité débordante. Il faudra résoudre ce paradoxe.

Mais, si le Pape est loin de pouvoir affronter le Monde, il faut remarquer qu'il est un membre de l'Eglise combattante. Il n'a pas besoin de s'affronter immédiatement et partout à tout et contre tous. Sa mission est bien plus ecclésiale. Le Pape doit être le socle de l'Eglise. Il est la référence doctrinale et les impulsions ne viennent pas essentiellement de lui. C'est la raison pour laquelle il n'est ni un chef d'Etat, ni un chef d'entreprise.

L'état de l'Eglise

Mais alors, si le Pape peut être débile, s'il peut être faible dans sa mission, pourquoi Benoît XVI a t'il démissionné ?

La première réponse est que, au respect du droit de l'Eglise, qui est de l'avis unanime respecté ici, le Pape est un homme libre.

Le Pape va fêter son quatre-vingt-sixième anniversaire en avril. Dire qu'il est un homme agé est donc une évidence. Dire qu'il est loin de l'état dynamique d'un homme de soixante ans, âge auquel Jean-Paul II avait pris la charge, est aussi une évidence.

Et depuis le temps que Jean-Paul II a pris la direction de la barque de Saint Pierre, l'état de l'Eglise s'est considérablement détérioré, n'en déplaise aux charmeurs de rats qui se plaisent comme de modernes Candide à jurer que "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes" ....

Les persécutions contre l'expression de la Foi catholique sont partout en Occident. Il n'existe pas une seule prise de position en accord avec le Magistère qui ne soit vilipendée et son auteur poursuivi de la vindicte constante et sans pitié de groupes de pression issus de l'athéisme le plus toxique. Très notablement, cette persécution est illustrée en France dans le prétendu débat sur le mariage "gay", enfumé parfois encore en "mariage pour tous" au nom de "l'égalité des droits"', slogan ridicule mais redoutable puisqu'il était déjà celui des terroristes jacobins en 1793.

Si l'on note la proximité idéologique des déclarations anti-chrétiennes, notamment celles de la Garde des Sceaux, dans le débat parlementaire sur le projet de loi Taubira et le mépris injurieux témoigné par le Président de la République française, son premier ministre et plusieurs membres de son gouvernement à l'encontre de la déclaration de démission de Benoit XVI, on aura une illustration de cette haine contre l'Eglise en ce qu'elle a de vrai, de fidèle à son message.

S'y ajoutent la haine redoutable, démontrée, patente, des deux autres religions implantées en Occident à l'encontre de l'Eglise, malgré ses protestations bizarres d'amitiés et d'ouverture. Le tout dans un esprit de confusion et de mépris qu'il serait bon de prendre en compte pour ajuster la position de l'Eglise à cet égard.

Mais, le plus grave se situe comme toujours à l'intérieur même de l'Eglise. Déjà noté par Saint Pie X au début du XX° Siècle, le rôle des ennemis de l'intérieur dans l'Eglise du XXI° siècle est effrayant.

Vraiment représentée par l'affaire du majordome du Pape, qui n'est que la partie médiatisable de l'affaire, cette action des ennemis de l'intérieur de l'Eglise a probablement démontré au Pape qu'il fallait là un homme impérieux pour remettre de l'ordre, jusqu'au sein de la Curie, atteinte par des factions redoutables pour l'avenir même de l'Eglise.

Il faut souligner que plusieurs de ces personnalités toxiques, qui se révèleront d'elles-mêmes sans qu'il soit nécessaire de les dénoncer publiquement, ont été nommées bien sûr par le Pape lui-même ou avec son accord.

Il est parfaitement clair qu'une partie importante des ecclésiastiques de rang élevé a partie liée avec les puissances politiques et financières qui dirigent le monde. Et il n'est pas nécessaire d'envisager une rocambolesque "conjuration" qui n'existe pas. Il s'agit simplement de constater la faiblesse de l'être humain quand il s'agit d'obtenir les honneurs et la puissance. Et plus encore le maintien de son rang dans une société donnée.

En échange de ces biens lamentables mais brillants, beaucoup ont vendu leur âme. Et la situation ne date pas de l'après-Concile Vatican II, cet après stupéfiant et pourtant si pareil à ce qui l'avait précédé. Toujours est-il que la vigueur de l'Eglise mesurée en nombre de prêtres et en fidèles s'est érodée plus vite qu'en aucune autre époque. Ainsi, en France, plus de la moitié des gens qui se déclarent catholiques, et ils sont loin d'être la majorité, plus de la moitié des catholiques déclarent ne pas croire en Dieu.

Quand on suit l'activité de nombreux ecclésiastiques, il est patent que cette statistique est encore aggravée., même si cette activité est brouillée par un discours théiste et hypocritement fidèle à l'Eglise.

La question n'est depuis longtemps plus celle de savoir si les prières doivent être dites en latin ou en verlan, mais tout simplement de savoir qui confesse encore que Dieu est l'Unique en Trois Personnes.

Il est sûrement très méritoire de soutenir que l'homosexualité est une abomination et que le "mariage pour tous" porte atteinte à la "loi naturelle". Mais, si c'est pour penser en réalité que Dieu n'existe pas ... Non merci, nous ne sommes pas intéressés.

Le Pape doit avant tout s'attacher à défendre un socle inébranlable. Nous ne pensons pas un instant que Benoît XVI, ni aucun de ses prédecesseurs des quelques derniers siècles ait galvaudé ce socle. Mais, particulièrement Benoît XVI a entraînée l'activité papale vers des domaines qui ne sont pas le sien.

Il est très beau de rechercher avec précision de savoir si l'ère chrétienne est correctement datée, très amusant d'évoquer le dialogue entre deux intellectuels du quatorzième siècle. Quand la majorité des ecclésiastiques pensent que la messe est le lieu d'un repas fraternel célébrant les mérites de l'assemblée qui le "partage", on peut penser que le Pape a plus urgent à faire.

On peut ainsi penser que le prochain Pape devra éviter de s'aventurer dans des domaines dans lesquels les opinions pourraient, dans de justes limites, s'épanouir librement. Au contraire, il devrait se montrer beaucoup plus autoritaire sur ce qui touche au socle de la Foi, ce dépôt sacré qu'il a reçu des Apôtres.

Au risque de ne pas se prononcer dans des débats essentiels de société. Comme la morale sexuelle, pour intéressante qu'elle soit. De ne pas intervenir, au moins avec l'autorité de l'Eglise, dans le débat social sur l'économie ou le meilleur régime politique.

Il faut en finir avec ce temps où l'Eglise se sent obligée en conscience d'émettre un avis sur tout ce qui touche le monde et de rester muette quand il s'agit de célébrer le mystère chrétien, réduit trop souvent à de sardanapalesques fêtes de la Jeunesse que l'on se croit obligé de contempler avec "admiration" au prétexte qu'il s'agit de la jeunesse.

Les échecs de Benoît XVI

Une fois encore, il est très évident que ses échecs sont en fait des victoires. Mais, à la mesure du temps présent, le Pape affronte plusieurs échecs redoutables :

  1. l'herméneutique de la tradition :

    coincée entre le rejet intégriste et la surenchère progressiste, cette interprétation médiane "à la lumière de la Tradition" se fonde sur un mouvement qui n'a pas pris. Le Pape a indéniablement raison dans cette lecture du Concile, et même de tout ce qu'invente l'Eglise aujourd'hui. Mais, il a seulement décrit cette herméneutique. Le Pape doit la mettre en oeuvre, l'imposer en pratique dans l'Eglise. Il ne suffit pas de le dire. Il faut le faire. Et déposer ceux qui ne s'en chargent pas.
  2. La restauration de la Tradition de l'Eglise en matière théologique et liturgique :

    Déjà, Jean-Paul II avait insisté pour que la théologie moderne reprenne en compte les apports incontournables de Saint Augustin et de Saint Thomas d'Aquin. Benoît XVI, le Pape intellectuel, spécialiste lui-même de Saint Augustin, et inspirateur de Jean-Paul II, y ajoutait la reprise officielle du rite ancien, incorporé dans la vie liturgique sous la forme extraordinaire de l'unique rite romain. Là aussi, il a ouvert intellectuellement la voie. Il ne l'a pas imposée. Elle n'est en réalité pas pratiquée. Les anciens traditionalistes sont revenus dans certaines églises desservies par le clergé de Vatican II, par simple tolérance - et le mot est encore trop fort ! - de ce dernier. Ce clergé concilaire ne pratique pas la forme extraordinaire et les traditionalistes ne pratiquent pas la forme ordinaire. Le Pape doit imposer ces deux formes.
  3. Le drame des abus sexuels du clergé :

    Le Pape a considérablement tardé à prendre des mesures pénales dans ces affaires. Et les mesures prises se sont sensiblement limitées à laisser passer la justice des hommes ... ce qui est peu. Devant la modicité de la mesure, et surtout devant les réactions exaspérées du public, le Pape a condescendu à suivre des attitudes de repentance, très spectaulaires, mais inefficaces, et à obliger au moins en paroles les épiscopats à cesser leur attitude générale de protection des ecclésiastiques criminels.
    En fait, il est à craindre que le Pape, ainsi que des responsables catholiques de bonne foi, ait été trompés par plusieurs aspects. D'abord, il lui semblait que, pour scandaleux que soient ces crimes, ils n'engageaient qu'une frange extrêmement mineure du corps ecclésiastique, à un taux même inférieur à celui dans la population générale en Occident. C'était sans compter sur l'animosité du monde d'une part et sur l'obscurcissement d'autre part qu'apportait cette réputation funeste à tout le discours ecclésiastique sur la continence, la chasteté et autres choses du même genre.
    Mais, il n'est pas improbable que ces abus sur mineurs cachaient un autre drame : celui de la vie dissolue, mais non criminelle au sens des lois civiles, d'un nombre bien supérieur d'ecclésiastiques. On évoquera ici seulement l'activisme homosexuel d'une part et les relations hétérosexuelles d'autre part d'un nombre considérable d'ecclésiastiques mâles. On peut penser que ni Jean-Paul II, ni Benoît XVI, n'ont su apporter une réponse pontificale à ce désordre inouï dans l'Eglise. Cette incapacité les a désarmé dans l'affaire de la pédophilie.
  4. La vanité des activités oecuméniques :

    Si on excepte les activités en direction des orthodoxes, russes principalement, et en direction des anglicans, il nous semble que les manoeuvres ecclésiastiques en direction des religions chrétiennes et non chrétiennes, initiées par le Concile, se sont épuisées en gesticulations catholiques qui semblent avoir beaucoup amusés aussi bien les "frères séparés" que les autres religions.
    Visiter des édifices d'autres confessions ou religions, produire de longues déclarations incompréhensibles évoquant des concepts compliqués sur lesquels on s'accorderait avec un luxe de précautions pensantes, produire des lettres de salutations à l'attention de chefs religieux qui s'en délectent, voilà d'innocentes occupations. Leur utilité échappe un peu.
    Il serait temps que la papauté ait une attitude réaliste et résolve le paradoxe toujours éludé entre l'attitude de non prosélytisme impliquée par l'oecuménisme avec l'attitude de l'envoi en mission, prônée en permanence.
  5. La rupture probablement définitive avec le lefévrisme :

    L'un des objectifs clairement affichés de Benoît XVI a certainement été celui de la réintégration des lefévristes dans la communion de l'Eglise. Les personnalités qu'il a désigné à cette fin n'ont manifestement pas réussi. La nomination récente de l'ancien évêque de Ratisbonne comme président de la Congrégation pour la Doctrine, ennemi juré du lefévrisme, démontre que les atermoiements, les rodomontades et autres déclarations blessantes des lefévristes pleins d'orgueil, ont eu raison des patiences.
    Mais, il y a plus grave. Le chef des lefévristes, fort d'un courant désirant un rapprochement avec Rome, avait semblé comprendre la chance unique qui s'ouvrait à eux. Las, les résistances et les mauvaises habitudes ont repris le dessus, semble-t'il. Mais, comme toujours en ces matières, le désespoir est la la chose la plus fausse qui soit.
  6. La direction d'une bureaucratie vaticane errante :

    C'est probablement le dernier problème qui explique tous les autres et probablement la cause réelle de la démission de Benoît XVI.
    Le Pape a beau être un intellectuel. Il n'a nul besoin de recevoir la leçon des lignes qui précèdent. Il sait parfaitement ce que le Pape doit faire et ce qu'il ne peut pas faire. Quand nous nous bornons tous à déclamer ce que le Pape devrait faire ... ce qui n'est pas la même chose.
    La différence est probablement ce qui se passe quand la fumée de ce maudit tuyau sur la place Saint-Pierre passe du noir au blanc. Autant dire que sa compréhension nous est définitivement fermée ...
    Mais, s'il est une affaire récente qui peut prétendre au rôle causateur de la démission papale, c'est bien celle du "majordome". Le pauvre homme, pour lamentable qu'ait été son histoire, n'est pas le responsable du cataclysme. Même si il va finir sa carrière dans un hôpital de Rome, il aura la satisfaction de voir san ancien ennemi finir la sienne, emprisonné dans un monastère.
    Non, le majordome n'est que le bout du bâton qui a frappé le Pape. Le reste du bâton est resté secret et encore plus la main de celui qui le tenait.
    L'Histoire nous apprendra peut être le fond de l'affaire. Nous en restons à une énorme suspicion à l'encontre de ce qui se passe dans les bureaux du Vatican et dans d'autres officines ecclésiastiques dont nous ignorons presque tout. Et cette suspicion, il ne semble pas que le Pape l'avait et encore moins qu'il se soit protégé de sa cause. Son successeur serait avisé d'y songer.

En manière de conclusion

L'oeuvre de Benoît XVI, marquée par l'échec, pourrait s'avérer la base du renouveau de l'Eglise. Et sa démission pourrait n'être qu'un geste de sa part pour dire aux hommes de bonne volonté : "Ne me laissez pas seul faire le travail. Maintenant, j'en ai assez fait. Travaillez à votre tour."


Revue THOMAS (c) 2013