L'immonde contemporain

L'immonde contemporain - Réflexions.

Philippe Brindet - 07.04.2013

Dans un ouvrage de 2006, Jean-François Mattéi a étudié cette plongée dans la barbarie dans laquelle nous voyons notre monde sombrer. Ce livre a eu des échos intéressants comme celles d'Yvan Blot (BLOT Y - « La barbarie intérieure essai sur l'immonde moderne », de Jean-François Mattei [RECENSION].html) et celle de Robert Redecker (REDEKER R - Jean-François Mattéi et l'énigme de la pensée. (2007).html).

On pensera à d'autres ouvrages plus circonspects comme celui de Bernard Henry-Lévy, La Barbarie à visage humain (lire sa présentation sur Wikipedia).

Et de ce point de vue, l'horreur du contemporain remonte à un pessimisme numériquement équivalent à toutes les époques d'un anti-pessimisme qui se constitue en optimisme béat des progrès du monde à venir.

Mattéi en avance sur BHL

Quand BHL part des deux abominations du XX° siècle que sont le nazisme et le stalinisme, pour les renvoyer dos à dos en les accusant de persistance dans notre époque comme cause de cette "barbarie", Mattéi la constate comme intérieure à notre monde et il la débusque dans presque chaque composante de notre société : éducation, culture, politique, science, ... (cf Blot)

Plusieurs commentateurs sont éblouis par le texte de J.F. Mattéi. Il est sûrement recommandable. Dans les lignes qui suivent, on a voulu dériver sur plusieurs réflexions qui semblent s'associer à son travail.

Mais le Monde ne L'a pas connu ...

Le christianisme est la cause profonde de la situation : il est le mouvement de ceux qui confessent dans le monde qu'Il est Dieu et que le monde ne L'a pas connu. Et quand le monde refuse la connaissance de Dieu, il ne le fait pas de manière passive. Il ne fait pas seulement comme les citoyens d'Athènes à Saint Paul ("... tu nous parleras un autre jour ..."). Le monde réplique à Dieu et à l'Eglise par la barbarie et le déchaînement de barbarie ne vient que de ce que le christianisme apporte l'offre de Dieu au monde, que le monde rejette, jusqu'à la fin des temps.

Le déchaînement de maux auquel nous assistons et qui dénote l'établissement d'une barbarie dont la progression est remarquable, le déchaînement de haîne contre les vertus positives et ceux qui les promeuvent sont deux signes d'une réaction d'un pouvoir caché qui s'oppose au Règne du Christ. Et nulle surprise ne doit nous ébranler parce que nous savons que ce monde n'est pas fait pour durer. Il va disparaître.

Même l'apocalypse ne suscite que le ricanement ...

Or, nous savons que, même le ricanement du méchant qui rejette le Christ et son Règne, est une preuve de la chute inéluctable et annoncée de l'immonde contemporain.

Et le fait que le méchant ricane lui démontre qu'il a raison. Parce que le mépris est la meilleure preuve de la raison. De la raison que le mépris écrase d'ailleurs dans son ignorance.

Le rejet du christianisme est la cause de l'accroissement de la barbarie

Le christianisme a mis mille an pour forger le monde occidental. Mais depuis quelques siècles, il y est en décadence accélérée. Aujourd'hui, le monde occidental ne possède plus que des vestiges de christianisme et l'Eglise elle-même n'est plus l'institution qu'elle a autrefois été.

Il faut cependant résister à une tentation : celle de croire que le temps jadis était un temps béni. Mais la civilisation chrétienne a été une sorte d'âge d'or au cours duquel le monde a reçu d'elle des valeurs qui n'avaient de validité que dans le cadre du christianisme. Supprimer ce cadre, c'est ôter toute légitimité à ces valeurs et ainsi les valeurs sans cadre, sans leur contexte, sont condamnées à péricliter.

On s'étonne encore aujourd'hui du peu de valeur accordée à une vie humaine. Et si l'on pleure encore la disparition d'une star de la "chanson", la mort d'un honnête homme ne provoque qu'un soupir amusé, de plus en plus ennuyé. Comment pourrait-il en être autrement dans un monde qui a éliminé le christianisme qui l'avait pourtant fait.

Quand le psalmiste commence la grande déploration - Ô mon peuple que t'ai-je fait, en quoi donc t'ai-je contristé ? - il décrit depuis le commencement des temps le récit de la souffrance de Dieu méprisé par le monde qu'Il s'est pourtant donné à aimer. Et la réponse du monde est celle de l'injustice à l'encontre de Dieu et celle de la haine contre Son oeuvre.

L'un des grands progrès dans la haine du monde vient de ce que lle mouvement qui a précédé et suivi le Concile Vatican II a peu à peu amoindri dans l'Eglise le sens de la grande déploration qui animait déjà Israël et que, malgré les protestations d'amitié à son égard, l'Eglise n'a que très marginalement mantenue.

L'Eglise souffre de la grande méprise de la démocratie issue du mouvement des Lumières. Ce mouvement émane historiquement et idéologiquement du christianisme dont il reprend la plupart des valeurs en les détournant. La démocratie occidentale s'est en effet affirmée contre la doctrine de Eglise. Depuis, elle l'a contrainte à l'adorer comme la seule vraie religion. Comme le mouvement du péché originel est de se passer de Dieu en s'arrogeant le pouvoir de connaître le bien et le mal, la démocratie suivant le mouvement qui rejette la foi pour la confondre avec la raison suffisante, impose l'homme à l'Eglise comme sa propre transcendance quand le catholicisme adore Dieu Seul.

Ce mouvement de réduction de l'Eglise à la démocratie est fort bien noté par Kant dans La religion dans les limites de la simple raison, publié en 1793, année qui vit réellement le triomphe en Occident de la démocratie sur la foi. Kant montre le mouvement de la démocratie dès sa Préface :

Fondée sur le concept de l’homme, qui est celui d’un être libre et se soumettant de lui-même à des lois inconditionnées, la morale n’a pas besoin de l’Idée d’un autre Être supérieur à l’homme pour que l’homme connaisse son devoir, ni d’un autre mobile que la loi même pour qu’il l’accomplisse.
Préface de la Première Edition
A la suite des médiocres théologies de son temps, Kant ne pouvait envisager la religion qu'en tant qu'un au-delà de la morale. Montrant que la morale n'avait pas besoin d'un être supérieur, il devait nécessairement en déduire que la religion n'avait nul besoin de la foi ni de Dieu.

Tout le reste de son texte n'est que rodomontades pour décourager les critiques des chrétiens, Kant poussant le ricanement jusqu'à sembler accepter l'existence d'un Etre Suprême, alors porté aux "autels" par Robespierre, pour mieux le rejeter dans les oripeaux repoussants d'une théologie biblique qu'il fait se retirer devant une théologie philosophique, la sienne "dans les limites de sa simple raison".

Et la barbarie contemporaine commence là. Par le ricanement de Kant dans la première phrase de sa Religion :

Le monde va de mal en pire : telle est la plainte qui s’élève de toute part, aussi vieille que l’histoire, aussi vieille même que la poésie antérieure à l’histoire, aussi vieille enfin que la plus vieille de toutes les légendes poétiques, la religion des prêtres. Source Première Partie
Il faut donc ici reconnaître la position antireligieuse de la critique de l'appréciation de barbarie que Kant oppose à ses modernes critiques. Suivre Kant c'est attribuer à la religion des prêtres la croyance erronnée en la barbarie contemporaine, tandis que la religion philosophique, se donnant l'homme pour fin, est essentiellement optimiste.

Quand le monde occidental a t'il quitté le christianisme ?

Dater cet événement est difficile. Chercher la première grande catastrophe de civilisation est donner une date trop tardive. Ce n'est donc pas de la révolution française qui secoua trop peu le monde chrétien pour être décisionnelle, ni de la Première Guerre mondiale. Nous pensons que la chose s'est faite quand deux événements se sont rencontrés :

  1. quand la civilisation occidentale s'est convertie à la démocratie, telle que la décrivent Rousseau, Locke et Kant, mais aussi Marx et Lénine ;
  2. quand moins de deux occidentaux sur trois ont été des chrétiens pratiquants.
Et à la question : "est-il possible de se convertir à la démocratie et rester chrétien pratiquant ?" il faut répondre clairement que c'est impossible :
"Nul ne peut servir deux maîtres : car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre."
Evangile selon Saint Matthieu (6 ; 24)
L'exclusion est instanciée au sujet de Dieu et de l'argent. On serait donc tenté de contester son application à la démocratie qui, si elle n'est pas étrangère à l'argent évangélique, ne s'y résume pas. Mais, en fait l'exclusion des deux maîtres est un principe : le Christ est un Maître qui ne se divise pas. Il est le Seul. Et les chrétiens savent pourquoi.

On peut aussi se demander pourquoi fixer un seuil des 2/3 de pratiquants pour noter la fin de la civilisation chrétienne en milieu démocratique. Un politicien français qui avait une expérience pratique de la démocratie pensait qu'une élection démocratique n'a de valeur pour l'ensemble du corps social que si elle mobilise pour la motion proposée plus de deux citoyens sur trois. En effet, une majorité simple fondée sur une voix de majorité révèle souvent une minorité beaucoup trop puissante et la motion adoptée sera trop fortement contestée lors de son application.

La sagesse de cette règle des deux tiers nous paraît s'imposer même dans d'autres régimes. Si une décision n'emporte pas l'adhésion d'une large majorité de ceux qui vont s'y soumettre, elle n'a aucun avenir sinon de renforcer les divisions.

Mais pour en revenir à la civilisation occidentale, on voit là que si moins de deux personnes sur trois sont des chrétiens pratiquants, et par chrétiens pratiquants, il faut ici entendre des chrétiens pas seulement d'étiquette, ils seront peut être encore une majorité. Mais, la minorité des non pratiquants et des ennemis sera trop puissante et le peuple sera divisé par de puissantes récriminations. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'une société compte moins de 66% de chrétiens pratiquants, la civilisation occidentale est alors profondément menacée. Et le christianisme le premier.

Si l'on considère le cas de la société française, il est connu que le taux de 66% a été perdu il y a longtemps. La Conférence épiscopale française revendique 2,7 millions de pratiquants sur une population de 61 millions de personnes, soit un taux de 4%. Il est donc clair que la société française, indubitablement société démocratique, n'est plus depuis longtemps une société chrétienne. Cette caractérisation est très ancienne, probablement antérieure à la date de la Révolution. Dans un sondage de 2006, l'IFOP comptait 4,5% de "messalisants" en 2006 contre 27% en 1952.

Dans une autre façon de compter les chrétiens, on note le recours au baptême des enfants. On arrive aux chiffres suivants :
Année19752004
Naissances724.000767.816
Baptêmes578.212357.762
Taux80%46,5%

Source : http://convergences.over-blog.net/article-6285587.html
D'après le paramètre du nombre des baptêmes, le passage à une société démocratique se serait donc fait après 1975. Le chiffre est confirmé sur la statistique du mariage religieux.

Il existe une autre mesure qui est celle du nombre des prêtres. La chute du nombre des prêtres date de l'époque du Concile dès 1963 et cette chute ne se limite pas à la France. Elle est générale en Occident. Cette chute permet de prévoir l'éradication du catholicisme en France. Le fait est tellement étonnant qu'il fait un article dans The New York Times du 7 avril 2013 : In France, Foreign Aid in the Form of Priests. De cette observation, on s'aperçoit que la question n'est plus aujourd'hui de déterminer quand la civilisation chrétienne ne peut plus prétendre être chrétienne, mais de déterminer quand il n'y aura plus de christianisme du tout, en France notamment.

Une statistique en France

Il existe des statistiques d'autant plus acceptables qu'elles émanent de l'institution qui subit sa propre disparition en exprimant d'ailleurs, il faut bien le constater, une sorte de béatitude. Notre source est : http://www.eglise.catholique.fr/ressources-annuaires/guide-de-l-eglise/statistiques-de-l-eglise/statistiques-de-l-eglise-catholique-en-france-guide-2011.html, d'où nous tirons trois paramètres.

Nombre de prêtres diocésains :

1990199119921993199419951996199719981999200020012002 2003200420052006 20072008 200920102011
25 203 24 624 24 015 23 474 22 860 22 199 21 508 20 913 20 404 19 826 19 23418 528 17 935 17 473 16 466 16 075 15 597 15 341 15 008 14 353 14 112 13 822

On note que le coefficient R² d'affinité est 0,994 pour une tendance linéaire qui permet de prévoir le dernier prêtre en 2035. Le paramètre de nombre de prêtres est essentiel puisque le catholicisme est essentiellement une religieux de prêtres. Ce sont eux qui servent la messe, qui est l'acte de culte central de la religion catholique et ce sont eux qui confèrent le baptême qui est l'acte de culte par lequel l'homme entre dans le catholicisme. On note que sur ce dernier acte, il existe des exceptions mais qui ne permettent pas d'envisager une institution catholique.

Nombre total de religieuses présentes en France (de vie apostolique et moniales)

-
19981999200020012002 200320042005 2006 20072008 200920102011
52 507 51 51249 87149 46646 00744 34044 34040 60039 34737 934 35 18332 54229 433

La tendance est parabollique avec une annulation prédite en 2020. Le nombre de religieuses est aussi un paramètre important. En effet, on note que les femmes sont plus pratiquantes que les hommes. L'engagement religieux radical que représente l'entrée dans un couvent de moniales est donc un acte fort et sa disparition démontrerait probablement que la composante féminine du catholicisme est devenue impuissante à le maintenir. La tendance est parabolique, c'est-à-dire bien supérieure à la tendance linéaire. La désaffection pour la vie monastique est donc encore plus forte que pour d'autres paramètres de la vitalité du catholicisme.

Baptêmes : Nombre total

1990199119921993199419951996199719981999200020012002 2003200420052006 20072008 200920102011
472 130 462 779 449 571 432 701 424 761 424 829 421 295 415 873 394 910 394 910 400 327391 665 385 460 372 231 354 856 349 075 344 852 330 525 334664 316 286302 941300 119

La tendance est linéaire (R²=0,98) et prédit une extinction des baptêmes en 2050. Des trois paramètres retenus, on remarque que c'est celui qui séteint le plus tard. Il serait possible donc d'imaginer que ce serait parmi les jeunes qu'une restauration serait possible. Mais deux facteurs réduisent cette possibilité. Tout d'abord, le baptême est encore exécuté sur de très jeunes enfants à plus de 80 %. Or, sans une instruction religieuse compétente, le baptême reçu jeune est très peu efficace. Si les adultes compétents pour donner cette instruction ne sont plus là, il faudra compter sur des missionnaires. On note que déjà un nombre non négligeable de prêtres africains servent dans les campagnes françaises, dans le Nord en particulier. Un second facteur est aussi notable. C'est que le baptême est accordé à un nombre important d'enfants dont les parents et même la famille et les amis sont assez largement étrangers à l'Eglise. Ce paramètre est donc peu représentatif d'une vitalité certaine du catholicisme.

Un mouvement ecclésiastique vers la démocratie

Il n'est pas niable que le catholicisme comporte depuis longtemps une faction acquise à la démocratie. La chose est connue dès l'époque des Lumières puisque l'Eglise a fourni ses meilleurs théoriciens à la philosophie des Lumières. On peut citer Mably, Meslier, Bernardin de Saint-Pierre et bien d'autres. Lors de la Révolution, l'Eglise fournira aussi de nombreux cadres de la République et de sa Terreur, depuis Talleyrand jusqu'au bourreau Le Bon, mais aussi ses fonctionnaires comme Lakanal, Sieyès, Daunou, et tant d'autres.

Plus tard, malgré la réaction, largement hypocrite d'ailleurs de la Restauration, les Lamenais, Loisy, Renan, auront largement développés dans l'Eglise un mouvement acquis à la démocratie. Dans une large mesure, il existe dans les années d'après -guerre un mouvement profondément marxisé, présentant de multiples formes, avec notamment les mouvements de "prêtres-ouvriers" et, dans le même sens, le mouvement de la théologie de la libération. Dans la dernière décennie, on a noté l'engagement sans équivoque des deux Papes précédents, Jean-Paul II et Benoît XVI, pour la démocratie et pour les droits de l'homme, et il n'existe tant s'en faut, aucune indication que le Pape actuel prendrait une autre orientation. De ce point de vue, l'immense majorité de l'Eglise concilaire, celle qui applique l'enseignement du Concile Vatican II, est acquise à la démocratie occidentale, dans un spectre allant depuis le libéralisme jusqu'à l'activisme socialiste le plus avancé.

Une composante de plus en plus minoritaire, mais de plus en plus convaincue, constate à la fois la perversité de la démocratie occidentale et sa toute-puissance. Et l'opposition à la démocratie occidentale, dans le cadre du catholicisme, est le plus souvent lié au clivage introduit par l'"esprit" du Concile Vatican II.

Une question importante serait de savoir sur quoi baser une opposition du christianisme à la démocratie occidentale.

L'Eglise concilaire, partagée entre ralliement et adhésion à la démocratie occidentale

Tout d'abord, rappelons que le christianisme se soumet aux lois de la société civile dans laquelle il est inséré. Le fait que pendant mille ans le christianisme a été allié au pouvoir en Occident ne doit pas faire oublier que, en dehors de ce temps passé, révolu, il s'est développé d'abord dans les catacombes, dans les couches les plus humbles de la société dans laquelle il s'établissait.

Il en résulte qu'il n'est pas question de contester l'absence de résistance, ni même de lutte contre le pouvoir démocrate que nous évoquions des deux Papes précédents. Dans la mesure du possible, le christianisme ne lutte pas contre les lois et les usages qui, même s'ils ne lui sont pas favorables ne lui sont pas intrinsèquement contraires.

Les deux Papes précités ont estimé ainsi que les valeurs de la démocratie ne contredisaient pas l'Evangile. Certaines de leurs formulations ont seulement pu laisser supposer une sorte de ralliement à ces valeurs. Mais, à y regarder de plus près, il n'est pas certain qu'il s'agisse ni d'une adhésion formelle. Par contre, l'adhésion est le cas de nombreux cadres de l'Eglise en Occident. Et tout le problème de l'Eglise concilaire se situe dans la nuance entre adhésion qui est radicale et ralliement qui est progressif.

L'Eglise traditionaliste, divisée entre mépris et indifférence à l'égard de la démocratie occidentale

Si on se demande enfin sur quels principes se fonde l'opposition du christianisme à la démocratie occidentale, il devrait suffir de lire le Bref Quod Aliquantum publié en 1792 par Saint Pie VI. Dans ce texte, non seulement le Pape d'alors condamne la démocratie occidentale, mais encore il établit la monarchie de droit divin comme le seul régime politique acceptable.

Il est particulièrement révélateur que ce texte soit littéralement ignoré de la réflexion politique dans l'Eglise. A notre connaissance, le texte n'est cité que par les historiens de la Révolution pour indiquer le défaut de soutien apporté par le Pape au roi dans le débat sur Constitution Civile du clergé. Limitant le texte papal à la discussion de cette Constitution, somme toute assez administrative, les historiens ont très peu diffusé son enseignement politique profond.

Or, l'Eglise traditionaliste est elle-même divisée entre les monarchistes et autres royalistes et ceux qui tiennent seulement à de vieilles traditions qui peuvent ou non contenir l'adhésion à la monarchie. Il existe de manière étonnante une tendance républicaine fortement liée à la valeur des fonctionnaires de la Troisième République et à l'Armée qui adhère au traditionalisme ecclésiastique.

Ainsi le mouvement papal de ralliement à la démocratie occidentale n'est pas si distant du mouvement d'un certain traditionalisme qui n'est pas contestataire réellement de la démocratie occidentale. Combien de traditionalistes sont "enchantés" du "style impeccable" de Voltaire.

Et il existe une autre tendance, partagée notamment par les mystiques, ou les plus contemplatifs des religieux, qui consiste à appliquer le "Rendez à César" dans le domaine de la politique. Dans cette tendance, qu'importe si le maître est un roi avec une couronne d'or, ou un président en costume trois pièces et le cheveu rare en bataille ... Il est le maître qui tient son pouvoir de Dieu, car "tout pouvoir vient de Dieu". Cette tendance protestera toujours de sa soumission à la démocratie occidentale. Elle a notamment fourni ces interminables listes de morts qui hantent les places de nos villages. Et leur sacrifice enrichit un peu plus à chaque génération la dévotion à la démocratie occidentale pour que "leur sacrifice ne soit pas sans fruit". Et ainsi progressivement s'établit contre la doctrine traditionnelle de l'Eglise un ralliement traditionnel à la démocratie occidentale.

Le débat de l'Eglise et de la démocratie occidentale

Depuis longtemps, plus de cinquante ans, l'Eglise, peut être par manque de certitudes, peut être parce que ses cadres ont adhéré à la démocratie occidentale, n'a pas organisée de débat à son sujet. Pourtant, le débat a été abordé plusieurs fois, à l'occasion de celui sur les prêtres ouvriers, sur le mouvement de la théologie de la libération, sur la participation du catholicisme à la lutte contre le soviétisme. Mais, il s'est éteint dès qu'il s'est agi de contester les valeurs centrales de la démocratie occidentale, l'Eglise préférant les interpréter comme des expressions du monde moderne avec lequel Elle s'imagine en dialogue, en recherche même peut être, ces expressions provenant de ce que l'Eglise s'imagine souvent lui avoir légué.

Ainsi, des trois valeurs centrales de la République française, l'Eglise concilaire est fortement persuadée qu'il s'agit d'un legs qu'elle a fait à la Nation. La liberté est intrinsèque à la condition de l'homme, créature faite à l'image de Dieu. La liberté dégénère bien selon la théologie catholique par le péché originel. Mais il est effacé par le Salut chrétien qui ainsi, replace la liberté comme valeur fondamentale. L'égalité découle directement de la condition partagée entre tous les hommes, de fils adoptifs de Dieu et la fraternité provient essentiellement de l'adhésion au Christ, lui-même Fils de Dieu. Si donc par le Salut, l'homme devient fils adoptif d'un même Père, c'est qu'il devient le frère du Christ et tous les fils de Dieu sont donc radicalement des frères par le Salut du Christ.

De fait, la posture d'ouverture au monde instaurée par le Concile Vatican II, conjuguée à la croyance précitée que la démocratie occidentale procède des valeurs du christianisme, empêche toute contestation efficace de la démocratie occidentale.

Le produit de cette coopération a été immédiat : le christianisme rallié à la démocratie occidentale est en train de disparaître totalement en tant que religion et il n'a plus aujourd'hui aucune influence politique. Et, pour avoir une place dans le concert médiatique, ses cadres sont contraints à faire surenchère de civisme et de démocratisme.

Malgré les efforts de ses cadres, l'Eglise a été incapable d'empêcher le divorce, la contraception, l'avortement et tant d'autres. Elle a protesté plutôt faiblement se bornant à rappeler son magistère en matière de moeurs.

Mais sa faiblesse dans le monde démocratique la contraint aujourd'hui à une certaine radicalité. Le projet de loi Taubira en France, qui vise à permettre l'enregistrement du mariage civil des homosexuels, suscite en effet une constestation de la démocratie absolument inattendue. Et de manière tout aussi inattendue, l'Eglise n'est pas étrangère à cette contestation. Pour moins de 10.000 actes administratifs par an, l'Eglise s'est mobilisée alors qu'elle n'a pas bougé quand il s'est agi du massacre de 250.000 enfants chaque année ordonné par la loi de dépénalisation de l'avortement. Elle n'avait pas plus bougé quand l'Etat a admis de démarier à volonté les époux sachant qu'aujourd'hui plus d'un mariage sur deux se conclut par un divorce en moins de dix ans.

Ainsi que plusieurs ecclésiastiques, peut être goguenards, l'avaient dit : "L'Eglise a ouvert ses portes et les fidèles sont partis.". Comment dans ces conditions avoir la moindre chance de "dialoguer avec le monde" dont la seule représentation contemporaine est la démocratie occidentale, fondée sur la dictature de la majorité ?


Revue THOMAS (c) 2013