Les inspirations des premières déclarations du Pape François

Les inspirations des premières déclarations du Pape François

Philippe Brindet - 04.04.2013

Documentation locale utilisée

  1. FRANCOIS - Messe des Rameaux 2013.txt
  2. FRANCOIS - MESSE DE LA CÈNE DU SEIGNEUR (280313).txt
  3. FRANCOIS - Discours oecuménique du 20.03.13.html
  4. FRANCOIS - Homélie du 14.03.13.html
  5. LINDELL H - Le pape François est-il un théologien de la libération (260313).txt. Lindell pose franchement la question. Sa réponse est que "le cardinal Bergoglio est certainement influencé par la critique sociale utilisée par les théologiens de la libération. ".
  6. LOEWY M - La vraie Eglise des pauvres (300313).txt, reconnaît dans la position du cardinal Bergoglio la position "assistancialiste" conservatrice de l'Eglise catholique romaine. Loewy pourrait avoir raison dans la dimension communautariste de la théologie de la libération et de sa pratique plus proche des cellules autonomes de l'extrême-gauche trotskiste que de celle du centralisme ecclésiastique. Mais, il pourrait ne pas percevoir le progressisme de la position de Bergoglio qui n'est pas si assistantialiste que celà.
  7. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jon_Sobrino, jésuite d'origine espagnole installé en Amérique Centrale, il fut un auxiliaire apprécié de Mgr Romero, figure emblématique du mouvement de la libération. Sobrino fut condamné pour ses écrits par la Congr. Pour la Doctr. de la Foi en 2007
  8. SOBRINO J - Lettre du P. Jon Sobrino au Père général des jésuites (2007).html
  9. BOFF l - Pour Leonardo Boff, l'élection de Francisco est providentielle (010413).html
  10. MOLINA JM - Pope Francis. A Jesuit self in the world (020413).txt, souligne que le Pape a pratiqué au moins deux fois les trente jours des Exercices Spirituels de Saint Ignace et au moins une fois l'an, leur version brève de huit jours. Molina invite à ne pas oublier ce fait quand on évaluera les positions du Pape.
  11. TROUILLER N - Le pape François, gauchiste ou centriste (030413).txt, souligne les espoirs soulevés par les premières actions du Pape François auprès du gauchisme ecclésiastique et les alarmes des conservateurs concilaires.
  12. FSSPX - Le cardinal Bergoglio et la Fraternité Saint-Pie X en Argentine (150313).txt, la FSSPX ne semble pas enthousiaste sur les relations des lefebvristes avec le cardinal Bergoglio. Un mois après l'élection, la FSSPX reste très circonspecte.
Note

Toutes ces références sont consultables dans leur version originale sur Internet. Pour ne pas alourdir l'article inutilement, leur référence web n'est pas indiquée.

2 - Les premiers enseignements du Pape François

Le premier enseignement se trouve dans les formes d'expression : le Pape ne s'exprime plus comme le Pontife Suprême qu'une armée d'auxiliaires disciplinés est chargée de diffuser et d'expliquer à quelques chrétiens attentifs. Non, le Pape parle simplement la langue de la majorité des hommes. Il veut ainsi être compris et aimé de tous ces gens simples, plutôt non chrétiens, sans aucun intermédiaire, sans interprétation. Plus de falbalas et d'oripeaux, y compris dans la langue.

Exemple 1 : Homélie de la messe des Cardinaux du 14 mars 2013

Dans cette Homélie où l'on n'a pas assez noté la citation de l'écrivain français Léon Bloy, le Pape fait un avertissement dramatique aux Cardinaux :

Quand nous marchons sans la croix, quand on construit sans la croix et quand nous confessons le Christ sans la croix, nous ne sommes pas les disciples du Seigneur, nous sommes du monde, nous évêques, les prêtres, les cardinaux, les papes, mais pas les disciples du Seigneur.
On notera la richesse de cet enseignement programmatique. Il y a un programme "icônique" : marcher, construire, confesser d'une part et une remise en perspective chrétienne : la Croix.

Exemple 2 : Homélie de la Messe des Rameaux du 24 mars 2013

Dans cette Homélie, le Pape ne laisse à personne le soin de commenter sa pensée, ou de l'abréger. Il le fait lui-même :

... c’est la première parole que je voudrais vous dire : joie ! Ne soyez jamais des hommes et des femmes tristes : un chrétien ne peut jamais l’être ! Ne vous laissez jamais prendre par le découragement ! Notre joie n’est pas une joie qui naît du fait de posséder de nombreuses choses, mais elle naît du fait d’avoir rencontré une Personne : Jésus, qui est parmi nous ;
Dans cette première parole, l'appel à la joie est caractéristique de la tendance la plus toxique de la frange progressiste de l'Eglise. L'appel à la joie est en fait une déclaration que le vieux dolorisme de l'ancien régime, celui de la tristesse, de l'angoisse de l'Eglise du péché originel, est définitivement rejeté. Mais il faut noter que cet appel à la joie réfère cependant à l'adoration de Jésus, qui est encore une référence à l'Eglise du passé. On voit là la complexité de la position du Pape.
Et alors voici la deuxième parole : Croix. Jésus entre à Jérusalem pour mourir sur la Croix. Et c’est justement ici que resplendit son être de Roi selon Dieu : son trône royal est le bois de la Croix !
Cette deuxième parole rappelle l'homélie précitée aux Cardinaux. Mais, elle présente une option : le Pape identifie la royauté du Christ avec sa Passion. Il n'est pas le Roi acclamé par le Peuple, parce qu'il est le Crucifié qui devient ainsi le RoI. Ainsi, le "dolorisme" de l'Ancien régime est réintroduit par le Pape dans cette seconde "parole". Mais c'est pour nier à nouveau une dimension essentielle de la christiologie de l'ancien régime : celle de la royauté de Jésus.

Exemple 3 : Homélie de la Messe de la Cène le 28 mars 2013

Dans une homélie de vingt lignes qui porte exclusivement sur le Lavement des pieds qui est le premier événement seulement de la Cène du Seigneur, le Pape donne son interprétation du Lavement des pieds :

C’est l’exemple du Seigneur : Lui est le plus important et il lave les pieds, parce que parmi nous celui qui est le plus grand doit être au service des autres. Et cela est un symbole, c’est un signe, non ? Laver les pieds c’est : ‘je suis à ton service’.
On note que cette interprétation est d'une pauvreté impressionnante et qu'elle n'est absolument pas portée par le texte original de l'Evangile de Saint-Jean. Ici, le Pape confond simplement l'Evangile et la Chronique de Froissart, Notre Seigneur et Saint Louis qui, on le sait, avait coutume de laver les pieds de douze pauvres à l'imitation de Notre Seigneur. Les Papes avaient jusqu'à François, l'usage de laver les pieds de successeurs des Apôtres à l'imitation de Notre Seigneur. On peut regretter que tous ne saisissent plus la nuance.

3 - Les nouvelles issues de la presse

Ainsi qu'on le sait, le journalisme répond à des règles bien particulières pour ce qui est de la présentation de nouvelles. Depuis la présentation de faits matériels jusqu'à l'instillation d'interprétations idéologiques, tout un spectre d'expressions rend la littérature journalistique assez complexe. Dans le cas des nouvelles ecclésiastiques, la chose est encore plus particulière, bien que la plupart des spécialistes soient de parfaits athées à l'affût de faits servant leur agenda secret.

Or, il existe un "filtre" bien connu des journalistes "religieux" qui s'occupent du Vatican et Pape et des nouvelles qui les concernent. Ce filtre divise l'Eglise en conservateurs accrochés à de vieilles prébendes et en progressistes, associés à la démocratie la plus socialiste. Ainsi, tout ce qui concerne le souci des "pauvres" est immanquablement associé à l'expression du progressisme le plus échevelé, tandis que symétriquement, le traitement de difficiles sujets de théologie exprime le conservatisme le plus étriqué.

Il en est résulté que, le cardinal Bergoglio ayant une réputation de conservateur, notamment parce qu'il s'était fortement employé contre la législation pour le mariage homosexuel en Argentine, le Pape François a littéralement stupéfait tout le monde en démontrant une vraie 'sensibilité" progressiste, au sens ecclésiastique s'entend, par quelques actes non-conformistes, comme le lavement des pieds de femmes dans une prison romaine, le refus d'habiter le palais papal, une simplicité d'habillement, etc.

En réalité, la presse pouvait présenter la même surprise en inversant le récit. Le Pape François a surpris tout le monde en tenant par exemple un discours presque "doloriste" en parlant de la Croix aux Cardinaux, leur disant que sans elle, la foi était vide, ce qui témoignait d'un grand conservatisme alors que le cardinal Bergoglio était auparavant connu comme un défenseur des pauvres, et même plus encore. En effet, il les voyait comme les seuls chrétiens possibles. Ce qui mettait alors un comble à son "progressisme".

4 - Quelques réflexions sur l'inspiration possible du Pape François

Il semble exister une solution à l'apparente dualité de contraires inconciliables. Le Pape François, comme le Cardinal Bergoglio, serait un ecclésiastique en qui se ferait la synthèse entre conservatisme et progressisme. Et ce serait la voie de résolution du conflit qui déchire l'Eglise entre tenants et adversaires du Concile.

On hésite à qualifier la position du Pape de "syncrétiste". En effet, d'un certain point de vue, il semble vouloir suivre des aspects caractéristiques de la partie "progressiste" de l'Eglise concilaire, tandis que sur d'autres aspects, il suit nettement des aspects caractéristiques de la partie "conservatrice" de cette même Eglise concilaire. Malheureusement, nous n'avons aucune information selon laquelle il serait partisan en quoi que ce soit de l'interprétation du Concile à la lumière de la Tradition, qui a été le grand apport de Benoît XVI, et encore moins qu'il aurait un quelconque souci de conciliation avec la minorité traditionaliste, qu'elle soit lefebvrisrte ou "Ecclesia Dei".

Pour l'instant, on peut donc prévoir que le Pape va louvoyer constamment entre aspects traditionnels en matière théologique et aspects progressiste en matière pastorale ou sociale et il ne devrait pas poursuivre la voie de Benoît XVI concernant une quelconque ecclésiologie de continuité.

Particulièrement, il semble attaché à la position progressiste selon laquelle le Pape n'est pas un Souverain Pontife, mais seulement l'évêque du diocèse de Rome, centre de l'Eglise dirigée par le Collège des évêques. Il semble qu'il se soit attaché à commencer son pontificat en tentant une réforme de la Curie. On devrait y voir plus clair à cette occasion.

On note un autre débat, assez proche des questions que nous nous posons. On s'est demandé gravement quelle avait été la position du cardinal Bergoglio au sujet de la théologie de la libération, mouvement connu comme étant essentiellement latino-américain. On peut citer deux évêques Camara et Romero qui ont été crédité d'être du mouvement de la libération. On peut citer l'ancien franciscain, aujourd'hui défroqué, Leonardo Boff. Ce dernier semble satisfait de la désignation du nouveau Pape. On peut penser d'ailleurs que la plupart de ses déclarations que nous qualifions de progressistes seraient de près ou de loin associées à ce mouvement. Nous n'en savons pas plus. La division de l'Eglise, et sa neutralisation dans sa mission initiale pourraient donc s'accroître encore.

Au sujet de la réflexion du jésuite Molina selon lequel on devrait toujours tenir compte du fait que le Pape est un pratiquant des Exercices Spirituels de Saint Ignace, parce qu'il est un Jésuite régulier, nous ignorons la portée de cette pratique, ni en quoi elle serait quelque chose qui serait strictement incontournable, plus que la moindre règle de discipline ecclésiastique que le Pape François n'hésite pas à ignorer.


Revue THOMAS (c) 2013