La théorie du genre selon l'abbé Grosjean

La théorie du genre selon l'abbé Grosjean

Philippe Brindet - 14 septembre 2013

L'abbé Grosjean est un prêtre catholique, du Diocèse de Versailles, responsable des questions politiques, de bioéthique et d'éthique sociale, qui est préféré des médias depuis environ deux ans. Calme et passionné, souriant et sérieux, il en impose. Suffisamment jeune pour ne pas être vieux, il est juste vieux pour ne pas être trop jeune. Le client rêvé pour la presse.

Initialement connu pour avoir manifesté un soutien public aux vertus artistiques de plusieurs pièces de théâtre, que d'autres tenaient pour blasphématoires, il s'est depuis révélé un parfait conservateur lors du prétendu débat sur le projet de "mariage pour tous", devenu la loi autorisant le mariage civil des personnes de même sexe.

Illustrant ce qui semble bien être la pensée dominante de l'Eglise catholique, très bien exposée comme la sienne propre par le Grand Rabbin Bernheim, aujourd'hui disparu, l'abbé Grosjean a mis en avant l'idée d'une loi naturelle lisant dans la nature de l'homme, qu'il soit religieux ou non, une finalité hétérosexuelle universelle, absolue. Un état de nature que la "culture", en ce qu'elle s'oppose à la "nature", ne peut ni contester, ni contrarier.

Dans une vidéo , intitulée le gender par l'abbé Grosjean, qui dure trois minutes, l'abbé Grosjean dit tout le mal qu'il pense d'une idéologie à la mode, et qu'il désigne comme "LA théorie du genre", du "gender" dit-il.

Malheureusement, l'abbé Grosjean met moins de trois minutes pour exposer une théorie obscure, et pour la réfuter. Nous avons le plus grand respect pour les capacités d'analyse et de synthèse de l'abbé Grosjean. Mais, il devrait comprendre que son exposé et sa réfutation, aussi brillantes soient elles, sont loin d'emporter l'adhésion.

Or, comme le Grand Rabbin Bernheim, l'abbé Grosjean considère que le mariage pour tous n'est que l'illustration de cette "théorie" et que, dans une manoeuvre subtile, les puissances obscures qui nous gouvernent vont maintenant "imposer le gender", depuis qu'ils sont parvenus à imposer "un mariage contre-nature".

Nous ignorons complètement l'existence de LA "théorie du genre", dont d'ailleurs l'abbé Grosjean ne fournit aucune référence. Aussi, il commence par exposer lui-même ce qu'il compte ensuite réfuter.

Comment l'abbé Grosjean définit-il la "théorie du genre" ?

Selon l'abbé Grosjean,

(0"29") la théorie du genre refuse l'idée d'une identité sexuelle qui serait reçue ou inscrite dans notre corps et qui du coup nous déterminerait comme homme ou femme. (0'36") Ils préfèrent utiliser le concept de genre, genre masculin ou genre féminin qui ne serait que le résultat d'un contecte culturel dans lequel on aurait grandi. (0'44") Ce genre là serait donc modifiable à souhait et en aucun cas ne serait une détermination inscrite dans notre nature.

De cette spécification de la "théorie du genre", l'abbé Grosjean en déduit :

(0'56") ... une conséquence naturelle de cette théorie est d'expliquer que du coup l'hétérosexualité n'est en aucun cas inscrite dans la nature de l'homme et de la femme, mais ne serait que le résultat, que la conséquence, d'un climat culturel qui la favoriserait. (1'08") Ainsi l'hétérosexualité ne serait pas un élément fondateur des relations humaines, mais serait plutôt le résultat, la conséquence d'un formatage culturel qu'on nous aurait imposé depuis tout petit.

Sa réfutation par l'abbé Grosjean

Pour ouvrir sa réfutation de la théorie du gender, l'abbé Grosjean évoque alors :

une tentation d'orgueil, très ancienne chez l'homme, de ne rien devoir à personne ... et surtout pas d'une loi naturelle qui m'aurait précédée, ... surtout pas d'une idée du bien et du mal que je n'aurai pas moi-même élaborée. D'où le refus y compris d'une identitié sexuelle inscrite dans ma nature que je n'aurai pas choisi. (1'56") Non pour moi, la liberté, ce n'est pas de ne rien devoir à personne, la liberté, ce n'est pas de n'avoir reçu aucune détermination, la liberté est justement de consentir à ce que j'ai reçu, à ce que je suis.
Après cette réfutation, l'abbé Grosjean critique ce qui n'était qu'un projet du ministère de l'éducation nationale d'enseigner au lycée la théorie du gender et nous ne nous y attarderons pas. Le projet est devenu un programme de tous les lycées français, y compris catholiques sous contrat.

L'exposé par l'abbé Grosjean de la théorie du genre est grotesque

Le problème de base est que il n'a jamais existé la moindre "théorie du genre", du "gender" ou de quoi que ce soit que leurs adversaires agitent avec horreur. Il existe deux choses assez étranges qui se sont amalgamées dans le cerveau fatigué des conservateurs catholiques. La première est le problème LGBT et la seconde est le météore Judith Butler.

Le problème LGBT

Il est connu depuis une vingtaine d'années une fédération d'intérêts divergents, dénommée le "mouvement LGBT", qui d'ailleurs ajoute à son sigle d'autres lettres chaque année, et qui se particularise par une virulence militante provenant du transfert des énergies individuelles inemployées dans le mouvement marxiste-léniniste défunt, et dans le mouvement écologiste, maintenant peuplé de bourgeois ventripotents et bardés de sinécures publiques ou privées. On notera que la majorité des activistes de la mouvance LGBT sont de farouches anticléricaux, un peu à la mode 1880.

Et cette fédération est la "cause" de la rancune tenace des conservateurs catholiques. Mais, il nous a toujours semblé que cette fédération est simplement politique. En effet, les "L" haissent les "G" avec qui elles n'ont rien en commun, et considèrent avec horreur les "T". Et chacune des autres "lettres" se comporte de même à l'égard des autres. Du coup, et de nombreux activistes l'avouent, il n'a jamais existé de "théorie du genre" qui soit reçue par la "fédération LGBT". Il existe seulement un mouvement révolutionnaire, non plus au niveau de l'Etat, mais au niveau de la société, et ce mouvement, mis en oeuvre essentiellement par les "LGBT", consiste à contester la suprématie du modèle hétérosexuel traditionel.

Pour mener ce combat révolutionnaire, social, et non plus politique, les activistes LGBT ont seulement repris la vieille stratégie marxiste dérivée des principes juridiques hégeliens, celui de la révolte d'une classe opprimée par une classe dominante. Ici, la classe opprimée est celle des "LGBT" et la classe dominante est celle des hétérosexuels.

Après, chacun est libre d'identifier n'importe quelle folie idéologique élucubrée par un activiste obscur que son propre camp aura oublié dans quelques années. Ayant identifié cette folie, les conservateurs pourront facilement tenter de contester cette idéologie. Ils oublient toujours de lutter contre le mouvement.

Les questions homosexuelle et la question "transgenre"

Malgré ce qui a été indiqué plus haut, il faut cependant reconnaître qu'il existe pourtant des homosexuels et des transgenres qui sont associés dans le mouvement LGBT. Leur agenda commun a été révélé par le vote de la loi pour le mariage pour tous qui s'est fondé sur la dynamique, non pas de la théorie du genre, mais sur le principe de l'égalité républicaine. Agenda commun ? Il faut noter que les transgenres ne sont pratiquement pas apparu en tant que tel dans le débat, ce qui renforce l'idée que la théorie du genre n'a rien à voir avec la question du mariage homosexuel.

Par contre, autant la question homosexuelle est pour sa moitié masculine totalement étrangère à la théorie du genre, autant les transgenres se trouvent à la frontière avec cette théorie qui est d'origine lesbienne, portée par le féminisme initié par Simone de Beauvoir avec "Le Deuxième sexe".

Le dogme de la théorie du genre, tel qu'il est perçu par les conservateurs catholiques comme l'abbé Grosjean, est formulé par une citation du "Deuxième sexe" datant de 1949 :

On ne naît pas femme. On le devient.
Or, cette phrase pompeuse, péremptoire et vaine, n'a strictement rien à voir avec la théorie du genre. Beauvoir voulait se situer dans le courant "porteur" du féminisme de l'après-guerre. Et elle était entièrement sous la dépendance, quasi psychique, de Jean-Paul Sartre, qui écrivait à la même époque (1946) dans "L'existentialisme est un humanisme" :
L'homme est un projet qui se vit.
Et jamais Beauvoir n'a cru qu'une femme aurait pu ne pas devenir une femme. Elle voulait simplement dire que la femme ne devenait pleinement femme qu'en se vivant comme femme, avec une motivation de femme, sans admettre aucune sujétion masculine que, très clairement, Beauvoir qualifiait d'oppression, en suivant servilement le schéma du dogmatisme marxiste.

Quand Beauvoir et les féministes qui l'ont suivi contestent les stéréotypes que, depuis lors, nous appelons les stéréotypes de genre, elles n'évoquent absolument aucun déterminisme biologique, mais essentiellement une oppression politique de la moitié de l'humanité par l'autre moitié, oppression que la dénonciation des stéréotypes est sensée combattre. Ce que Beauvoir prétendait, ce n'est pas du tout qu'un homme pouvait devenir une femme, comme le croit l'abbé Grosjean, c'est qu'une femme devait s'assumer dans la lutte contre la masculinité sous toutes ses formes sociales, de façon à devenir une femme existentialiste.

La farce se monte pourtant à peu près au moment où Beauvoir écrit son laborieux pensum existentialiste et féministe. A cette époque, la médecine et la chimie découvrent, la première, la puissance de la chirurgie plastique exigée par les horribles blessures infligées par les récentes guerres mondiales, la seconde, la puissance des hormones sexuelles et associées déjà synthétisées en laboratoires. Mais, la médecine n'a aucun agenda dans la question du "genre". A l'époque, le genre est ou bien un concept grammatical ou bien un synonyme anglo-saxon à l'exhibitionisme du mot "sexe", choquant dans le puritanisme victorien subsistant. En anglais, il était tout à fait inconvenant de demander à quelqu'un son sexe ... Indiquer son genre était plus convenable. C'est tout.

La farce était loin alors de se jouer. Sauf que déjà des médecins et des psychiatres s'étaient rendu compte qu'une frange ultra-minoritaire de déviants sexuels présentait une psychose dramatique de changement de sexe. Ces patients, alors tenus pour des fous, des psychotiques, affirmaient qu'ils se trouvaient piégé dans le corps de l'autre sexe. C'étaient les transsexuel-les. Les médecins étaient Hisrschfeld en Allemagne et Benjamin aux Etats-Unis. La farce de la théorie du genre se met en place quand Benjamin, encouragé par le succès inattendu des réassignations sexuelles parmi ses patients transsexuel-les, succès confirmé dans de nombreux pays dont la France quoi qu'avec une forte réticence et opposition encore palpable, définit le syndrome de Benjamin par :

la dysphorie de genre exprime que l'individu ressent une souffrance permanente de vivre dans son sexe d'origine. Cette affection n'est pas une maladie mentale. Elle n'est corroborée par aucune observation somatique.
Et Benjamin à la suite d'autres médecins, comme Burou en France, découvre que la réassignation sexuelle fait disparaître le syndrome et la plupart des patients ou des patientes ainsi traité-es restaurent une vie harmonieuse. On peut se référer en France au témoignage de Marie-France Pruvot, ou aux Etats-Unis, de Lynn Conway. Ces témoignages, et de nombreux autres établissent que les transsexuel-les ne sont pas des psychotiques.

Benjamin établit la différence fondatrice de la "théorie du genre" médicale : le genre concerne le ressenti social par l'individu, tel qu'il l'exprime dans sa subjectivité, tandis que le sexe est l'expression d'une réalité biologique observable. Ceci posé, Benjamin détermine la dysphorie de genre comme une entité nosographique, sans rapport avec une affection psychiatrique comme une psychose, par laquelle l'individu qui en souffre ressent une souffrance permanente d'une discordance entre son genre et son sexe. Enfin, il appelle transsexuel-le, une personne souffrant de dysphorie de genre qui réclame la possibilité de modifier un ou plusieurs traits physiques qui l'attachait à son sexe d'origine de façon à se rapprocher de l'apparence, au moins sociale, du sexe conforme à son genre.

Et la farce de la théorie du genre monte le jour où, constatant que le transsexualisme, tel que la médecine commençait à le considérer était en infraction avec les théories psychanalytiques, la psychanalyse française, autour de Lacan d'abord, va prétendre (voir Chiland, Mercadier, Castel, ...) établir la "monstruosité" du genre vis-à-vis de la normalité hétérosexuelle de la loi naturelle, telle que Freud et ses épigones l'avaient établie. Et c'est cette même normalité que le conservatisme catholique tend aujourd'hui à défendre à l'aide de la psychanalyse, ce brulôt anti-chrétien ! La sphère catholique devrait être plus prudente dans ses fréquentations ...

Mais, le mouvement transsexuel prend alors une certaine ampleur, ampleur qu'il ne faudrait pas non plus surestimer et laminer la résistance de la psychanalyse. Les estimations du transsexualisme s'établissent à 1 cas sur 35.000 mâles pour les premiers auteurs, à 1 cas sur 3.000 mâles pour les activistes critiques de ces premiers chiffres. La population ainsi mesurée est clairement une infime minorité qui ne permet en rien de mettre un terme à la loi d'identité entre le genre et le sexe vécu par l'immense majorité de la population, y compris parmi la minorité homosexuelle des deux sexes et dont le genre est la plupart du temps parfaitement identique avec le sexe.

Mais, cette ampleur médiocre est alors élargie par deux phénomènes. Dans sa totale incapacité à comprendre l'homosexualité autrement que comme une perversion induite par l'éducation, et donc réversible par l'analyse, la psychanalyse tenait, au moins dans la plus grande partie du XX° siècle, l'homosexuel pour un "inverti" ! C'est-à-dire que, selon la vulgate freudienne, l'homosexuel mâle se prend pour une femme ou bien parce que son père lui a fait subir enfant les derniers outrages ou bien parce que sa mère voulait en faire une fille ! De fait, le modèle de l'inversion fait encore des ravages dans l'esprit même d'homosexuels qui sont inconsciemment guidés par la vulgate psychanalytique ou encore par l'interrogatoire biaiseux des spécialistes à se déclarer comme ayant des "désirs du sexe opposé".

Sauf superposition possible avec le syndrome du transsexualisme, l'homosexualité n'est jamais la reproduction de prétendus comportements sexuels de l'autre sexe en faveur du même sexe. Au contraire, l'homosexualité conjugue l'orientation sexuelle vers le même sexe avec une aversion prononcée pour ... le genre opposé.

Pour rendre plus complexe l'analyse, il est entendu qu'il existe de réputation, des homosexuels à comportement féminin, et des lesbiennes à comportement masculin. Ces dernières étaient les "camionneuses" des années 70. Or, on sait maintement que la reproduction de comportement de l'autre genre par un individu homosexuel, quelque soit son sexe, est ou bien une interprétation sexiste de l'observateur, ou bien la représentation quasi théatrale d'un comportement genré attendu.

Comment les homosexuels, mâles ou femelles, ont-ils perçu le surgissement des transsexuel-les ?

La réponse est difficile. Mais, d'après les témoignages accessibles, la réception a été froide pour les gays qui n'ont pas du tout appréciés de voir des hommes se prendre pour des femmes. S'ils les ont d'abord tolérés dans les lieux gays, comme les quartiers gays de San Francisco, les transsexuelles se sont vite trouvés des lieux de convivialité sans rapport avec les gays. Quant aux lesbiennes, et les féministes nombreuses parmi elles, le rejet a été d'une virulence marquée. Il suffit de lire les féministes des années 80 pour s'en convaincre. L'idée qu'une femme biologique puisse vouloir devenir un homme genré est, pour les féministes, analogue à une trahison de classe, pour un communiste des années 30, un peu comme un prolétaire trahit la classe ouvrière en devenant contremaître. Et l'idée qu'un homme sexuel puisse vouloir entrer dans la "confrérie" des femmes féministes a toujours été regardé avec une suspicion remarquable.

Les quatre catégories de gays, de lesbiennes, de transsexuelles et de transsexuels se sont toujours considérées avec une grande méfiance. Mais, les coalitions marxistes ont toujours marché au bénéfice de tous, comme la coalition maoïste des ouvriers et des paysans. Pourtant, les coalitions n'effacent jamais les antagonismes.

Pour quoi donc l'abbé Grosjean a tort dans sa réfutation ?

L'abbé Grosjean utilise la grosse artillerie du "péché originel" pour réfuter la "théorie du genre" et il a tort.

D'abord, parce qu'il n'a jamais existé de "théorie du genre". Ensuite, parce que ce qu'il appelle "théorie du genre" ne tente pas de faire croire à l'individu que ce qui lui est "donné" (son sexe) doit être rejeté au bénéfice de ce qu'il choisit (son genre).

Or, la dialectique féministe du sexe et du genre, depuis Beauvoir jusqu'à Butler, se moque éperdument du sexe. Il n'en existe qu'un, le sexe féminin, l"autre est une simple "erreur de la nature", le "Y" de la paire chromosomique virile n'étant jamais qu'un second "X" pas fini. Cette dialectique appelle les femmes à devenir pleinement femmes en dehors de la sexualité en général, de l'hétérosexualité bien entendu, pour s'assumer socialement dans une dictature de la féminité genrée.

Ni Beauvoir, ni Butler, encore moins Wittig ou Bourcier n'ont jamais appelé les hommes à devenir des "femmes" et encore moins les femmes à devenir des "hommes". Ce serait, pour elles, l'horreur absolue. La réfutation de l'abbé Grosjean ne les atteint pas et elles sont majoritaires dans la promotion de ce que l'abbé Grosjean croit identifier comme la "théorie du genre".

Quant à l'autre composante de la "théorie du genre" - qui n'existe pas, rappelons-le - elle concerne les transsexuel-les et leurs accompagnateurs médecins, psychiatres, chimistes et chirurgiens. Et là elle concerne une infime minorité de la population de n'importe quelle société actuelle. Et pire encore, les patients atteints de cette affection gravissime n'ont aucune liberté de choix. Ce n'est pas par une perversion de la volonté qu'une transsexuelle subit un traitement pénible et dangereux de plusieurs années. Au de ce traitement, la transsexuel-leperd tout ce qu'elle a acquis comme homme (resp comme femme). A l'issue de traitement, elle entre dans un avenir court et terrible de rejets et de misères. La même chose est subie par un transsexuel. Personne parmi eux et elles n'a jamais pensé en terme de choix, même si les idéologues leur dictent des discours pitoyables du type "c'est mon choix".... Un cancéreux à qui on enlève un organe atteint a lui aussi le choix. Vivre un peu ou mourir tout de suite.

Enfin, l'expression sociale de l'homosexualité n'est pas universellement une expression libre de l'individu. De nombreux homosexuels pour des raisons qu'il paraît impossible de critiquer, ressentent un mal-être à vivre socialement leur homosexualité qui ne provient pas seulement de l'intolérance de la majorité hétérosexuelle. D'autant que de nombreux hétérosexuels admettent ouvertement des comportements sociaux homosexuels. De nombreux homosexuels sont persuadés de subir une détermination quasi biologique à une orientation sexuelle les portant sur les personnes de leur sexe. Pour eux, l'idée d'une fantaisie, fut-elle genrée, pour laquelle ils auraient réalisé une libre choix est fausse.

La réfutation de l'abbé Grosjean, et celle de tout le conservatisme de la sphère catholique, basées sur la croyance en un libre choix plutôt que sur un donné biologique, sont donc erronnées.

Mais, jusqu'où a t'il tort ?

Maintenant, le conservatisme, fut-il catholique, même exprimé par l'abbé Grosjean, ne dit pas n'importe quoi avec tant de force rencontrant partout rejet et opprobre qui, d'ailleurs le conforte dans sa vérité.

Il se trouve que dans la coalition LGBT, il existe beaucoup d'autres lettres : Q, B, A, ....De plus dans les T, il y a beaucoup plus de personnes que de transsexuel-les. Et chez les homosexuels, il y a souvent une liberté de choix qui s'est exprimée, notamment lors de la discussion du mariage homosexuel. Mais, les situations amalgamées pour des raisons opportunistes dans la coalition LGBT ne sont pas réductibles à la "théorie du genre" définie par l'abbé Grosjean.

On peut lui concéder qu'il existe, par exemple chez les homosexuels, des individus qui choisissent d'avoir un comportement homosexuel. Plus encore, l'idée qu'on soit non pas un être humain, mais un homosexuel ou un transsexuel-le est une étrangeté pour tous. Il est très rare et fort dommageable que l'on soit contraint de réduire son humanité à son hétérosexualité. La même critique existerait pour un autre qualificatif de l'humanité. On note que la réfutation de l'abbé Grosjean laisse à penser que l'homme est hétérosexuel, antihomosexuel et antitranssexuel par nature. C'est étrange.

L'idée que certains "pécheraient en ne résistant pas à la "pulsion" homosexuelle" est aussi très répandue dans la sphère catholique. Mais on voit que cette croyance dommageable, parce qu'elle conduit à l'intolérance, est antinomique avec la réfutation de la "théorie du genre" qui affirme que l'homme n'est pas libre de choisir son genre. S'il n'est pas libre par nature de choisir son genre, et si ce choix est conducteur de l'homosexualité, comment dire que l'homosexuel est pécheur ?

Mais, toujours est-il qu'il est probable que des homosexuels choisissent librement leur homosexualité. Cependant, si leur orientation sexuelle est homosexuelle, leur genre est toujours en harmonie avec leur sexe. La réfutation de l'homosexualité sur la base de la théorie du genre est donc en tous cas inefficace.

Si on examine les "transgenres", il est cependant possible de rencontrer un problème dans la condamnation de la réfutation de l'abbé Grosjean. En effet, si il existe des "transsexuel-les" dont on a dit qu'il-elles n'avaient aucun élément de choix de leur affection, ces personnes appartiennent à un groupe socio-médical beaucoup plus large, le groupe transgenre.

Dès les travaux de Benjamin dans les années 50, on sait que l'accès au protocole médical de réassignation sexuelle était fermé à un certain nombre de personnes qui présentaient pourtant les symptômes du transsexualisme, mais qui présentaient des caractéristiques dirimantes.

La première catégorie de personnes empêchées de devenir transsexuel-les contenait les gens souffrant de forte dysphorie de genre selon les critères de Benjamin, mais qui reculaient :

  • ou bien devant les transformations corporelles infligées par le traitement hormonal et pire encore par le traitement chirurgical ;
  • ou bien devant la prévision d'une réaction sociale négative au changement de genre.
Ces personnes ne deviennent pas "transsexuelles" et sont les premières à venir "nourrir" la classe des transgenres.

Une seconde catégorie comporte les personnes qui, en plus de souffrir du syndrome de Benjamin, souffraient d'une autre pathologie, souvent psychiatrique, comme une schizophrénie, ou un délire psychotique. A ces personnes s'ajoutent celles qui souhaitent "rejoindre" l'autre sexe dans un but de jeu sexuel, comme certains fétichistes et travestis. Beaucoup de ces personnes veulent, au moins temporairement, jouer un rôle de genre du genre opposé à leur sexe. Un cas illustré par Blanchard a été celui de l'autogynéphilie, dans lequel le patient "se prend" pour sa propre femme.

Dans ces deux catégories de personnes n'accédant pas au transsexualisme, il existe clairement des gens qui expriment une volonté libre de vivre dans le genre opposé à leur sexe d'origine. Pour ces personnes, la réfutation de l'abbé Grosjean pourrait peut être, dans une certaine limite, s'appliquer. Cette limite est cependant bien étroite dans la mesure où, en réalité, l'abbé Grosjean avec le conservatisme catholique, refuse l'apport des sciences sur la distinction de trois concepts celui de sexe biologique, de genre social et d'orientation sexuelle.


En conclusion, la réfutation de l'abbé Grosjean basée sur le rejet d'un donné n'est pas aussi dénuée de fondement qu'on l'a dit. Mais, il ne l'articule pas sur les faits concernés par le mouvement LGBT dans son ensemble et sa terrible hétérogénéité.


Revue THOMAS (c) 2013