Etude du projet FN - Bâtir l’Etat stratège

Etude du projet FN - Bâtir l’Etat stratège

Philippe Brindet - 10.10.2013

Présentation du projet FN

Le texte annoté ci-dessous a été extrait du projet de gouvernement du Front National. Selon toutes vraisemblances, ce texte a été produit pour l'élection présidentielle de 2012 lors de laquelle la candidate du Front Nationale a été battue par le candidat socialiste. Il était disponible ce jour sur le site du Front National (voir le lien en bas de page).

Le Front National n'est pas, ainsi qu'on le sait, un parti politique de gouvernement, puisqu'il n'a jamais obtenu de place ministérielle et encore moins de présidence notable. Il dispose de très peu de députés et de très peu de maires de communes importantes. Cette situation provient largement d'une entente entre les deux partis de gouvernement qui se sont entendus pour péreniser une sorte d'alternance entre eux. Cette entente repose sur la fabrication de lois électorales destinées à limiter le risque d'élection d'un candidat du Front National, situation qui interroge sur le niveau démocratique de la classe politique française. Mais c'est ainsi.

Nous n'oublierons pas non plus une autre entente entre les hommes politiques des deux partis de gouvernement et de leurs alliés avec la presse et les médias. Ces deux "mondes" qui entretiennent des relations perverses, révélés par les "compagnonages" entre les uns et les autres jusqu'au plus haut sommet de l'Etat, se sont entendus pour "diaboliser" le Front National. La stratégie de diabolisation a jusqu'à présent été très efficace et semble loin d'être abandonnée.

Le problème pour les deux partis de gouvernement connus, c'est que leur système politique est arrivé à un point de défaillance ou de dégénerescence tel que le pays hésite entre l'implosion et l'explosion. Je me comprends ... Il en résulte qu'un nombre de plus en plus important de personnalités, mais aussi d'électeurs, se demandent pourquoi le Front National est diabolisé quand ils constatent la décadence de la classe politique de gouvernement d'une part, mais aussi quand ils considèrent les récriminations politiques du Front National qui ne leur paraissent plus aussi diaboliques que la presse et les média leur disent à longueur d'antenne et de colonnes, d'autre part.

On a noté que, après l'échec patent du sarkozysme, le hollandisme a démontré son incapacité substantielle à résister à la crise économique et sociale qui frappe depuis trente ans le pays. Le Front National, ayant fait de notables efforts de rénovation, il apparaît, notamment dans les sondages, comme une alternative possible aux deux partis de gouvernement anciens. Une étude attentive de son programme est donc nécessaire à tout citoyen. C'est le travail que nous livrons ici, à titre de simple exemple de critique.

La partie du programme du Front National qui a été ici mise en examen, nous a semblé présenter un équilibre entre les idées du Front National qui a bien du mal à quitter la simple critique systématique du gouvernement et ses propositions pour l'avenir. de plus, certaines parties du programme FN sont particuliuèrement techniques de sorte qu'il semble utile de rester un moment sur cette seule partie, intitulée par le Front National : Bâtir l'Etat stratège.

Le texte commenté

texte du projet FN Notre commentaire
Totalement désarmée par trente d'ans d'inaction et de reculades face à la mondialisation, la France doit revenir dans le jeu des Nations. Affirmation contestable, même si le retrait progressif à long terme est patent.
L'emploi, la réindustrialisation du pays, l'égalité entre les Français, l'aménagement du territoire et la vitalité des services publics en dépendent. Il existe une sorte de cercle vicieux entre tenir sa place dans le jeu des nations et cinq réalités économiques déterminées ici.
En raison de notre histoire nationale, c'est naturellement l'Etat qui sera le fer de lance de ce réarmement de la France : un Etat fort capable d'imposer son autorité aux puissances d'argent, aux communautarismes et aux féodalités locales. Cette déclaration constitue le projet du Front National comme un projet étatiste qui de ce point de vue ne se dégage pas des projets politiques mis en oeuvre depuis le début de la Cinquième République. Gaullisme, mitterandisme, chiraquisme, sarkozysme et hollandisme se sont vécus de la sorte. Avec l'insuccès évident que l'on sait.
ANALYSE
L'émergence de la nation française au cours des siècles se caractérise par le rôle déterminant joué par l'Etat, un Etat fort qui a su unifier la nation, contenir les féodalités et les communautarismes, anéantir la tribalisation, aménager notre territoire et offrir progressivement à tous une éducation, des soins, une sécurité et des services publics de qualité. La mise en perspective historique sur plusieurs siècles apporte une sensible correction au concept d"'Etat fort". Si on excepte l'Empire napoléonien qui était un état militaro-policier, produit génial du retournement des institutions révolutionnaires par Bonaparte, la plupart des instances de l'Etat fort, avant la Cinquième République n'avaient aucun des moyens modernes de contrôle absolument insupportables dont l'Etat dispose aujourd'hui.
L'invocation d'un Etat fort aujourd'hui appelle de fortes réticences politiques, même si c'est une revendication commune au Frant National et aux deux partis de gouvernement, UMP et PS.
Sous un double mouvement qui s'accentue depuis plusieurs décennies, par le haut et par le bas, l'Etat est aujourd'hui profondément affaibli. Cette affirmation est des plus contestables. L'Etat républicain dispose de moyens de contrôle et de coercision sur ses propres citoyens absolument incomparales dans l'Histoire et même, aujourd'hui, incomparable à ceux d'autres Etats. Le taux de prélèvement des biens sur les citoyens n'a jamais été aussi élevé et seul un Etat sur-puissant est capable d'imposer une telle pression sans aucun dommage social pour lui. Il n'y a pas l'ombre de l'amorce d'une émeute contre la spoliation imposée partout par l'Etat.
La France a pourtant besoin d'un Etat fort pour assurer son réarmement face à la mondialisation. Quand l'Union européenne échoue et s'entête à suivre la mauvaise direction, quand la région est trop petite, l'Etat est en mesure de s'appuyer sur les forces vives de notre pays pour être le fer de lance de la réindustralisation et du redressement national. Le lyrisme des formules n'appele que notre scepticisme.
Ce double mouvement d'affaiblissement de l'Etat se présente ainsi :
1. Une décentralisation non maîtrisée d'abord (lancée en 1981 et accentuée en 2004) a privé l'Etat de compétences stratégiques : transports régionaux, routes nationales, action économique notamment. Beaucoup, parmi lesquels nombre d'élus locaux, jugent que nous sommes allés trop loin dans le transfert de compétences. Cette décentralisation, c'est un creusement des inégalités entre les territoires et les Français, une complexité accrue de la décision publique, une corruption aggravée, et la reconstitution de féodalités locales dépensières au détriment d'un Etat stratège. C'est surtout un facteur de division de l'unité nationale, et une débauche d'efforts deont beaucoup gagnaient à être mutualisés. De plus, l'invocation des transports régionaux comme service public ne paraît pas des plus heureuses. On se demande pourquoi un service public serait le seul capable d'assurer le transport régional. Il faut laisser l'initiative économique organiser le transport régional.
2. L'Union européenne ensuite, cheval de Troie de la mondialisation ultralibérale : les Traités européens imposent depuis le Traité de Maastricht le dogme de la concurrence libre et non faussée, interdisent par idéologie les aides d'Etat à nos entreprises, ainsi que toute forme de protection aux frontières internes de l'UE, mais aussi externes. En bref, toute forme de patriotisme économique. C'est la première apparition de l'UE dans le projet du FN. Attaquer son application de l'idéologie libérale est assez spécieux. En effet, comme l'Etat français et maintenant, en effet, au-dessus de lui, l'UE est un formidable producteur de normes légales et réglementaires qui a bloqué et l'économie et la politique.
En 2009, l'aide de 6 milliards d'euros apportée par l'Etat à Renault et PSA n'a pas pu être conditionnée au maintien des activités en France en raison des récriminations de la Commission européenne. C'est un encouragement aux délocalisations et à la destruction d'emplois en France. En 2011, cette même Commission de Bruxelles a jugé contraire aux règles européennes le projet de recapitalisation de l'entreprise Seafrance par son actionnaire la SNCF : des centaines d'emplois sont de ce fait menacés. Bon.
Ce double mouvement d'affaiblissement doit trouver face à lui une solide volonté politique. L'Etat fort vise plusieurs objectifs essentiels à la prospérité de notre pays et du peuple français :
  • Le respect des valeurs républicaines face aux féodalités locales et aux communautarismes.
  • La réindustralisation de la France, contre le chômage et les délocalisations.
  • L'innovation pour se projeter dans l'avenir : la coopération en matière de recherche entre acteurs du privé et du public fonctionne mal en France, et notre effort global de recherche et développement est insuffisant.
  • La remise sur pieds des services publics décimés par trois décennies d'idéologie ultralibérale : L'UMP et le PS ont progressivement détruit le service public en votant Traités et directives européennes qui organisent dans tous les domaines la libéralisation, et en privatisant les services publics.
  • L'exigence d'une concurrence loyale face aux pratiques abusives de la grande distribution, des banques et des très grands groupes.
  • Valeurs républicaines ? c'est une tarte à la crème commune aux deux partis de gouvernement.
    La réindustrialisation de la France ne peut avoir comme seuls buts de lutter contre le chômage et les délocalisations. De plus, l('agriculture, le commerce et la finance ont besoin au moins autant d'une restauration urgente.
    L'innovation n'est pas un problème politique grave actuellement. C'est une excuse à la décadence très insuffisante. Ce sera donc un remède tout aussi inopérant.
    La dégénerescence des services publics est une question complexe et très diversifiée.
    Je suis sensible à l'exigence de concurrence, mais demande à voir plus loin.
    - L'encadrement rigoureux de la finance lorsque l'intérêt général est en jeu : le puissant lobby des banques d'affaires influence beaucoup trop les décisions politiques et incite à des pratiques de corruption et de conflits d'intérêts. Ce phénomène, né aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, n'épargne pas la France. La question de la corruption et des conflits d'intérêt financiers est difficile. Il est un peu vague de répondre à cette question par l'évocation d'un seimple encadrement, fut-il rigoureux. Tous les partis politiques l'assurent. Sans succès ni pertinence.
    POSITIONS
    L'Etat fort est d'abord un Etat libre : C'est l'opinion notamment de Wladimir Poutine. Et il a bien entendu raison.
  • La hiérarchie des normes qui prévalait avant les dérives jurisprudentielles sera réaffirmée. La Constitution, plus largement le bloc de constitutionnalité, est la norme suprême, à laquelle doit se conformer l'intégralité du droit français et conserve sa supériorité sur les Traités internationaux.
  • Voir le problème unioniste. Par ailleurs, les Etats ont pris la mauvaise habitude de déléguer des pans entiers de leurs prérogatives à un Traité, mis en oeuvre par une Organisation internationale ad hoc, complètement incontrolable. Le FN irait-il jusqu'à ces dénonciations par principe ?
  • La loi française retrouvera sa supériorité sur le droit européen dérivé (directive, règlement, etc.). Ces éléments feront l'objet d'une discussion avec nos partenaires européens dans le cadre de la renégociation nécessaire des Traités européens. La France se tiendra à sa doctrine en cas d'échec des négociations.
  • Là, c'est parfaitement inconnu. On peut même évoquer ici un mandat en blanc donné au Front National par 'électeur à ce sujet.
  • Le ministère des Souverainetés sera chargé de coordonner sur un plan technique la renégociation des Traités et la restauration de notre souveraineté nationale dans l'ensemble des domaines où elle a disparu.
  • L'Etat fort qui défend et fait respecter les valeurs républicaines : C'est une formule trop vague et une invocation récurrente et quasi religieuse depuis près de quinze ans.
  • Application ferme sur l'ensemble du territoire national de la loi de 1905 de défense de la laïcité. Cette loi ne doit pas être modifiée.
  • Mise en place d'un ministère de l'Intérieur, de l'Immigration et de la Laïcité
  • Trop vague sur la question de la minorité musulmane évoquée à la "Tartuffe".
  • Rétablissement du principe d'égalité et de méritocratie : bannissement des pratiques de discrimination positive dans tous les secteurs de la société (école, université, entreprise, administration).
  • C'est une société "juste" qui est évoquée ici. Le sakozysme et le hollandisme s'en réclament tout autant.
  • Tous les bâtiments publics de France, qu'il s'agisse des administrations centrales ou locales, devront en permanence porter le drapeau français. Le drapeau de l'Union européenne ne sera plus autorisé..
  • ;
    Ah bon ?
    L'Etat fort, fer de lance de la réindustrialisation de la France : Formule ambigue. Voir plus loin.
  • Mise en place d'une Planification Stratégique de la Réindustralisation directement rattachée au Premier ministre, associant établissements universitaires et grandes écoles, filières industrielles et représentants de l'Etat. Elle organisera la réindustralisation de la France. Cette politique se fera parallèlement à la mise en place de protections raisonnables aux frontières face à la concurrence internationale déloyale (droits de douane ciblés et quotas d'importation).
  • C'est le moyen colbertiste par excellence qui n'est possible que dans un système économique rudimentaire. Par contre la protextion raisonnable aux frontières est assurément une nécessité, non seulement économique, mais démographique.
  • Stratégie de développement économique de l'Outre-mer.
  • Trop allusif.
  • Mise en place politique de l'équivalent français du " small business act " accordant aux PME/PMI françaises une priorité d'accès aux marchés publics locaux et nationaux.
  • Il y a déjà des dispositions réglementaires en application. Elles sont en effet insuffisantes, mais essentiellement parce que l'Etat est trop fort. Augmenter sa puissance devrait donc accroître un frein d'accès aux marchés publics.
    L'Etat fort pour stimuler l'innovation et la recherche :
  • Conditionner le crédit impôt recherche (3,2 milliards d'euros par an de dépenses fiscales) au maintien intégral par l'entreprise bénéficiaire de cette mesure des centres de recherche et développement en France.
  • C'est une mauvaise mesure économique. Les centres de recherche doivent être liés aux centres de production industrielle, eux-mêmes liés à un noyau de base commerciale assurant l'écoulement initial des produits.
    L'Etat fort qui impose son autorité aux féodalités locales : Il semble que les collectivités locales ou territoriales soient qualifiées de "féodalités". C'est amusant, mais peut être pas réaliste. Leur avantage est de réduire l'omnipotence de l'Etat dans une application du principe de subsidiarité. Si la féodalité applique le principe de subsidiarité, je n'ai pas d'opposition.
  • Baisse de 2% des dotations de l'Etat aux conseils généraux et conseils régionaux, assortie d'une interdiction législative d'augmenter les impôts locaux pour les collectivités concernées.
  • Transfert progressif à l'Etat des compétences relatives aux transports régionaux et à l'action économique
  • Suppression de la clause générale de compétence.
  • Suppression de l'obligation de participer à une intercommunalité et audit obligatoire des dépenses des intercommunalités par les Chambres régionales des Comptes la première année du mandat.
  • Rétablissement du contrôle de légalité a priori de l'Etat sur les engagements de dépense supérieurs à un pourcentage du budget annuel de la collectivité territorial qui sera défini par une loi.
  • Très contestable dans ces deux volets.
    Très contestable dans ces deux volets.
    Je ne connais pas cette clause.
    Ici, le FN touche à un développement obscur de la régionalisation et du transfert de compétences. Une remise en ordre est en effet nécessaire.
    Et la Cour des Comptes ? Elle sert à quoi ?
    L'Etat fort pour redresser nos services publics : Tout ce chapitre est extrêmement contestable. Le service piublic de l'énergie n'a aucune raison d'être sauf à spolier linitiative privée. Les transports publics sont une erreur économique grave. Opposer le sérieux de la SNCF à la gabegie des chemins de fer thatchériens est une caricature franco-française.
  • Arrêt de la transposition des directives de libéralisation des services publics marchands.
  • Contrôle intégral de la fixation des tarifs appliqués aux ménages et aux entreprises dans les secteurs stratégiques (énergie et transports notamment).
  • Obligation d'assurer une parfaite continuité territoriale à prix raisonnable vers l'Outre-mer.
  • L'Etat fort qui lutte contre les fraudes, les ententes et les abus de position dominante : L'Etat n'est pas qualifié pour cela. Seuls les tribunaux libres peuvent parvenir à la demande des acteurs économiques à réguler l'activité marchande. L'Etat n'est légitime que pour appliquer la sanction judiciaire.
  • Lutte contre les fraudes commerciales (falsification des normes de sécurité, environnementales, sociales) pour assurer une concurrence loyale.
  • Action au niveau des centrales d'achat pour rétablir un équilibre entre le commerce indépendant et la grande distribution. Les liens d'exclusivité entre centrales d'achat et grands distributeurs seront interdits.
  • Fixation par la loi d'un plafond applicable au montant des frais bancaires facturés aux clients des banques (ménages et entreprises).
  • L'Etat fort qui met au pas la finance et la spéculation : Ca c'est un truc stupide, qui exige de transformer la France en une copie de la Corée du Nord.
  • Séparation par la loi des banques de dépôt et des banques d'affaires.
  • En cas d'extrême nécessité et de risque pour les dépôts des particuliers, nationalisation, même partielle et temporaire, des banques de dépôts en difficulté.
  • Réorientation de la formation de nos jeunes en grandes écoles vers les métiers de l'entreprenariat et de l'industrie au détriment des métiers de la finance.
  • Action déterminée de la France au niveau international pour une interdiction des produits dérivés spéculatifs et une taxe mondiale sur les transactions financières.
  • Ces mesures sont toutes dans le hollandisme.

    Source du texte du Front National : http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/autorite-de-letat/etat-fort/

    En résumé, notre appréciation

    L'Etat stratège du Front National est un Etat omnipotent réputé servir à ses assujettis l'ensemble de leurs besoins. C'est donc un Etat fort, totalitaire, et socialiste. Etant orienté sur la base de la Nation républicaine, il s'agit donc clairement d'un national-socialisme. Cette idéologie doit absolument être combattue.

    On note qu'aucune des mesures envisagées dans cette partie du plan du Front National ne demande le concours, ni d'un citoyen ni d'un Etat allié. Il ignore une quelconque opposition. Celle-ci est-elle éliminée par la prison ou par la guerre ?


    Revue THOMAS (c) 2013