Les 7 ambitions de la Commission Lauvergeon - Innovation

Les 7 ambitions de la Commission Lauvergeon - Innovation

Philippe Brindet - 11.10.2013

Madame Lauvergeon est une personnalité du monde industriel, qui a su naviguer, comme beaucoup, avec un égal bonheur entre sarkozysme et hollandisme. Ce 11 octobre 2013, elle rend le rapport d'une énième commission consultative concernant l'Innovation en France.

Son document est tout à fait étonnant. Alors qu'il est en fait un ramassis d'idées creuses, il est reçu partout comme une chance pour la France. Mais, c'est que ces idées "creuses" sont typiques du résultat d'une réunion commencée avec courage le matin, poursuivie par un bon déjeuner consensuel, et terminée dans le courant de l'après-midi autour d'un bon cigare et d'un verre de fine. Les participants ? Un escadron de hauts fonctionnaires, tous diplômés des quatre à six mêmes écoles. X, ENA, Mines, HEC, et deux ou trois autres pour faire "libéral".

Comme il s'agit de personnes intelligentes et de bonne compagnie, ces idées que je qualifiais de "creuses", peuvent paraître en première lecture, brillantes et attractives, convaincantes.

Une innovation inversée

Prenons l'exemple de la première phrase "opérationnelle" du rapport :

L’innovation permet à l’Homme d’évoluer sans cesse.
Quand on démarre la lecture d'un rapport de 50 pages, on ne s'attarde guère aux déclarations de principes. On saute rapidement aux conclusions. Bêtement, je m'accroche à la première phrase.

J'entends Madame Lauvergeon vaguement amusée, se pencher vers moi et me demander maternellement :

"Mon petit, qu'est-ce qui ne vous convient pas ?"
"Franchement, Madame, je cherche. Mais il y a quelque chose qui cloche."
"Critiqueriez-vous la référence à l'Homme qui excluerait les femmes ?"
"Non, non. Enfin, si ....
Et là, je bafouille lamentablement. Madame Lauvergeon, un sourire énigmatique toujours figé, passe sans se soucier de moi, entourée d'un escadron de complets vestons, murmurant de sobres louanges.

Comme toujours dans ces situations intimidantes, je trouve le problème quand elle a disparu. Quand je pense l'innovation comme un processus naturel, les fonctionnaires français le conçoivent radicalement comme un processus politique, décidé, déterminé, contrôlé par des fonctionnaires publics. Ainsi, dans leur idéologique, "l'innovation permet à l'homme d'évoluer", parce que l'Etat seul peut donner à l'homme les moyens d'évoluer. Or, l'innovation est un processus exactement inverse. L'homme, confronté à un problème, tend naturellement à le résoudre. L'innovation est simplement la solution nouvelle à un problème qui se pose et qui n'était pas ou mal résolu.

Or, au niveau de l'Etat, l'homme qui innove, ne rencontre que

Bien entendu, Madame Lauvergeon est très avertie de deux choses essentielles dans les sociétés bloquées :

  1. la concertation a priori : c'est celle qui associe les administrés à la prise de décision par les autorités ;
  2. la concertation a posteriori : c'est celle qui permet d'éliminer la contestation à l'usage par les autorités.
Aussi, Madame Lauvergeon a t'elle pris le soin de se livrer à une "large concertation" a priori avant de décider des septs ambitions pour la France. Dans sa concertation a priori, elle a pris le soin de consulter. La liste des consultés est édifiante. Aucun d'eux n'est en situation d'innover. La plupart sont des gestionnaires, et en réalité de simples fonctionnaires. Intelligents. Puissants. Mais des fonctionnaires tout de même.

Autant dire que la concertation de Madame Lauvergeon aura été typique des concertations françaises. On évite de demander leur avis à ceux qui seraient concernés. Mais, Madame Lauvergeon ne peut pas le savoir puisque pour elle, l'innovation est le processus inverse de celui auquel nous pensons.

Le principe d'innovation

L'idée est attractive : fonder un principe d'innovation qui équilibrerait le redoutable principe de précaution. Et qu'esst-ce que ce principe d'innovation ?

Le principe d’innovation se traduit notamment par l’acceptation du risque dans les décisions ...
C'est une idée intéressante. Malheureusement, le rapport dérive sur une application marginale : celle de l'analyse du risque dan sles politiques publiques, qui existe depuis longtemps et consomme sans mesure le principe de précaution !

L'idée du rapport Lauvergeon n'est pas cependant sans intérêt. Elle rend présente l'idée du risque. Mais, on ne peut que regretter que le risque n'ait pas été mieux défini. Sur un projet innovant, quel risque Madame Lauvergeon est-elle prête à assumer ? Et quel dommage couvrira t'elle ? Là, silence du rapport.

Choisir les domaines de l'innovation

J'ai dit plus haut que l'innovation était radicalement la définition d'une solution nouvelle à un problème pratique rencontré par un agent économique. Dans cette conception, il est parfaitement impossible de choisir un domaine, au sens où Madame Lauvergeon choisit un domaine économique d'intervention de l'innovation.

Mais, une fois de plus, Madame Lauvergeon a une autre conception de l'innovation qui, pour elle, est une prérogative de l'Etat tout-puissant et omni-présent. Pour elle, l'Etat est le seul compétent pour déterminer là où la société agira dans une démarche volontaire d'innovation :

... la Commission a identifié et analysé les principaux enjeux technologiques et industriels auxquels notre société sera confrontée à échéance 2025
Et c'est de la considération de ces enjeux que l'Etat choisit les sept domaines industriels d'action innovante.

Et en quoi donc consiste cette "action innovante" :

Il ne s’agit ni de rédiger une feuille de route scientifique, ni de construire un programme d’infrastructures. Il ne s’agit pas davantage de lister de grands thèmes génériques mais bien de stimuler l’innovation au sein des entreprises.
C'est la stimulation de l'innovation au sein des entreprises !

Et le critère majeur de la stimulation de l'innovation, Madame Lauvergeon le fait écrire noir sur blanc :

Ses Ambitions d’innovations ont la capacité de générer de la croissance, des emplois et des exportations en France. Ce critère a été considéré comme majeur.
Je pense qu, dans la France actuelle, cette opération est vouée à l'échec.

Reprenons point à point les éléments du critère majeur auquel Madame Lauvergeon soumet son innovation, ou sa stimulation par l'Etat, ce qui n'est pas la même chose :
générer

  1. de la croissance,
  2. des emplois et
  3. des exportations
en France.

générer de la croissance

Je sais bien que la croissance est en panne. C'est donc un problème pour l'économie qui a besoin de croissance pour répondre à une demande croissante. Demande croissante, parce que la population augmente et que ses besoins augmentent. C'est la thèse ancienne.

Je ne soutiendrais pas la thèse moderne de la décroissance. Mais, Madame Lauvergeon ne peut pas faire l'impasse, elle, à ce sujet, parce que le hollandisme qui lui a commandé ce rapport comporte une composante - les "verts" - qui animent cette décroissance. Comment l'Etat gèrera t'il cette discordance ?

Quant aux sept "ambitions innovantes" retenues, Madame Lauvergeon sur la question de la croissance ne nous livre aucun chiffre ni aucun modèle qui pourrait indiquer qu'elles généreront de la croissance. Le droit à l'échec que contient le principe d'innovation de Madame Lauvergeon lui permet-il de constituer un critère majeur de choix en simple voeu pieux ?

Or, nous savons parfaitement pourquoi la croissance est cassée. L'innovation sera assurément une source de croissance. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, ce n'est pas de l'innovation des agents économiques qu'il faut attendre la croissance de l'Etat français. Leur innovation est entièrement dirigée vers l'étranger.

Aujourd'hui, ce qui bloque la croissance, ce qui l'inverse, c'est l'absence d'argent. C'est la pauvreté inattendue au milieu d'un océan de richesses dilapidées. C'estt l'effrayant racket de l'Etat, plus pauvre qu'un artisan maçon en faillite.

générer des emplois

Sur les secteurs innovants qui sont en réalité largement des secteurs industriels nouveaux, il est asuré que l'efet sur l'emploi sera extrêmememnt faible. Des millions d'emplois seront perdus sur les activités dans lesquelles l'innovation ne sera pas stimulée - si nous suivons l'idéologie de Madame Lauvergeon d'une innovation d'Etat - quand les secteurs nouveaux ouvriront quelques dizaines de illiers d'emplois. Le solde sera donc fortement négatif.

générer des exportations

Je rappelle que les sept secteurs stimulés par l'innovation d'Etat n'existent pas aujourd'hui. Par ailleurs, aucune étude de marché n'a jamais été ouverte par Madame Lauvergeon. Il faut donc que le marché se construise. Comme elle n'a interrogé que des acteurs français, dont la plupart n'ont une activité notable qu'en France, qu'elle n'a pris aucune coopération internationale, il est certain que les premières années, il n'y aura aucune exportation. Et le futur n'appartient pas à l'Etat français. Cinquante ans après l'innovation ferroviaire, le TGV français ne s'est pratiquement pas exporté. Les avions de guerre produits à grand frais en France, l'Etat comme marché intérieur a réduit à l'absurde ses commandes, et les clients étrangers n'en achètent aucun. Parce qu'il y a de la concurrence ...

La concurrence

Le rapport Lauvergeon se contente, pour chacun des sept secteurs envisagés, à noter l'existence d'entreprises étrangères acteurs dans le secteur. Mais, le rapport n'identifiant pas les réels problèmes à résoudre, on en reste réduit à des connjectures sur l'objet de ces concurrences. Par ailleurs, et plusieurs fois, la chose est évoquée, les entreprises "étrangères" sont en situation de coopération avec les entreprises françaises. Comment s'articule l'aide ou la stimulation publique dans cette situation ?

Les sept secteurs

La plupart de ces secteurs me posent de gros problèmes. Le premier envisagé est celui du stockage de l'énergie. Le thème est décliné sur deux grands applications : la batterie électrochimique et le réseau d'énergie intelligent. C'est un secteur qui est stimulé depuis cinquante ans. Les grandes innovations et celles qui ont débouché sur des applications industrielles notables sont hors de France : véhicule électrique ou hybride, batteries d'appareils électroniques portables. Stimuler l'innovation par l'Etat me semble sans intérêt.

Mais, même là, la démarche de la Commission Lauvergeon est paradoxale. Ayant pourtant clairement identifié les pesanteurs réglementaires comme l'un des grands freins à l'innovation, elle n'hésite pas à préconiser une réglementation supplémentaire pour ouvrir de nouvelles applications au stockage d'énergie le domaine de l'énergie étant l'un des plus contraints en matière de réglements.

En bref

Le rapport Lauvergeon n'a qu'une lointaine accointance avec une stratégie d'innovations. Il s'agit d'une nouvelle tentative d'intervention de la puissance publique dans sept secteurs industriels choisis par elle. C'est tout.


Revue THOMAS (c) 2013