Urbi et orbi, le message de Noël de 2013 du Pape François

Urbi et orbi, le message de Noël de 2013 du Pape François

Philippe Brindet - 29.12.2013

Comme chaque année depuis Paul VI, le Pape adresse au monde entier un message de Noël et sa bénédiction. Urbi et orbi.

Très attendu par les catholiques, le message est souvent relayé par de nombreux organes de presse qui le commentent chacun à sa façon. Il nous a donc semblé qu'il était normal que nous ajoutions notre avis aux leurs.

Le contenu du message

Le message se présente en trois parties de tonalité différentes :

  1. La première partie contient un préambule dans lequel le Pape récite des attributs de Dieu ; bon, fidèle et miséricordieux. Dieu le Père donne Jésus ("... Dieur, le Père, qui nous a donné Jésus."). Le Pape ne fait aucune mention de la divinité de Jésus, ni de la façon que Dieu aurait donné Jésus au monde.Puis, le Pape discoure sur la "paix véritable" et l'oppose à la situation du Monde. Il identifie l'enfant de la crèche, enfant de paix" aux victimes des guerres, aux vieillards, aux femmes ...
    Il évoque alors le conflit en Syrie et celui en Centrafrique.
    Avec une subtilité, qui semble avoir échappé à de nombreux commentateurs, le Pape incite les non-croyants à joindre leur désir de la paix à la prière des croyants de toutes confessions.
  2. La deuxième partie est une suite de quatrre invocations au Christ, désigné sous différents noms : "Prince de la Paix", "Seigneur de la vie", "Enfant de Bethléem", "Seigneur du ciel et de la terre". Chaque invocation est associée à une demande en faveur de la paix dans le monde au bénéfice de l'humanité dans son ensemble.
  3. La troisième partie, plus brève, est une adresse du Pape à ses frères et soeurs. Les plaçant en contemplation devant l'Enfant de Bethléem, Sauveur, Christ et Seigneur. Et sans précaution, le Pape invite les contemplatifs à recevoir les caresses de Dieu, les plaçant probablement dans son esprit à la place de l'Enfant Jésus. Et ces caresses de Dieu sont réputées par le Pape une aide "à construire la paix "chaque jour, dans notre vie, dans nos familles, dans nos villes et dans nos nations, dans le monde entier."

Qu'y a t'il de spécifique dans ce message de Noël ?

Telle est la question que nous nous posons à sa lecture.

Une première question que nous voulons évacuer d'abord ets celle de l'éventuelle critique du Pape que l'on pourrait comprendre dans une analyse de son Message. Dire ce que l'on y a trouvé, ce que l'on n'y a pas trouvé, ce que l'on a relevé de juste et ce qui est errratique, tout cela est selon un certain mode une critique. Or le Pape incarne ou représente le "magistère de l'Eglise, cette position doctrinale qui utilise le ton du professeur et qui exige la soumission de celui qui le reçoit.

Nous en sommes désolés, mais cette époque est révolue. Non pas que le "magistère de l'Eglise" soit une chose passée de mode et qu'il n'y en aurait plus face à la libre conscience. Mais, tout d'abord, le Pape n'exprime pas en tout lieu le plein magistère de l'Eglise. Plus encore, l'Eglise a tellement errée, et clairement ces dernières décennies. Elle a aussi tellement parlé et même bavardé de choses patrfaitement oiseuses sur le ton d'importance dont ses pontifes avaient conservés la mémoire.

Enfin, l'Eglise a tellement perdu le secours terrestre du bras séculier qui, il faut bien le dire, s'est plutôt universellement porté contre elle, qu'il n'est plus impossible de critiquer ce magistère. Surtout quand il étend son impérium bien loin de sa compétence. C'est donc à une critique, aussi mesurée qu'il nous sera permis, que je me livrerai ici.

Dans ce message de Noël, le Pape ne délivre pas un énoncé de l'enseignement central de la foi. Il se trouve dans l'environnement simplement laïc d'un message prononcé au monde laïc. Il n'y a donc pas lieu de s'ébouriffer de la présence d'éléments plutôt en dehors du champ religieux. De plus, le Pape est une personnalité du monde médiatique, que cela nous plaise ou non. Et il est la personnalité appréciée des médias. Il n'existe pas de raison pour que notre admiration soit automatique à ce sujet. Réciproquement, il n'existe pas de raison de dénier au Pape le droit de dire ce qu'il pense. Sauf que ...

Aimer la paix ... Belle formule. Préférer la paix à la guerre, la richesse à la pauvreté, la bonne santé à la maladie, la brillante compagnie à la morne solitude. Voilà des prises de position qui n'amènent rien de neuf. Rien de particulier au christianisme.

Sauf que le Pape François identifie clairement tout ce que le monde désire le plus naturellement du monde avec Dieu lui-même. A la fin de son message, le Pape François déclare : "Dieu est paix". Il existe une identification dan sla pensée du Pape François entre ce que le monde désire et ce qu'est Dieu.

Dans les quatre invocations, le Pape François détaille ce désir du monde qui est Dieu :

  1. Prince de la Paix : convertis partout le coeur des violents
  2. Seigneur de la vie : protège les persécutés à cause de ton nom; fais que les migrants tourvent accueil et aide ...
  3. Enfant de Bethlémen : lutte contre la traite des êtres humains, les enfants malmenés ...
  4. Seigneur du ciel et de la terre : protge notre planète de la convoitise et de l'avidité ...

La spécificité du message du Pape François réside en cette double caractéristique :

  1. Il utilise résolument quelques concepts du domaine théologique chrétien : Dieu, la référence à un Dieu Père, l'attribution de caractéristiques à Dieu (bon, miséricordieux, ...) la référence à un amour humain de Dieu pour l'homme (la caresse de Dieu, ...) . Jésus est Christ, Seigneur et Sauveur. Mais ces concepts ne sont pas détaillés et pas replacés en situation les uns par rapport aux autres, Ils sont seulement posés là dans le discours, avec "naturel" pourrait-on dire. Les croyants ne peuvent pas les remarquer parce qu'ils sont tellement avertis de leurs liaisons que ces concepts peuvent se réciter sans autre explication. Pour les non chrétiens, ils entendent un langage religieux assez connu. Ou bien ils le détestent parce qu'ils l'ont critiqué - c'est le cas des juifs et des musulmans- mais ils peuvent aussi l'ignorer parce que la simple récitation de mots du catholicisme ne peut pas être mal appréciée dans la bouche du Pape.
  2. Mais le Pape s'adresse également aux uns, les chrétiens, et aux autres, les non-chrétiens. Et parmi ces derniers les non-croyants. A tous, il parle de paix, de lutte contre les injustices, pour lécologie, pour sauver les petits enfants, guérir les malades et soigner les vieillards. Enfin tout ce genre de choses dont il faut bien admettre que tout le monde a un souci. Et quand il s'adresse à tous, il ne méconnait pas que le don de la paix est équivalent au don de Jésus et qu'il ne peut donc y avoir de paix véritable qu'en Jésus.

Il ne faut pas donc penser que le Pape tient un double discours : l'un pour les chrétiens, l'autre pour les non chrétiens. S'il s'adresse à tous en les distinguant, c'est seulement qu'il est conscient que les non-chrétiens ne peuvent recevoir entièrement l'enseignement de l'Eglise. Dans sa conception du christianisme, il n'y a qu'un seul Dieu à qui tout est redevable. Il n'existe donc de ce point de vue aucune "originalité" dans l'enseignement du Pape.

Mais quand on a en effet tendance à concevoir le lien de l'homme à Dieu comme un lien de "redevable", le Pape retourne ce lien en tenant que Dieu est amour dans le Monde. Parce que Jésus est la Paix et que le Père donne Jésus au monde.

Le Père ne donne pas Jésus aux catholiques romains. Il Le donne à tous les hommes de tous les temps et de toutes les conditions. C'est la raison pour laquelle le Pape ne souhaite plus s'adresser exclusivement aux catholiques romains, mais à tous les hommes. Seulement, il adapte son discours aux uns et aus autres en partant de l'unique considération de la Joie du don de Noël : le Sauveur.

Voilà aussi pourquoi le Pape n'aime pas parmi les chrétiens ces "faces de Carême à Pâques". Voilà pourquoi il tient pour une figure d'un catholicisme avenant et joyeux.

Pour lui, le christianisme commence et se termine à Noël. "Sonnez trompettes, résonnez musettes, ..."

Une autre opinion

L'enseignement que l'on peut déduire du Message de Noël du Pape François peut être constesté. En effet, on se demande où peut-on prendre que les caresses de Dieu se lisent dans l'histoire des hommes si on évoque la suite ininterrompue de meurtres, d'injustices, dde guerres, de révolutions, d'épidémies, ...

On peut convenir que pour certains hommes, on parle alors de privilégiés, la vie se déroule malgré tout comme un long fleuve tranquille, une vie menée dans des lieux somptueux; entourés de nombreux domestiques, attentifs à la satisfaction permanente du privilégié.

Malheureusement, l'expérience de la vie montre que pour de très nombreux êtres humains, les misères plus ou moins graves s'ajoutent sur de rares et fugitifs plaisirs, de sorte que la vie imprime sur leurs visages une face triste, n'ayant rien à voir avec le visage que le Pape souhaite à l'avenir voir chez les catholiques. Il est donc probable que la proportion de privilégiés parmi les catholiques devra s'accroître fortement dans les années futures pour mettre en oeuvre le programme du Pape François.

Malheureusement encore, le christianisme est une activité très peu en rapport avec celui des privilégiés, de sorte qu'on se demande vraiment si les chrétiens peuvent vraiment présenter ces visages de prospérité qui dénotent une alimentation fine, riche et fournie, ainsi qu'une absence complète d'inquiétude quant au lendemain.

Par ailleurs, on peut se souvenir que le stoïcisme, particulièrement Epictète apprends à composer le visage autrement que ce que le commun des mortels est accoutumé :

N'attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites ; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux. Maxime VIII.
On voit ainsi que le visage que le Pape François veut que le catholique montre pourrait être celui que Epictète recommande à son disciple. Mais, quand Epictète le fonde en raison sur la philosophie, le Pape François le fonde sur le don de Noël.

On remarque tout de même que Epictète bénéficie d'un avantage sur la Pape François. Le résultat qu'il invoque à son disciple dépend de son degré d'initiation dans la philosophie. Il en résulte que si le disciple d'Epictète ne parvient à se composer une figure réjouie, il doit en incrimer son insuffisante philosophie. A la différence, le catholique peut il réellement résister au don de Dieu ? L'absence de sourire sur le visage du catholique ne démontrerai-il pas simplement que le Dieu du Pape François n'existe pas ?

Le christianisme aimable du Pape François est incroyable

Le Pape François n'a pas demandé dans le Message de Noël que les gens présentent des faces réjouies. Sa critique des faces de Carême à Pâques, est une simple répartie qui visait d'ailleurs plutôt les intégristes et les conservateurs ecclésiastiques.Dans son Message de Noël, il décrit parfaitement le drame de la condition humaine, loin de notre interprétation d'un visage joyeux du christianisme ou, plus incertain encore, du monde dans lequel se trouve le christianisme.

Mais, le Pape depuis un an qu'il se répand avec profusion dans les medias, insiste sur le changement de visage du christianisme. Et ce nouveau visage est à la fois celui du sourire au monde et de la coopération de tous qu'ils soient chrétiens ou non, croyants ou non. Le Pape ne le fait pas au motif d'un vague syncrétisme qui a déjà été cent fois condamné par les Papes. Le Pape est dépositaire d'une théologie très aboutie, d'une subtilité qui déjoue beaucoup d'interprétations, la notre comprise.

Mais, il nous semble que cette théologie reprend la dynamique centrale du Concile Vatican II et elle est exprimée de la manière particulière au Pape dans le Message de Noël. L'historicité des Evangiles, selon cette théologie, implique que l'Histoire du Salut est définitivement achevée par la Résurrection du Christ. Et le monde nouveau que cette Résurrection établit s'initie dans la paix de Noël que décrit le Message de Noël. Le Salut étant définitivement achevé, le fait que les uns soient chrétiens, et les autres non, ne présentent presqu'aucune importance. Simplement, les non-chrétiens ne le savent pas.


Revue THOMAS (c) 2013