L'unité et la diversité - Sur une déclaration du Vatican

Philippe Brindet - 24.01.2014

La déclaration

En audience générale sur la place Saint-Pierre le mercredi 22 janvier 2014, le "Speaker" pour le Saint Père prononce ces mots :

Frères et sœurs, nous sommes dans la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, qui a pour thème cette année : « Le Christ, est-il divisé ? ». Certainement, le Christ n’est pas divisé. Mais nous devons reconnaître avec douleur les divisions entre des communautés qui professent le nom du Christ. Or le nom du Christ crée la communion et l’unité, et non la division. Le Baptême et la Croix sont les éléments centraux du chrétien que nous avons en commun. L’apôtre Paul désapprouvait les querelles, mais il rendait grâce pour les dons faits par Dieu à la communauté. Il nous encourage à reconnaître les grâces accordées aux autres chrétiens, et à nous en réjouir. Nous sommes fils de Dieu par le Baptême, nous sommes disciples de Jésus qui portons la Croix et le suivons. Mais au-delà de nos communautés, d’autres fils de Dieu, d’autres disciples sont, comme nous, appelés à la sainteté.
Source : http://www.vatican.va/holy_father/francesco/audiences/2014/documents/papa-francesco_20140122_udienza-generale_fr.html

Une affirmation en rappel

Le Speaker du Vatican affirme une donnée essentielle, mais qui procède d'un raccourci. Quand il affirme : "Nous sommes fils de Dieu", il va un peu vite en besogne. Si l'on prenait cette affirmation au pied de la lettre, comment pourra t'il affirmer quelques mots plus tard "... d'autres fils de Dieu ... sont appelés à la sainteté." ?

Il n'existe bien entendu qu'un seul Fils de Dieu, c'est le Seigneur. Et il n'est bien entendu pas "appelé à la sainteté" parce qu'il est le seul Saint, Dieu Lui-même. Or, ce qui est véridique, c'est que, par le baptême, nous sommes appelés à la sainteté, comme sur un chemin difficile que nous ne parvenons jamais à suivre. Et nous croyons que la destination du chemin de la sainteté est celui, non pas de Fils de DIeu - c'est le Seigneur Jésus qui est le seul vrai Dieu - mais selon une modalité très mystérieuse et en dehors de ce monde, des fils adoptifs de Dieu du fait de l'Incarnation et non pas à cause de notre Baptême qui, quand nous l'assumons de notre manière, nous fait frères de Jésus qui, Lui, est Le Fils de Dieu, Dieu même.

La croyance que nous sommes "Fils de Dieu par le Baptême" est tellement inconsistante qu'elle se conjugue avec une autre croyance évoquée par le Speaker. Quand il déclare que d'autres que nous sont appelés à la sainteté au-delà de "nos" communautés, il semble reprendre la thèse erronnée du chrétien anonyme. Il n'existe pas d'autre voie de la sainteté que celle du baptême, parce que le Christ est la Porte Etroite.

Il s'agit ici d'une déviation qui s'est largement propagée depuis la fin du Concile Vatican II et dont les effets ravageurs sont compris de tous. Si la sainteté et si le statut de Fils de Dieu s'acquièrent "au-delà" de nos communautés fondées sur le baptême, alors l'Eglise est sans importance ou alors elle s'identifie au Monde.

Or, le Christ a Lui-même mis les chrétiens en garde contre la tentation du Monde qui recouvre aussi celle d'une Eglise-Monde, d'une Eglise qui s'est identifiée au Monde. Ce serait une infidélité majeure. Certains l'ont commise. Qu'ils ne soient pas suivi.

Un mal pernicieux dans l'Eglise catholique depuis cinquante ans

Une chose redoutable se perçoit de plus en plus. Alors que le Monde s'enfonce davantage dans le mépris de l'être humain, parce qu'il a déjà rejeté Dieu dans une mesure encore jamais vue, les ecclésiastiques et certains des fidèles les plus actifs auprès d'eux, se livrent à une auto-satisfaction absolument ravageuse. Alors que les églises se dépeuplent, que les vocations sacerdotales se raréfient de telle sorte que plusieurs diocèses en France ont la taille d'une paroisse d'hier, les ecclésiastiques font montre d'une satisfaction d'eux-mêmes et de leurs mérites absolument sans exemple.

Il faut bien comprende que, dans leur esprit, s'ils croient vraiment être saints et Fils de Dieu, il n'est pas permis de faire "une face de carême à Pâques" comme le dit de manière très contestable le Pape François. Et c'est ainsi que, sur une formule rapide, mais amusante, on esquisse ce pas de danse au-dessus du gouffre de l'erreur.

Deux mouvements internes au catholicisme romain ont poussé à cette cruelle méprise des Fils de Dieu. Le premier mouvement est celui des ecclésiastiques, fatigués de la théologie du salut. Utile quand il fallait "tenir" des troupeaux de fidèles, nombreux et terrorisés par l'idée du péché et celle de la damnation éternelle, la théologie du Salut n'a de sens que si nous partons de la considération du péché originel. Et cette considération conduit au dolorisme, condamné par les novateurs qui ont gravité autour de et prospéré après le Concile Vatican II.Si vous voulez "aller vers les gens", les accuser de tous les péchés du monde n'est pas une entrée en matière bien agréable. Et poursuivre ensuite sur le même ton est particulièrement attristant. Pas vendeur, si vous préférez. Et ils préfèrent ...

Le second mouvement interne au catholiscisme romain est celui de l'intense satisfaction de soi qui s'empare immanquablement des petits-bourgeois, petits ou plus grands d'ailleurs. Ils constituent depuis plus de cinquante ans la classe sociale dans laquelle se perpétue une certaine tradition catholique, en France du moins. C'est évidemment parmi elle que se recrutent les ecclésiastiques. Dès lors que le petit-bourgeois est doté d'une bonne digestion, que ses ascendants n'ont pas fait trop de bêtises, une honnête aisance le conduit, après les modestes dissipations de la jeunesse au cours de laquelle il n'a d'ailleurs de lien avec le catholicisme que pour les communions et les mariages familiaux, à une conception souriante de son existence. Le péché, c'est très bien pour qualifier le mode de vie des autres. Mais, pensez, un Fils de Dieu ! Ravi dans sa perfection, l'idée selon laquelle il a été sauvé et est devenu "Fils de Dieu" ne le frappe pas de l'absurdité du propos. Non. Remarquez qu'il ne vous fera certainement pas bon accueil si vous l'interpellez de ce vocable. "Bonjour Fils de DIeu !" et il convoquera police et psychiatre pour vous faire interner.

Mais si son curé lui adresse un discours selon lequel "nous sommes tous fils de Dieu", ou quelque chose du même genre, il comprend que collectivement l'absurdité du propos devient acceptable. Et il le croit dans une certaine mesure. Cela renforce son sentiment de satisfaction et son inclusion au milieu petit-bourgeois, ou plus grand. Et c'est ainsi que, du christianisme, il ne reste pus que des traces qui suffisent bien au bourgeois. Ce dont le Christ nous avait averti.

Quelle filiation du chrétien ?

On sait que le Baptême est un sacrement de l'initiation. Il initie à cette vie dans l'Eglise qui est d'abord une Institution mystique dans laquelle se trouve Dieu Lui-même. Le Baptême nous incorporant à l'Eglise, regénère notre nature humaine et la conformant au Christ Lui-même. Et c'est ainsi que de la malédiction du péché nous passons à la bénédiction de la vie chrétienne. Comme l'Eglise le rappelle dans son Catéchisme de 1983, il reste cependant en nous les germes du péché actuel et nous ne somme ni parfaits, ni saints. Il est donc hors de question de nous qualifier de "Fils de Dieu". Seulement, il n'existe pas d'autre moyen de s'unir à l'Unique Seigneur, qui prenant notre nature humaine, nous offre gratuitement d'adhérer progressivement à sa nature divine pour qu'un jour bienheureux, nous puissions être appelés fils de Dieu par l'adoption que constitue l'Incarnation.

Et contrairement à ce que laissent entendre de nombreux documents eccclésiastiques récents, si nous sommes tous appelés à devenir Fils de Dieu, en tant que chrétiens, peu d'entre nous le seront. Par contre, ceux qui n'auront pas reçu le baptême ne le pourront pas, parce qu'ils n'auront pas reçue l'incorporation au Christ apportée par le baptême.

De ce qui précède, il résulte que l'état de déliquescence de l'Eglise contemporaine, incapable d'accueillir efficacement les hommes qui demanderaient le baptême, est une abomination devant Dieu qui ne permet en aucun cas de présenter cette apparence de contentement de soi.


Revue THOMAS (c) 2014