Menace hollandiste sur le bénévolat culturel

Menace hollandiste sur le bénévolat culturel

Philippe Brindet - 07.02.2014

Dans Le Figaro, Jean-Bernard Litzler écrit : Spectacles vivants, menaces sur le recours aux bénévoles. Bien entendu, c'est le spectacle permanent du Puy du Fou inventé, développé et dirigé par Philippe de Villiers qui est visé. Plus généralement, c'est l'Etat qui veut que rien ne lui échappe de l'initiative privée. En effet, contraindre les participants au spectacle vivant d'être des professionnels, contraint l'agent à l'initiative du spectacle à se déclarer comme un opérateur économique "normal" et donc l'obigera à se soumettre au contrôle tâtillon et total de l'Etat et de ses organisations policières : URSSAF et Intérieur notamment.

Il s'agit donc d'une tentative de reprise en main de la culture en France pour que rien n'échappe au politiquement correct consternant de la "culture" professionnelle. Parce que aucune entreprise de spectacle ne peut se professionaliser si elle ne rentre pas dans les cadres du ministère de la Culture de sorte qu'elle puisse se faire subventionner. Et rapidement, l'organisateur de spectacles devra se soumettre aux fonctionnaires de l'Etat qui seront maîtres de le subventionner ou non. Ils seront capables de le contraindre d'engager les directeurs artistiques qui conviennent à l'Etat pour arriver ainsi à la platitude absolue de la production des organisations appartenant à l'Etat. De l'art, il n'en est alors plus question.

Malheureusement, les choses ne sont pas simples. Et, si je viens d'exprimer avec "fureur" quelques raisons de détester ce projet gouvernemental et hollandiste, je dois reconnaître qu'il y a un malaise.

L'idée de recourir au service d'un amateur pour réaliser ou participer à un spectacle vivant de qualité professionelle me heurte profondément. Combien de concerts de musique "savante" sont exécutés par des musiciens qui n'ont pour seule compétence artistique que l'enthousiasme brouillon de leurs "violons d'Ingres". Il en existe de qualité intéressante, mais combien de chorales vertueuses et d'orchestres d'amateurs interprètent des oeuvres difficiles que seuls des professionnels peuvent rendre.

Le problème se complique de deux façons. La première complexification du problème est celui de la gratutité ou du coût anormalement bas d'un spectacle ou manifestation d'amateurs. Il n'y a en effet aucune rémunération et souvent les frais comme ceux de déplacement ou de matériels sont à la charge des bénévoles participants. Il en résulte que de deux "requiems" de Mozart, l'un par une équipe d'amateurs, l'autre par une équipe de proffesionnels, l'organisateur de concerts a vite fait de choisir.

Là aussi, le problème n'est pas aussi simple. Retenu par un reste de pudeur, l'organisateur de concerts se rend parfaitement compte que, même à la longue, la bonne volonté ne supplée par toujours à l'incompétence. A titre de seconde conplexification du problème du "spectacle vivant", s'est répandue la bizarre coutume de faire collaborer des professionnels avec des amateurs. C'est très clairement le cas des concerts avec choeurs dans lesquels l'orchestre est entièrement ou partiellement professionnel, et le choeur est entièrment ou partiellement amateur. Le seul intérêt est que, avec l'entraînement, les professionnels arrivent souvent au bout du spectacle et les amateurs s'y accrochent avec la parfaite inconsecience des ignorants, persuadés qu'ils ont "faits" le spectacle.

Le public ? Il s'en moque souvent. L'ignorance crasse des français en matière de musique s'est accrue depuis les trente dernières années. comme dans presque tous les pays européens. On constate seulement que la France, partant de plus bas, est en avance sur ses voisins. Pour une fois ...

En France, la plupart des spectacles sont achetés ou subventionnés par l'Etat ou par les collectivités locales. Lorsqu'il se donne un nouveau "Requiem de Mozart", avec une chorale de 200 administrés de sa commune, le Maire assure à la fois l'animation culturelle de sa commune en se ménageant une masse électorale. De plus, les 200 choristes sont les meilleurs agents de vente de billets. Le concert est assuré de 400 places payantes. Avec un orchestre de 20 musiciens, et une petite subvention de la mairie, ça "marche" économiquement.

Vous changez le marché : tout s'écroule. Il est absolument certain que les 30 choristes professionnels amèneront moins de 10 places payantes et coûteront en rémunérations des choristes professionnels, au moins 300 places payantes à orchestre inchangé. De plus, il n'y a plus aucune électeur pour le Maire et sa subvention devient des plus incertaines.

Le résultat est que le "Requiem de Mozart", local et annuel, ne sera plus assuré. Et je vous assure que le moulinage par les élèves de l'école de musique d'un pot-pourri des tangos de Astor Piazzolla pour flûte à bec et guitare électrique n'est pas prêt de faire du "spectacle vivant".

Il y a bien entendu un autre problème. C'est que les bénévoles prennent fonctionnellement la place de nombreux artistes qui, sans les amateurs, vivraient de cette activité. Dans le spectacle, même les techniciens peuvent être remplacés par des bénévoles comme des techniciens retraités du corps de métier concerné. Ainsi, un menuisier retraité est parfaitement capable d'assurer le travail d'un technicien des décors ou un électricien, celui des éclairages et de la sonorisation.

Le problème des musiciens est un peu plus compliqué. Mais en France, l'inculture crasse de la majorité des gens fait que le public est à peu près incapable de distinguer le travail d'un Premier Prix de Conservatoire avec dix ans de métier des grincements du fils aîné de la voisine.

Une décision raisonnable serait que les amateurs commettent des spectacles d'amateur, et que les professionnels participent à des spectacles professionels. Mais, il faudrait alors deux choses.

La première nécesité serait que les organisateurs de spectacles d'amateurs respectent leur public en ne donnant pas des spetacles dont la technicité exige une exécution professionnelle. Pour les encourager, cela changerait nos habitudes si, en contre-partie, les professionnels s'engageaient à maintenir une exigence de qualité professionnelle à leurs prestations. En France on confond souvent qualité artistique et statut fiscal.

La seconde nécessité serait que les organisateurs de spectacles de professionnels s'engagent à rémumérer correctement les professionnels qui participent à leurs spectacles. Une représentation de vingt musiciens avec deux techniciens coûte environ 6 heures x 22 x 35 Euros soit 12.000 Euros, charges sociales incluses. Cela représente environ 480 places à 25 Euros. Et à cette somme s'ajoutent de nombreux frais au premier rang desquels se trouvent les taxes et la location de la salle. Or, en France, il existe peu de salles à plus de quatre cent places et beaucoup de taxes directes ou non.

Aujourd'hui, le fincancement de "ce qui manque" est assuré par les subventions versées à l'organisateur de spectacles et aux artistes, ces derniers pouvant bénéficier du fameux statut d'intermittents du spetacle". Une désignation qui montre que la puissance publique n'avait rien compris à l'économie du spectacel en France.

Le projet gouvernemental de contraindre les organisateurs à salarier les bénévoles des spectacles "commerciaux" montre que l'Etat ne comprend toujours pas mieux le problème.


Revue THOMAS (c) 2014