Aspects de la musique en Occident

Philippe Brindet - 17.07.2014

Les nécrologies de personnalités musicales

Lorin Maazel est mort ce mois-ci. Il a eu droit à quelques entrefilets dans la presse bourgeoise française, le plus important d'entre eux se trouvant dans Le Nouvel Obs'. Aucun d'entre eux ne dépasse, trente lignes, dactylographiées si leur auteur avait voulu échapper à l'espionnage de la NSA ...

Par comparaison, The New York Times publie plusieurs articles au sujet de l'artiste récemment décédé dont aucun ne fait moins de trois pages, S'y développent détails biographiques, opinions artistiques en tous genres, critiques musicales, ...

Il faut reconnaître que Maazel s'est juste donné la peine de naître en France pour aller aussi vite qu'il a pu s'établir aux Etats-Unis. Notre pays rancunier ne l'a jamais trop apprécié. Alors sa disparition n'émeut pas grand monde. Et puis, n'est-ce pas, il faut bien partir un jour ...

La culture en France se caractérise par une absence complète d'intérêt pour les artistes, même quand célèbres, ils décèdent très simplement comme vous et moi. On avait relevé ce trait lors de la disparition de Elizabeth Schwarzkopf ou de Dietrich Fischer-Diskau, qui en plus d'être chanteurs, cumulaient le handicap français d'être chanteurs. Comme la plupart des gens pensent que pour chanter, il suffit de l'ouvrir, ... l'intérêt de ces géants de l'art ne leur paraît pas si grand.

Bien entendu, tel n'est pas le cas de ces trémousseurs de vidéos ringardes qui sont tant prisés et avec lesquels les bourgeois occidentaux identifient les artistes. Un fracas assourdissant et grotesque couvrant à peine des borborygmes de fin de cuite dans un bar à soldats et voilà tout l'art dont ont repaît l'immense majorité de nos contemporains.

Le concert télévisé du Quatorze-Juillet

Sur le Champ-de-Mars, cet été, l'Etat aux abois a fait donner un concert populaire avec vedettes d'opéra et le grand orchestre de Radio-France avec son choeur au complet. Une foule estimée à quatre cent mille personnes aurait suivi cet événement médiatique. Sauf - et c'est bien normal - un ou deux "numéros" - l'ensemble était d'une assez bonne tenue musicale.

En plein marasme, les puissants qui nous dirigent savent que la vraie culture se vend toujours bien. Ainsi, quand assourdis de récriminations devant la nullité des séries américaines ou pire, américanisées, des documentaires et autres "enquêtes" prétentieuses et moralisatrices, ces autorités reprogramment de vieux films d'autrefois, le public conquis applaudit.

Mais les réactions relativement favorables du public du Champ-de-Mars montrent que la musique savante est encore comprise du public le plus simple. C'est la raison pour laquelle le très petit nombre de manifestations musicales ouvertes au public simple révèle une défaillance dans le système culturel français. Non que nous plaidions pour les grosses machines "grand public" à coups de millions et de stars. Mais, si quelques unes comme celle du Champ-de-Mars sont utiles, elles devraient aussi être relayées par des dizaines de manifestations musicales, plus petites, mais offertes partout et toute l'année. Au lieu d'avoir dix stars, on se contente de deux vedettes et au lieu d'un orchestre pléthorique, on recourt à un orchesre raisonnable.

Il existe clairement un problème de financement et un problème de promotion. L'Etat central n'est plus le moteur qu'il a voulu être unique. Il doit être relayé par les collectivités territoriales ou locales et pourquoi pas par l'Union européenne. Mais tout ceci est de l'ordre du "yfauqu'on" ...

La défaillance des médias de promotion

Après l'appel aux voeux pieux, un retour au réalisme s'impose. Je recherchais l'autre jour la rubrique d'un "grand" magazine français, qui annonce une rubrique "Culture", assortie d'une sous-rubrique "Musique". Son examen est proprement confondant. Dans l'ordre, les premiers articles invoqués sont :

  1. La Maracana par Los del Rios
  2. Arte Flamenco
  3. Pink Floyd
  4. Le chanteur de soul américain Bobby Womack qui a droit à sa nécrologie et pas Maazel ...
  5. YouTube veut-il vraiment la peau d'Adele
  6. Le premier extrait du nouvel album de Alt-J
  7. Genesis fait son grand retour
  8. Les Libertines ressortent les guitares
  9. "Opening Light" : lumière sur l'électro
  10. René Angélil quitte Céline Dion...
Pas un seul article n'est prévu sur les quarante qui sont listés par le magazine concernant la musique savante. Or, le lectorat de ce magazine est composé à 90% par des cadres et bourgeois des classes moyenne et supérieure qui sont supposés avoir eu accès à la culture nécessaire à la compréhension minimale de la musique savante. Ce lectorat doit se contenter de quarante articles sur des pitres et des saltimbanques dont le mérite se pèse essentiellement en millions de dollars et dans les manifestations desquelles on serait bien en peine de trouver plus de deux moments artistiques dégagés de la vulgarité, du conformisme et de l'absence d'imagination.

Nous ne dénoncerons pas le magazine dont il s'agit. Le lecteur patient trouvera facilement par la liste des dix titres précités de qui il s'agit. Tous les autres titres de presse ne sont pas différents.

Pour des raisons qui nous échappent, les artistes de la musique savante sont absolument incapables d'accéder à la promotion que les media que nous visons ici offrent furieusement à de manifestations sans aucune orientation culturelle, mais qui au contraire exacerbent des passions vulgaires et avilissantes, flattent les mauvais penchants des gens simples et les manipulent dans le sens de l'asservissement à ces mêmes passions délétères.

Certains incriminent la publicité qui finance ces titres de presse et qui paye pour que les manifestations que nous dénonçons et qui rapportent un argent fou à des puissances médiatiques instituées à cet effet, reçoivent cette promotion éhontée. D'autres insistent sur le fait que la promotion de passions délétères est une nécessité pour ôter les freins à la consommation de masse voulue par les banques et les puissances financières.

Mais d'autres pensent que cette situation n'est pas aussi nouvelle que nous pourrions le laisser croire. Les puissances d'argent depuis très longtempps préfèrent que l'art promu flatte les bas instincts et les passions primaires de gens qu'ils avilissent. Et la faiblesse des gens les entraîne à accepter ce diktat des puissances d'argent, parfois en le regrettant. Mais très peu sont disposés à résister à cet état de faits. On préfère le tenir pour une "nécessité" de la vie moderne, une obligation du "vivre aujourd'hui" ... Et ceci ne date pas d'hier.

Mais, ce qui apparaît aujoud'hui, c'est le mépris insondable dans lequel est tenue la musique savante. Je sais bien qu'elle s'est littéralement "prostituée", notamment dans le mouvement de la mise en scène d'opéra qui l'a entraîné vers son épuisement total. Je sais bien que le mouvement baroque a rendu stupide toute une fraction de la musique savante en imposant de vulgaires idéologies destructrices qui prétendaient se fonder sur l'esprit scientifique de la reconstitution historique.

Mais alors que la pratique professionnelle d'un instrument de musique était tenue pour une valeur sociale reconnue, aujourd'hui ce professionalisme est souvent contraint à la clandestinité de l'intermittence qui contraint les artistes - trop d'artistes - à quémander leur pain à des organismes sociaux qui les méprisent au prétexte qu'ils ne sont pas chômeurs. Quand aux rares institutions musicales qui sont encore capables de maintenir un effectif professionnel à temps plein, nous estimons leur nombre à moins de vingt.

Alors que le public est là qui n'attend que d'entendre des concerts ou d'assister à des spectacles musicaux de qualité supérieure, les institutions musicales se sont réfugiées dans des réserves d'indiens et se contentent de maigres promotions dans de vagissantes écoles de musique sans intérêt, dans lesquelles végètent des milliers d'enfants qui pérégrinent fatigués entre le foot à quatorze heurs et la flûte à dix-neuf heures.

Et qu'on ne nous dise pas que les concerts "classiques" sont trop chers. La moindre place pour un spectacle d'un sinistre crétin promu par la grosse presse coûte dix fos plus cher et il y a dix fois plus de public. Ceci au passage démontre une fois de plus que les choses à bas prix sont de faible valeur ...

Arrêtez le massacre !


Revue THOMAS (c) 2014