La Chute du gouvernement Valls I

La Chute du gouvernement Valls I

Philippe Brindet - 26 août 2014

1 - La montée du mécontentement

La classe politique contemporaine est radicalement composée d'individus qui sont "programmés" pour être élus et ré-élus. Chacun d'eux sait que l'électeur est un consommateur accessible à la manipulation par les techniques modernes de communication. L'électeur est donc éminemment plastique en ce sens que, jusqu'à un certain point, il est capable de voter pour quelqu'un qui lui fait du mal et se méfier d'un autre politicien qui lui veut du bien. Mais ...

Ce principe essentiel de notre démocratie étant posé, le "mais" est qu'il y a des limites. On peut tout faire avec une baïonette sauf s'asseoir dessus. L'électorat, c'est pareil. A un certain point de mécontement, l'électorat lâche les politiciens qui savent alors qu'ils ne seront pas ré-élus, ce qui est le mal absolu en démocratie.

Or, malgré les mécanismes de "meute" mis en place par les grands partis, un certain nombre de membres de la majorité, députés souvent, se sont aperçus que leur ré-élection allait devenir de plus en plus problématique. Quoi que fasse leur parti au pouvoir, la situation économique se dégrade. Leurs électeurs commencent à se plaindre sérieusement. Les sondages sont de plus convergents pour montrer ce mécontentement.

Normalement dans une démocratie bien élevée, il faut alors rejoindre l'opposition et y faire des propositions politiques nouvelles destinées à proposer aux électeurs des mesures nouvelles qui promettent une amélioration certaine de la situation économique. Mais il y a deux problèmes. Malgré la montée d'une troisième force, le Front National, la vie politique est encore fortement bipolaire et l'opposition est occupée par l'UMP, réputée "de droite". Or, les mécontents de l'actuelle majorité sont de "gauche", et il leur est absolument impossible de rejoindre une opposition qui est "de droite" ! Comme par ailleurs, le mécanisme de meute interdit de ne pas se rallier à un point ou un autre à la décision du parti au pouvoir, les mécontents politiciens de la majorité se trouvent dans une situation intenable.

Il faut dire ici que la politique en France est extrêmement rudimentaire. Elle consiste essentiellement à prélever des impôts sur les uns et à les redistribuer sur les autres. Le grand jeu est de faire croire à l'électeur qu'on ne lui a pas tout pris et qu'au contraire, il va recevoir bien plus. Le drame du socialisme mis en oeuvre ainsi, c'est que les années s'étant ajoutées aux années, le niveau des "impôts" - et le lecteur comprendra que nous ne fassions pas le détail - s'est considérablement alourdi. De sorte que l'Etat avoue un prélèvement direct de 52% de la richesse totale. Pour les ménages, c'est souvent en réalité plus proche de 80 % quand les entreprises peuvent atteindre des taux de l'ordre de 30%.

Avec un tel taux de prélèvement de la richesse, il est évident que les français sujets de la classe politique se trouvent maintenant dans une situation où leur propre travail coûte trop cher. Leurs revenus s'effondrent donc et le chömage augmente dans des proportions effarantes, sachant que nous en sommes à un tel point que ce qui augmente le plus - et ce n'est pas dit - c'est le chômage non indemnisé ! Et avec lui le travail à très bas revenu et le travail réduit.

Il y a alors deux écoles. Selon la première école, actuellement au pouvoir, si les gens n'achètent pas, c'est que c'est "trop cher". Il faut donc que la redistribution fiscale favorise la baisse des prix imposés par les entreprises pour permettre aux gens d'acheter. Les adversaires de cette école parlent alors "des cadeaux aux entreprises", auxquelles le gouvernement consent des baisses de charges et de réglementations. Les gens sont actuellement persuadés que c'est la politique suivie par Hollande. Et ils en sont très mécontents parce qu'elle est sans effet positif, ce qui n'est rien, mais même elle a des effets dévastateurs sur l'emploi et même sur les entreprises qui sont pourtant réputées recevoir des cadeaux !

La seconde école considère que si les entreprises ne vendent pas assez, c'est que les gens sont trop pauvres pour leur acheter. Il faut alors augmenter le revenu disponible des consommateurs. On peut leur consentir des baisses d"impôts et des baisses de charges et pousser les entreprises à mieux payer leurs salariés. Malheureusement, cette solution très prisée par la gauche quand elle est dans l'opposition, ne marche que si les gens ont un travail. Or, la masse des chômeurs et des travailleurs faibles est telle que les mesures envisagées par la seconde école l'oblige à accroître alors l'indemnisation de la pauvreté par des allocations d'Etat. Et là, c'est évidemment du déficit accru ce qui est exclu à cause des règles de gestion budgétaire imposées par l'Europe.

Mais c'est dans cette seconde école que les mécontents de la majorité lorgnent tout en sachant parfaitement que ce n'est plus le moment. Et là est tout le sel de la situation actuelle. Les contents savent qu'ils sont dans le mur et les mécontents savent qu'l'autre solution ne marchera pas !

La situation politique est donc parfaitement bloquée et l'angoisse de la ré-élection devient exaspérante pour certains.

2 - La traîtrise de Duflot

La première à craquer est une petite dame patronesse de l'écologie politique, Cécile Duflot, qui était minsitre de quelque chose dans le gouvernement Ayrault. D'une prétention à en pleurer, la dame sentant l'impopularité parvenir à un niveau jamais atteint décide de se distinguer clairement de cette majorité honnie en publiant un livre (écrit par une amie journaliste) dans laquelle elle a fait dire tout le mal qu'elle pensait des deux hommes politiques au pouvoir actuellement : Hollande depuis le début et Valls depuis qu'elle n'y est plus. Au gouvernement ...

L'offensive de Duflot va obliger deux choses :

  1. La division de l'unité de façade des écologistes partagés entre politiciens écolo' et écologistes politicards :
    • ceux qui pensent que l'écologie et la politique ont tout à gagner à ce que des écologistes participent au gouvernement
    • ceux qui pensent que l'écologie est victime de l'union avec les hollandistes et qu'elle crie vengeance ;
    et
  2. L'alarme du hollandisme qui comprend que de laisser subsister "maintenant" des dissenssions parmi ses salariés le conduit à des catastrophes médiatiques "plus tard".
Parce que des mécontents, Hollande sait qu'il n'y a pas que des écologistes. Il comprend que l'inaction qui s'était montrée favorable au début, va maintenant lui coûter cher parce que personne n'a plus peur de lui ...

3 - Le recentrage de Mélanchon

Le second à craquer est - deux jours plus tard - Mélanchon, socialiste en rupture de parti socialiste, qu'il trouve pas assez à gauche et pas assez républicain. M. Mélanchon, lassé en 2011 des jeux de courant d'air dans le PS, a décidé de s'unir avec de "vrais républicains", essentiellement les trostskystes, les maoistes et les léninistes transfuges du vieux parti communiste stalinien. Il s'était employé à fédérer tout ce monde autour des mânes de Robespierre et de Saint-Just, ce qui soit dit en passant, devant la faillite du marxisme, n'était pas une si mauvaise idée, même si elle peut effrayer quelques vieux bourgeois se rappelant encore des vieiiles leçons d'Histoire de leur vieux lycée.

Avec une grande rouerie, Mélanchon qui cherchait à quitter un vieux galion transatlantique à voile, rafistolé en péniche fluviale électrique, avait tenté en juillet de dire qu'il était "fatigué". Tout le monde avait souri et parlé d'autre chose. Mélanchon a alors compris qu'il s'était bloqué dans sa péniche, errant entre le pont d'Austerlitz et la passerelle d'Ivry. Il a décidé d'abandonner son rafiot à demi-échoué et comme il fallait donner du brio à la chose, il a réussi à associer sa sortie avec une entrée fracassante dans les luttes intestines du PS en disant que "Hollande et Valls, c'est pire que Sarkozy" ! Et il poussa l'outrecuidance jusqu'à relancer une vieille idée de Montebourg : fonder une sixième République. Comme si de changer la Constitution allait renflouer la dette publique, et sauver la République en danger à cause des nobles émigrés.

Mais comme de toutes façons la classe politicienne se sait complètement démunie, pourquoi pas une nouvelle Constitution ? Et Mélanchon revient dans le jeu des débats internes au PS ...

4 - Le saut dans le vide de Montebourg, Hamon et Filipetti

On peut penser que, lorsque Montebourg a vu réapparaître la tête de porc-épic de Mélanchon avec sa Sixième République, il a compris que quelqu'un venait de faire tourner la route de la politique à 90° alors qu'il l'a voyait toute droite et y roulait à pleine allure. Profitant de la fête locale de son club à Frangy, il invite Hamon, son collègue à l'Education Nationale et tous deux décident de critiquer l'option du gouvernement sur la première école économique : celle des cadeaux aux entreprises.

Le parti au pouvoir a alors envoyé des émissaires aux deux rebelles pour les prévenir que le Rubicon était franchi. Et Filipetti, pour des raisons que nous n'avons pas toutes identifiées décide de joindre son sort au leur.

5 - Recomposition et Dissolution

Au moment décrire ces lignes, il semble que Hollande ait renvoyé le gouvernement et chargé Manuel Valls de reformer un nouveau gouvernement. Seuls le trio de ministres rebelles est annoncé comme déposé. Les autres pourraient sauver leur tête. Mais on en profite pour faire du pronostic turfiste sur des écologistes et même ... sur des centristes. On "rappelle" ainsi de vieux caciques du PS et les habituels plans sont tirés.

Par contre, l'idée d'une politique nouvelle n'est pas même effleurée. Dans l'ensemble des personnalités envisagées, pas une n'a jamais émis la moindre proposition politique différente de celles de Hollande.

Certains devant le vide intellectuel du parti au pouvoir imagine même que Hollande va dissoudre l'Assemblée et, pourquoi pas, appeler Sarkozy comme Premier Ministre. S'il refuse, il pourra encore demander à Chirac, qui s'y connaît en matière de cohabitation. Le problème, c'est que, comme le dit Montebourg et d'autres encore, Hollande n'a qu'une seule politique : mentir. Il croît imiter en cela Mitterrand. Il est donc certain que Hollande va dire et faire n'importe quoi pour la raison très simple qu'il n'a pas la moindre idée de comment effectuer le moindre acte de gouvernement. Par contre, ancien élève de HEC, faire prendre des hot-dogs pourris pour de la grande cuisine, il sait.

6 - La démission de Hollande

Nous sommes arrivés après Mitterrand, Chirac, puis Sarkozy à la grande débilité politique. Tout peut arriver. Y compris un éclair de sincérité. Mais qui serait probablement accidentel. La démission du Président de la République demandant à faire valoir ses droits à la retraite de magistrat de la Cour des Comptes, qu'il n'aurait jamais dû quitter. Certains en rêvent et on se demande bien pourquoi ...

Mais, cela est une autre histoire et l'Histoire ne fonctionne bien entendu pas comme cela. Les psychologies du genre de celle de Hollande généralement ne font rien. Lundi, alors qu'il démisssionnait le gouvernement Valls, Hollande est allé faire un discours aux anciens combattants de l'île de Sein, parce que c'était prévu. Ce qui n'était pas prévu, c'est qu'il pleuve. Et Hollande a bafouillé son discours. Tête nue. Sous la pluie.

C'est la France du troisième millénaire. On y a même oublié à quoi servait un parapluie.


Revue THOMAS (c) 2014