La séparation des pouvoirs en France

La séparation des pouvoirs en France ou l'affaire du délai de prise en charge sur les VTC

Philippe Brindet - 19.12.2014

Le 18 décembre 2014, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt concernant l'annulation du décret n° 2013-1251 du 27 décembre 2013. Ce décret précisait les conditions de la réservation préalable des VTC, de façon à les distinguer des taxis. Il était arrêté que

« La réservation préalable d'une voiture de tourisme avec chauffeur (...) est caractérisée par le respect d'un délai minimal de quinze minutes entre la réservation du véhicule et la prise en charge effective du client ».

Aux débuts de l'automobile, les pouvoirs publics s'alarmaient des excès de vitesse de ces "nouveaux" engons. Il avait été décidé que tout véhicule automobile devrait être précédé d'un homme à pied agitant un drapeau rouge, de façon à avertir les populations avant la rencontre dangereuse avec l'engin suspecté.

Dans un monde où chaque minute compte, le délai de 15 minutes d'attente est clairement de l'ordre de l'homme à pied agitant le drapeau rouge. La stupidité de la mesure éclatait pour nombre de nos concitoyens et les pressions appliquées par les groupes financiers qui hantent le monde "bizarre" des taxis parisiens étaient suggérées.

Saisi, le Conseil d'Etat vient d'annuler le décret, presque un an après sa promulgation. L'Etat en avait suspendu l'application dès la requête déposée. Toujours est-il que le développement commercial des véhicules de tourisme avec chauffeur VTC s'est vu imposer une sérieuse menace qui restait agitée - comme un drapeau rouge - devant eux.

Ainsi qu'il fallait s'y attendre, ce n'est pas parce que la disposition arrêtée d'une attente de quinze minutes était stupide que le Coseil d'Etat a censuré le gouvernement. C'est pour une raison beaucoup plus profonde et qui ne laisse pas de nous interroger sur l'état de notre démocratie.

La motivation du Conseil d'Etat est toute autre. Il reproche au gouvernement d'avoir ajouté à la loi, violant ainsi le principe - essentiel en démocratie - de séparation des pouvoirs. En effte, la loi a donné des conditions claires permettant de différencier l'activité des taxis de celle des véhicules de tourisme avec chauffeur. Le décret, instituant un délai d'attente de 15 minutes, avait imposé cette contrainte de façon à mieux séparer les activités des TVC avec celles des taxis. Le décret ajoutait donc à la loi et le gouvernement prenait la place du législateur.

Estimant qu'il s'agissait d'une incursion de l'exécutif dans le domaine législatif, le Conseil d'Etat annule sur cette base le décret déjà suspendu. Et cette décision - qu'il faut approuver - suscite chez nous plusieurs réflexions.

Une autre motivation du décret

Qu'aurait pu faire le gouvernement pour imposer son délai de quinze minutes sans encourir la censure du Conseil d'Etat ?

Pour éviter d'ajouter aux contraintes légales, l'Etat devait chercher une difficulté d'application du texte législatif et y porter remède. Particulièrement, l'Etat pouvait invoquer un problème de sécurité publique par exemple lié à la protection des clients des VTC. Ainsi une mesure imposant un délai de 15 minutes d'attente minimale entre la prise d'appel et la prise en charge aurait sûrement permis d'éviter que le VTC ne prenne des risques inconsidérés pour réduire le délai de prise en charge, roulant alors de manière dangereuse.

L'Etat se serait aperçu de ce risque important lors de la mise en application de la loi et assurerait ainsi son rôle exécutif sans empiéter sur le domaine législatif.

Bien entendu, la motivation de sécurité invoquée ici pourrait ne pas être opérante. Mais nous pouvons faire confiance aux juristes de l'Administration pour trouver une motivation correcte.

Et nous voyons ici dans cet exemple, que dans un cas, la disposition de 15 minutes d'attente est une atteinte à la séparation des pouvoirs, randis qu'elle est conforme à la légalité dans le second cas. Où se trouve alors la séparation des pouvoirs ? Quelle protection contre l'arbitraire que le législateur indépendant assurerait à notre démocratie ?

La modification législative

Il existe une autre voie : celle de la modification législative. Le gouvernement dans sa grande sagesse pourrait considérer que le législateur aurait été insuffisant dans sa loi sur les VTC - au demeurant, il s'agit d'une loi Thévenoud, du nom de ce député qui refuse de payer ses factures, au prétexte que cela lui est désagréable.

Dans l'une des ces abominables lois fourre-tout, le gouvernement pourra glisser sa fameuse contrainte du délai de quinze minutes et obtenir le vote immédiatement positif de sa majorité serve. La disposition aura alors force de loi puisqu'elle aura été sanctionnée par le vote du législateur et qu'importe l'avis théorique du Conseil d'Etat.

Déclaré illégale par le conseil d'Etat, la mesure deviendra légale dans moins de quinze jours s'il plaît au gouvernement. Que cela plaise ou non au législateur.

Là aussi. Où se trouve la séparation des pouvoirs ? Quelle protection contre l'arbitraire ?

L'arbitraire du fatras des lois et décrets

Tout le monde légifère. Tout le monde décrète. Tout le monde impose des contraintes de plus en plus insupportables aux citoyens. Quand je dis : tout le monde, il faut rechercher de qui s'agit-il ? Ce sont toujours les mêmes. Et les dénoncer finira par être une tâche de salut public. Mais, ce que je veux souligner ici, c'est la prolifération des contraintes qui pèse sur le peuple. Parce que la démocratie est une chose simple. Elle ne connaît qu'un souverain : le peuple. Même si l'Etat l'oublie et que l'Administration la méprise.

Pour une mesure abrogée, dont on a vu qu'"on" pourra la remettre en vigueur à tout moment, il y a des millions de contraintes qui ont force de loi et qui sont en réalité imposées sans aucune considération du bien public, et par des manoeuvres qui ont transformé notre démocratie en une épouvantable dictature d'organes innommés.

Le fatras des contraintes appelle la révolte. Que nos maîtres craignent la colère du peuple. Elle vient tard. Mais quand elle vient, elle vient vite. Et elle est terrible. Nos maîtres peuvent faire n'importe quoi. C'est dommage, mais c'est comme çà. Mais qu'ils se souviennent de ne pas trop en faire.


Revue THOMAS (c) 2014