L'Affaire de Sivens

Philippe Brindet - 09.03.0215

Un problème que personne n'attendait et que tout le monde pouvait prévoir

Sivens est un petit coin de Tarn, occupé par une réserve naturelle, protégée par le Code de l'environnement et par les directives européennes. La nature semblait y couler des jours heureux, seulement troublée de temps à autre par quelques groupes scolaires, menés par leur professeur de sciences naturelles, ou par quelques randonneurs amateurs d'étendues marécageuses et de leur gibier de photographie.

Un groupe de caciques du parti socialiste qui possède de nombreuses sociétés d'économie mixte, s'est entendu avec le syndicat majoritaire des exploitants agricoles pour accroître la productivité agricole locale. Pour cela, une irrigation forcée est absolument nécessaire. Le projet de barrage de Sivens a donc été conçu par les politiciens socialistes et a été soutenu par les exploitants agricoles locaux. Les premiers accroissaient leur s taxes foncières et impôts sur la croissance de l'exploitation agricole et les seconds imaginaient pouvoir passer à la culture industrielle, notamment de maïs, et y faire fortune.

Le projet de barrage conduisait à assécher le marais et à détruire la faune et la flore locale. Une importante étendue d'eau devait alors voir le jour et probablement une base de loisirs qui aurait été détenue par quelque mandarin local. Le projet est bien entendu une atteinte grave à l'environnement et à son droit de protection. Mais, les socialistes ont estimé qu'ils avaient bien mérité d'accroître encore leurs richesses et les écologistes étant gens de gauche, étaient alors encore fort fréquentables. Cela leur paraissait une bonne tactique.

Une opposition apparaît au projet socialiste

Malheureusement, tout le personnel écologiste n'a pas été également arrosé. C'est regrettable dans un projet d'irrigation. Mais la réalité est là. Un groupe important de l'ultra-gauche écologiste s'est mobilisé pour empêcher le projet. L'action a consisté après une lente montée du conflit à occuper les lieux. Une occupation qui a duré plus de deux ans avec un nombre atteignant parfois 400 personnes qui se sont dénommées Zadistes. Ils nommaient la zone une Zone A Défendre, soit un sigle ZAD. Qui a inspiré leur nom de zadistes.

Peu à peu, le conflit est devenu de plus en plus violent. Les occupants zadistes reçurent la visite de nombreux gendarmes mobiles et l'un des leurs, un jeune étudiant de 26 ans, mourut de l'explosion d'une grenade de guerre lancée par l'un des visiteurs casqués et bottés. Le projet de barrage fut simplement différé, l'ancienne compagne de Hollande promettant des monts et merveilles aux écologistes qui ne lui demandaient rien.

Le problème était simple comme l'antique. Des écologistes en révolte contre la société industrielle voulaient empêcher une atteinte irrémédiable à l'écologie et à son Code Pénal. Des socialistes voulaient que l'Etat, qui leur appartient, continue de travailler pour leur bénéfice.

Bien commun, République, Ecologie ... les gros mots.

En réalité, l'écologie et le bien commun sont la risée générale. Les promeneurs de l'écozone de Sivens seraient ravis de se laisser griller le gras au soleil d'une base nautique et les agriculteurs du coin rêvent de voir de somptueuses canalisations à demi enterrées débiter dans leurs nouveaux champs des millions de mètres cubes d'eau fraîche promis par la puissance socialiste. Le bien commun a bon dos. Il n'intéresse personne ici.

Une autre raison explique pourquoi la fin de semaine passée a vu des escadrons de gendarmes mobiles charger les derniers zadistes ébahis du retour inattendu de leurs vieux adversaires casqués et bottés comme pour un film de Clint Eastwood. C'est un bourgeois fonctionnaire qui l'explique dans Le Figaro. Les zadistes portaient atteinte à la démocratie. Tout simplement.

Et le brave homme a un argumentaire d'une limpidité que lui aurait envié Staline déportant les Allemands d'Ukraine vers l'oblast de Karaganda. Si la loi de la République n'est plus respectée, alors la démocratie est en danger. Or, le Conseil Général du Tarn-et-Garonne a voté une résolution d'aménagement de Sivens. Il s'agit d'une instance républicaine. Sa décision doit donc être respectée sans retard.

C'est simple comme la dictature.

Eh bien, malgré les efforts de l'Education Nationale, il y en a encore qui ne comprennent pas. Dans le meilleur des mondes.

La République, comme capital des entreprises socialistes

Ceci posé au plan des principes, on aura noté que la retenue d'eau du nouveau projet présenterait une surface moitié moindre de celle du barrage précédent. C'est donc largement une manifestation de faiblesse obtenue à coup de grenades offensives et avec des centaines de guerriers casqués et bottés.

Les agriculteurs grognent qu'ils n'auront jamais assez d'eau pour mener à bien leurs projets de cultures et les zadistes savent bien que l'écosystème de Sivens est tout aussi bien détruit avec un demi-barrage qu'avec un barrage complet. Tout cela pour faire taire 200 opposants déclassés, pour donner du travail à une vingtaine d'exploitants agricoles et pour engraisser les comptes en banque d'une dizaine de cadres de sociétés mixtes d'aménagement du "territoire". Qui, profitant du fait que ce territoire est celui de la "République", en ont fait leur capital social au prétexte qu'ils étaient eux-mêmes "républicains".

C'est assez lamentable et dénote l'état de déliquescence de la morale publique. S'il était encore nécessaire de s'en interroger. Parce que le système français est entièrement construit de la sorte ce qui explique l'étonnement du petit bourgeois qui ne comprend pas que l'on critique ce qui s'est "toujours" fait de cette manière.

Et l'Ecologie attendra que ces messieurs aient fini de déjeuner ...

Or, selon les rares informations disponibles, les projets d'exploitation agricole qui nécessitent la retenue d'eau de Sivens ressortent de l'agriculture productiviste. Celle-ci considère le terrain comme une simple infrastructure sur laquelle on dispose des sortes de réacteurs chimiques sur lesquels on épand quelques semences, et des monceaux de nitrates et de pesticides pour en tirer des montagnes de produits agricoles qu'il faut ensuite transporter à l'aide de camions géants vers des entrepots en attendant leur transport vers des industries de transformation, parfois sur un autre continent.

Et certaines quantités de ces produits agricoles arriveront peut être un an après et après plusieurs milliers de kilomètres parcourus, dans l'assiette de l'un des habitants de Sivens. Pour ou contre le projet de barrage. C'est la vie du business ...


Revue THOMAS (2015)