Réactionnaire et ecclésiastique. Un curieux mélange ...

Réactionnaire et ecclésiastique. Un curieux mélange ...

Philippe Brindet - 11.12.2015

Ainsi qu'on le sait, les élections régionales 2015, en leur premier tour au moins, ont démontré que le Front National était devenu le premier parti de France. Cette fière déclaration de sa présidente a été à peu près concédée par la classe politique et par une grande partie de la classe médiatique.

Ce n'est pas sur cette assertion, qui peut être démentie par les faits à tout moment, que nous voulons réfléchir, mais sur un curieux article paru dans le magazine progressiste La Vie, groupe Le Monde et qui s'institulait :

"Face au FN, la situation n’autorise plus la neutralité des Églises", Propos recueillis par Dominique Fonlupt, Créé le 09/12/2015 / modifié le 09/12/2015 à 18h39

L'article n'était accesssible qu'aux abonnés du magazine, dont nous ne sommes pas. Nous avons cependant été attiré par le début de l'article rendu disponible et qui indiquait :

A la veille du second tour des régionales, Christian Albecker, président de l’UEPAL (Union des Églises Protestantes d’Alsace et de Lorraine), rappelle pourquoi, selon lui, le programme du Front National n'est pas compatible avec l’Évangile.

Le 27 novembre, Christian Albecker, laïc membre de l’Église luthérienne, élu en 2014 à la présidence du Conseil de l’UEPAL, a envoyé aux protestants un appel à ne pas apporter leur voix « à ceux qui promettent des lendemains qui chantent, en désignant les boucs émissaires dont l’élimination réglerait comme par enchantement tous les problèmes : les étrangers, les réfugiés, l’islam, l’Europe, la monnaie unique ». Son message a été également publié sur le site du diocèse de Strasbourg, à côté de celui de Mgr Grallet.

Vous présidez l’Union des Églises protestantes dans une région où la liste menée par Florian Philippot, vice-président et eurodéputé du Front National,...

J'ai recherché le texte de Albecker sur le site de Grallet. Je ne l'ai pas trouvé. Il y avait cependant un texte que Albecker introduisait lors d'une cérémonie à la cathédrale de Strasbourg et qui concernanit la COP21. La polarisation progressiste était claire et affirmée.

Une brève recherche sur l'identité de Albecker nous apprend qu'il s'agit d'un Polytechnicien, du corps du Génie Rural, ancien haut fonctionnaire au ministère de l'Agriculture, puis à la Préfecture de région Alsace et enfin, terminant sa carrière comme dirigeant régional du Crédit Agricole. Il s'agit donc d'un grand bourgeois.

Très clairement, ce grand bourgeois, dirigeant majeur du protestantisme alsacien, se préparait à dire des choses fort peu aimables à l'égard du Front National et de son principal candidat régional, le sieur Philippot. La réservation de l'article aux abonnés nous prive de l'opinion de Albecker. Son propos ne présente d'ailleurs strictement aucun intérêt et n'a à peu près aucune influence

C'est en effet le "drame" des chrétiens progressistes - bien que leurs peines de coeur nous laissent assez froid - que de toujours se tromper d'époque. Ce sont en effet radicalement des bourgeois - et souvent de grand-bourgeois. Et la caractéristique essentielle des bourgeois, c'est de s'épuiser à "penser" comme les gens bien. Le temps de comprendre ce à quoi pensent les gens bien, et la chose a changé. Et le chrétien progressiste passe sa vie à se tromper en tout.


Ne demandez pas qui sont les gens bien. C'est une évidence sociale composée par ce que dit le curé, le pasteur, le présentateur du Journal télévisé, le cousin Alfred, la femme de ménage et le supplément économique du Monde ou quelque chose du même genre. Parfois, c'est Personne, comme dans l'Odyssée .. Mais les gens bien pensent seulement ce qu'il est convenable de penser. Parfois, les gens bien c'est une liste inscrite en haut du carnet d'adresses, en cuir de chez Hermès ...

On remarque que le mécanisme de formation des "gens bien" et de leurs pensées ressemble à s'y méprendre à celui de la formation de la rumeur. Mais, le mécanisme ajoute une notation sociale à ce qui est moral et à ce qui ne l'est pas. Penser comme les gens bien, c'est dire publiquement ce qu'il faut faire "en pensée, en parole, par action et par omission." ....

C'est le plus souvent d'une bêtise à pleurer. Mais, ainsi va le monde depuis plusieurs siècles.


On aura remarqué la collusion historiquement étonnante entre le pasteur protestant et l'évêque catholique, traditionnellement ennemis. La raréfaction des ouailles de l'un et de l'autre les conduit à mêler leurs troupeaux bêlants qui n'y voient que du feu. La différence entre le protestantisme et le catholicisme s'est tellement estompée que la question de savoir s'il y a une différence entre eux est complètement oubliée. D'abord, la question de croire à quelque chose a été définitivement évacuée par la faiblesse intellectuelle de ceux qui s'étaient chargés de dire ce qu'il fallait croire. S'en est suivie une multiplicité d'opinions de moins en moins instruites de l'objet de ce qu'il aurait fallu croire. Cette multiplicité a conduit à l'épuisement même de la foi et ce syndrome est partagé également par les protestants et par les catholiques.

Au bout de l'Histoire, ce que l'on appelle l'époque moderne, les bourgeois forment le gros des faibles troupes des confessions chrétiennes. Ils ont remplacé la science religieuse qui formait hier encore le substrat de la foi, par une vague morale qui leur permet de bien vivre dans leur décrépitude.

Mais, dans leurs vies bourgeoises, l'ennui guette. Il faut donc orienter son attention vers des choses partagées par les gens bien. Et ces choses concernent les thèmes progressistes comme le réchauffement climatique, le droit à l'avortement, le mariage pour tous, la lutte contre le Front National, ...

Le bourgeois se moque en réalité complètement du Front National, des homosexuels, des avorteurs ou des regardeurs de thermomètre. Pour le bourgeois, ce sont des gens de rien, pas de son monde. Le fin du fin consiste, pour lui, à agiter des slogans édités par les gens bien pour que les gens bien se reconnaissent entre eux. Et, quoi que vous fassiez, des gens bien vous ne serez pas. Non pas parce que vous pensez mal. Les gens bien sont incapables de penser. Vous ne serez jamais membre des "gens bien" parce que vous ne pourrez jamais articuler leurs slogans.

Ils sont trop bêtes.

Le problème du christianisme contemporain, c'est qu'il est devenu confidentiel. Ce qui s'y pense n'a plus aucune espèce d'importance. Et ce n'est même pas parce que ce qui s'y pense serait faux ou stupide. Ils pourraient adorer l'Oignon ou avoir une opinion pour lutter contre le chômage - ce dont ils sont bien incapables - que cela n'aurait aucun intérêt pour la société. Elle ne perd rien à ne rien entendre d'Eglises vides.


Une question se pose. Le texte du pasteur et son exploitation sur le site de Grallet, peut être aussi sa recension dans l'article de La Vie, sont évidemment des actes politiques. Or, la République dans laquelle ces actes sont posés est un régime laïc d'un type bien particulier de séparation des cultes et de l'Etat. La diffusion d'opinions politiques qui se réfèrent à une appartenance cultuelle est elle un acte de nature à violer le principe de séparation ?

Cette question est tranchée depuis longtemps. Malheureusement, elle est tranchée de deux manières opposées. Pour les ecclésiastiques, la laïcité se réduit au fait que l'Etat ne salarie aucun culte. Pour le reste, les ecclésiastiques affirment pouvoir poser tel acte politique qui leur convient. Et ils s'en privent de moins en moins.

Pour les athées, le principe de séparation impose que tout ce qui ressort du culte, comprenant bien entendu son éventuelle expression politique, doit rester dans la sphère privée et doit être éliminé par l'éducation et la culture. Autrement dit, si le pasteur ou l'ecclésiastique machin a une opinion politique, il est libre de l'exprimer et de tenter de la faire adopter par le corps politique à condition qu'il ne se réfère pas explicitement à son culte et, notamment, qu'il ne cherche pas ainsi à contourner le principe de laïcité. Il en résulte que tout acte politique posé par un ecclésiastique, membre public d'un culte, est entaché d'une suspicion d'atteinte à la laïcité.

La question de défendre le Front National ne se pose que pour les affidés du Front National dans la mesure où l'ensemble de la classe politique tente par tous moyens de résister à sa montée qui trouble le jeu politique accepté par les principaux acteurs politiques.

Il est donc clair que les laïcistes de la gauche et ceux de la droite institutionnelle ne vont pas protester de l'intervention d'ecclésiastiques contre le Front National, même s'il s'agit d'un acte politique de nature à violer le principe de laïcité. Par ailleurs, le Front National lui-même peut tenir les critiques des Eglises chrétiennes presque comme un faire-valoir. Et ceci pour deux raisons. D'abord, l'influence des Eglises chrétiennes en France touche moins de 50.000 protestants et moins de 400.000 catholiques. Et parmi ceux-ci, le progressisme chrétien est très minoritaire. Dans le même temps, l'islam touche directement plus de 5 millions de Français. Ensuite, le progressisme épouse à peu près partout les thèmes du Front National ... mais exactement en sens contraire. Autant dire que la bêtise avec laquelle le progressisme chrétien s'exprime est un véritable plaidoyer pour le Front National. Surtout quand ce progressisme chrétien utilise comme porte-parole un grand-bourgeois, fonctionnaire stipendié d'une classe politique honnie.

On voit donc que les trois "parties" du débat politique n'ont aucun intérêt à disputer du laïcisme de l'intervention des chrétiens progressistes.

Par contre, ce sont les chrétiens qui souvent se trouvent avec la droite et de plus en plus avec le Front National, et qui reçoivent avec colère les messages affolés des progressistes, chrétiens notamment. Ces chrétiens non progressistes sont exaspérés par le choix manifeste que leurs cadres, les fameux "ecclésiastiques", ont fait d'épouser la cause du progressisme honni ...

Pour assurer la victoire totale du Front National, il manquerait juste une Encyclique du pape François condamnant Marine Le Pen.



Revue THOMAS (c) 2015