Un point sur le conflit au Proche-Orient et au delà

Un point sur le conflit au Proche-Orient et au delà

Philippe Brindet - 05.01.2016

Partons de l'Arabie Saoudite

Le 3 janvier 2016, l'Arabie Saoudite, centre important du sunnisme, a exécuté plusieurs chiites, dont un iman particulièrement vénéré. Ces exécutions sont intervenues avec d'autres exécutions dont le motif commun était celui de terrorisme.

Si on regarde l'activité de l'Arabie Saoudite, on doit constater qu'elle est de plus en plus menacée. Sur son territoire intérieur, plusieurs régions sont en rebellion ouverte. Elle doit affronter par ailleurs la déstabilisation croissante du Yemen. Cet Etat est agité depuis plus de trente ans par une révolte de tribus toutes plus ou moins fortement fanatisées. Enfin, l'Arabie Saoudite, animant une coalition sunnite, prête assistance à l'Etat islamique. Ce dernier, d'obédience sunnite, mais ayant ses propres visées hégémoniques mondialistes, prospère sur les ruines créées par la malveillance constante des Etats-Unis en Irak et en Syrie.

Par ailleurs, la baisse importante et constante des cours du pétrole finit par amoindrir la puissance financière de l'Arabie Saoudite et de ses alliées quataris notamment. Selon les apparences, la situation est encore loin d'être dramatique. Les émirs saoudiens peuvent encore racheter à bas prix des actifs français et autres. Mais, l'inquiétude ne fera que croître d'autant que la situation économique évoluera dans le même sens que la situation géopolitique : mal.

L'Iran réagit

L'Iran est la nation centrale du chiisme. Quand l'Arabie n'est l'Etat que d'une secte sunnite, le wahhabisme, la Turquie étant dépositaire de la puissance historique du sunnisme, l'ottomanisme, l'Iran est une République entièrement contrôlée par des religieux chiites. La population est majoritairement chiite et très attachée à la confession chiite. Les réactions de colère à l'annonce des exécutions ont été violentes puisque, malgré les condamnation - probablement timides - du pouvoir chiite, la foule a incendié l'ambassade d'Arabie Saoudite à Téhéran.

Mais, il se trouve que l'Iran est prise dans un réseau de contraintes comprenant la négociation avec les USA pour obtenir la fin des sanctions économiques imposées par Washington depuis l'affaire de la prise de l'ambassade de Washington à Téhéran. Ces contraintes se sont élargies avec la chute de Saddam Hussein. Ce militaire laïc a été éliminé physiquement par Washington dans la plus pure tradition du western hollywoodien. Un Washington qui a cru politique de confier le pouvoir en Irak à des chiites, ce qui n'a pas manqué d'émouvoir Téhéran et d'alarmer Ryad. Puis, il y a eu l'affaire de l'Etat islamique, plus ou moins concurrente de la fomentation d'une révolution en Syrie contre le régime laïc de El Assad en 2011. Le rôle volontaire ou involontaire de Washington dans la création et la montée de ce danger mondial que représente l'EI est très discuté, d'autant que la Turquie, l'Arabie et le Quatar au moins peuvent se targuer de protéger ce régime.

L'Iran s'est donc trouvé comme puissance régionale à la table de négociations d'un réglement pacifique à la révolution américaine en Syrie, alors que le conflit est beaucoup plus large. Notamment, l'absence apparente d'Israel dans le spectacle que les média nous retransmettent est des plus perturbantes. L'Iran a besoin de cette place pour réintégrer le concert des nations et et se connecter au commerce mondial.

Et la Russie se trouve au centre de la solution

Comme dans une partie d'échecs, lorsqu'une série de coups est lancée, il est presque impossible de s'en écarter, pour le meilleur ou pour le pire. Seul, un coup de génie permet de s'en tirer. La Russie qui s'est trouvée aspirée dans le conflit dès 2012 alors que la Fance et la Grande-Bretagne, en vulgaires agents de l'influence américaine soufflaient la haine, la Russie a calmé le jeu conduisant à un pourrissement de la situation. Plus tard en 2015, la Russie a été contrainte de s'engager dans le conflit, lui faisant franchir un pas vers un embrasement dont on a longtemps cru qu'il serait sur le territoire européen, ce qui est loin encore d'être exclu.

La Russie est dans un environnement géopolitique encore plus risqué. Elle est enferrée par les américains dans une confrontation sur l'Ukraine qui l'a isolée dans un jeu de sanctions iniques qui, cependant, semblent faire davantage de tort aux européistes qu'à la Russie. Mais, la Russie possède aussi d'immenses régions à la merci d'un soulèvement djihadiste et elle est contrainte de surveiller ce danger avec l'attention la plus extrême. Aussi le califat rêvé par l'Etat islamique est un danger au moins aussi pressant pour la Russie que pour l'Europe.

Selon les rares informations disponibles, la guerre russe contre l'EI et pour la sauvegarde du régime syrien semble relativement efficace. L'EI ne progresse plus et tente de se dépacer vers la Libye, totalement détruite par l'imbécilité française et britannique, pour le compte des idéologues néocons américains. Il semble que Assad et son armée regagne quelque peu de terrain. Mais, leur problème est de plus en plus celui que pose la Turquie.

La Turquie résiste encore à l'envie pressante de renverser le jeu américain

Pendant ce temps en effet, la Turquie, pièce maîtresse de l'OTAN au Proche-Orient, présente de plus en plus l'apparence d'un belligérant majeur. Les média occidentaux ont tenté lors de l'année 2014 de masquer les menées turques contre les résistants kurdes, notamment lors du siège de Kobané dans le nord de la Syrie. Dans ce siège mené par l'EI contre les Kurdes du YPG, les Turcs ont sans vergogne assisté l'EI avec la complicité médiatique de la presse occidentale.

Lorsque la Turquie a annoncé que son aviation se joignait enfin aux bombardements alliés en Irak contre l'EI, elle a exclusivement bombardé les provinces autonomes du Kurdistan irakien et des zones kurdes en Turquie. Pendant ce temps, elle a acheté le pétrole raketté par l'EI l'approvisionnant en armes et en djihadistes occidentaux, atterrissant en rangs pressés à Istambul.

Quand à la fin de 2015 l'aviation russe s'est faite plus insistante dans la province d'Alep à la frontère turque en bordure de la Méditerranée, elle a fait abattre par deux F-16 un Sukkoi-24M en mission de bombardement contre des turkmènes, soutenus et armés par la Turquie.

Enfin, la Turquie a utilisé avec une rouerie consommée la masse d'émigrés syriens et autres qu'elle stockait sur son territoire et parmi lequels elle recrutait des troupes pour l'EI. Elle les a dirigé vers l'Europe sur des canots pneumatiques lancés en Méditerranée face aux Iles grecques distantes de 30 kilomètres des rivages turcs. A cause de l'idéologie européiste, une fois gagnés les rivages grecs, les naufragés deviennent des réfugiés que l'Europe se fait un devoir d'accueillir. En 2015, imaginant inventer des cotisations sociales pour payer ses retraités, l'Allemagne aurait reçu plus de un million de ces migrants sous les acclamations ahuries de la tourbe manipulée par les média occidentaux. La France s'est engagée à en recevoir 24.000 qui seront logés et recevront un travail dans un pays miné par le chômage et la corruption.

Certains voient dans cette étonnante migration une possible avancée de l'Etat Islamique en Europe. L'avenir montrera ce qu'il aurait fallu penser d'une telle hypothèse.

Que peut il advenir ?

Russie et Iran se trouvent coincés dans ce conflit. Ils ne peuvent lâcher prise. Mais ils ne peuvent s'engager au delà d'une certaine limite. Sera t'elle suffisante pour éliminer l'EI et atteindre un but acceptable pour eux ?

L'Arabie Saoudite et la Turquie ont clairement décidés de se partager l'espace qui les sépare. La Syrie et le nord de l'Irak pour la Turquie et le sud de l'Irak pour l'Arabie. Mais, la Russie refuse de céder la Syrie. Et l'Iran ne peut laisser l'Irak à la Turquie ou à l'Arabie.

Les Etats-Unis n'ont pas intérêt - à moins qu'ils ne lâchent Isarël - à ce que la Turquie ou l'Arabie avancent au Proche-Orient. Mais, ils n'ont plus qu'une carte à jouer : l'Etat Islamique lui-même. La prétendue rebellion laïque en Syrie peut encore jouer le rôle de cache-sexe à cette manipulation. Mais il a déjà beaucoup servi et commence à fatiguer même l'opinion américaine.

Et l'Europe ? Bonne question.


Revue THOMAS (c) 2016