L'impasse de la rue Robespierre

Philippe Brindet - 17 juin 2016

Une rue Robespierre à Paris ?

Des politiciens de l'ultragauche, alliés d'opportunisme à la bourgeoisie socialiste parisienne, exigent de leurs maîtres qu'ils réservent une rue de Paris au culte mémoriel de Robespierre. Diverses personnalités de droite s'offusquent de l'idée.

Elle est loin d'être nouvelle et reprend les termes d'une requête déjà présentée au Conseil de Paris il y a quelques années. Elle avait été repoussée par la majorité bourgeoise qui a parfois tendance à associer l'image de l'incorruptible avec celle d'un tyran. Mais incorruptible de quoi et tyran de qui ? Il serait inconvenant de répondre à ces interrogations.

Robespierre, image ou idôle

On peut estimer que le personnage de Robespierre est de plus en plus inconnu, ce qui explique sa vogue. Il y a encore une vingtaine d'années, les militants républicains ne rougissaient pas de manifester leur amour pour des tyrans plus récents allant de Marx, dictateur de l'idéologie, à Mao et Pol Pot, assassins de l'Asie. Ces derniers étaient alors adulés par les bourgeois parisiens qui leur trouvaient un exotisme ravageur, pimentant de loin leurs existences repues de vide.

Les idoles de la bourgeoisie du deuxième millénaire étant dégringolées des armoires laquées des appartements de luxe où elles trônaient, la bourgeoisie doit s'en trouver d'urgence de nouvelles. Or, Pol Pot et Mao, Lénine, Staline et Trotski se sont clairement référés aux terroristes qui, de Saint-Just et Marat, conduisent à l'idole établie par l'Histoire bourgeoise depuis Michelet et Jaurès, Aulard et Mathiez. Dans le même mouvement, la mémoire historique des peuples, entretenues par les poètes comme Victor Hugo, bruisse des crimes commis par celui que ses adulateurs appelaient l'incorruptible.

Une idéologie mortifère à l'abri de la République

L'idéologie robespierriste est d'une grande simplicité. La révolution est un ordre social organisé à partir d'un centre, Robespierre lui-même, de qui partent toutes les impulsions relayées par des sociétés de pensée, des clubs entièrement acquis et dévoués à Robespierre et qui sont chargés d'actionner des hordes d'assassins quadrillant l'ensemble de la société. Celle-ci devient alors parfaitement soumise dans une égalité d'esclaves miséreux. Des esclaves, nommés "citoyens" et entretenus dans leur misère par des lois de privation, que les adulateurs de Robespierre estiment marquées de la frugalité républicaine qui s'incarne dans "l'incorruptibilité" du chef, Robespierre.

Les institutions républicaines, gouvernement et Assemblée, n'existent que comme de grands décors derrière lequels la Terreur se déroule sans frein. Ces institutions d'ailleurs ont été entièrement contrôlées par les agents des clubs. Seule l'énergie napoléonienne a écarté de notre pays la pérénisation du système robespierriste. Mais, il y reste à l'état d'idéologie notamment dans la culture et l'éducation.

Finalement, le "robespierrisme" est resté une tendance souterraine en France. Les deux grandes réalisations européennes qui auront succédées à la Terreur robespierriste, auront été le nazisme allemand et le facisme italien qui ont hérité d'elle la structuration par sociétés de pensée depuis un chef, et l'activation de hordes d'assassins faisant régner la soumission de l'ordre révolutionnaire.

La décadence bourgeoise

Or, dans la bourgeoisie française, il existe une tendance absolument irrépressible à l'ordre, souvent qualifié de "républicain" pour rappeler l'interdiction de sa contestation. Cet ordre est imposé par une caste qui se tient pour supérieure aux peuples sur lesquels elle entend régner absolument. Cette caste se fabrique une idole à laquelle elle voue un culte à elle-même : Robespierre étant un excellent titulaire à cette idolâtrie misérable. Bourgeois, Robespierre a compris très tôt que le crime était la meilleure dynamique visant à imposer une dictature absolue. Les assassins sont liés alors par un pacte mortel qui les contraint à éliminer tous ceux qui pourraient leur reprocher leur crimes, parents, amis, relations des victimes. Robespierre n'est "incorruptible" que dans la mesure où il fait supprimer ceux qui dénoncent sa corruption.

C'est ainsi que, sans vergogne, Robespierre explique en 1793 aux lamentables fantoches de la Convention nationale - qui comprenaient presque 20% d'ecclésiastiques - qu'il faut tuer le Roi, parce que, laisser la vie au Roi, c'est reconnaître le crime de lèse-majesté commis par l'arrestation du Roi à Varenne. C'est appeler sur soi la peine associée à ce crime. Tuer le roi, c'est justement nier le crime par le crime. C'est le sens de son fameux discours à la Convention, dans une thématique identiquement développée par Saint-Just. C'est l'initiative même du mouvement terroriste.

Or, cette initiative terroriste est typique de la bourgeoisie. Elle lui est substancielle et elle s'exprime librement depuis deux siècles dans l'oppression du prolétariat; Cette Oppression a été théorisée par un bourgeois éminent, fils de banquiers allemands, gendre du Ministre de la Police du Royaume de Prusse, Karl Marx en personne, avec un cynisme écoeurant.. Ce terrorisme s'exprime sous des formes plus ou moins brutales, plus ou moins policées, par le chômage, par la contrainte du pouvoir d'achat, et par les réglementations que la bourgeoisie établit à son gré sous couvert des institutions égalitaires et représentatives qu'elle a entièrement pervertie, selon la doctrine robespierriste.

L'impasse entre dégoût et culte

La difficulté de cette analyse de l'Histoire de l'Occident moderne réside en ce que beaucoup de ceux-là même qui mettent en oeuvre - souvent très partiellement - la Terreur robespierriste, sont presque inconscients de leur criminelle adhésion. L'idée même des massacres de Vendée, de ceux de Lyon ou de Paris, l'évocation des noyades de la Loire ou des crimes de Rochefort et de Guyane, le rappel des saccages de la Belgique, de l'Allemagne et de l'Italie ne sont pour eux pas attribuables à Robespierre. Ce serait le fait de gens qui ont été ultérieurement condamnés et qui auraient "trahis la Grande Révolution française" et son "idole", Robespierre. Pour d'autres encore, ces excès n'ont rien à voir avec Robespierre et sont le lot de la violence révolutionnaire. Ainsi d'une professeure de philosophie, spécialiste dit-elle de Kant, qui estime avec un air gourmand "qu'on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs". Et l'immense majorité de la bourgeoisie nourrit un plus ou moins clandestin dégoût pour la carrière de Robespierre, ignorant complètement que l'idéologie de Robespierre s'est insinuée dans l'inconscience depuis deux siècles.

Cette insinuation émerge parfois comme dans cette liturgie révoltante d'un culte au personnage central de la Révolution française que l'immense majorité de la bourgeoisie française révère absolument. C'est un néant qui cherche à remplir le vide. Une impasse.

Notes

  1. On ne peut ignorer que, parmi les meilleurs ennemis de la mémoire de Robespierre, se situent les tenants de l'Ancien Régime. On s'y représente notamment les royalistes et les gens de l'extrême-droite anti-républicaine. Or, nous estimons que Robespierre, lauréat de son Collège pour réciter un Compliment au Dauphin que, finalement il fit guillotiner quinze ans plus tard, était lui-même un affidé de l'Ancien Régime. La Révolution française a été une révolution de rien. Les ordures qui se pavanaient dans l'Ancien Régime ont triomphé et sont restés.
  2. Toute critique émise à l'encontre de la mémoire de Robespierre est immédiatement attribuée à un ennemi de la République. C'est exactement le legs robespierriste qui, pour perpétuer le culte de l'"incorruptibilité" est contrainte à faire régner l'odeur de la mort dans le débat politique.
  3. Cette odeur de mort que le robespierrisme fait flotter sur le champ du débat politique permet à ses sectateurs d'avancer en éliminat leurs adversaires. D'où le besoin qu'ils ont de, périodiquement renouveler cette requête d'attribuer une rue à Robespierre.

Revue THOMAS (c) 17.06.2016