Quelques réflexions importunes sur le catholicisme récent

Philippe BRINDET - 17.10.2016

Quelques faits récents montrent combien le catholicisme romain est actuellement dans une phase de ... disons ... recomposition.

  1. Le synode sur la famille
    La première session du Synode est parvenue à un document à la fois résolument conservateur sur la famille en général et hardiment progressiste sur deux questions à première vue hétérogènes : la communion des divorcés remariés et la place des homosexuels dans la communauté ecclésiale. Or, le document a été rédigé en sous-main par un petit groupe d'ecclésiastiques progressistes constituant le plus clair des assistants du Pape François, et cette situation a été imposée par le Pape lui-même, quoiqu'en aient pensé certains cardinaux ou autres pontifes pas encore complètement au courant de la profonde mutation de l'Eglise catholique romaine à la fois provoquée et entraînée par l'élection du Pape François en 2013.

    Une nouvelle session va se tenir qui pourrait montrer alors l'évolution des évêques ou bien attachés à l'herméneutique de la continuité promue par le Pape Benoît XVI, et qui a été battu, ou bien se convertissant à, disons, la démarche de miséricorde du Pape François. La seconde possibilité nous paraît la plus probable pour deux raisons. La première raison, c'est que Benoît XVI, malgré les dénégations des uns ou de lui-même, n'a pas "résigné sa charge" simplement à cause d'un petit "coup de fatigue" - Benoît XVI est toujours vivant et sans pathologie invalidante qui aurait pourtant validé sa résignation ... Benoît XVI a abandonné la promotion de l'herméneutique de la continuité probablement parce qu'il a considéré que trop peu d'évêques soutenaient eux-mêmes cette voie d'interprétation du Concile Vatican II.

    La seconde raison, c'est que Benoît XVI, à la suite de Jean-Paul II, a lui-même promu le mouvement du Pape François depuis des années particulièrement en favorisant des prélats comme le cardinal Bergoglio ou le cardinal Kasper, malgré leur opposition à la voie tracée par Jean-Paul II avec le soutien du cardinal Ratzinger, puis Pape Benoît XVI. Ce serait donc - et le soutien appuyé du Pape retiré au Pape régnant en est une preuve, ne erreur d'imaginer une lutte entre deux tendances opposées dans l'Eglise. L'herméneutique de la continuité était en réalité un terrain d'entente avec les mouvances centrifuges progressistes, les laissant prospérer. En pratique, l'herméneutique de la continuité devait permettre de sauver les communautés traditionalistes, y compris concilaires, d'une élimination par les mouvances centrifuges, que le Pape François impose comme le nouveau mouvement de l'Eglise vers ses périphéries - ce qui est exactement la définition d'une mouvance centriguge.

  2. La demande de pardon du diocèse de Pamiers.
    Depuis quelques temps déjà, un groupe s'agite dans le diocèse de Pamiers, qui semble tenir à ce que l'Eglise s'humilie devant le Monde pour un "massacre de cathares" intervenu il y a quelques 850 ans. L'idée est baroque. Elle a du beaucoup amuser dans certaines arrière-salles de cafés. L'évêque du lieu a imaginé que cette mise en cause d'une Eglise du passé, pour lui disparue, était une sûre manifestation du mouvement de miséricorde initié par Pape François. Une quinzaine de personnes se seraient donc assemblées dans une petite église et auraient prononcées des paroles définitives couvrant d'opprobre l'Eglise. On ignore si l'évêque était présent. Cela ne présente d'ailleurs aucune espèce d'intérêt.

    En fait, l'opération présente le double avantage pour le groupe d'ecclésiastiques qui s'y est livrée :
    • d'appliquer servilement le mot d'ordre de "miséricorde" lancé par Pape François de façon à être mieux noté par la Curie ;
    • de manifester que l'Eglise issue du Concile Vatican II et reprise en main par Pape François n'a plus rien à voir avec l'Ancienne Eglise condamnée par ce Concile.

  3. La dissolution de la Fraternité des Saints Apôtres en Belgique.
    Il y a quelques années l'archevêque de Bruxelles, Mgr Léonard, a fondé une Fraternité de prêtres et de séminaristes, la Fraternité des Saints Apôtres, pour développer à la fois un séminaire et une communauté de prêtres. La Fraternité des Saints Apôtres exerce une prêtrise engagée dans l'herméneutique de la continuité chère à Benoît XVI. Résolument concilaire donc, mais utilisant largement la tradition. Selon nos informations, la forme extraordinaire n'est cependant pas pratiquée par cette Fraternité. Mais, ses membres portent la soutane et se distinguent à la fois par une vie communautaire et par un apostolat flamboyant fort bien accueilli par les fidèles catholiques.

    Malheureusement, atteint par la limite d'âge, Mgr Léonard a démissionné de sa charge et Pape François a nommé un successeur, Mgr de Kesel qu'il vient d'ailleurs de promouvoir cardinal. C'est même le seul cardinal européen nommé cette fois-ci. L'homme semble avoir une sympathie extrêmement modérée pour l'oeuvre de son prédecesseur et une exécration poussée à l'encontre de la Fraternité des Saints Apôtres qu'il a accusé de détourner des séminaristes "étrangers", français notamment, de s'enrôler dans les séminaires exsangues de leurs diocèses d'origine. De Kesel a estimé dans son décret d'interdiction que l'attitude de la Fraternité des Saints Apôtres n'était pas en adéquation avec la collégialité des évêques.

  4. La révision de l'Ordre des Franciscains de l'Immaculée en Italie.
    L'ordre des Franciscains de l'Immaculée a été fondée en Italie au lendemain du Concile. Ses fondateurs, toujours vivants, ont voulu placer le charisme franciscain dans la spiritualité mariale du Père Kolbe, mort martyr à Auschwitz. L'ordre s'est rapidement développé et a rallié la protection de Saint Jean-Paul II, puis du Pape Benoît XVI. En 2007, l'Ordre choisit la forme extraordinaire ouverte par Benoît XVI. Le développement mondial de l'Ordre est particulièrement notable et il se place résolument dans la mouvance de l'herméneutique de la continuité chère à Benoît XVI.

    Or en 2011, Benoît XVI nomme un nouveau Préfet à la Congrégation des religieux, organe de la Curie romaine qui contrôle les Ordres comme celui des Franciscains de l'Immaculée. Prétextant des troubles dans l'Ordre, cette Congrégation de la Curie place l'Ordre en enquête.

    Lorsque en 2013, Benoît XVI se retire, son successeur prend immédiatement un décret qui élimine les fondateurs et dirigeants des Franciscains de l'Immaculée, interdit la pratique de la forme extraordinaire et nomme un Commissaire qui élimine la majorité des Franciscains de façon à réviser entièrement la direction des Franciscains de l'Immaculée.

    Aujourd'hui, le dernier évêque italien, du diocèse d'Impala, qui soutenait les Franciscains de l'Immaculée a été éliminé par ordre de Pape François. On ignore l'état réel dans lequel se trouve l'Ordre des Franciscains de l'Immaculée.

  5. Quelques mails publiés depuis Wikileaks au sujet du catholicisme et de l'opposition entre conservateurs et progressistes.
    Wikileaks est une organisation informelle flottant sur l'Internet et qui diffuse des documents confidentiels ou secrets de façon à "informer" le public de choses qu'il devrait ignorer. Parmi les documents "fuitants", certaines agences ont cru malin de publier des mails échangés par des membres du parti démocrate américain, pour l'élection de leur candidat, Hillary Clinton, préposée à la succession du démocrate Obama. Or, ce qu'il faut bien percevoir, c'est que aux Etats-Unis, le parti démocrate est essentiellement progressiste quand le parti républicain est lui plus conservateur, même si une fraction de ce parti est ultra-conservatrice et une autre partie, progressiste. Autrement dit, le parti démocrate américain est beaucoup plus homogène et il est progressiste.

    Parmi les mails révélés sur le parti démocrate américain, on note les mails d'un assistant d'Hillary Clinton, John Podesta, qui est un catholique progressiste. Dans les mails fuités provenant de son compte, mais plusieurs autres démocrates sont aussi dans ce cas, Podesta montre très clairement l'affiliation d'un groupe soudé de catholiques progressistes, qui sont "en avance" sur l'Eglise en matière sociale - je pense que vous voyez de quoi il s'agit.

    Dans ces mails, leur foi est clairement mise en avant, mais aussi leur activisme dans l'Eglise catholique dont ils font effort pour l'orienter dans le sens progressiste. Et ici, ils montrent à la fois leur tropisme pour Pape François qu'ils reconnaissent comme l'un des leurs, et leur surveillance attentive sur ses éventuels "faux-pas" progressistes.

  6. La canonisation de Saint Salomon Leclercq.
    Salomon Leclercq est un Frère des Ecoles Chrétiennes qui a refusé de prêter le serment constitutionnel en 1790 et qui a ensuite été massacré à la prison des Carmes le 2 septembre 1792 en haine de la foi. Pape François vient de le canoniser le dimanche 16 octobre 2016. Ce saint est le premier saint parmi les martyrs de la révolution française.

  7. Les affaires d'abus sexuels d'ecclésiastiques en France ou aux USA.
    L'été a vu une affaire absolument lamentable. Un club de fidèles, rassemblés autour de victimes d'un prêtre lyonnais, en a tiré avantage pour porter plainte contre le cardinal Barbarin, au prétexte qu'il n'aurait pas dénoncé le ou les prêtres auteurs de ces actes, actes dont quelques uns ont été reconnus seulement. Une campagne de presse a alors été orchestrée rapidement pour obtenir avec la condamnation du cardinal Barbarin selon la loi française, son élimination ecclésiastique par manipulation de Pape François.

    Or, l'action devant la justice française a été rapidement rejetée et Pape François, qui avait pourtant annoncé que tout abuseur, complice ou protecteur serait impitoyablement éliminé de l'Eglise, a renouvelé publiquement sa confiance au cardinal Barbarin.

    On note que les actions en justice contre les abuseurs ecclésiastiques et leurs protecteurs se poursuivent aux Etats-Unis. Les dommages payés par les diocèses américains ne cessent de croître.

  8. Les relations du catholicisme avec l'islam face au terrorisme.
    Cet été, un prêtre âgé a été égorgé dans son église proche de Rouen, et les cinq fidèles qui assistaient à sa messe ont échappé de peu à la mort. L'émotion provoquée par ces exactions a été immense en France. En réalité, la pression médiatique contrôlée par l'Etat, a conduit à persuader l'immense majorité que les deux assassins étaient de dangereux terroristes stipendiés par une organisation du Proche-Orient.En réalité, il s'agissait de pauvres types,d'une médiocrité confondante, qui malgré plus de douze ans passés sur les bancs de l'école de la République, s'étaient laissés endoctrinés par de vieilles lubies que les athées tiennent pour religieuses, de sorte qu'il fallait absolument les distinguer de la masse des musulmans dont ils ressortaient.

    Du coup, le républicanisme des ecclésiastiques les a conduit à démontrer leur amour pour leurs frères musulmans, très embêtés, mais qui n'en demandaient pas tant. On a donc assisté à une débauche de sentiments "pieux" et de protestations verbales qui ne conduisent à rien qu'à de l'aveuglement.

  9. Une leçon politique de la Conférence des évêques de France avant la campagne présidentielle.
  10. Bien en mains par le camp qu'on qualifiera, faute de mieux, de républicain, les évêques se croient tenus depuis une vingtaine d'années de s'unir au concert d'invectives et d'anathèmes à l'encontre du Front National. C'est devenu quelque chose d'aussi traditionnel que les processions du Saint-Sacrement, il y a soixante ans ou plus. De sorte que les "braves gens" - "ces sinistres cons" disait Pierre Desproges - attendent comme la révélation ultime le prochain message des évêques condamnant le Front National.

    Les évêques se sont donc livrés ce mois d'Octobre à cet hilarant exercice qui consiste à ne pas avoir l'air de dire comment bien voter, tout en contraignant les catholiques à ce "saint" principe.

    Le problème, c'est que d'un part il n'y a pratiquement plus que les fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, chargé des cultes, pour lire les déclarations des évêques et que d'autre part, de plus en plus de catholiques, non seulement votent avec les athées pour le Front National, mais en plus, en sont membres et parfois, membres dirigeants de ce Front National, aux mains d'une femme, horreur suprême pour des évêques.

    Ceci dit, que notre hilarité à l'égard des messages des évêques ne nous transforme pas en affidés du Front National ...

  11. Le discours de Pape François à des Luthériens en pélerinage oecuménique à Rome.
    Au milieu du mois d'Octobre 2016, Pape François recevait à Rome un pélerinage oecuménique luthérien. Ce pélerinage semble avoir réuni de nombreux jeunes luthériens et quelques jeunes catholiques. Le message de Pape François a été détecté notamment par les journalistes du Washington Post. Il valait mieux se reporter au site du Vatican pour accéder aux paroles mêmes de Pape François. Très clairement, le Pape a encouragé les jeunes à avancer dans la voie de la fraternité, de la miséricorde à l'égard des pauvres, des opprimés et des migrants et de laisser les théologiens se mettrent d'accord sur la doctrine.

    Très clairement, Pape François pourrait tenir ce discours à des musulmans, ce qu'il a d'ailleurs fait, ou à des athées. Alors que le catholicisme se concevait jusqu'à lui comme une foi qui se mettait en pratique, Pape François impose un catholicisme qui est d'abord une pratique de ce qui est ouverture au monde et il renvoit la foi au secret des salles d'étude de la théologie. Il n'est pas sûr que beaucoup de catholiques soient avertis de la différence.

  12. Les actions récentes du Cardinal Sarah.
    Le cardinal Sarah est un Guinéen nommé par Pape François à la tête de la Congrégation pour le Culte divin. Il travaille de toutes ses forces à encourager les formes de liturgie répondant le mieux aux prescriptions et aux intentions du Concile Vatican II. A cette cause, il est contraint de combattre un nombre croissant de contraintes liturgiques déviantes. Il a eu un désaccord au printemps 2015 avec Pape François sur la modification du rite du Lavement des pieds, exigeant que le Pape endosse la responsabilité de cette réforme. Il a à cette époque publié un livre qui a reçu une très forte diffusion : "Dieu ou rien". Plus tard, il a lors d'une audience obtenu le soutien chaleureux du Pape pour initier une "réforme de la réforme" de sorte que la liturgie soit partout restaurée.

    Tout récemment, le 5 juillet 2016, il a prononcé une conférence à Londres et qu'il a fait publier en français. Cette conférence s'intitule : “VERS UNE AUTHENTIQUE MISE EN ŒUVRE DE SACROSANCTUM CONCILIUM” , d'une importance capitale.

    Un communiqué rageur de la Curie tente d'étouffer l'action du Cardinal Sarah : http://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2016/07/11/0515/01177.html#en. Dans ce communiqué, "on" expose que le cardinal Sarah a été rappelé à l'ordre par Pape François lors d'une visite à la Congrégation de Sarah. Le communiqué prétend éclaircir deux points qu'il accuse Sarah d'avoir volontairement obscurci. Le premier est que la messe est célébrée sur un autel face au peuple. Le second est que la forme extraordinaire ne peut en aucun cas remplacer le rite de Paul VI. Il conclut en interdisant le recours à l'expression que Sarah donne de son action : "la réforme de la réforme".

    Or, on sait que, avant la date de publication de ce communiqué, le cardinal Sarah a été reçu en audience par le Pape François. Et il a été chaleureusement approuvé par lui. Et, comme il en est coutumier, Pape François a fait démentir ce soutien quelques jours plus tard. Le cardinal Sarah vient de publier un nouveau livre : "La Force du Silence", paru chez Fayard.


Revue THOMAS 2016