Culture Générale et salariés

Philippe Brindet - 15 décembre 2016 - révisé le 30.01.2017

Le Figaro publie un article de Quentin Périnel, intitulé "Un bon salarié est un salarié cultivé". L'article résume l'initiative d'une amoureuse de la culture qui anime le site Artips. Mais le journaliste Quentin Périnel affirme que la culture générale est indispensable à un salarié pour que l'entreprise puisse le juger "bon".

Cette assertion soulève au moins deux questions :

  1. qui est un "bon salarié" ;
  2. qu'erst-ce que la "culture générale".

1 - Le "bon salarié"

Quel critère permettra d'estimer qu'un individu donné est un "bon salarié" ?

Très souvent, pour ne pas dire universellement, le "bon salarié" est un individu qui remplit les objectifs que son supérieur lui a fixé. Cet objectif atteint le salarié améliorera d'autant la bonne estimation qu'on aura de lui en le dépassant toujours.

Il s'agit bien sûr d'un critère utilitariste dont on connaît à la fois l'importance exclusive dans le monde occidental contemporain, mais aussi les épouvantables ravages que cette contrainte terrible fait peser sur l'ensemble des salariés et qui souvent ruine et l'entreprise et la société dans laquelle l'entreprise agit.

Si nous prenons le cas de la police dont on sait que les agents sont appréciés sur la base de critères de résultats, donc en réalité sur le fait que leurs objectifs chiffrés d'actions concrètes sont atteints et même dépassés, nous voyons très bien que si un agent de police décide de ne rien laisser passer des atteintes à la loi, la société française qui est soumise à un flux de lois répressives d'un poids jamais atteint sera complètement bloquée. C'est exactement le cas du zèle avec lequel la police a agit pour faire respecter l'interdiction de circuler en région parisienne qui a conduit à une quasi paralysie du système des transports, tant privés que collectifs.

Je sais bien que cet exemple est mauvais puisqu'il combine à la fois le problème de lois répressives dépassant la capacité de soumission de la société et celui du respect d'objectifs fixés à la Police. Enfin, les policiers ne sont pas des salariés au sens propre du terme. Mais, il est quand même représentatif du problème de l'évaluation des salariés.

Il existe un autre problème, marginal, mais loin d'être indifférent. L'idée qu'un salarié soit bon ou mauvais entraîne une qualification arbitraire qui dépend d'un rapport de domination - ou de subordination si vous préférez. Or, la subordination du salarié est largement encadrée par le contrat de travail d'une part et par le Code du Travail d'autre part. Je sais bien que le critère d'objectif est justement tenu par les "réalistes" pour une mesure dégageant d'arbitraire le jugement ou l'évaluation des "bons salariés". Mais, il n'en reste pas moins vrai, qu'une fraction importante du public ne supporte pas le paternalisme de cette évaluation. La croyance la mieux partagée aujourd'hui est que le salarié fait son travail et qu'en échange il reçoit un salaire. Tout le reste est "poésie" ...

Par exemple, les syndicats d'origine ouvrière, sont férocement opposés au problème de l'évaluation du "mérite". Et avec eux le progressisme et les mouvements de gauche sont pour le moins méfiants dès lors qu'ils ne sont pas au pouvoir. On peut estimer ainsi que, selon l'environnement idéologique du salarié, la question de l'évaluation du salarié n'est pas aussi facile qu'elle en a l'air dans un environnement entièrement paternaliste pour dire le moins, tyrannique pour dire le pire.

Quentin Périnel estime - à titre d'exemple - qu'un commercial qui croit que Beethoven est un chien de cinéma ne satisfera pas ses clients. Il sous-entend par là que son patron recevra un retour négatif de l'impression de ses clients lors de l'exécution de son contrat de travail et que ce patron appliquera un jugement négatif à l'encontre de son salarié. L'exemple est contestable par ailleurs, mais il pose le problème de l'évaluation du salarié et l'impression retournée par les clients pose un vrai problème d'évaluation du "bon salarié" qui s'ajoute au caractère arbitraire du jugement.

2 - La culture générale

L'exemple donné par Quentin Périnel est particulièrement parlant de ce point de vue. Ce que l'on appelle une personne cultivée en Occident, sait en général que "Beethoven" est le nom de l'un des plus grands génies de la musique occidentale. L'ignorer est, en Occident, tenu pour un défaut de culture générale.

Malheureusement, deux mouvements concurrents et non exclusifs ont jeté le trouble au sujet de cette certitude de ce que serait la "culture générale". Tout d'abord, il existe une idéologie de l'indifférentisme culturel. Dans cette idéologie, "Beethoven" est le titre d'un film hollywoodien, qui emet en scène un gros chen qui porte le nom du célèbre compositeur. Et le comble de al cuistrerie conssite bien à ignorer le compositeur. Or, cette "ignorance" est fortement promue par l'indifférentisme culturel. Le film "Camping" a exactement la même valeur que "Ran" et cet indifférentisme conduit à l'égalisation de faits culturels qui sont présumés avoir tous la même valeur. Ainsi les Beatles valent bien Bach et Nothomb est égale à Balzac. Duchamp vaut Michel-Ange et Castellucci est identique à Racine. L'indifférentisme culturel agit pour imposer que tout se vaut en appliquant deux principes : celui d'égalité et de celui de non-discrimination.

Il s'agit du premier diktat de la barbarie occidentale.

Le second diktat est celui du multiculturalisme. Il s'agit d'une extension plus récente du premier "diktat". Le multiculturalisme décide que toutes les cultures se valent - ce qui est un jugement arbitraire. Après tout, dit rapidement, notamment si on ne dit pas pour qui toutes les cultures se valent, on peut l'admettre. Mais, lorsqu'on vit déjà dans le premier diktat, le multiculturalisme devient lui-même un diktat selon lequel il est absolument interdit de vivre dans une seule culture donnée. Puisque vous devez "aimer" aussi bien le Beethoven de la Cinquième (Tadadadaaa ..., vous savez) que le Beethoven aboyeur, vous devez aimer également la culture occidentale et celle de je ne sais quelle tribu de Hurons.

On sait que plusieurs personnalités - comprenant Angela Merkel et l'ancien Premier britannique - ont déjà reconnue la faillite du diktat multiculturel. C'était au sujet de l'immigration massive dont l'un des motifs a été justement d'établir un multiculturalisme en Occident. Mallgré son rejet récent, le diktat du multiculturalisme est tellement imprégné dans les consciences éduquées sans aucun sens critique, notamment par le matraquage des media et de l'Education Nationale, qu'on ne peut que constater que la culture générale aujourd'hui est un vaste champ de ruines dans lequel des individus ignorants et barbares errent entre les vestiges de toutes cultures, emmêlées les unes dans les autres. Un chaos.

L'urgence ce n'est pas de restaurer LA culture générale. Parce qu'aujourdhui, on ignore totalement de quoi il s'agit. Il faut ruiner définitivement les premier et second diktats qui ont eux-mêmes ruinés la culture vraie, radicale, essentielle, vitale.

3 - La culture générale est généralisation d'une culture identifiée

Quelle est la relation entre l'idée de culture générale et celle de culture ?

On sait que dans n'importe quelle culture, certaines personnes sont cultvées et d'autres le sont moins. Mais, on parle de culture générale lorsque, si on met de côté les personnes fortement cultivées, comme autrefois les professeurs d'université ou ce genre de profession, la majeure partie des membres de la société, même de faible niveau éducatif, dispose de connaissances culturelles attestant que ces personnes partagent une culture commune suffisante pour former du lien social.

Dans les années 1930, une employée de salon de coiffure n'étonnait personne en allant écouter Chaliapine à l'Opéra de Paris. Un gardien d'usine pouvait lire Roger Martin du Gard ou Charles Maurras. Et l'employée de salon de coiffure comprenait le gardien d'usine. Ils partageaient une culture commune. Ils savaient des choses que ne se réservaient pas une étroite élite de lettrés et d'érudits.

Aujourd'hui, Chaliapine est connu de rares amateurs de vieilles cires et Maurras est réputé être un douteux condamné politique.

Par contre, la coiffeuse pourra communiquer sur son amour pour le gros chien "Beethoven" avec l'amateur des Rolling Stones et cette évolution du contenu de la culture générale faire les délices des Marie-Chantal de l'indifférentisme culturel.

L'ennui, c'est que "Beethoven" est une tromperie et que les Rolling Stones ne débouchent sur aucune chose positive. Le drame c'est qu'il n'y a rien à communiquer sur les Rolling Stones sauf à se trémousser vaguement en public et que l'exclamation selon laquelle ""Beethoven" est trop mignon ...." allume seulement des lueurs de meurtre dans les yeux du communiqué ....

Il y a plus grave.

On peut soutenir l'idée que "Beethoven" vaut bien l'autre pour la culture générale. L'ennui, c'est tout ce qu'il y a autour. L'ignorance, la vulgarité, la paresse, la brutalité, ...Si donc l'employeur prend deux salariés l'un qui tient "Beethoven" pour un chien et l'autre pour un compositeur, il aura vite fait - et si ce n'est lui, ce seront ses clients ... - de découvrir celui qui est ... mauvais ...Sauf si tout est inversé.

Et la situation est-elle vraiment inversée ?


Revue THOMAS (c) 2016