Le pontificat du pape François - Observations

Philippe Brindet - 1er mars 2017

Le pape François est fortement critiqué par les conservateurs catholiques pour deux motifs :

  1. il est un progressiste qui détruit les constructions des papes Jean-Paul II et Benoît XVI ;
  2. il est animé par une idéologie permissive.

Que penser de tout cela ?

1 - Le progressisme du pape François

11 - Le pape François est tout-puissant

Cette caractérisation du pape François de progressisme paraît à certains, même conservateurs, comme le bout du monde de la provocation. Pour ces opinions, le pape est un personnage sacré qui incarne l'autorité absolue de Dieu dans le monde. Autrement dit, le pape est au-dessus de tous et nul ne peut le juger. "Quand Rome a parlé, il faut se taire". Et autres formules du même genre. De ce fait de "toute-puissance", le pape peut en effet être aussi bien progressiste que quoi que ce soit qui lui chante. De sorte que le pape, s'il est progressiste, se trouve admiré par les progressistes et vilipendé par les conservateurs, et l'inverse. Mais, c'est une situation résolue par sa "toute-puissance". Et cette chose existe dejà avec les papes Jean XXIII et Paul VI qui ont eu des caractérisations assez proches de celles du pape François. Tandis que des papes comme Jean-Paul II ou Benopit XVI ont été caractérisés comme "conservateurs".

Le drame des conservateurs vient de ce que, à divers degrés, ils sont tous de cette opinion : "le pape est sacré et son autorité absolue". Des centaines d'années d'habitude d'obéissance, de soumission, de respect effrayés. Ils sont rares les conservateurs qui osent aller quelque peu contre cette ... tradition.

Et le pape François le sait parfaitement. Tout autant que ses lieutenants. Ils savent qu'ils peuvent tout se permettre, y compris les attentats contre les droits les plus élémentaires. Comme la souveraineté de l'Ordre de Malte qui n'aura été qu'un tigre de papier que le jésuitisme a facilement contourné. Comme ceux des Franciscains de l'Immaculée soumis à une épuration mortelle comme bien d'autres.

Ce qui frappe parmi tous les papes depuis l'époque des Lumières, c'est la liberté absolue de ce pape qui n'est contrôlé par aucun pouvoir. Ni par celui du Collège des évêques, encore moins par celui des Cardinaux - dont ce serait la fonction - ni par les "vigilants" de l'esprit du Concile. Ni par quelque organe de presse un peu "lourd".

12 - Le progressisme du pape François n'est pas une découverte de 2013

Si l'on évoque les deux précédents pontificats, le contraste est effarant. Aucun de ces deux prédecesseurs n'a disposé d'un pouvoir aussi absolu, allié qu'il est avec la presse et la culture progressistes qui, à la fois, le soutiennent et l'excitent autant qu'il en a besoin. Au contraire, les conservateurs ne soutenaient les deux papes précédents que de manière formelle. En réalité, dans la limite de leur respect de l'obéissance formelle. Et les deux papes précédents connaissaient leurs limites. Ils n'allaient jamais au-delà d'un certain point au-delà duquel ils savaient rencontrer de leurs adversaires progressistes une opposition absolue.

Les deux papes précédents ont agi avec en permanence la frayeur d'être responsables d'un "schisme" de la part de progressistes. Pour éviter une telle situation qu'ils estimaient insupportable, les deux papes précédents s'en sont tenus plus à des discours qu'à des actes positifs de gouvernement. Et pour acheter la co-existence pacifique avec les progressistes, ils les ont promu partout dans l'Eglise catholique romaine. Jusqu'à permettre un collège électoral de leur successeur, à majorité progressiste.

Tous les soutiens actuels du pape François ont été promus par les deux papes précédents. Penser aux Cardinaux Kasper et Müller, Braz de Aviz. Et tant d'autres. Et leurs idéologies se sont développées de manière relativement publique, de sorte que le contenu du progressisme du pape François ne comporte rien qui ne soit bien connu.

13 - Le contenu du progressime du pape François

Il contient deux parts assez hétérogènes :

  1. une véritable idéologie progressiste mais subtilement complexe, l'idéologie du pape François ne se limitant pas à une seule chapelle. Cette pluridimensionalité pourrait être le produit de son "sud-américanisme". Ainsi, son "soubassement idéologique" autoritaire vient du fascisme péroniste. Mais il est "tempéré" par l'anarchisme de la théologie de la Libération - plus brésilienne. L'idéologie du pape François est enfin renforcée par une sorte de synthèse de son péronisme et de ses origines argentines, le jacobinisme de la "théologie du peuple". Ces trois composantes assurent au pape François le soutien de très nombreux progressistes, bien plus nombreux que s'il s'était limité à une seule de ces composantes. Autre avantage, il reste relativement libre par rapport aux divers "maîtres" des sectes qui animent ces courants. On repère enfin chez le pape François une sorte de sympathie avec les progressistes nord-américains sans que l'on puisse franchement définir des éléments idéologiques bien identifiés. Mais, l'analyse des textes du pape François démontre qu'il parvient indubitablement à intégrer au moins les éléments de langage du progressime étatsuniens que sont : le réchauffement climatique, la société ouverte et inclusive, la condamnation des discriminations et l'apologie des déviances populaires, ... De ce point de vue, on peut dire que le pape François est vraisemblablement le premier pape "pop" de l'Histoire de l'Eglise.
  2. Mais le pape François n'est pas un idéologue théoricien. C'est l'homme de la "praxis", de la mise en pratique. Aussi, on peut si on le souhaite, analyser pesamment ses moindres écrits et dialogues. Et ils sont tellement nombreux que l'analyse prend beaucoup de temps. Beaucoup trop de temps. Ses décisions sont marquées par une volonté de mettre en oeuvre tout ce qui serait progressiste par nature. Par exemple, profitant du soutien idéologique du cardinal Kasper, il suscite un "synode de la Famille" et produit une exhortation apostolique dans lesquelles il approuve les motions progressistes développées en Europe trente ans auparavant par le prêtre Haering, puis il y a vingt ans par l'évêque Kasper. Tous deux réprouvés par les papes précédents. Vainqueurs aujourd'hui. L'idéologie progressiste consiste ici à appliquer un "prinicpe" de réalité qui est de constater que les catholiques sont des divorcés remariés. Il faut donc leur ouvrir l'accès aux sacrements où alors ce sera une Eglise sans fidèle. Et le tour est joué. Il fat pour la question de la pratique en rester aux exemples et je ne les multiplierais pas ici.

2 - L'idéologie permissive du pape François

C'est l'autre motif de rancoeur des conservateurs catholiques. Mais, il est à craindre que leurs habitudes ecclésiastiques ne leur fassent pas voir la réalité.

Prenons un exemple. Pour un catholique conservateur, le divorce est un péché mortel. Il n'invente rien. Il lit le Catéchisme de l'Eglise catholique - pas encore abrogé par le pape François. A cause d'un principe juridique connu dans le catholicisme, le catholique en état de péché mortel n'a pas accès aux sacrements. Or, si le conservateur admet que le pécheur en état de péché mortel, mais qui ne le sait pas, peut accéder "par erreur" aux sacrements, il lui semble absolument impossible que le divorcé ne connaisse pas son état. D'où l'automaticité de l'opinion du conservateur au sujet du divorcé ...

Dans l'exemple pris ici, la chose suggestive vient de ce que le pape François et ses lieutenants ne se sont pas intéressés aux divorcés. Ils se sont portés à nouveau, après Haering et Kasper, sur le cas des divorcés remariés. C'est-à-dire des gens qui sont étrangement deux fois "coupables", une première fois parce qu'ils ont divorcés, et une seconde fois parce qu'ils se sont "remariés". Personne - semble t'il - ne s'est encore demandé vraiment pourquoi le pape François faisait-il semblant de permettre l'accès à la communion aux divorcés remariés et pas aux divorcés.

Une fois de plus, la réponse est dans la question !

Or, dans l'esprit de beaucoup de catholiques conservateurs, le péché est un crime ou un délit contre une Loi. Contre la Loi de Dieu. Et ce qui caractérise la Loi, toute loi, c'est la sanction. Quand l'autorité chargée de faire respecter la Loi annule la sanction, le conservateur estime que cette autorité est laxiste, permissive. Et il n'y a pas à sortir de là. La chose est certaine par définition !

Voilà l'origine de la qualification de permissive par les catholiques conservateurs de l'idéologie du pape François. En fait de la plupart des idéologies progressistes.

Pour semer la confusion, le pape François a fort habilement utilisé une nouvelle idéologie progressiste rapidement maquillée en nouveauté théologique par le cardinal Kasper. Il s'agit de la miséricorde qui permet au pape et à ses lieutenants " de se faire du bien" - c'est lui-même qui l'a déclaré publiquement. Comme si d'un coup, un cardinal d'une petite province allemande pouvait découvrir ce qu'est la miséricorde, révélée il y a plus de deux mille ans.

Bien entendu, les progressistes l'ont bien compris. Ils ne perdent pas leur temps à décrypter les patientes et savantes amplifications de Walter kasper et comme eux, c'est par "miséricorde" - au sens commun opportunément remis au goût du jour par le pensum de Kasper - que le pape François permet aux divorcés-remariés de communier à nouveau. Et les quatre cardinaux des Dubia qu'ils ont exprimé juridiquement sur Amoris Laetitia l'ont plus ou moins compris qui, dans la lettre d'accompagnement ont demandé qu'on ne leur plaigne pas la miséricorde ...

Miséricorde ? Laxisme ? Il y a aurait là comme un cousinage, à tout le moins dans l'esprit des catholiques conservateurs.

La chose est compliquée. En effet, divorcer n'est pas encore une tradition conservatrice. Le pape François le sait qui n'a cependant pas le temps d'attendre. De fait, on peut estimer que très peu de catholiques conservateurs divorcent. Et encore moins d'entre eux se remarient, à tout le moins pour demander l'accès aux sacrements.

Par contre, divorces et remariages sont caractéristiques des nouveaux usages du monde progressiste. Le divorce tel que nous le connaissons est radicalement une création des Lumières et plus particulièrement du mouvement de la Révolution française. Or le catholicisme progressiste s'est traditionnellement employé à rapprocher l'Eglise du monde et c'était même le motif du Concile Vatican II. Aujourd'hui, le catholicisme progressiste veut une identification de l'Eglise dont ils ont pris le contrôle avec le monde progressiste.

Au point de vue politique, l'accession à la Communion des divorcés-remariés permet d'améliorer notablement la caractéristique de "société ouverte" que le pape François et les catholiques progressistes veulent imposer à l'Eglise catholique romaine. Cette accession marque par ailleurs la fin d'une discrimination insupportable pur un progressiste comme toute discrimination.

Et c'est là que se situe la tactique. Si le pape François avait travaillé directement en pourchassant toutes les discriminations, il aurait suscité une réaction extrêmement forte des conservateurs. En se concentrant sur les diorcés-remariés, il limite l'importance de la discrimination qu'il cherche à dissoudre. Et de fait, seuls les plus actifs des conservateurs ont réagi. En réalité, c'est par principe qu'ils ont réagi. Parce que les divorcés-remariés n'est pas trop leur problème. Ils n'en connaissent pas dans leurs cercles.

Mais, très clairement, quand les divorcés-remariés auront accès à la communion, que faudra t'il envisager pour les divorcés, pour les polygames, pour les homosexuels ? ET pour tant d'autres "discriminés" par les conservateurs ?

Voilà une composante du mouvement historique lancé par le pape François.

Mais, il y a un problème. Tout d'abord, et à notre connaissance, aucun divorcé-remarié n'a encore reçu officiellement l'accord d'aller communier. On note à ce propos que, surtout en milieu urbain, la personne chargée de distribuer la Communion - souvent une femme d'un certain âge, ainsi est la coutume établie depuis le Concile Vatican II - ne connaît en général pas 1 communiant sur 10. La raison en est l'anonymat de notre société avancée conjugué au "tourisme" paroissial. De sorte qu'aujourd'hui, on peut penser que la plupart des divorcés-remariés se rendent ou non, mais librement, à la communion.

Dans la "permission" de Amoris Laetitia, il y a comme l'odeur d'une fraude ...

Il y a plus important. On sait que le pape François insiste depuis quelque temps sur la nécessité du discernement ....

Quand la chose est parvenue aux oreilles des conservateurs, ils ont explosé, imaginant que le discernement se limiterait à un examen de conscience du divorcé-remarié qui, après s'être "gravement et solidement" interrogé sur l'état de sa conscience, déciderait - ou non - de se rendre à la communion. Les conservateurs voient là un renvoi à la conscience individuelle absolument inadmissible. Du "luthérianisme" inacceptable. Ou n'importe quoi que vous voudrez.

En fait, les commentaires progressistes encouragés par le pape François, commencent à se "multiplier". Il y a eu les évêques d'Argentine, puis ceux de Malte, puis ceux d'Allemagne, ... Ils semblent se diriger vers cette solution du discernement. Gravement interrogé sur la question, un archevêque progressiste a commencé par éliminer la solution de la réduction à l'intervention de la conscience individuelle. Il faut absolument une rencontre avec l'évêque du lieu. Une seule ? Outré, l'archevêque a répondu que cela lui semblait insuffisant. Quand le questionneur a demandé s'il fallait envisager une dizaine de séances, l'archevêque n'a pas marqué son désaccord ... Je ne suis pas certain qu'un catholique sur mille ait rencontré son évêque dix fois ... Pour moi, cela a été jamais.

Je reconnais que, malgré ce qui a été publié jusqu'à présent, nous sommes dans l'inconnu. Sauf, que n'importe qui peut actuellement communier anonymement presque partout, du moins en Occident.

La querelle des divorcés-remariés est donc exactement ce que Yves Robert appelait dans un film du siècle passé, "un piège à cons".

Pourquoi cette affaire ?

Elle est exemplaire de l'idéologie "permissive" du pape François. Elle n'est permissive que pour autant que l'on s'attache aux détails. Si l'on examine la chose dans un mouvement d'ensemble, il faut bien admettre que le pape François et les progressistes se moquent absolument des peines de coeur des divorcés-remariés. Déjà que celles des divorcés les indiffèrent, le pape François et ses lieutemants veulent donner des gages à la société progressiste laïque. Et cette société est en effet qualifiée de "permissive" par les catholiques conservateurs alors que cette "permissivité" est en réalité une loi d'airain.

Le pape de la "miséricorde" est le pape le plus autoritaire et satisfait de lui qu'il se puisse trouver. Il n'admet aucune remontrance, aucune contestation, et décide de tout, régente tout. Simplement, les conservateurs n'en ont pas conscience, parce qu'ils attendent de lui des actes conservateurs. N'en trouvant aucun, ils considèrent que ce pape est un incapable et donc qu'il "laisse faire". Rien n'est plus inexact.

Les purges dans l'Eglise se sont déclenchées peu avant son accession au pontificat. Les premières ont été lancées par les discatère sprogressistes, comme celui des Religieux. Plusieurs Ordres ont été contrôlés et sauvagement réprimés, leurs membres éliminés et leurs Constitutions foulées aux pieds. On ne compte plus les évêques éliminés et ceux placés sous la surveillance de comités progressistes. Et le phénomène s'amplifie de sorte que, même à la Curie, les limogeages clandestins se multiplient selon les vaticanistes.

Il n'y a pas plus de laxisme que de miséricorde chez le pape François et ses lieutenants.

Pourquoi se restreindraient-ils ? Ils ont le pouvoir.

Il faut faire avec et pour longtemps.


Revue THOMAS
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