Une société bloquée par ses piliers législatif et judiciaire

Philippe Brindet - 15 mars 2017

Note : le caractère dérisoire de notre plaidoyer ne nous a pas plus échappé
qu'il n'échappera à nos lecteurs. Mais, il faut marquer les consciences.

1 - Une société boquée

Nos sociétés contemporaines étouffent sous de nombreuses contraintes. Deux d'entre elles sont particulièrement délétères : l'excès de normes et l'excès de contrôle de l'application de ces normes. Tout le monde le sait, tout le monde en souffre. Personne ne fait rien. Pire, une minorité d'activistes entraînent leurs sociétés vers un néant pire que celui engendré par les plus grandes catastrophes du passé : guerres, révolutions, famines, émigrations, .... Aujourd'hui, il s'agit d'un monde invivable.

La société française est arrivée à un point de blocage absolu. Depuis des années, les acteurs de la vie sociale, que ce soit dans les secteurs de la vie professionnelle, de la vie culturelle ou de la vie politique dénoncent l'empilement ahurissant de normes toutes plus contraignantes les unes que les autres. Et plus les politiciens sont sommés de porter remède à cette accélération vertigineuses des contraintes a priori, plus ils protestent de leur compréhension de ce problème, plus ils accroissent la charge normative qui pèse sur nous.

Parmi ces normes, on en note de deux genres différents. Il y a tout d'abord les normes légales qui débordent de l'Etat. Il y a ensuite les normes privées que les agents, économiques notamment, les plus puissants tentent d'imposer aux plus faibles. D'ailleurs, de nombreuses normes législatives ne sont souvent que des contraintes privées que des groupes de pression confient au législateur pour écraser davantage les agents privés moins puissants.

Imaginées le plus souvent dans des cercles privés, ces normes légales n'ont aucune validité ni démocratique, ni même républicaine. Seulement, le rite parlementaire donne à certaines l'apparence de la légalité. N'étant jamais légitimes, elles ont besoin de la force publique pour s'imposer et la force publique, devant l'effarant empilement de normes, n'est actionnée que de manière occasionnelle de sorte que beaucoup des actions de contrainte prévues par les lois ne sont engagées que de manière conjoncturelle, de manière à avantager des cercles privés qui ont imposés ces normes.

2 - Le blocage se renforce

Or, un nouveau problème va croissant. La numérisation de la société a apporté de nouveaux moyens de contrôle à la police d'Etat qu'elle soit de type judiciaire ou de type administrative. Il en résulte que, si l'effarant empilement de lois - au sens large - n'était hier appliquée que de manière relativement rare, il en va de moins en moins comme celà.

Actuellement, le moindre acte social est tracé informatiquement et des outils de plus en plus perfectionnés sont mis à la disposition tant de la force publique que des juges, de sorte que, comme dans la pire des dictatures, on s'achemine inexorablement vers une société dans laquelle il n'y aura plus aucun acte privé. Tous, y compris les plus intimes, deviennent des actes soumis au contrôle de l'Etat et susceptible d'entraîner son auteur devant les tribunaux de tous ordres.

L'affaire de la campagne présidentielle 2017 est une alerte lancée aux hommes politiques. S'ils ne font rien, la société française sera irrémédiablement bloquée, improductive, invivable. Et qu'arrivera-t'il ensuite ?

3 - L'Europe et la mondialisation

Avant d'aborder cette question et une autre inspirée par les normes anti-pollution en automobile, il faut aussi considérer une autre source de malheurs d'une intensité encore jamais vue. Non seulement nous créons nos propres contraintes mortelles dans un cadre national démocratique que nous sommes encore présumés contrôler par le vote, mais il existe un cadre supranational et bientôt même un cadre supérieur qui n'aura aucune relation avec nos Etats démocratiques et sur lesquels cadres nous n'avons strictement aucun contrôle. Il s'agit de l'Europe et de la mondialisation organisée autour d'institutions comme le FMI, la Banque mondiale ou le Traité transatlantique.

Nous savons que l'Union européenne fonctionne comme une machine folle à édicter des normes dont le contrôle démocratique est purement formel. Qu'on n'agite pas devant nous les prétendues institutions démocratiques de l'Union comme le Conseil européen ou le Parlement européen. Au Conseil de l'Europe, le président de la République française qui est bien un élu du peuple français, n'a quasiment aucune importance, dominé qu'il est par l'Allemagne et par des alliances occasionnelles entre chefs d'Etats plus faibles. Son seul rôle est de démonter toute action qui ne lui convient pas en se ralliant à d'autres mécontents. Quant au Parlement européen, personne n'en connaît les membres et il est devenu une énorme machine à produire des rapports sans effet et des motions verbeuses. D'ailleurs, leur avantage est essentiellement de renforcer le contrôle par de nouvelles normes contraignantes, ce dont ils ne se privent jamais.

Bien entendu, nous connaissons les avantages de la mondialisation en tant qu'il s'agit d'un mouvement historique. Ce mouvement serait dû au caractère progressiste de l'Histoire et il est impossible de se déclarer pour ou contre la mondialisation. On ne peut pas être contre le génie génétique ou l'électrification ... Ce n'est pas de cette "mondialisation" là dont nous nous occupons ici. Il s'agit d'institutions qui se sont constituées depuis les instances démocratiques du monde occidental et qui violent de plus en plus effrontément les règles fondamentales de la démocratie. Et tout d'abord les droits de l'homme, au premier plan desquels se trouve la liberté.

De ces observations, on peut tirer que la situation ne peut être corrigée qu'à la condition de ruiner politiquement l'Union européenne, d'une manière ou d'une autre. Mais cette solution de sortie de l'Union délétère qu'est devenue l'Europe n'aura d'avantages que si s'opère en même temps un réel reflux des normes internes. Les propositions politiques de la campagne présidentielle 2017 sont loin de suivre ce principe.

4 - L'affaire de la campagne présidentielle 2017

Le spectacle politique de la campagne présidentielle est absolument affligeant. Ainsi qu'on le sait, des plaintes judiciaires sont formées contre les trois principaux candidats à savoir, dans l'ordre d'arrivée sur la scène judiciaire, François Fillon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

Alors que la France s'est littéralement effondrée à cause de la politique délétère menée par le monarque précédent - et qui, prudemment, ne se représenterait pas - le choix du prochain président est entravé par la dénonciation d'affaires plus stupides et vaines les unes que les autres.

Pour Fillon, il s'agit principalement de savoir s'il avait le droit d'employer sa femme depuis plus de vingt ans. D'autres affaires encore plus ridicules, comme celle qui concerne les costumes qu'il porte, sont aussi évoquées. Pour Le Pen, c'est principalement de savoir si des permanents de son parti ont été payés ou non sur des fonds du Parlement européen dont elle est membre. Pour Macron, c'est de savoir si sa déclaration de patrimoine est correcte.

Au passage, Fillon risque 10 ans de prison et 1 million d'euros d'amende pour les faits qui lui sont reprochés et dont il conteste la qualification. C'est surtout sa campagne présidentielle qui est ruinée.

Alors qu'on a besoin de propositions concrètes, dont l'importance semble avoir échappé à la majorité des intervenants de la campagne, ce sont des actions d'une banalité confondante qui sont mises en avant pour empêcher toute solution au problème terrible dans lequel se débat notre pays.

Et toute cette agitation vient de centaines de normes législatives, toutes plus stupides les unes que les autres. Si Fillon était - au bout de la route judiciaire - condamné, il le sera à cause de lois qu'il a lui-même voté. De lois dont il est tellement sûr qu'elles étaient bonnes, qu'il pouvait déclarer, désignant certains de ses adversaires, il y a à peine trois mois, qu'il était odieux de seulement imaginer qu'un candidat à la présidence de la République soit mis en examen. Il l'est !... Comble de l'aberration mentale dans laquelle s'est enfermée notre classe politique.

Comment M. Fillon peut il encore imposer des normes contraignantes à ses futurs sujets alors que lui-même subit l'application judiciaire de ces normes, qu'il soit coupable ou innocent ?

5 - L'affaire des normes anti-pollution et Volkswagen

Dans l'affaire Volkswagen, déclenchée l'an passé, un constructeur automobile est accusé d'avoir installé des logiciels de triche des contrôles de la pollution de ses moteurs diesel. L'affaire s'est développée et il s'avère que le cas de ce constructeur n'est pas isolé.

Or, si VW "tombe" sous le coup d'une loi fédérale américaine, celle-ci reprend des normes internationales initialement édictées par les fédérations de constructeurs automobile, dans un "subtil" mélange de normes privées et de normes étatiques.

Et la chose effarante vient de ce que ces triches au contrôle de la pollution ont été installées presque clandestinement par des ingénieurs terrorisés par leur P-DG qui imposait des normes toujours plus sévères. Ne parvenant pas techniquement au respect de ces normes, ils ont été contraints, dans l'urgence, d'installer ces "triches".

Et on voit là une nouvelle illustration de l'absurdité de cet empilement incontrôlé, irrationnel et nuisible de normes. Un monde invivable ...

6 - Le problème de la judiciature

Mais, il y a un autre problème que l'on peut relever dans les deux affaires. Il s'agit du pouvoir absolu des juges qui leur est conféré par les principes judiciaires d'une part mais qui est porté à l'absurdité par la multiplication des normes légales d'autre part.

Dans la plupart des affaires, on admire l'intervention des juges au prétexte que cette intervention inflexible est la démonstration du principe d'indépendance de la Justice. Or, cette croyance est absolument erronnée.

Souvent, les plus érudits se réfèrent à Montesquieu qui, dans "De l'Esprit des Lois", aurait "théorisé" l'indépendance de la Justice. Rien n'est plus faux. Et on rajoute de l'odieux pour démontrer la prétendue vérité de l'independace de la magistrature en prétendant que l'un des principaux piliers de la démocratie serait la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et juridiciaire.Or en France, le Président de la République est à la fois Chef de l'Etat et Chef de la Magistrature, puisqu'il est de droit président du Conseil supérieur de la Magistrature, par le fait que le Président de la République est presque toujours un député de l'ordre législatif et que beaucoup de députés sont eux-mêmes des magistrats. Bien sûr, ils ne le sont pas en même temps. Et après ?

De plus en France, la magistrature est divisée en deux ordres, dont l'un, le Parquet - malgré les remontrances de bien des institutions comme la CEDH - est entièrement sous les ordres du Ministre de la Justice. Et les autres magistrats sont nommés par lui ! Particulièrement, le Garde des Sceaux - membre de l'exécutif, est chargé de la politique pénale ...

Le problème est double. D'une part, chaque norme légale est assortie de peines de plus en plus lourdes qui conduisent à la ruine celui qui est frappé, qu'il soit coupable ou innocent. D'autre part, l'empilement irresponsable des normes légales rendent très improbable le fait qu'un citoyen déterminé soit innocent de la moindre faute qualifiée dans au moins une norme légale. Il en résulte que n'importe quel citoyen se trouve suspect devant n'importe quel juge, qui se tient pour indépendant de tout pouvoir. Le désordre devient alors absolu quand on mesure les moyens de surveillance dont sont désormais dotés les juges et de son auxiliaire la police. Aucun acte même le plus privé ne peut plus échapper à ces moyens de surveillance et, du fait de la multiplication aberrante des normes, le pouvoir des juges sur un seul citoyen devient illimité.

Voilà ce que les trois candidats majeurs à la présidentielle 2017 devraient méditer et avec eux leurs électeurs. Parce que les trois personnages qui concourent à nos suffrages expérimentent chacun le pouvoir illiité des juges et le poids aberrant des normes empilées.

Mais, hélas, l'époque est il encore à la méditation ?


Revue THOMAS (c) 2017