L'affaire syrienne et Trump

Philippe Brindet - 08.04.2017

Les faits

Dans la province de Idlib, le mardi 4 avril, une escadre aérienne syrienne décolant de la base aérienne de al-Shayrat au Nord de Damas a bombardé la petite ville de Khan Cheikhoun, tenue par les rebelles syriens. Or, quelques instants plus tard, les sauveteurs rebelles ont relevé environ 87 victimes qui ont été diagnostiquées mortes à cause du gaz de combat "sarin".

La sphère américaine s'est alors enflammée accusant la République syrienne d'employer des armes interdites par les conventions internationales, ce qui constitue un crime de guerre. De nombreuses voix appellent l'ONU à prendre une sanction radicale contre le régime syrien accusé de la responsabilité de ce crime.

La Syrie proteste qu'elle n'employe jamais d'arme chimique et qu'au contraire, l'affaire de Khan Cheikhoun serait provoquée par une frappe malencontreuse de laviation syrienne sur un dépôt d'armes chimiques tenues par les rebelles. La Russie soutient la position de la Syrie et empêche la progression de la procédure d'intervention de l'ONU.

Les Etats-Unies, notamment par la voix de son ambassadrice à l'ONU, accuse violemment la Syrie de ce crime et ordonne à la Russie de cesser immédiatement son soutien au régime syrien tenu pour criminel. Dans la nuit du 6 au 7 avril, 59 missiles de croisière Tomahawack sont tirés depuis deux frégates américaines en Méditerrannée qui frappent la base de al-Shayrat, provoquant 9 victimes et de très importants dégâts matériels. La base serait inutilisable.

La Syrie tient cette attaque aérienne pour une agression et porte plainte auprès de l'ONU. Soutenue par la Russie, elle proteste à nouveau de son innocence concernant l'affaire de Khan Cheikhoun. La Russie avertit que les relations russo-américaines sont extrêmement menacées par l'agression américaine, et que notamment, la Russie se retire du traité permettant un échange d'informations sur la circulation aérienne en Syrie. Cette mesure signifie qu'un avion de la Coalition pourrait être abattu par les forces anti-aériennes russes, ce qui conduirait à un risque de guerre.

Les Occidentaux soutiennent l'attaque menée par les Etats-Unis. Mais, même au sujet de la France, on note un certain frein. En effet, certains occidentaux estiment qu'une telle action décidée par Tump, confère à ce dernier un pouvoir qu'aucun droit international ne peut lui conférer. Une action de représailles aurait dû, selon eux, être décidée par l'ONU. Par ailleurs, d'autres opinions estiment qu'une enquête aurait dû préalablement établir la culpabilité de la Syrie. Cette culpabilité n'est en effet affirmée que par les groupes rebelles et contestée par la Syrie et la Russie.

On note un soutien enthousiaste de la Turquie, qui il y a moins de deux mois s'était rapprochée de la Russie dans l'affaire syrienne. La Turquie a indiqué qu'elle soutiendrait une éventuelle intervention américaine au sol.

L'opinion américaine semble partagée malgré ce qu'en dit la presse progressiste, représentée par The New York Times et The Washington Post. Si en effet en général les politiciens républicains et démocrates approuvent souvent sans réserve la décision de Trump, il semble que ses récents électeurs ne parviennent pas à oublier ses déclarations de campagne répétées qui avaient fait comprendre que Trump était un "isolationiste" qui ne voulait plus jouer au "gendarme planétaire". L'ambassadrice américaine à L'ONU a déclaré que d'autres actions militaires étaient prévues.

Quelques réflexions

La chose étonnante est le revirement géopolitique de Trump. Son tropisme pour la Russie conjugé à ses déclarations répétées de méfiance à l'égard de la politique américaine au Proche-Orient inclinait les experts à estimer que la Russie aurait les coudées franches pour conclure sa conquête du Proche-Orient. En un clin d'oeil, Tump vient de ruiner les espérances d'un dialogue constructif russo-américain. Il relance le conflit en Syrie, l'opposition pouvant maintenant estimer disposer d'un véritable soutien américain après les bizarres tergiversations de Obama.

Certains experts - qui doivent s'estimer particulièrement intelligents - ont estimé que la décision étonnante de Trump était dictée par le dépit d'avoir été mis en échec sur chacune de ses premières actions. Cette position est particulièrement soutenue par la presse progressiste française.

Certains occidentaux, sur la base de ses postures de campagne, estiment que Trump est un caractère psychopathique susceptible de ce genre de réaction.

On peut estimer que, si en effet les postures de campagne de Trump ont dressé un portait affligeant du personnage, il s'agissait pour lui d'imposer dans l'opinion électorale un personnage de théâtre qui répondait aux attentes de consommation d'électeurs différents de ceux des politiciens "institutionnels", essentiellement du parti démocrate et du parti républicain. C'est sa posture populiste ou de candidat "ani-système" qui lui a assuré l'électorat de gens qui ne votaient plus ou qui n'avaient sinon aucune intention de voter.

On peut penser que la "stratégie électorale" suivie par Trump pourrait faire école ...

Parvenu au pouvoir, Trump s'est particulièrement trouvé en contact avec l'Administration fédérale américaine. On sait qu'aux USA, le Président élu dispose de pouvoirs étendus pour éliminer de l'Administration les individus qui se sont liés au Président sortant. Ce que Trump ne s'est pas privé de faire. Mais, cette "chasse aux sorcières" est en réalité extrêmement limitée.

De plus, l'entourage de Trump, s'il incluait des personnalités paradoxales - comme l'idéologue Steve Bannon, ou le gendre Jared de Trump ... - comportait aussi des "républicains natifs" souvent blanchis sur le harnois des gouvernorats républicains. Ces hommes ou ces femmes ne sont pas des "anti-systèmes". Ils ont souvent été effrayés durant la campagne par les foucades inattendues de Trump qui séduisaient le public américain, et parfois européens ... Ils avaient des liens avec l'administration américaine fédérale.

Pour donner un exemple, le sénateur McCain, qui s'est férocement affronté à Trump au début de sa campagne, ne fait toujours pas partie de l'entourage connu de Trump. Mais, il a des relations évidentes - il suffit de consulter les sources de financement de ses propres fondations - aussi bien avec Trump qu'avec son entourage le plus proche. Or, McCain a toujours milité en faveur d'une intervention militaire en Syrie de nature à éliminer le régime syrien.

Et c'est, à notre avis, là où il faut trouver la cause du "revirement" de Trump. L'influence de gens comme McCain reflète en réalité la position du pôle militaire de l'administration fédérale. Et c'est ce "pôle" qui avait préparé l'opération contre la base de al-Shayrat. Toutes les armées du monde ont en effet des plans d'attaque bien établis contre les cibles potentielles essentielles pour la géopolitique à long terme de leur Etat, quelque soit les élections.

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Lorsque l'affaire de Khan Cheikhoun a éclaté, Trump n'a mis que 63 heures pour prendre sa décision. Il est évident qu'il a été fortement sollicité par le "pôle militaire" de son administration et qu'il a capitulé, non pas pour redorer son blason, mais parce qu'il n'a pas pu faire autrement.

L'administration qui reste est toujours plus forte que le politique qui passe.

Les autres raisons souvent évoquées : démontrer une indépendance vis-à-vis de la Russie ou que la politique Trump peut enfin réussir quelque chose - n sont pas fausses. Elles ne sont que secondaires. A notre avis, la cause la plus forte se trouve dans les motivations du pôle miliatire" de l'administration fédérale, devenue l'"administration Trump" et qui contient 90% ou plus de gens qui étaient dans l'"administration Obama" et qui piaffaient d'impatience pour déclencher des ations militaires de grande envergure.

En réalité, Obama a probablement passé ses deux mandats à freiner les velléités de ce "pôle militaire" qui se sent maintenant plus écouté par le nouveau Président. D'ailleurs, les manipulations de la CIA qui tentent depuis des années de déstabiliser le Proche-Orient et de mettre en ébullition le monde arabo-musulman devenaient vaines avec Obama. Avec Trump, les espérances de la CIA d'étendre le chaos se sont accrues.

Quelle direction la Russie va t'elle prendre ?

Quelle direction l'Iran va t'elle prendre ?

Quelle direction la Chine va t'elle prendre ?

Comment va réagir l'Arabie Saoudite et ses satellites ?

Nous l'igorons complètement. Et Trump tout autant que nous qui s'en moque éperdument.

S'est-il posé la question d'une guerre mondiale ?

On peut estimer que l'Amérique a besoin de la frayeur de l'Europe pour continuer à prospérer. L'Amérique a compris qu'elle ne réduira pas la Russie. Plus encore, elle sait que la Chine va bientôt présenter une "toxicité" à ses intérêts encore plus forte que celle de Poutine. On voit Trump sait maintenant qu'il doit enfermer l'Europe dans un chaos complet, y compris une guerre "mondiale" dont le champ clôt se porterait aux frontières de la Russie. Le Proche-Orient ne serait que l'alumette prévue pour faire exploser la poudrière européenne.

Quels sont donc les risques "européens" ?

On peut penser à trois risques, non exclusifs les uns des autres.

  1. Une inflammation de l'Ukraine,
    en fait, il s'agit de reprendre le bénéfice pour les américains des conflits du Kosovo, de la Serbie, de l'Ukraine et de la Crimée. Particulièrement, la Hongrie pourrait se trouver ciblée dans la tourmente et possiblement la Pologne.
  2. Une offensive de l'islam en Europe à l'aide d'une part de la population musulmane européenne, des migrants du Proche-Orient, et d'Afrique, et d'autre part de l'impérialisme turc sous le mouvement de Erdogan ; on note à ce propos que d'autres puissance speuvent accroître le chaos comprenant les monarchies marocaine et arabe, mais aussi les mouvements "occidentalistes" agités par la CIA autour des Frères musulmans d'une part et de l'aspiration à la démocratie d'autre part.
  3. Un conflit ouvert avec la Russie, conflit duquel la Turquie et l'Iran ne pourraient pas être absents.

A vos souhaits ...


Revue THOMAS (c) 2017